Le succès du film Le Comte de Monte-Cristo incarné en 2024 par Pierre Niney, me rappelle l’accroche « Attendre et Espérer » en tête de l’article publié en 2016 sur la réforme de la prescription pénale.Toujours en vigueur, et sans cesse précisée par la jurisprudence, nous rappelons ces principaux changements par cette nouvelle publication.
Nous connaissons tous l’histoire d’Edmond Dantès sous la plume d’Alexandre Dumas, ce marin de dix-neuf ans sur le point de se fiancer lorsqu’il est accusé à tort de bonapartisme. Après quatorze ans d’emprisonnement injuste, nous découvrons l’étonnement de ceux qui l’y ont envoyé lorsqu’ils le voient revenir, lui et sa vengeance, sous les traits du Comte de Monte-Cristo.
Pour ses ennemis, c’est une histoire ancienne, c’est du passé. C’est la question même de la prescription. Et lorsqu’à la fin du roman, le comte offre une île à un jeune couple, il accompagne son cadeau d’un bref message qui tient en deux verbes : « attendre et espérer ». Attendre et espérer que justice se fasse en dépit du temps écoulé.
Voilà ce que consacre la proposition de loi (1) portant doublement de la prescription pénale, ouvrant la voie à une certaine forme d’imprescriptibilité en droit français. Un jalon qui n’en est pas moins critiquable au regard des risques qu’elle fait courir aux institutions judiciaires et à la procédure pénale françaises.
Doublement des délais de prescription pénale
Après deux mille ans d’histoire de la prescription, la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale porte doublement du délai de prescription de l’action publique et légère augmentation du délai de prescription de la peine délictuelle.
■ Deux mille ans d’existence de la prescription
La longue histoire de la notion de prescription serait héritée du droit romain et apparue pour la première fois sous le règne d’Auguste avec la loi qui instaura en 18 ou 17 avant Jésus-Christ une prescription de cinq ans pour les « délits de la chair ».
Au Moyen Âge, c’est Saint Louis qui installa la prescription dans notre droit par l’octroi de la Charte d’Aigues-Mortes de 1246 posant déjà le principe d’une classification tripartite.
La période révolutionnaire vit ensuite l’apparition de règles nouvelles édictées par le code pénal des 25 septembre et 6 octobre 1791, qui introduisit la notion de prescription des peines.
Le code d’instruction criminelle de 1808 fixe alors les délais de prescription de l’action publique que l’on connaît jusqu’à aujourd’hui, sous réserve du délai de prescription des peines applicables aux contraventions désormais fixé à trois ans (2) .
Jamais révisée dans son intégralité depuis le Consulat, cette réforme de la prescription portée par Alain Tourret (Radical de Gauche) et Georges Fenech (Les Républicains), débutée en janvier 2015, retardée
en raison des attentats de Paris, pourrait entrer en vigueur à l’été 2016.
■ Action publique et peine
L’action de la justice en droit pénal est grevée par deux formes de prescription : la prescription de l’action publique, antérieure à la condamnation définitive, et la prescription de la peine, postérieure au prononcé de la sanction.
L’action publique se trouve éteinte par l’écoulement d’un certain temps depuis le jour de l des poursuites ; son délai court en général à compter de la commission de l’infraction. Le délai est maintenu à un an pour les contraventions, mais doublé de trois à six ans pour les délits et de dix à vingt ans pour les crimes (3).
Prescription de l’action publique :
■ régime actuel : 1-3-10 ans
■ proposition de loi : 1-6-20 ans
La peine se trouve éteinte dès lors que la puissance publique se voit empêchée, après l’expiration d’un certain délai, d’exécuter les sanctions définitives prononcées par le juge. C’est le délai pendant lequel par exemple un condamné en fuite réussit à se soustraire à l’application de l’exécution de sa peine ; son délai court à compter de la date de la décision de condamnation définitive.
Les délais ne sont pas doublés comme en matière d’action publique puisque le texte conserve trois ans de délai de prescription des peines contraventionnelles, porte seulement de cinq à six ans le délai de prescription des peines délictuelles et maintient à vingt ans le délai de prescription des peines criminelles (4)
De même que restent inchangés les délais de prescription dérogatoires de droit commun, allongés – comme en matière de terrorisme ou de trafic de stupéfiants – ou abrégés – comme en matière de presse ou de droit électoral.
Prescription de la peine :
■ régime actuel : 3-5-20 ans
■ proposition de loi : 3-6-20 ans
En gardant la différenciation tripartite qui a toujours fait la spécificité française, l’évolution du texte tient compte de l’augmentation de l’espérance de vie – elle-même quasiment doublée depuis Napoléon –, du régime en vigueur peu lisible et des avancées en matière de conservation des preuves.
L’ADN permet en effet, par exemple, de confondre l’auteur d’un crime bien plus de dix ans après les faits sans qu’il ne soit plus possible d’invoquer le dépérissement des preuves à ce sujet. a commission de l’infraction, c’est le temps.
L’imprescriptibilité en droit français
En avalisant la théorie jurisprudentielle du délit dissimulé et en maintenant certains délais dérogatoires, cette réforme témoigne d’une volonté du droit français de calquer le modèle anglo-saxon d’imprescriptibilité.
■ Imprescriptibilité en droit français
Imprescriptibilité des délits « astucieux ». La deuxième grande proposition du texte consacre dans le code de procédure pénale la jurisprudence, inaugurée dans les années 1930 et consacrée par la Chambre criminelle en 1981 (5), relative à l’exercice des poursuites pour les infractions occultes ou dissimulées du jour où elles sont découvertes, et non plus du jour de leur commission. Dès lors que la prescription court à compter de la révélation des faits, ce texte donne la possibilité au ministère public de poursuivre en théorie indéfiniment, contre le principe même de prescription, et témoigne d’un premier pas vers l’imprescriptibilité (6) .
Imprescriptibilité des crimes de guerre. Dans le sens de cette imprescriptibilité, la proposition de loi met le système juridique français en conformité avec la Convention de Rome 7 en rendant le crime de guerre imprescriptible, au même titre que le crime de génocide et les autres crimes contre l’humanité.
Imprescriptibilité des crimes sexuels. Qui plus est, en maintenant le commencement du délai de prescription des crimes sexuels à la majorité de la victime pour les infractions commises sur les mineurs, les faits peuvent être poursuivis jusqu’à vingt ans après leur commission. Témoignage supplémentaire de l’entérinement progressif de l’imprescriptibilité en droit français, une victime abusée à l’âge de cinq ans peut ainsi dans les faits se porter partie civile jusqu’à près de 40 ans dans un procès qui peut durer vingt ans (8) .
■ Une imprescriptibilité calquée sur le modèle anglo-saxon
Notre système juridique de Civil law s’inspire du modèle de Common law, qui consacre le principe selon lequel l’imprescriptibilité est la règle, le juge disposant du pouvoir d’abandonner les poursuites selon l’ancienneté de l’infraction.
Cette pratique est pourtant dangereuse, comme en a témoigné l’affaire Roman Polanski, assurant à la prescription son utilité dans la régulation d’un système judiciaire politisé. Fondé sur l’opportunité des poursuites, et non la légalité, il confère en effet au parquet l’énorme
responsabilité politique de poursuivre ou de classer.
Par ailleurs, de nombreux pays dits de Civil law ont rendu imprescriptibles certaines infractions et certaines peines, en dehors des crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité : par exemple en Allemagne, les meurtres commis avec circonstances aggravantes, en Autriche et en Italie les infractions punies d’un emprisonnement à vie, ou encore en Espagne les délits de terrorisme ayant entraîné la mort.
L’imprescriptibilité en droit français semble donc satisfaire à l’exigence de répression des infractions mais pas à l’impératif de sécurité juridique.
Des risques inconsidérés pour la procédure pénale française
Votée à l’unanimité des députés, saluée par le gouvernement, avec le soutien de certains magistrats, des associations de victimes et la bénédiction du Conseil d’État, cette proposition de loi n’en est pas moins discutable, tant du point de vue institutionnel qu’au regard de la proportionnalité et de la surpopulation carcérale.
■ Engorgement des tribunaux et indépendance du parquet
Ce doublement du délai de prescription apparaît comme un nouvel acquis aux victimes pour qui une prescription trop courte valait, selon certaines associations, une forme d’échec de la justice et d’impunité.
Ce sont donc ces dernières qui ont pesé sur les débats parlementaires plutôt que les professionnels du droit, Syndicat de la magistrature et Ordre des avocats, largement opposés à la proposition dès lors que nos moyens techniques permettent aujourd’hui d’élucider plus vite les affaires, et donc de juger au plus près de l’infraction.
Il est donc indispensable de conjuguer cette réforme avec la déjudiciarisation d’un grand nombre de contentieux et un changement vers un système de légalité des poursuites.
À défaut du premier, nous risquons de voir exploser la charge de travail des services d’enquête de police judiciaire ainsi que des tribunaux, que les législatures successives essaient pourtant de désengorger.
À défaut du second, le parquet en conserve l’opportunité et dispose ainsi d’une responsabilité politique énorme en l’état de sa dépendance au pouvoir.
■ Disproportionnalité de la loi
En outre, la consécration de la jurisprudence conduit à s’interroger sur les principes de légalité et de proportionnalité, sources de sécurité juridique et de confiance dans la loi. La proposition de loi
remet ainsi en cause le principe même de légalité de la prescription qui n’est autre que la sanction de la négligence des autorités judiciaires n’ayant pas été capables d’agir à temps.
En s’arrogant ainsi le droit de poursuivre indéfiniment, le ministère public ne permet plus au justiciable de se protéger du rempart que lui offrait l’écoulement du temps. En rendant imprescriptibles les poursuites des infractions économiques et fi nancières, la loi porte également atteinte au principe de proportionnalité.
Comment en effet considérer une loi comme étant proportionnelle dès lors qu’elle place sous le même régime de prescription le dirigeant ayant falsifié les comptes de sa société et le criminel contre l’humanité ayant torturé son peuple ?
Comment considérer une loi comme proportionnelle dès lors qu’elle est en contradiction avec nos engagements conventionnels, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme disposant du droit à être jugé dans un « délai raisonnable », notion par définition contraire
aux actes interruptifs qui s’appliquent au procès, depuis l’enquête jusqu’au renvoi, et rendent ainsi quasiment imprescriptible l’engagement de l’action ?
Comment considérer une loi comme étant proportionnelle dès lors qu’elle encourage l’écoulement de plusieurs années sans qu’aucun acte d’enquête, d’instruction ou de poursuite ne soit réalisé, c’est-à-dire l’inverse du principe d’une justice rapide ?
Comment considérer une loi comme étant proportionnelle dès lors qu’elle s’applique immédiatement au mépris de la non-rétroactivité de la loi pénale, aggravant ainsi, malgré l’exception prévue pour les lois de forme, la répression pour des faits déjà commis mais non échus ?
■ Augmentation de la surpopulation carcérale
Rappelons enfin que la prescription n’est pas le seul élément à caractériser la gravité d’une infraction. Ce qui caractérise cette gravité, c’est la sanction. Et cette sanction aujourd’hui n’est pas appliquée comme elle le devrait puisque le bout de la chaîne pénale reste la prison et qu’elle est pleine. Avec une densité carcérale moyenne en maison d’arrêt de 136 %, la loi sur l’encellulement individuel n’est pas respectée. En croyant réduire l’intensité du dommage causé à l’ordre social par le coupable, le doublement de la prescription n’est donc clairement pas au service de l’effectivité de la réponse pénale.
Sachant que la France se distingue par son taux de personnes condamnées pour une peine jusqu’à un an de près de 40 %, il convient d’adapter le parc immobilier à cette réalité. C’est ainsi que l’effort immobilier pénitentiaire doit prioritairement porter sur des structures plus légères sur le modèle scandinave (Une dizaine de détenus soumis à des peines comparables vivent ensemble dans de petites unités composées d’un séjour, d’une cuisine et d’autant de cellules individuelles de 7 m². Le matin est consacré aux études,
l’après-midi aux travaux d’intérêts généraux).
À cela s’ajoute un travail majeur sur la politique d’aménagement des peines, notamment pour que son prononcé intègre les conditions de son application et que les réductions automatiques des remises de peine ne soient pas supprimées tant que les deux tiers de la peine n’ont pas été accomplis. La tendance n’est donc plus à la surenchère sécuritaire sous la pression des associations de victimes mais au développement de structures plus légères en milieu carcéral adaptées à la sécurité de la petite délinquance ou hors milieu carcéral.
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Ce texte sur la voie de l’imprescriptibilité peut donc servir l’intrigue d’un des plus grands romans du XIXe siècle mais certainement pas la réalité judiciaire française. En consacrant le doublement de la prescription et en avalisant la théorie jurisprudentielle du délit dissimulé, il est finalement davantage politique que juridique puisqu’il conduira, s’il n’est pas encadré, à un engorgement des tribunaux, une nouvelle remise en cause de l’indépendance du parquet et une aggravation de la surpopulation carcérale.
Cette réforme témoigne donc d’une procédure pénale à bout de souffle et d’une marque d’intolérance de plus en plus forte de la société à l’infraction, à la faute, qui est pourtant le propre de l’homme. Un texte dans l’air du temps, qui n’est pas au pardon mais à la colère.
Pierre Farge, Avocat à la Cour
Parution AJ Pénal – Juin 2016 (pdf)
Références citées
( 1 ) A. Tourret et G. Fenech, Proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale, n o 2931, Assemblée nationale, 1 er juill. 2015.
( 2 ) Sur l’histoire de la prescription, v. B. Bouloc, Regard sur la prescription pénale, infra, p.xxx.
( 3 ) C. pr. pén., art. 7 à 9, art. 9-1 (nouveau), art. 9-2 (nouveau) et art. 9-3 (nouveau).
( 4 ) C. pén., art. 133-2 à 133-4.
( 5 ) Crim. 10 août 1981, n o 80-93.092.
( 6 ) Sur le recul du point de départ de la prescription et sa suspension, v. A. Darsonville, Recul du point de départ de la prescription de l’action publique et suspension du délai : le fl ou actuel et à venir ?, infra, p. xxx.
( 7 ) Convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale, 17 juill. 1998.
( 8 ) Sur la prescription des infractions contre les mineurs, v. C. Courtin, La prescription des infractions contre les mineurs, infra, p. xxx.