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Actualités Farge Associés

Actualités du Cabinet et de Pierre Farge, avocat associé fondateur :
lanceurs d’alerte, droit fiscal, droit pénal, pro-bono, culture…

Attendre et Espérer, toujours 

Attendre et Espérer, toujours 

Le succès du film Le Comte de Monte-Cristo incarné en 2024 par Pierre Niney, me rappelle l’accroche « Attendre et Espérer » en tête de l’article publié en 2016 sur la réforme de la prescription pénale.Toujours en vigueur, et sans cesse précisée par la jurisprudence, nous rappelons ces principaux changements par cette nouvelle publication.

Nous connaissons tous l’histoire d’Edmond Dantès sous la plume d’Alexandre Dumas, ce marin de dix-neuf ans sur le point de se fiancer lorsqu’il est accusé à tort de bonapartisme. Après quatorze ans  d’emprisonnement injuste, nous découvrons l’étonnement de ceux qui l’y ont envoyé lorsqu’ils le voient revenir, lui et sa vengeance, sous les traits du Comte de Monte-Cristo.

Pour ses ennemis, c’est une histoire ancienne, c’est du passé. C’est la question même de la prescription. Et lorsqu’à la fin du roman, le comte offre une île à un jeune couple, il accompagne son cadeau d’un bref message qui tient en deux verbes : « attendre et espérer ». Attendre et espérer que justice se fasse en dépit du temps écoulé.

Voilà ce que consacre la proposition de loi (1) portant doublement de la prescription pénale, ouvrant la voie à une certaine forme d’imprescriptibilité en droit français. Un jalon qui n’en est pas moins critiquable au regard des risques qu’elle fait courir aux institutions judiciaires et à la procédure pénale françaises.

Doublement des délais de prescription pénale

Après deux mille ans d’histoire de la prescription, la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale porte doublement du délai de prescription de l’action publique et légère augmentation du délai de prescription de la peine délictuelle.

■ Deux mille ans d’existence de la prescription

La longue histoire de la notion de prescription serait héritée du droit romain et apparue pour la première fois sous le règne d’Auguste avec la loi qui instaura en 18 ou 17 avant Jésus-Christ une prescription de cinq ans pour les « délits de la chair ».
Au Moyen Âge, c’est Saint Louis qui installa la prescription dans notre droit par l’octroi de la Charte d’Aigues-Mortes de 1246 posant déjà le principe d’une classification tripartite.
La période révolutionnaire vit ensuite l’apparition de règles nouvelles édictées par le code pénal des 25 septembre et 6 octobre 1791, qui introduisit la notion de prescription des peines.

Le code d’instruction criminelle de 1808 fixe alors les délais de prescription de l’action publique que l’on connaît jusqu’à aujourd’hui, sous réserve du délai de prescription des peines applicables aux contraventions désormais fixé à trois ans (2) .

Jamais révisée dans son intégralité depuis le Consulat, cette réforme de la prescription portée par Alain Tourret (Radical de Gauche) et Georges Fenech (Les Républicains), débutée en janvier 2015, retardée
en raison des attentats de Paris, pourrait entrer en vigueur à l’été 2016.

■ Action publique et peine

L’action de la justice en droit pénal est grevée par deux formes de prescription : la prescription de l’action publique, antérieure à la condamnation définitive, et la prescription de la peine, postérieure au prononcé de la sanction.

L’action publique se trouve éteinte par l’écoulement d’un certain temps depuis le jour de l des poursuites ; son délai court en général à compter de la commission de l’infraction. Le délai est maintenu à un an pour les contraventions, mais doublé de trois à six ans pour les délits et de dix à vingt ans pour les crimes (3).

Prescription de l’action publique :
■ régime actuel : 1-3-10 ans
■ proposition de loi : 1-6-20 ans

La peine se trouve éteinte dès lors que la puissance publique se voit empêchée, après l’expiration d’un certain délai, d’exécuter les sanctions définitives prononcées par le juge. C’est le délai pendant lequel par exemple un condamné en fuite réussit à se soustraire à l’application de l’exécution de sa peine ; son délai court à compter de la date de la décision de condamnation définitive.

Les délais ne sont pas doublés comme en matière d’action publique puisque le texte conserve trois ans de délai de prescription des peines contraventionnelles, porte seulement de cinq à six ans le délai de prescription des peines délictuelles et maintient à vingt ans le délai de prescription des peines criminelles (4)

De même que restent inchangés les délais de prescription dérogatoires de droit commun, allongés – comme en matière de terrorisme ou de trafic de stupéfiants – ou abrégés – comme en matière de presse ou de droit électoral.

Prescription de la peine :
■ régime actuel : 3-5-20 ans
■ proposition de loi : 3-6-20 ans

En gardant la différenciation tripartite qui a toujours fait la spécificité française, l’évolution du texte tient compte de l’augmentation de l’espérance de vie – elle-même quasiment doublée depuis Napoléon –, du régime en vigueur peu lisible et des avancées en matière de conservation des preuves.

L’ADN permet en effet, par exemple, de confondre l’auteur d’un crime bien plus de dix ans après les faits sans qu’il ne soit plus possible d’invoquer le dépérissement des preuves à ce sujet. a commission de l’infraction, c’est le temps.

L’imprescriptibilité en droit français

En avalisant la théorie jurisprudentielle du délit dissimulé et en maintenant certains délais dérogatoires, cette réforme témoigne d’une volonté du droit français de calquer le modèle anglo-saxon d’imprescriptibilité.

■ Imprescriptibilité en droit français

Imprescriptibilité des délits « astucieux ». La deuxième grande proposition du texte consacre dans le code de procédure pénale la jurisprudence, inaugurée dans les années 1930 et consacrée par la Chambre criminelle en 1981 (5), relative à l’exercice des poursuites pour les infractions occultes ou dissimulées du jour où elles sont découvertes, et non plus du jour de leur commission. Dès lors que la prescription court à compter de la révélation des faits, ce texte donne la possibilité au ministère public de poursuivre en théorie indéfiniment, contre le principe même de prescription, et témoigne d’un premier pas vers l’imprescriptibilité (6) .

Imprescriptibilité des crimes de guerre. Dans le sens de cette imprescriptibilité, la proposition de loi met le système juridique français en conformité avec la Convention de Rome 7 en rendant le crime de guerre imprescriptible, au même titre que le crime de génocide et les autres crimes contre l’humanité.

Imprescriptibilité des crimes sexuels. Qui plus est, en maintenant le commencement du délai de prescription des crimes sexuels à la majorité de la victime pour les infractions commises sur les mineurs, les faits peuvent être poursuivis jusqu’à vingt ans après leur commission. Témoignage supplémentaire de l’entérinement progressif de l’imprescriptibilité en droit français, une victime abusée à l’âge de cinq ans peut ainsi dans les faits se porter partie civile jusqu’à près de 40 ans dans un procès qui peut durer vingt ans (8) .

■ Une imprescriptibilité calquée sur le modèle anglo-saxon

Notre système juridique de Civil law s’inspire du modèle de Common law, qui consacre le principe selon lequel l’imprescriptibilité est la règle, le juge disposant du pouvoir d’abandonner les poursuites selon l’ancienneté de l’infraction.

Cette pratique est pourtant dangereuse, comme en a témoigné l’affaire Roman Polanski, assurant à la prescription son utilité dans la régulation d’un système judiciaire politisé. Fondé sur l’opportunité des poursuites, et non la légalité, il confère en effet au parquet l’énorme
responsabilité politique de poursuivre ou de classer.

Par ailleurs, de nombreux pays dits de Civil law ont rendu imprescriptibles certaines infractions et certaines peines, en dehors des crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité : par exemple en Allemagne, les meurtres commis avec circonstances aggravantes, en Autriche et en Italie les infractions punies d’un emprisonnement à vie, ou encore en Espagne les délits de terrorisme ayant entraîné la mort.

L’imprescriptibilité en droit français semble donc satisfaire à l’exigence de répression des infractions mais pas à l’impératif de sécurité juridique.

Des risques inconsidérés pour la procédure pénale française

Votée à l’unanimité des députés, saluée par le gouvernement, avec le soutien de certains magistrats, des associations de victimes et la bénédiction du Conseil d’État, cette proposition de loi n’en est pas moins discutable, tant du point de vue institutionnel qu’au regard de la proportionnalité et de la surpopulation carcérale.

■ Engorgement des tribunaux et indépendance du parquet

Ce doublement du délai de prescription apparaît comme un nouvel acquis aux victimes pour qui une prescription trop courte valait, selon certaines associations, une forme d’échec de la justice et d’impunité.

Ce sont donc ces dernières qui ont pesé sur les débats parlementaires plutôt que les professionnels du droit, Syndicat de la magistrature et Ordre des avocats, largement opposés à la proposition dès lors que nos moyens techniques permettent aujourd’hui d’élucider plus vite les affaires, et donc de juger au plus près de l’infraction.

Il est donc indispensable de conjuguer cette réforme avec la déjudiciarisation d’un grand nombre de contentieux et un changement vers un système de légalité des poursuites.

À défaut du premier, nous risquons de voir exploser la charge de travail des services d’enquête de police judiciaire ainsi que des tribunaux, que les législatures successives essaient pourtant de désengorger.

À défaut du second, le parquet en conserve l’opportunité et dispose ainsi d’une responsabilité politique énorme en l’état de sa dépendance au pouvoir.

■ Disproportionnalité de la loi

En outre, la consécration de la jurisprudence conduit à s’interroger sur les principes de légalité et de proportionnalité, sources de sécurité juridique et de confiance dans la loi. La proposition de loi
remet ainsi en cause le principe même de légalité de la prescription qui n’est autre que la sanction de la négligence des autorités judiciaires n’ayant pas été capables d’agir à temps.

En s’arrogant ainsi le droit de poursuivre indéfiniment, le ministère public ne permet plus au justiciable de se protéger du rempart que lui offrait l’écoulement du temps. En rendant imprescriptibles les poursuites des infractions économiques et fi nancières, la loi porte également atteinte au principe de proportionnalité.

Comment en effet considérer une loi comme étant proportionnelle dès lors qu’elle place sous le même régime de prescription le dirigeant ayant falsifié les comptes de sa société et le criminel contre l’humanité ayant torturé son peuple ?

Comment considérer une loi comme proportionnelle dès lors qu’elle est en contradiction avec nos engagements conventionnels, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme disposant du droit à être jugé dans un « délai raisonnable », notion par définition contraire
aux actes interruptifs qui s’appliquent au procès, depuis l’enquête jusqu’au renvoi, et rendent ainsi quasiment imprescriptible l’engagement de l’action ?

Comment considérer une loi comme étant proportionnelle dès lors qu’elle encourage l’écoulement de plusieurs années sans qu’aucun acte d’enquête, d’instruction ou de poursuite ne soit réalisé, c’est-à-dire l’inverse du principe d’une justice rapide ?

Comment considérer une loi comme étant proportionnelle dès lors qu’elle s’applique immédiatement au mépris de la non-rétroactivité de la loi pénale, aggravant ainsi, malgré l’exception prévue pour les lois de forme, la répression pour des faits déjà commis mais non échus ?

■ Augmentation de la surpopulation carcérale

Rappelons enfin que la prescription n’est pas le seul élément à caractériser la gravité d’une infraction. Ce qui caractérise cette gravité, c’est la sanction. Et cette sanction aujourd’hui n’est pas appliquée comme elle le devrait puisque le bout de la chaîne pénale reste la prison et qu’elle est pleine. Avec une densité carcérale moyenne en maison d’arrêt de 136 %, la loi sur l’encellulement individuel n’est pas respectée. En croyant réduire l’intensité du dommage causé à l’ordre social par le coupable, le doublement de la prescription n’est donc clairement pas au service de l’effectivité de la réponse pénale.

Sachant que la France se distingue par son taux de personnes condamnées pour une peine jusqu’à un an de près de 40 %, il convient d’adapter le parc immobilier à cette réalité. C’est ainsi que l’effort immobilier pénitentiaire doit prioritairement porter sur des structures plus légères sur le modèle scandinave (Une dizaine de détenus soumis à des peines comparables vivent ensemble dans de petites unités composées d’un séjour, d’une cuisine et d’autant de cellules individuelles de 7 m². Le matin est consacré aux études,
l’après-midi aux travaux d’intérêts généraux).

À cela s’ajoute un travail majeur sur la politique d’aménagement des peines, notamment pour que son prononcé intègre les conditions de son application et que les réductions automatiques des remises de peine ne soient pas supprimées tant que les deux tiers de la peine n’ont pas été accomplis. La tendance n’est donc plus à la surenchère sécuritaire sous la pression des associations de victimes mais au développement de structures plus légères en milieu carcéral adaptées à la sécurité de la petite délinquance ou hors milieu carcéral.

***
Ce texte sur la voie de l’imprescriptibilité peut donc servir l’intrigue d’un des plus grands romans du XIXe siècle mais certainement pas la réalité judiciaire française. En consacrant le doublement de la prescription et en avalisant la théorie jurisprudentielle du délit dissimulé, il est finalement davantage politique que juridique puisqu’il conduira, s’il n’est pas  encadré, à un engorgement des tribunaux, une nouvelle remise en cause de l’indépendance du parquet et une aggravation de la surpopulation carcérale.

Cette réforme témoigne donc d’une procédure pénale à bout de souffle et d’une marque d’intolérance de plus en plus forte de la société à l’infraction, à la faute, qui est pourtant le propre de l’homme. Un texte dans l’air du temps, qui n’est pas au pardon mais à la colère.

Pierre Farge, Avocat à la Cour
Parution AJ Pénal – Juin 2016 (pdf)

Références citées

( 1 ) A. Tourret et G. Fenech, Proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale, n o 2931, Assemblée nationale, 1 er juill. 2015.
( 2 ) Sur l’histoire de la prescription, v. B. Bouloc, Regard sur la prescription pénale, infra, p.xxx.
( 3 ) C. pr. pén., art. 7 à 9, art. 9-1 (nouveau), art. 9-2 (nouveau) et art. 9-3 (nouveau).
( 4 ) C. pén., art. 133-2 à 133-4.
( 5 ) Crim. 10 août 1981, n o 80-93.092.
( 6 ) Sur le recul du point de départ de la prescription et sa suspension, v. A. Darsonville, Recul du point de départ de la prescription de l’action publique et suspension du délai : le fl ou actuel et à venir ?, infra, p. xxx.
( 7 ) Convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale, 17 juill. 1998.
( 8 ) Sur la prescription des infractions contre les mineurs, v. C. Courtin, La prescription des infractions contre les mineurs, infra, p. xxx.

 

Féminicide devant un tribunal à Montpellier – BFM TV 20 février 2024

Féminicide devant un tribunal à Montpellier – BFM TV 20 février 2024

BFM Story 20 février 2024

Un homme, âgé de 72 ans, a attendu son ex-femme, dont il avait divorcé en 2016, sur le parvis du tribunal judiciaire de Montpellier et l’a tuée par balles, ce mardi 20 février. Il a ensuite retourné l’arme contre lui.

Maître Pierre Farge, avocat et président de « Avocat Stop Féminicide », est intervenu sur le plateau de BFM TV avec :

  • Vincent Vantighem, grand reporter, police-justice BFMTV.
  • Violaine Filippis, avocate, porte-parole d’Osez le Féminisme!
  • Raphaëlle Rémy-Leleu, conseillère EELV de Paris, militante féministe.

Source : Replay sur le site de BFM TV 

EXTRAITS

BFM TV (05:06)
Pierre Farge, vous avez créé Avocat Stop Féminicide, c’est un collectif d’avocats, c’est ça ?

Maître Pierre Farge  (05:12)
C’est un collectif d’avocats qui a été créé au lendemain du Grenelle contre les violences faites aux femmes, qui a trois missions principales. La première, c’est d’orienter et de conseiller les conjoints victimes de violences pour les aider à déposer plainte, puis ensuite de les accompagner dans les procédures pénales et civiles, parfois malheureusement, accompagner les familles de victimes puisqu’elles sont plus là pour voir leurs préjudices réparés. Et puis, fort de ces expériences de terrain, essayer de faire du lobbying auprès des pouvoirs publics pour qu’il y ait des mesures concrètes, utiles, pour protéger les victimes de violences.

BFM TV (05:44) 
Dans cette histoire, ce qui interroge, ce sont les délais. On a un couple qui est divorcé depuis 2016, mais qui se retrouve huit ans après devant les affaires familiales. La rencontre n’a pas eu lieu puisque malheureusement, le drame est arrivé avant, mais devant le juge des affaires familiales pour régler des problèmes de liquidation d’intérêt patrimoniaux. Comment expliquer ce délai ?

Maître Pierre Farge (06:08)
Déjà, malheureusement, les délais d’audiencement judiciaire ne visent pas que des procédures en divorce ou de liquidation partage. Ils sont très importants devant de très nombreuses juridictions en France. Et là, en l’occurrence, une liquidation partage qui dure huit ans, c’est énorme, mais moi-même, à mon cabinet, j’en ai qui traînent depuis 15 ans ou même le double. Donc c’est évidemment trop long, mais c’est plutôt une question de politique judiciaire générale de raccourcir les délais d’audiencement judiciaire.
Maintenant, pour rebondir ce que disait à l’instant ma consœur sur essayer de prévenir plus à la source les risques de violences, moi, j’ai plutôt le sentiment que là, on est dans un cas qui est totalement isolé. On ne peut pas prendre une mesure de protection. C’était un contentieux qui était purement civil. Les délais d’audiencement sont déjà très importants. Il ne serait pas sérieux, ni possible, de contribuer un peu plus à l’engorgement judiciaire, en engageant une procédure pénale de protection dans tous les divorces ou toutes les procédures de liquidation partage.

BFM TV [00:12:34.010] 
Vous avez déjà été confronté à des actes de violences, peut-être pas aussi graves, dans les tribunaux ? Parce qu’effectivement, il peut tout se passer devant un tribunal.

Maître Pierre Farge [00:12:44.320] 
Personnellement, la violence dans l’enceinte judiciaire, oui, on y assiste tous les jours, c’est des drames humains. Ce qu’il faut souhaiter, c’est que ce drame aujourd’hui qui a concerné tous ses confrères, tous ses auxiliaires de justice à Montpellier, que la justice fasse son travail et que ça ne se reproduise pas. Maintenant, la violence au sein des tribunaux judiciaires, surtout pénaux, c’est malheureusement le quotidien, elle est quotidienne, oui, pour tout le monde, pour tout le personnel judiciaire qui concourt à l’œuvre de justice

Maître Pierre Farge [00:14:50.460] 
Il y a un vrai travail de sensibilisation et de formation des officiers de police judiciaire, de ceux qui reçoivent les plaintes sur le terrain dans les commissariats… Il a été fait plus en 5 ans qu’en 50 ans. (…) Il faut accroître ce travail. Insister sur cette tendance. (…) Ça n’est que le début.

Défenseur des droits : en manque de pouvoir et de financement

Défenseur des droits : en manque de pouvoir et de financement

Alors que les réclamations auprès du Défenseur des droits augmentent, l’institution peine à répondre efficacement aux attentes des citoyens.

Tribune de Maître Pierre Farge et Federico Corsano parue dans Contrepoints.

Le Rapport annuel du Défenseur des droits est toujours l’occasion de prendre la température de la société française, ses évolutions, ses limites, et finalement relativiser le rôle réel de cette institution créée en 2011.

Beaucoup est dit et promis sur son utilité. Le terrain témoigne qu’elle manque de pouvoir et d’argent.

Autorité administrative indépendante inscrite dans la Constitution, le Défenseur des droits a été créé par une loi du 29 mars 2011 qui lui confie cinq missions :

  1. Défense des droits et libertés dans le cadre des relations avec les administrations de l’État
  2. Défense des droits de l’enfant
  3. Lutte contre les discriminations
  4. Respect de la déontologie par les forces de sécurité
  5. Protection des lanceurs d’alerte

 

Son Rapport 2022, publié par sa présidente Claire Hédon, rend compte de l’action accomplie. L’objectif de cette année était de « mettre en avant la nécessité d’aller au plus près des personnes les plus éloignées de leurs droits ».

Des réclamations en hausse

Vaste engagement et vague annonce, comme en témoignent les chiffres eux-mêmes.

125 456 réclamations ont été adressées en 2022, soit 9 % de plus qu’en 2021, conséquence directe de deux facteurs importants selon l’auteure : d’une part les politiques publiques, dont le Rapport révèle « les failles et les angles morts » ; d’autre part, le choix de la dématérialisation excessive éloignant les citoyens des services publics et faisant « obstacle à l’exercice des droits ».

Cette dernière situation vise particulièrement les étrangers.

Selon le Rapport 2022, le nombre de réclamations les concernant a atteint un niveau sans précédent, au point que la Défenseure regrette une véritable « dégradation », les destinant à vivre dans des « zones de non-droit ».

Depuis 2019, on constate une hausse de 231 % des réclamations, et de 450 % seulement en Île-de-France, notamment avec la dématérialisation des guichets préfectoraux.

Cela pose donc la question de la simplification des démarches pour le travail de l’administration, mais aussi sa déshumanisation.

S’agissant de discrimination, le rapport constate 6 545 réclamations, la majorité portant sur l’emploi privé (24 %) et l’emploi public (17 %). Dans le premier, 69 % visent la grossesse. Dans le secteur public, ce sont 40% des activités syndicales qui seraient prétexte à discriminer.

S’agissant de la protection de l’enfance, la plupart des réclamations, à hauteur de 30 %, portent sur l’accès à l’éducation, et notamment la discrimination du handicap et le traitement des mineurs isolés.

S’agissant de l’action des forces de sécurité, dans le contexte des crises sociales que nous connaissons, 2 455 réclamations sont dénombrées, dont 49 % concernent la police nationale, 15 % des violences et 10% des refus de plainte.

S’agissant enfin de la protection des lanceurs d’alerte, l’adoption de quatre textes, dans le cadre de la transposition de la directive du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019, marque une nouvelle étape. La procédure de signalement a été assouplie avec la fin de l’obligation de passer par la voie interne avant d’alerter une autorité extérieure, comme le Défenseur des droits lui-même ou l’autorité judiciaire.

C’est ainsi que depuis la loi Waserman du 21 mars 2022, le Défenseur des droits enregistre une hausse des signalements en vertu de son pouvoir de certification du « statut de lanceur d’alerte ».

Partant justement de notre accompagnement d’avocats en matière de lanceur d’alerte, deux grandes difficultés ressortent à raison de la publicité faite de l’institution.

Le manque de moyens au regard des missions croissantes confiées

Le budget de l’Autorité administrative indépendante augmente à peine de 22 millions d’euros en 2020, il passe à 24,1 millions en 2021 et 24,4 millions en 2022, alors que les saisines des justiciables explosent.

Croyant sans doute qu’elle pourrait pallier les délais d’audiencement judiciaire stratosphériques, les requêtes engorgent à leur tour l’institution.

Faute d’un budget corrélé à cette augmentation exponentielle des demandes, les délais de l’Autorité administrative indépendante pour rendre un avis – pouvant atteindre dans certains cas plus d’un an – vident l’initiative de toute utilité.

Ce ne sont donc pas 500 agents et délégués bénévoles, et environ 240 salariés qu’il faudrait, mais plus du double pour être utile

Le simple pouvoir de recommandation de l’institution

Il n’a donc aucune valeur contraignante, sinon celui d’enjoindre le mis en cause, dans un délai déterminé, à réaliser les mesures qui s’imposent… mais sans aucune sanction en l’absence d’exécution.

Le comprenant souvent trop tard, les justiciables finissent par se tourner vers l’institution judiciaire, et ont donc perdu autant de temps pour faire valoir leur droit.

Parce qu’il vaut mieux faire que dire, afin de rendre une utilité réelle à l’institution, peut-être faudrait-il augmenter son budget – le doubler – et donner un pouvoir de sanction comme par exemple celui dont dispose l’Autorité de la concurrence, une autre Autorité administrative indépendante de la République avec un budget et des effectifs comparables, mais disposant du pouvoir d’infliger des peines d’amende.

Maître Pierre Farge et Federico Corsano

Violences conjugales : avancées et défaillances – Note d’actualité

Violences conjugales : avancées et défaillances – Note d’actualité

Depuis le Grenelle de 2019, de nombreuses mesures ont été prises, excellentes même. Force néanmoins de constater qu’elles n’ont pas permis d’inverser les chiffres toujours alarmants.  

Fort de notre engagement quotidien dans la lutte contre les violences conjugales, voici ce qu’il ressort des récentes jurisprudences. 

Des avancées

Le 25 novembre 2019 un plan d’action national de lutte contre les violences faites aux femmes, dit le Grenelle des violences conjugales a été présenté par le gouvernement français lors de la Journée internationale pour l’élimination de la violence faite aux femmes.

Il prévoit toute une série de mesures comme la formation des professionnels de santé et de justice à la question des violences faites aux femmes, pour permettre une meilleure prise en charge des victimes, mais aussi des actions très concrètes.  

Parmi elles, le téléphone grave danger ou téléphone grand danger (TGD), contenant une touche permettant d’alerter un service de téléassistance identifiant le danger, les lieux et la situation de la victime. Les forces de l’ordre sont alertées sur un canal dédié et une patrouille est envoyée sans délai auprès de la victime. En 2021, 3.320 TGD ont été déployés dont 2.252 attribués. Au 1er juillet 2022, les chiffres ont augmenté avec 4.247 TGD déployés et 3.211 attribués.

Autre mesure concrète, le plan promettait de renforcer l’accompagnement des femmes victimes de violences en augmentant le nombre d’hébergements d’urgence. Entre 2017 et 2021, il est ainsi passé de 5.100 à 7.700 places. Entre 2021 et 2022, le bilan semble atteint avec l’ouverture de 1.944 places sur les 2.000 qui étaient initialement prévues. 1.000 places supplémentaires sont attendues pour 2023.

Cependant, nous sommes loin du besoin réel sur le terrain : plus de 200.000 femmes sont victimes de violences conjugales, dont 35.000 ont besoin d’un hébergement.

Les affaires de violences conjugales étant complexes, et la solution jamais manichéenne, l’expérience a montré qu’il ne suffisait pas d’héberger la victime pour mettre fin aux violences. Le conjoint violent n’ayant, par exemple, aucun lieu où dormir suite à son éloignement du domicile conjugale ordonné par le juge, il a bien fallu réfléchir comment prendre en charge les plus démunis.

Qui plus est, afin de ne pas rajouter de la violence à la violence, ce n’est pas à la victime d’avoir à quitter le domicile conjugal.

Des Centres de prises en charge des auteurs de violence ont donc été créés, les CPCA. On en dénombre à ce jour trente. Outre un toit, ils proposent aux auteurs des modules de sensibilisation et de responsabilisation. L’objectif est de permettre un accompagnement psychologique, social et judiciaire afin de prévenir toute délinquance ou récidive.

Les jurisprudences récentes démontrent aussi une volonté de l’autorité judiciaire de s’harmoniser avec le législateur et le gouvernement en permettant une aggravation des peines.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation rend par exemple un arrêt le 15 mars 2023 condamnant un concubin à la réclusion criminelle à perpétuité pour meurtre sur conjoint (Cass, crim, 15 mars 2023 – n°22-80.609). Le 29 mars 2023, confirmant le lien entre la séquestration et le suicide d’une femme, la Chambre criminelle condamne à 25 ans de réclusion criminelle (Cass, crim, 29 mars 2023 – n° 22-83.214).

Les défaillances persistantes

Mais il ne faut pas se satisfaire de ces avancées pour autant.

Les chiffres sont têtus. En 2020, 102 féminicides ont été recensés, contre 122 en 2021. En 2022, le taux reste tout aussi haut avec un nombre total de 110.

Et au-delà des violences physiques, très peu de mesures protègent encore effectivement les victimes de violences économiques.

C’est en ce sens que la loi du 28 février 2023 crée l’Aide financière universelle d’urgence. Le nouvel article 214-12 du Code de l’action sociale et des familles consacre en effet cette aide pour toute victime de violences conjugales. L’aide peut être consentie sous la forme d’un prêt et lorsque les faits prévus au premier alinéa de l’article L214-9 dudit Code ont donné lieu à une procédure pénale. Son remboursement ne peut être demandé au bénéficiaire tant que cette procédure est en cours, et l’auteur des violences aura la charge du remboursement une fois sa condamnation définitive prononcée.

Si l’initiative est louable, on peut regretter qu’elle ne soit applicable qu’à la fin de l’année 2023… le temps d’attendre la publication du décret d’application.

Les classements fantaisistes du Magazine Décideurs – Leaders League groupe

Les classements fantaisistes du Magazine Décideurs – Leaders League groupe

Le cabinet a été démarché en 2019 pour participer au Classement des cabinets d’avocats du Magazine Décideurs, groupe Leaders League, promettant de promouvoir notre activité.

Durant trois ans, nous sommes passés dans ce classement de « PRATIQUE REPUTEE » (2020) à « FORTE NOTORIÉTÉ » (2021 et 2022).

Comprenant dès la première année que ces classements n’étaient fondés sur rien d’autre que le réglement d’une facture annuelle croissante – aucune donnée chiffrée, aucune question sur notre activité n’étant réalisée – nous avons tenté de résilier.

Plus prompt à facturer qu’à respecter ses engagements, le Magazine Décideurs, groupe Leaders League, nous a adressé d’éprouvantes relances, des mises en demeure, avant de menacer de recours judiciaire.

Bien que faisant savoir que nous nous défendrions fermement de ces pratiques, ces recours sont finalement arrivés ; multiples, et tous plus abusifs les uns que les autres.

Par jugement du 30 septembre 2022 du Tribunal judiciaire de Paris, la résiliation judiciaire du contrat a été ordonnée et les sommes demandées ramenées à un chiffre dérisoire, finalement conforme à l’absence de diligence.

Non content de cette décision judiciaire immédiatement exécutée, Décideurs Magazine, groupe Leaders League, a alors tenté d’interpréter le jugement à son avantage, établissant un décompte fantaisiste des sommes qui seraient dues, et recourant, avec le concours d’un huissier de justice, à une multitude de tentatives de saisies attribution sur les comptes du cabinet.

Refusant toujours de céder à ces manœuvres allant au mépris d’une décision judiciaire, nous avons déposé une plainte pénale le 15 décembre 2022, pour faux, usage de faux, et tentative d’escroquerie au jugement ; contre le groupe Leaders League, mais aussi contre l’étude d’huissiers et l’avocat ayant porté leur concours.

Toujours avec beaucoup d’imagination, ce dernier nous a assigné en liquidation judiciaire.

Par jugement du 26 janvier 2023, le Tribunal judiciaire de Paris a rejeté toutes les demandes de Décideurs Magazine, groupe Leaders League, et l’a condamné à nous indemniser des frais engagés conformément à l’article 700 CPC.

A ce jour, la décision est définitive, pourtant elle n’a toujours pas été exécutée.

***

Ce témoignage donc pour dénoncer cette supercherie, qui trompe les justiciables sur la réalité de ces classements d’avocats.

Il pourrait sembler contre notre intérêt de témoigner des dessous de ces classements, en apparence élogieux, si notre indépendance n’avait pas pris le dessus.

Assumant le paradoxe, nous préférons être les premiers à dénoncer ces pratiques, voulant croire que ce sont nos clients qui font la fierté de notre réputation, et parfois les médias qui s’intéressent à nos causes.

Nous pensons que si un tel témoignage avait été disponible plus tôt, nous n’aurions pas répondu au démarchage, et donc donné notre crédit en figurant à ces classements sans valeur.

Enfin, nous espérons que notre « Forte notoriété » permettra de faire savoir que le groupe Leaders League a déjà été condamné, à plusieurs reprises, pour des pratiques comparables par le tribunal judiciaire de Paris, à savoir, rien que sur ces six derniers mois dans les jugements suivants :

  • Cour d’appel de Paris, 6 janvier 2023 / n° 20/17123
  • Cour d’appel de Paris, 29 novembre 2022 / n° 22/09624

 

***

Le 11 mai 2023, Maître Pierre Farge était l’invité de l’émission Télé Droit diffusée sur YouTube :
« Maître Farge en guerre contre un classement d’avocats totalement arbitraire »

https://www.youtube.com/watch?v=z342EfUme64

Violences conjugales : les annonces de Borne face à la réalité de la Justice

Violences conjugales : les annonces de Borne face à la réalité de la Justice

Hier, c’était la Journée internationale du droit des femmes. L’occasion de revenir sur les promesses du gouvernement en matière de violences conjugales face aux réalités de la justice et de son fonctionnement.

Tribune de Maître Pierre Farge parue dans Contrepoints 

Avancées ou reculs, les mesures pour lutter contre les violences conjugales ne manquent pas.

Ce lundi 6 mars 2023, sur le plateau de « C à vous », la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé « mettre en place des pôles spécialisés dans chaque tribunal pour pouvoir mieux traiter ces violences conjugales, pour pouvoir aussi répondre globalement aux difficultés que rencontrent les femmes victimes de violences ».

Du 1er au 16 janvier 2023, déjà 4000 femmes ont contacté le 3919, numéro destiné aux femmes victimes de violences conjugales.

Le 4 mars 2023, le site noustoutes.org compte 23 féminicides depuis le début de l’année.

Symptomatiques de la difficulté à endiguer les violences conjugales, ces chiffres témoignent toujours d’un système judiciaire incapable d’apporter une réponse utile.

Quatre ans depuis le Grenelle, l’annonce de l’instauration de pôles spécialisés sur les violences conjugales dans chaque tribunal fait une nouvelle fois espérer.

Au total, 200 seraient créés au sein des 164 tribunaux judiciaires et 36 cours d’appel du territoire, et permettraient de répondre « tant au civil qu’au pénal » dans une même affaire de violences à l’occasion d’audiences dédiées, et ce à très brefs délais.

Après la Première ministreil est par exemple promis par la ministre déléguée à l’Égalité, Isabelle Rome, la « création d’une ordonnance de protection immédiate en 24 heures que le juge prononcera, sans audience, en urgence, pour garantir la sécurité effective de la victime et de ses enfants » :


Une promesse qui interroge d’abord dans quelle mesure sera respecté le contradictoire, un des principes fondateurs de l’idée même de justice, et qui lui donne sa légitimité.

Une ambition qui remettrait en cause l’intitulé même du poste de la ministre déléguée à l’Égalité entre les femmes et les hommes.

Quelle égalité resterait-il en effet d’une ordonnance d’éloignement d’un domicile conjugal injustement prononcée contre un conjoint présumé violent, car comme le veut la formule, l’absent à toujours tort ?

Cette justice d’abattage serait ainsi une atteinte à la présomption d’innocence qui engorgerait donc les cours d’appel.

Une promesse qui interroge aussi sur la mise en œuvre d’une telle mesure au regard du manque déjà accru de moyens de la justice, et pourrait donc engorger toujours plus un système à bout de souffle.

Se pose donc la question d’évaluation des politiques publiques pour estimer ces besoins humains et matériels, sans pénaliser d’autres chambres ou aggraver un peu plus les délais d’audiencement.

Une promesse qui interroge encore sur son délai de mise en place dans un impératif d’égalité sur tout le territoire, et s’il faudra par exemple encore quatre ans pour la voir aboutir de façon homogène sur tout le territoire, et autant de victimes.

Pierre Farge

 

Crédit photo : Elisabeth Borne By: Jacques Paquier – Creative Commons BY 2.0

Pierre Farge dénonce l’inertie du Parquet National Financier

Pierre Farge dénonce l’inertie du Parquet National Financier

Saisi par un ancien agent des douanes, lanceur d’alerte dans un dossier mettant en cause son administration et CapGemini pour violation du secret fiscal, l’avocat Pierre Farge dénonce l’inertie du Parquet National Financier.

Dans son édition des 3-4 juillet 2022, Le Monde a publié une nouvelle enquête, signée Manon Romain et Maxime Vaudano, sur la mainmise des Cabinets de Conseil, notamment Capgemini, dans l’administration française depuis 2017.

Le recours aux prestations du cabinet américain McKinsey par l’administration française avait soulevé un tollé dans la presse durant la campagne de l’élection présidentielle.

Mais l’externalisation de missions de service public au cabinet de conseil français Capgemini, qui a totalisé 1,1 Milliard d’euros de contrats publics depuis 2017, soulève tout autant l’indignation.

Et ce n’est pas qu’une question d’argent, cela pose également de graves problèmes de confidentialité des données communiquées par l’administration à ce prestataire externe, en particulier dans le domaine fiscal.

Lire l’article sur le site du Monde 

Aux douanes l'embarrassante mission secrète de Capgemini

Dans cet article paru dans Le Monde, je dénonce l’inertie coupable du Parquet national Financier : « Je suis indigné de voir une telle inertie judiciaire face au courage de mon client lanceur d’alerte, qui dénonce des faits d’intérêt public incontestables » 

Je représente en effet un ancien agent des douanes lanceur d’alerte. Ce fonctionnaire a d’abord dénoncé les faits auprès de sa hiérarchie aux Douanes, laquelle n’a pas réagi.  Devant la gravité des faits en cause, il s’est vu contraint de porter plainte pour violation du secret fiscal au Parquet national Financier contre les Douanes et CapGemini : or le PNF n’a ouvert aucune enquête depuis 8 mois ! 

Maître Pierre Farge, avocat des lanceurs d’alerte.

La plainte des proches de Samuel Paty : un symbole irréaliste

La plainte des proches de Samuel Paty : un symbole irréaliste

Plus d’un an après la décapitation du professeur d’histoire-géographie, les proches de Samuel Paty mettent en jeu la responsabilité de l’État. La plainte est déposée contre l’Éducation nationale et le ministère de l’Intérieur. Mais à quelle fin ?

Tribune de Maître Pierre Farge publiée dans Contrepoints 

L’assassinat de Samuel Paty par Abdoullakh Anzorov, Tchétchène de 18 ans, en octobre 2020, a bouleversé le pays.

Comme il faut toujours un responsable et quand le coupable n’est plus (car il est mort quelques minutes après les faits sous les balles de la BAC), la question de l’engagement de la responsabilité de l’État s’est évidemment posée.

Début avril, les proches du professeur déposent donc plainte : l’inertie des agents du ministère de l’Intérieur et de l’Éducation nationale aurait rendu possible la décapitation. C’est ainsi qu’ils estiment que « dès le 8 octobre et jusqu’au 16 (le jour de sa mort), Samuel Paty, la principale et les enseignants avaient identifié une menace grave pour leur intégrité physique et la sécurité du collège ».

Pour calmer les victimes et l’opinion, le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire le 19 avril pour « non-assistance à personne en péril » et « non-empêchement de crime ».

Le risque pour l’État : être rendu responsable de l’inertie de la puissance publique à n’avoir pas protégé Samuel Paty de l’acte d’un terroriste de 18 ans.

Ce risque est mince pour trois raisons principales.

  • À l’évidence, et l’expérience l’a montré, il est d’abord impossible pour l’État de mettre derrière chaque individu radicalisé (en 2018 ils sont 19 745 selon le FSPRT), un service entier des forces de l’ordre.
  • Pour la surveillance d’un seul fiché S, comptez une vingtaine de fonctionnaires des renseignements et services de police pour assurer la surveillance téléphonique 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et au moins deux voitures pour les filatures.
  • C’est d’autant plus irréaliste quand on sait la très faible évolution des effectifs de police, à peine 3000 fonctionnaires de plus, loin des 10 000 promis par Emmanuel Macron en 2017. Cet état de fait est d’autant plus regrettable qu’en l’espèce le terroriste n’était connu d’aucun service de renseignement.

Donc, rien à critiquer de ce côté là pour engager la responsabilité de l’État.

Partant, sauf à faire de la justice prédictive comme dans Minority Report, personne ne pouvait raisonnablement imaginer ce passage à l’acte, comme la plupart des attentats d’ailleurs. Faut-il ainsi rappeler que la tragédie du Bataclan a donné lieu à un recours des victimes contre les « défaillances » de l’État… rejeté par le tribunal administratif de Paris, estimant qu’aucun élément ne permettait d’engager la responsabilité des forces de l’ordre le soir du drame, ou les services de renseignement en amont. Même cause, même effet concernant les attentats de Charlie Hebdo.

Plus encore, l’engagement de la responsabilité de l’État apparaît d’autant plus complexe en matière pénale qu’il serait indispensable d’isoler avec précision le ou les services qui ont failli, ce qui est loin d’être évident dans la coordination de la chaine renseignement-police-justice

En somme, bien qu’humainement compréhensible, cette plainte est d’ores et déjà vouée à ne pas aboutir. La justice devrait donc cesser d’obéir à la pression de l’opinion ou des associations de victime, et plutôt se concentrer sur le désengorgement de ses tribunaux.

Pierre Farge

Damien Abad : nouveau ministre, nouveau tribunal médiatique

Damien Abad : nouveau ministre, nouveau tribunal médiatique

Dans l’affaire Abad, au nom de la présomption d’innocence, rien n’autorise de réclamer une sanction comme une démission, ou plus simplement salir une image.

Tribune de Maître Pierre Farge publiée dans Contrepoints

La formation du nouveau gouvernement entraîne son lot habituel de révélations sur la vie des ministres. La dernière d’entre elles vise Damien Abad pour de présumées violences sexuelles… datant de plus d’une décennie, et déjà classées sans suite par la justice.

Malgré le rapport d’octobre 2021 de l’ancienne garde des Sceaux Élisabeth Guigou sur la protection de la présomption d’innocence mise à mal par la presse, ce principe est de nouveau piétiné quelques jours après la formation du gouvernement avec la mise en cause d’un nouveau ministre.

Ancien député de l’Ain et Président LR, c’est curieusement lorsqu’il est nommé membre du gouvernement que son passé refait subitement surface, comme si les plaignantes retrouvaient la mémoire en le voyant sur le devant de la scène.

Il est important de respecter la présomption d’innocence. Fort du phénomène #MeToo, la voix des victimes est entendue plus que jamais partout en France, et c’est une excellente nouvelle que la justice puisse être rendue plus utilement et plus rapidement. Pour autant, cette libération de la parole doit intervenir dans le respect d’un des principes les plus fondamentaux de notre droit : la présomption d’innocence.

Et en l’espèce, la présomption d’innocence devrait avoir un sens d’autant plus important que ces deux femmes ont porté plainte pour viols entre 2010 et 2011, plaintes donnant lieu à deux classements sans suite en 2012 et en 2017.

Attention à la justice populaire.
Partant, rien n’autorise – sinon peut-être la volonté de faire polémique et vendre du papier – de réclamer une sanction comme une démission, ou plus simplement salir une image.

Sauf donc à considérer que n’importe qui peut se faire justice lui-même en un tweet ou une simple déclaration péremptoire dans un média, l’institution judiciaire demeure garante du respect de cette présomption d’innocence, des suites qu’elle donne, ou non, à une plainte conformément au droit en vigueur.

Pierre Farge.

Comment juger Vladimir Poutine – Le Journal du Dimanche

Comment juger Vladimir Poutine – Le Journal du Dimanche

L’avocat, Pierre Farge, démontre l’intérêt de pointer la responsabilité de Vladimir Poutine, et non pas de l’État russe, pour l’invasion de l’Ukraine. 
Retrouvez la tribune de Pierre Farge publiée dans Le Journal du Dimanche, ce 13 mars 2022.

Différents scénarios pour juger Poutine

Saisir la Cour internationale de justice contre la Russie ?

Une responsabilité étatique de la Russie. On pense d’abord logiquement à la Cour internationale de justice (CIJ), principal organe judiciaire de l’ONU. Mais elle n’est compétente que pour les seuls États qui s’y soumettent, c’est‑à-dire qui reconnaissent volontairement sa compétence.

Il est peu probable que la Russie se soumette à cette juridiction… en vue d’une condamnation quasiment garantie, à en croire l’unanimité des opinions émises dans le monde sur ce conflit.

C’est d’autant plus improbable que la CIJ ne dispose d’aucun moyen pour faire respecter ses décisions, comme faire appliquer un ­cessez-le-feu.

Saisir la Cour pénale internationale ?

Deuxième hypothèse, celle de la Cour pénale internationale (CPI), compétente pour juger des crimes contre l’humanité.

Pour la saisir, il faut que les États soient signataires du statut de Rome de 1998. Cependant, ni la Russie ni l’Ukraine n’ont ratifié cet accord.

La CPI est donc incompétente pour connaître de ces faits.

Saisir la Cour européenne des droits de l’homme ?

Troisième hypothèse pour condamner la Russie, recourir à une procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Cette option, d’ailleurs déjà engagée par l’Ukraine, promet d’être longue et n’est pas répressive au sens pénal du terme.

Créer un tribunal pénal international spécial ?

Dernière possibilité, sans doute la plus crédible, mais toujours pas immédiate : créer un tribunal pénal international spécial, comme nous l’avions fait pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda.

Ces hypothèses visent donc toutes une responsabilité de la Russie, mais pas de la personne de son président, qui serait pourtant la plus efficace.

Une responsabilité individuelle de Vladimir Poutine et de son entourage ?

Comme le tribunal de Nuremberg l’a prouvé, la responsabilité individuelle d’un dirigeant politique est possible s’il est démontré un crime de guerre en violation des lois de la guerre prévues par la convention de Genève et la convention de La Haye.

Un mandat d’arrêt international devrait être émis par Interpol contre Vladimir Poutine et son entourage politique impliqué dans le conflit.

Si cette perspective est juridiquement possible, à ce jour elle n’a jamais été mise en œuvre contre un président en exercice.

Comme il y a un début à tout, c’est une question de détermination et de volonté politique. Cette volonté pourrait se manifester en France, et Paris donner l’impulsion, à l’occasion de sa présidence de l’Union, à l’ensemble de l’Europe.

Plus largement, même si ni l’Ukraine ni la Russie n’ont ratifié le traité créant la Cour Pénale Internationale, l’Ukraine a néanmoins reconnu en 2014 sa compétence pour les crimes commis sur son territoire.

Il serait donc possible, dans le même temps, de poursuivre les ressortissants russes impliqués dans cette invasion en les arrêtant sur le territoire d’un État qui reconnaît la compétence de la CPI.

Pierre Farge, avocat au Barreau de Paris.

 

Lexbase : Pierre Farge avocat des lanceurs d’alerte et des femmes victimes de violences

Lexbase : Pierre Farge avocat des lanceurs d’alerte et des femmes victimes de violences

Dans cet entretien avec LEXBASE, Me Pierre Farge, avocat au Barreau de Paris, raconte son métier d’avocat pénaliste et son engagement auprès des lanceurs d’alerte et des femmes victimes de violences.

La vidéo est accessible ci dessous :

Transcript de l’entretien LEXBASE / Pierre Farge

Quand as-tu commencé à défendre les lanceurs d’alerte ?

C’est très tôt, quand j’ai commencé à exercer, que j’ai réalisé qu’il n’y avait pas de droit en tant que tel qui protégeait les lanceurs d’alerte. Il y avait beaucoup d’affichage sur les dispositions qui étaient censées les protéger, mais quand on était avocat et qu’on avait des clients lanceurs d’alerte et il y avait très peu de dispositifs applicables pour les protéger réellement. J’ai donc beaucoup écrit dans la presse à ce sujet et ça a fait boule de neige. Il y a plein de lanceurs d’alerte qui se sont identifiés dans les histoires que je racontais, dans le vide juridique que je dénonçais. Et petit à petit, ils sont venus de plus en plus à moi.

J’ai voulu rendre accessible au plus grand nombre un sujet qui est d’apparence compliqué. On sait avec Erin Brockovich, avec les films qu’il y a eu d’Oliver Stone sur Julian Assange et les WikiLeaks. On vulgarise la question des lanceurs d’alerte, mais là, j’ai voulu en 200 pages, c’est un livre qui se lit très rapidement,  expliquer la genèse des lanceurs d’alerte, leurs histoires. Quand est ce qu’ils sont apparus dans l’Antiquité gréco romaine ?  Expliquer qu’ils ont toujours existé.

Et aujourd’hui, ils ont un besoin très important pour que les pouvoirs publics prévoient une protection digne de ce nom. Et on voit que, faute d’un droit applicable, d’un droit qui les protège réellement, on est obligé de faire appel aux journalistes pour dénoncer et se faire le relais des alertes des lanceurs d’alerte.

Quid de l’association AMALA ?

Amala est une association que j’ai créée, dans le cadre justement de la protection des lanceurs d’alerte. Dans la mesure où le lancement d’une alerte est en général multi juridictionnelle, ça peut très bien concerner des juridictions comme la France, mais aussi beaucoup et très souvent les Etats-Unis.

Et j’ai remarqué qu’on manquait souvent de correspondants et que c’était important de les relier, que tous les spécialistes de la matière, des lanceurs d’alerte en France, en Europe ou aux Etats-Unis, voire même en Amérique latine, puissent avoir un réseau et communiquer entre eux. Aujourd’hui, grâce à cette association, quand on a besoin d’un correspondant aux Etats-Unis, on sait comment le trouver par où passer.

Tu as également créé l’asso Avocat Stop Féminicide, peux-tu nous en parler ?

Avocat-Stop-féminicide.org, plus qu’une association, c’est un collectif d’avocats, le premier collectif d’avocats venant en aide aux femmes victimes de violences conjugales. J’ai créé ça le jour de l’ouverture du Grenelle contre les violences conjugales en 2019. Et il a trois missions principales :

  1. La première mission, c’est d’orienter les femmes victimes de violences conjugales. C’est à dire les aider à constituer leur dossier pour qu’il soit utile, qui soit recevable par les autorités judiciaires. Et à ce titre, en général, on a beaucoup d’associations qui nous envoient des femmes victimes pour les orienter, pour les accompagner, les aider à constituer leur dossier.
  2. Puis, éventuellement, si le dossier est suffisamment solide, c’est de les accompagner devant les juridictions françaises, aussi bien des juridictions civiles que les juridictions pénales.
  3. Et fort de cette expertise, de ces témoignages de terrain, on essaie de faire du lobbying comme on le fait depuis 2019 auprès des pouvoirs publics pour témoigner de ce qui fonctionne, mais surtout de ce qui ne fonctionne pas, dans la chaîne pénale pour protéger ces femmes victimes de violences conjugales le plus rapidement possible.
Public sénat : La présomption d’innocence existe-t-elle encore ?

Public sénat : La présomption d’innocence existe-t-elle encore ?

Maître Pierre Farge, avocat au Barreau de Paris, est intervenu dans l‘émission « Sens Public » du 1er décembre 2021 sur la chaîne Public Sénat a propos d’une question au centre de notre système judiciaire et au centre de l’actualité depuis l’affaire Nicolas Hulot : Comment concilier le droit à l’information et la présomption d’innocence ?

Rediffusion de l’émission Sens Public du 1er décembre 2021 sur Public Sénat

Élisabeth Guigou a remis un rapport au gouvernement sur ce thème. L’ancienne garde des Sceaux était entendue au Sénat.
Débats et analyse sur Public Sénat avec les invités :

  • Élisabeth Guigou, Ancienne ministre de la justice
  • Marine Turchi, Journaliste à Mediapart
  • Pierre Farge, Avocat pénaliste
  • Sophie Obadia, Avocate
  • Matthieu Croissandeau, Éditorialiste Public Sénat

Extrait :  Pierre Farge : « Il faudrait alourdir les sanctions et obliger les organes de presse à publier les non-lieux, avec le même battage médiatique que lorsqu’il était question de vendre et de mobiliser l’opinion autour d’un nom »

Le secret professionnel des avocats attaqué

Le secret professionnel des avocats attaqué

Le Sénat adopte définitivement le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Malgré un amendement de dernière minute dangereux, les atteintes au secret professionnel restent sauves.

Tribune de Maître Pierre Farge parue du Contrepoints

En France, le secret professionnel de l’avocat est défini par la loi du 31 décembre 1971.

Il s’agit d’un principe fondamental à la base de la profession d’avocat : pour pouvoir utilement défendre, il doit y avoir une confiance absolue avec son client, qui doit pouvoir tout dire. Le secret professionnel était jusque récemment absolu. Il était un et indivisible.

C’est sans compter qu’avec l’évolution de la profession, l’avocat n’est plus seulement un défenseur, il est aussi un conseiller.

LE RÔLE DU SECRET PROFESSIONNEL

La chambre criminelle de la Cour de cassation faisait ainsi une distinction dans la protection des correspondances entre un client et son avocat selon l’activité de l’avocat :

  • lorsqu’elles interviennent dans le cadre d’une activité de conseil, la Cour autorise la saisie de ces correspondances.
  • En revanche, la chambre civile de la Cour de cassation couvrait du secret professionnel toutes les correspondances avec un avocat, quel que soit le domaine d’intervention.

Afin de rendre la jurisprudence cohérente, la loi du 7 avril 1997 modifie l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 et étend clairement le secret professionnel à « toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense ».

En dépit de ce texte pourtant très clair, la chambre criminelle de la Cour de cassation reste toujours dans la nuance.

Encore récemment, dans un arrêt du 23 décembre 2020, alors même qu’elle rappelle le principe de la protection des correspondances entre un client et son avocat en toutes matières, elle juge légale la saisie de ces correspondances lorsqu’elles ne concernent pas l’exercice des droits de la défense.

UN PRINCIPE SOUS ATTAQUE

C’est dans ce contexte que le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire intervient, avec pour objectif affiché de renforcer le secret professionnel de l’avocat. En réalité, c’est l’inverse qui a failli se passer, et un jeu à somme nulle qui a finalement abouti.

La loi modifie directement le Code de procédure pénale par un article en ces termes :

« Le respect du secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 665 de la loi n° 711130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, est garanti au cours de la procédure pénale dans les conditions prévues par le présent code ».

C’est la première reconnaissance de la divisibilité du secret professionnel, de la défense et du conseil. Mais surtout une formulation malheureuse qui divise le secret professionnel entre l’activité de défense et l’activité de conseil.

Et pour cause, la loi prévoit également l’ajout d’un nouvel article 56-1-2 selon lequel le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquêtes ou d’instructions en matière de fraude fiscale, corruption, trafic d’influence, financement du terrorisme et blanchiment de ces délits.

Autrement dit, si l’avocat est complice même à son insu (en vertu d’un conseil qu’il aurait donné sans tout savoir du caractère frauduleux des agissements du client), le secret ne tient plus.

Autrement dit encore, une présomption de culpabilité permettait de mettre à mal le secret professionnel au prétexte de poursuites pour fraude fiscale, corruption ou trafic d’influence.

Et pour cause, où placer cette frontière de la défense et du conseil d’un client qui consulte, par exemple, un avocat pour dissoudre sa société ; puis l’avocat de comprendre que le client est finalement poursuivi pour fraude fiscale, et se voyait consulté sans doute pour organiser son insolvabilité ?

Cette extension des pouvoirs du juge n’est pas sans rappeler celle communément admise de placer un avocat sur écoute téléphonique pour un dossier précis, mais qui finalement permet d’écouter tous les échanges, et ainsi potentiellement n’avoir plus qu’à choisir celui le plus utile pour engager des poursuites.

Soit encore une fois au mépris de l’esprit et de la lettre du secret professionnel.

Pierre Farge, avocat au Barreau de Paris

Crédit photo de couverture : Eric Dupond Moretti by Pierre Metivier (creative commons) (CC BY-NC 2.0)

Handicap et études supérieures : un étudiant porte plainte contre son école d’ingénieurs

Handicap et études supérieures : un étudiant porte plainte contre son école d’ingénieurs

Un étudiant «multidys» n’a pas obtenu les aides auxquelles il avait légalement droit pour passer un concours d’écoles d’ingénieurs et a porté plainte contre les Arts et Métiers pour discrimination. L’audience se tient ce vendredi 19 novembre 2021.

Après avoir témoigné de cette affaire lors de la Journée Nationale des Dys, son avocat Pierre Farge appelle aujourd’hui à la mobilisation générale pour cette audience cruciale pour l’égalité d’accès à des études supérieures des personnes en situation de handicap.

Venez nous soutenir en assistant au procès le 19 novembre 2021 à 13h30 au Tribunal judiciaire de Paris, 17e chambre, situé Parvis du tribunal judiciaire de Paris, 75017 Paris.
C’est à la Porte de Clichy : Métro lignes 13 et 14, RER C, Tramway ligne T3b, Bus RATP 28, 54, 74, 163 et 173.
Audiences publiques : comment accéder au Tribunal judiciaire de Paris pour assister à un procès.

Discrimination des Dys : Pierre Farge témoigne à la Journée Nationale des Dys

Article d’Elsa Maudet paru dans LIBERATION > Le handicap au quotidien

« Raphaël se bat un peu pour lui-même et beaucoup pour les autres. A quasi 22 ans, en quatrième année d’école d’ingénieur, il ne lui reste plus qu’un an à tirer. «Je sais très bien que je ne vais pas intégrer une autre école. Une fois que le dossier sera clos, je n’aurai rien gagné», estime le jeune homme.

Le 19 novembre, il a rendez-vous au tribunal correctionnel de Paris, devant qui il poursuit l’Ecole nationale supérieure d’arts et métiers (Ensam) et son directeur général, Laurent Champaney, pour «discrimination fondée sur le handicap avec la circonstance aggravante d’avoir été commise par une personne dépositaire de l’autorité publique».

L’affaire remonte à 2020. En début d’année, Raphaël s’inscrit à la Banque PT, un concours commun aux écoles d’ingénieurs recrutant des étudiants parmi les classes préparatoires de la filière physique-technologie (PT). Ce pour quoi il bûche depuis près de deux ans.

Lors de l’inscription, il coche la demande d’aménagements, dont peuvent bénéficier les étudiants handicapés. Le jeune homme est «multidys» : dyslexique, dysorthographique, dyscalculique, dysphasique, dysgraphique et dyspraxique. «La parole n’est pas innée, l’écriture n’est pas innée. Le spontané n’existe quasiment pas», résume-t-il depuis le cabinet de son avocat, à Paris.

Sans ordinateur, il rend des copies à l’apparence brouillonne. Sans correcteur orthographique, elles sont truffées de fautes. Sans calculatrice, il ne peut pas faire de graphiques ni d’opérations simples. Bref, il a besoin de ces aménagements pour pouvoir montrer ce qu’il vaut, son intelligence et ses compétences académiques n’étant en rien amoindries par ses troubles. Raphaël fait donc une demande d’aménagements, puis envoie les documents justifiant ses besoins. «J’avais fait en sorte de voir tous les médecins et spécialistes avant», resitue l’étudiant.

Notes catastrophiques

Les semaines passent et aucune validation de sa demande ne lui parvient. Dans la dernière ligne droite avant l’échéance, censée être une phase d’intenses révisions, «je passais beaucoup de temps à chercher à comprendre à qui il fallait m’adresser pour avoir des réponses». Ses coups de fil et courriers sont sans réponse depuis des mois.

A force d’acharnement, il obtient notamment un tiers-temps, c’est-à-dire davantage de temps pour composer au concours, et un ordinateur. Sans correcteur orthographique ni logiciels adaptés. Il continue donc de demander la totalité des aménagements dont il a besoin pour passer son concours dans des conditions équitables par rapport aux étudiants valides. En vain.

«Le jour J, j’ai essayé de faire au mieux, en perdant un temps monstrueux sur la recherche de mots. Dès le début de l’énoncé, c’est écrit “lisibilité et orthographe sont déterminants”. Comment un dyslexique peut compenser son orthographe s’il n’a pas son correcteur d’orthographe ?», souffle Raphaël.

Le jour des résultats, le couperet tombe : ses notes sont catastrophiques. Avec notamment un 2/20 en français, qui lui laisse à penser que son travail n’a même pas été lu – ses demandes de consultation de copies sont restées lettre morte. Les portes des meilleures écoles d’ingénieurs se ferment. «J’avais la possibilité d’intégrer une école post-bac mais j’avais fait le choix d’aller en classe préparatoire pour avoir mieux, s’agace Raphaël. Je ne demande pas à être catapulté en haut du classement, je connais mes compétences. Mais les Arts et métiers, c’était réalisable. Je pense qu’ils se sont dit que je n’avais rien à faire ici.» 

Le vingtenaire a saisi le tribunal par une citation directe en octobre 2020. Aujourd’hui, il étudie dans une école accessible après le baccalauréat, qu’il a intégrée directement en troisième année.

«Ça ne compensera jamais ce qu’il a perdu»

Du côté des organisateurs du concours, on assure tantôt n’avoir pas reçu le dossier médical, tantôt que l’intéressé s’y est pris trop tard. «J’ai bien vérifié, il n’y a pas de faute de la part de la famille, tout a été fait selon les règles», défend Concepcion El Chami, présidente de l’association Dyslexiques de France. Sollicité par Libération, l’Ensam, qui gère les dossiers d’inscription et l’organisation des épreuves écrites de la Banque PT, n’a pas souhaité s’exprimer car la procédure judiciaire est en cours.

Habituellement, ce type de litiges se règle au tribunal administratif, pas au pénal, mais «de plus en plus de jeunes qui sont dans le supérieur ont vécu cela et veulent être entendus. Derrière cette audience, il y a un ras-le-bol de cette légèreté. Il faut montrer la responsabilité des personnes qui traitent les dossiers et montrer qu’il y a un préjudice, un impact sur la vie des gens», assène Concepcion El Chami. «Quoi qu’on obtienne comme somme, ça ne compensera jamais ce qu’il a perdu. Toute sa carrière, il devra assumer le fait d’être dans cette école», moins prestigieuse, juge Pierre Farge, l’avocat de Raphaël«Quand je voudrai évoluer, il faudra que je me justifie. Les autres seront augmentés par défaut parce qu’ils auront fait une meilleure école», anticipe le jeune homme. Aujourd’hui, il peine à imaginer son avenir. Sa seule certitude : il rejoindra «une entreprise qui a des valeurs». Et traite correctement les travailleurs handicapés. »

Info relayée sur Twitter 

https://twitter.com/Pierre_Farge/status/1460608703619608579?s=20

Discrimination des Dys : Pierre Farge témoigne à la Journée Nationale des Dys

Discrimination des Dys : Pierre Farge témoigne à la Journée Nationale des Dys

Intervention de Pierre Farge à la 15e Journée Nationale des Dys, à Paris le 9 octobre 2021.

Maître Pierre Farge dénonce l’absence de prise en compte du handicap des Dys dans l’enseignement supérieur, en particulier pour l’égalité d’accès aux concours des grandes écoles.

Dans son témoignage d’avocat, il assure la défense d’un jeune client Dys qui a échoué à un concours, faute d’avoir pu bénéficier des aménagements auxquels il avait pourtant droit du fait de son handicap et que l’institution organisatrice du concours n’a pas jugé bon de mettre en œuvre.

Présentation de la Journée Nationale des Dys

Comme chaque année, cette Journée a mobilisé les parents membres des associations de la Fédération et les professionnels partout en France. Depuis 15 ans, les manifestations organisées par les bénévoles à l’occasion de la JND ont permis de faire progresser à pas de géant la cause des enfants et adultes porteurs de troubles des apprentissages. La dyslexie, la dysphasie et la dyspraxie sont ainsi mieux connues du grand public et la famille des troubles « DYS » de mieux en mieux repérée :  site de la 15e Journée nationale des Dys

Vidéo de  l’intervention

Transcript de l’intervention de Pierre Farge

« Bonjour à tous,

Je parcourais tout à l’heure à mon arrivée les stands et constatais les remarquables innovations pour les Dys, dont ce correcteur d’orthographe, absolument génial, adapté au handicap des Dys. Il est unique au monde puisqu’il dispose d’un algorithme basé sur les corpus de textes des Dys, incluant donc les fautes type de Dys. Je trouvais ça formidable, mais je me suis dit que toutes ces innovations sont effectivement formidables, remarquables, mais ne servent à rien si elles ne sont pas effectivement exploitables par le biais de ce qu’on appelle les aménagements, lors des examens.

Si la loi n’est pas appliquée dans l’enseignement supérieur et l’Education nationale afin de placer tous ces étudiants dys sur un pied d’égalité, c’est ce qu’on appelle l’égalité des chances, un des grands principes de la République, sanctionnée dans notre droit par la discrimination. C’est la raison pour laquelle je suis là aujourd’hui. En tant qu’avocat, je défends les intérêts d’un étudiant brillant qui candidatait à une grande école et qui n’a bénéficié que de 10% des aménagements auxquels il avait droit.

10%, avec un stress que vous imaginez, il a, sans surprise, raté son concours. En demandant des comptes à l’école en question, que je ne citerai pas, il y a une procédure qui est en cours, en raison de cette absence d’aménagement. Nous avons trouvé un mur, un silence absolument total. A commencer par celui de son dirigeant, qui doit pouvoir répondre, comme vous le savez, au nom de l’institution. Silence absolument total de son dirigeant. Ensuite, nous avons saisi toutes les autorités compétentes pour savoir comment de telles négligences vis à vis d’un dys avaient été possibles.

Ce sont des courriers qui ont été adressés, il y a un peu plus d’un an, le 7 septembre 2020, à savoir à Madame la secrétaire d’Etat au Handicap, à la chargée de mission ou handicap, à la déléguée interministérielle compétente, à la médiatrice de l’Education nationale et au Défenseur des droits. On n’a pas obtenu davantage de réponses, sauf du défenseur des droits, qui, lui, nous a répondu et nous a assuré instruire notre dossier depuis un an, ça fait donc un an qu’on attend.

Alors, après ce second silence, j’ai sollicité les organes inférieurs à l’organisation de ce concours. Ils ont répondu, pas officiellement mais officieusement, ils ont répondu par téléphone. Ils ont reconnu les faits et ils se sont renvoyé la responsabilité l’un à l’autre, se cachant courageusement derrière le mammouth de l’administration. Comme si le simple fait d’agir au sein d’un groupe, aussi grand fusse-t-il, puisqu’on parle de l’administration, suffise à considérer tout le monde irresponsable de ces manquements individuels.

Je sens que vous êtes sensible à tout ce que je vous raconte, comme si vous l’aviez chacun individuellement vécu.

Alors, qu’est ce que je fais là ? Vous aurez le temps de répondre, madame le secrétaire d’État. La compassion à la famille, au féminisme, l’écriture inclusive. Je ne suis pas là pour ça.

Qu’est ce que je fais là alors ? En représentant en justice cet étudiant dys dans le cadre d’une action pénale pour discrimination, en essayant de comprendre grâce aux associations, comment de telles énormités avaient été possibles, j’ai conclu que le problème était bien plus large que celui du concours aux grandes écoles et ne pouvait donc pas se limiter à l’enceinte d’un débat judiciaire devant une juridiction. Le problème, c’est celui de l’application du droit des dys, en général mineurs, par tous les majeurs, à tous les niveaux de la société.

D’où l’importance de témoigner devant vous et de tenter de mobiliser. Ce que je veux dire aujourd’hui solennellement, c’est que la Journée Nationale des Dys, ce n’est pas une journée officielle obligeant la secrétaire d’Etat à se déplacer poliment en vue des prochaines échéances électorales. Mais c’est une journée où vous avez tous individuellement le pouvoir de changer les choses, changer les choses politiquement et juridiquement. Il ne faut pas hésiter à saisir systématiquement les juridictions pour faire appliquer ces aménagements.

Je dis bien que ces aménagements soient appliqués à 100%. On est dans un Etat de droit, il faut s’en servir.

Alors, je sais bien qu’une société qui est obligée de faire appel systématiquement à un juge pour faire valoir ses droits, c’est une société malade. Je sais bien qu’on ne peut pas compter sur pareille  judiciarisation long terme, mais à ce stade, la judiciarisation est le moyen le plus démocratique que je connaisse. Pour vous faire entendre des dirigeants politiques.

Sur ces dirigeants politiques, et j’en aurai terminé, toutes vos manifestations. depuis 15 ans, à l’occasion de cette journée nationale des dys ont permis de faire progresser à pas de géant et de faire connaître du grand public ce handicap qui n’en est pas un quand il est considéré, quand il est aménagé. Les dys, vous représentez, sept millions de personnes en France, cela représente 10% de la population française. Alors, vous n’avez peut être pas encore tous le droit de vote, mais vos parents l’ont, c’est donc colossal.

Vous avez donc politiquement enfants, mais surtout parents, la possibilité d’obtenir des engagements des candidats à ce sujet. Vos représentants associatifs, médicaux, syndicaux sont là aujourd’hui pour cette journée nationale. En cette période de campagne présidentielle, croyez moi qu’ils vous écoutent plus que jamais. C’est donc le moment ou jamais. Un dernier mot puisque cette journée est sous le haut patronage de Monsieur Emmanuel Macron, président de la République. Je l’interroge ainsi que son épouse engagée officiellement, je cite, « à l’inclusion des personnes en situation de handicap » sur ce qu’ils ont fait et sur ce qu’ils ont encore l’intention de faire.

Il en va plus que de leur image. Il en va de leur responsabilité, de notre responsabilité à tous. Merci. »

Pierre Farge, avocat au Barreau de Paris

Légende de la photo à la Une : de gauche à droite, Concepción El Chami (Présidente de la Fédération Dyslexique de France), Pierre Farge, Nathalie GROH (Présidente de la Fédération Française des Dys), Rémi Munier (Jeune Dyslexique de France).

Garde à vue : locaux insalubres et abus

Garde à vue : locaux insalubres et abus

En écho au rapport public dénonçant la totale indignité des conditions de garde à vue, et des réponses du ministre de l’Intérieur, Pierre Farge, avocat pénaliste, témoigne d’une réalité encore pire des commissariats parisiens.

Tribune de Maître Pierre Farge parue dans Contrepoints 

Dans un rapport publié le 21 septembre 2021 au Journal officiel, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté réclame la mise en place d’une politique gouvernementale pour améliorer les conditions d’accueil des gardes à vue en France.

Elle dénonce notamment « la totale indignité des conditions d’accueil dans les locaux de garde à vue », et accuse le ministère de l’Intérieur d’une « absence manifeste de volonté d’évolution », ne pouvant s’expliquer uniquement par les économies et les limites budgétaires.

En réponse, Gérald Darmanin rappelle courageusement que des travaux ont été réalisés et sont prévus entre 2019 et 2024 dans les locaux de garde à vue. Il conteste la véracité du rapport en soulignant qu’il se fonderait sur la visite d’un nombre limité de locaux.

Selon lui, « l’obligation de traiter avec dignité les personnes gardées à vue est rigoureusement respectée », notamment par un nettoyage renforcé des geôles et par la mise à disposition de kits d’hygiène (sic). Mieux, la saleté persistante des locaux serait imputable au comportement des « délinquants » (drôle de terminologie au regard de la présomption d’innocence), c’est-à-dire des gardés à vue.

Pour tenter de dépasser la polémique, et peut-être élever le débat, un témoignage de terrain me parait plus utile.

Pour avoir effectué quelques visites auprès de centaines de gardés à vue dans le cadre de mes fonctions d’avocat, parmi lesquelles un grand nombre alors que j’étais très jeune dans le cadre de commissions d’office, puis de façon continue dans des affaires plus complexes, je peux confirmer que ce rapport est encore en dessous de la réalité.

Ce rapport est encore en dessous de la réalité

Pour avoir donc écumé des dizaines de commissariats parisiens, et de nombreuses fois pour certains, je peux confirmer :

  • Le partage d’une cellule, parfois durant toute une nuit, pour une dizaine d’individus, soit une personne par mètre carré environ, dans un espace grand comme une chambre de service.

Une personne instable et donc potentiellement dangereuse n’est pas systématiquement isolée, si bien que la peur qu’elle génère et la distance qu’elle suppose, obligent les autres occupants à se serrer un peu plus !

  • Les odeurs pestilentielles, l’accumulation de crasse et le nettoyage impossible des cellules, découragent quiconque compte tenu de leur état plus que dégradé

Dans certains commissariats où l’on ne peut plus entasser personne en cellule les gardés à vue sont carrément laissés à l’avant-poste, c’est-à-dire que faute de pouvoir être enfermés avec les autres, ils doivent rester menottés à un banc toute la durée de leur garde à vue ; l’état des cellules est parfois tel que pour certains c’est même une chance.

  • Certains sont contraints de se coucher à même le sol, au mieux en se partageant un matelas ou une couverture tout aussi crasseux, quand il y en a.

Il n’est pas rare d’attraper ainsi la gale ; un client me l’a même transmise une fois, selon toute probabilité.

Les conditions de travail également dégradées pour les avocats

Cela permet d’en venir aux conditions de travail des avocats eux-mêmes dans des espaces pareils, puisque le local censé permettre un entretien confidentiel avec leur client, à raison de trente minutes maximum par 24 heures, est souvent à peine plus propre.

Normalement d’une superficie d’au moins 5 m2 il doit disposer d’une table et de deux chaises.

En réalité, il est parfois de la dimension d’un placard à balais, ou bien il est utilisé par le médecin chargé de vérifier la compatibilité de la garde à vue avec l’état de santé de la personne concernée ; l’avocat doit alors s’entretenir à côté d’un lit médical d’appoint souvent souillé.

Faute de fenêtre la plupart du temps, cette pièce n’est surtout jamais aérée.

Cet état de fait est d’autant plus préoccupant en pleine crise sanitaire où la distanciation sociale est la règle, sachant que les gardés à vue ne peuvent respecter aucun des gestes barrières, ni se laver les mains, les désinfecter, ou veiller à la distanciation physique.

Un peu de discernement aurait été le bienvenu en offrant par exemple un local voisin vide car en traversant les couloirs, on voit qu’il y a la plupart du temps une pièce totalement disponible.

En vain : pour m’être insurgé une fois, il m’a été répondu que je pouvais tout à fait refuser de m’entretenir avec mon client si je n’acceptais pas le local puant.

Le plus désolant de ce qui précède est sans doute la conclusion de ce rapport, puisqu’il recommande naïvement de pallier tous les manques.

Dans un monde parfait il faudrait :

  • limiter le nombre de personnes dans les locaux de garde à vue en fonction de la superficie de ces locaux,
  • veiller à leur entretien afin d’y maintenir de bonnes conditions d’hygiène,
  • fournir une banquette ou un matelas par personne,
  • informer les gardés à vue de la possibilité de recevoir un kit d’hygiène et se laver,
  • faire respecter les mesures sanitaires,
  • ne pas placer d’individus en garde à vue dans des locaux non conformes à ces recommandations (sic).

Au bout du compte, l’inaction est exactement la même.

La solution vient donc de plus haut, face à une chaîne pénale complètement saturée.

Des gardes à vue abusives

La France est le seul pays d’Europe où l’on peut être placé si facilement, et donc abusivement, en garde à vue, ce qui explique donc logiquement cette explosion des capacités d’accueil « pour les nécessités de l’enquête » sans aucun seuil de peine, alors qu’en Espagne ou en Allemagne la garde à vue ne peut se faire que si la peine encourue dépasse un certain quantum.

La France est le seul pays d’Europe où il est si difficile et réellement utile d’exercer un recours en responsabilité de l’État pour obtenir réparation du préjudice occasionné par ces conditions indignes.

La France est surtout le seul pays d’Europe où le régime de la garde à vue a été autant de fois mis en cause et souvent condamné de façon historique par la CEDH en 2010, 2019, ou encore 2020 qui énonce que « l’État avait commis une faute lourde à raison du défaut de soins durant la garde à vue dont le requérant avait fait l’objet » ; quand ce n’est pas le Conseil constitutionnel lui-même, comme lorsqu’il avait censuré le régime français de garde à vue au regard des droits et libertés garantis au citoyen il y a une décennie par exemple.

La France est enfin un des rares pays d’Europe où le rôle de l’avocat est aussi restreint : nous avons certes la possibilité de nous entretenir avec notre client un maximum de trente minutes par 24 heures, mais sans avoir accès au dossier dans le respect du contradictoire. Ce qui limite pour le moins une connaissance exacte des faits reprochés et donc un exercice utile des droits de la défense.

Maître Pierre Farge, avocat en droit pénal.

 

Crédit image de couverture : Grant Durr sur Unsplash

Darmanin contre Pulvar : halte à l’instrumentalisation de la justice !

Darmanin contre Pulvar : halte à l’instrumentalisation de la justice !

La justice s’invite dans le débat politique sous son jour le moins glorieux : deux personnalités politiques menacent de la saisir pour se condamner l’une l’autre. À la plainte de Gérald Darmanin pour « diffamation » et « appel à la haine de la police » », Audrey Pulvar répondrait pour « dénonciation calomnieuse ». Difficile de ne pas relever une instrumentalisation politique de la justice, ici pour limiter la liberté d’expression, là pour se défendre.

Témoignage de Pierre Farge, avocat, déplorant l’engorgement de la justice par ce genre de pratiques inconsidérées. 

Si nos dirigeants politiques réduisent la justice à un instrument de communication, ou à un moyen pratique de décrédibiliser son opposant, quelle confiance en l’institution reste-t-il aux justiciables ?

Pour répondre, et donc tenter de comprendre, rappelons d’abord ce que constituent les délits de diffamation et de calomnie.

Diffamation vs calomnie

Qu’est-ce que la diffamation ?

La diffamation est constituée par toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé.

La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommé, mais dont l’identification est rendue possible par les termes d’un discours, d’une menace, d’un écrit ou d’un imprimés quelconque ;

Sauf à apporter la preuve de la véracité du propos. C’est ce que l’on appelle l’exception de vérité (article 29 de la loi du 29 juillet 1881).

Qu’est-ce que la calomnie ?

La calomnie, quant à elle, consiste à dénoncer un fait de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires en sachant les allégations inexactes.

C’est imputer à une personne d’avoir commis un fait qui n’a pas été commis ou qui n’existe pas. C’est encore une atteinte à l’honneur qui prend la forme particulière d’une dénonciation et d’un mensonge (article 226-10 du Code pénal).

Stratégies judiciaires

Classique donc de la stratégie judiciaire de poursuivre en dénonciation calomnieuse lorsqu’on est soi-même poursuivi en diffamation. Tellement classique que cette stratégie explique en partie l’engorgement judiciaire de la 17ème chambre du tribunal correctionnel, spécialisée dans ce type de contentieux à Paris.

Comptez en effet au moins 18 mois entre la délivrance de la citation directe et l’audience de plaidoirie, sans préjudice du jugement qui peut mettre encore quelques mois avant d’intervenir. Jugement qui peut tout à fait donner lieu à une relaxe, voire, entretemps, à une transaction entre les parties se traduisant automatiquement par un désistement d’instance.

C’est-à-dire que les parties, considérant qu’elles n’ont plus ni l’une ni l’autre intérêt à demander à un juge de trancher leur litige, ou à prendre le risque d’un aléa judiciaire, se mettent d’accord pour renoncer à l’action en cours. Autrement dit, après avoir mobilisé un tribunal, qui a nécessairement dû se saisir, et avant que n’intervienne l’audience de jugement, les parties renoncent à leur action.

Dans l’exemple qui nous concerne, ce seraient donc deux tribunaux saisis inutilement de chaque action ; sachant que le second fera obligatoirement l’objet d’un sursis à statuer tant que le premier n’a pas jugé, repoussant donc d’autant le délibéré à intervenir, et donc des années avant que ne soient tranchées les allégations respectives.

Des actions d’autant plus vaines qu’il semblerait en l’occurrence que les propos reprochés à Audrey Pulvar soient prescrits : ils dateraient d’il y a un an, alors que la diffamation se prescrit par 3 mois.

Usages médiatiques de la justice

Que cherchent donc Gérald Darmanin et Audrey Pulvar dans ces menaces stériles  d’actions judiciaires ?

Que justice soit vraiment rendue à la police, et à l’image de la journaliste récemment lancée en politique ; ou établir un rapport de force médiatique en vue des échéances électorales qui s’annoncent, avec l’argument rituel de la sécurité ?

Certains verrons une regrettable instrumentalisation de la justice à des fins de politique politicienne alors que la gravité des problèmes que nous traversons sont autres ; d’autres l’indécence de responsables politiques usant des voies légales pour faire passer un message de campagne.

Un état de fait symptomatique de l’engorgement des tribunaux que ces mêmes politiques devraient plutôt s’attacher à réduire, dans le respect de l’État de droit, de procès équitable, de délai raisonnable d’accès à la justice et finalement des principes de la République.

Pierre Farge est l’auteur de Le lanceur d’alerte n’est pas un délateurLattès, mars 2021.

Féminicide à Mérignac – Pierre Farge à BFM TV

Féminicide à Mérignac – Pierre Farge à BFM TV

Pierre Farge était l’invité d’Olivier Truchot dans l’émission BFM Story le 5 mai à 18h40.

Dans cet extrait, Maître Farge s’exprime sur l’affaire du 39e féminicide en 2021 qui s’est déroulé à Mérignac, où Chahinez D., 31 ans et mère de 3 enfants, a été brûlée vive devant chez elle par son ex-mari Mounir B, déjà condamné pour violences conjugales en 2015 et 2020.

Il y présente notamment le collectif Avocat Stop Féminicide, qu’il a lancé en septembre 2019, pour conseiller, orienter et représenter les femmes victimes de violences, devant les juridictions civiles ou pénales.

Les mesures de protection pour femmes victimes de violences :

Contacts utiles

  • Le 3919 « Violences femmes info » est un numéro national gratuit d’écoute anonyme. Il est accessible de 9h à 22h du lundi au vendredi et de 9h à 18h le samedi et le dimanche. Attention le 3919 n’est pas un numéro d’appel d’urgence.
  • En situation d’urgence, appelez la Police ou la Gendarmerie (au 17 ou au 112). Le 112 est le numéro d’urgence valable dans toute l’Union européenne. Les appels sont gratuits dans les deux cas.
  • SOS Viols : 0 800 05 95 95. Numéro gratuit et anonyme, disponible du lundi au vendredi de 10h à 19h.
  • Le 116 006 : disponible 7j/7 de 9h à 19h, tous les jours de l’année.. Il s’adresse à toutes les victimes, dont les victimes d’agression sexuelle.
  • Signalement possible sur la plateforme gouvernementale arretonslesviolences.gouv.fr

Transcript de la vidéo

[00:00:03.420] – Olivier Truchot

On va revenir sur cette horreur en Gironde. Une femme brûlée vive en pleine rue par son ex compagnon, une mère de famille de trois enfants. Les faits se sont déroulés hier soir à Mérignac. Les chiffres maintenant avec Magali. Est-ce que ces chiffres sont en baisse ?

[00:00:19.080] – Magali (BFM)

Eh bien, vous allez voir en 2019. 146 féminicides ont été officiellement recensés en France. Vous voyez ci contre 90 en 2020 et 39 depuis le début de l’année 2021. Mais attention à ces chiffres parce que, selon toutes les études, c’est lors de la phase de séparation qu’il y a le plus de passages à l’acte. Or, avec la crise sanitaire, les femmes qui ont été victimes de violences ont été contraintes souvent de rester avec leur compagnon et ne sont donc pas encore parties.

[00:00:47.490] – Olivier Truchot

Merci Magali. Nous sommes également avec Maître Pierre Farge, président de Avocat Stop Féminicide. Bonsoir maître. Quelles sont les leçons à tirer, si l’on peut déjà en tirer, de ce drame horrible qui s’est produit en Gironde?

[00:01:01.560] – Pierre Farge

Bonsoir. Merci de l’avoir rappelé, Avocat Stop féminicide, c’est un collectif d’avocats, le premier en France, qui a 3 objectifs. Le premier, c’est de conseiller et d’orienter les femmes victimes de violences conjugales pour constituer leur dossier devant une juridiction civile au pénal, puis ensuite de les accompagner éventuellement devant les juridictions civiles au pénal. Enfin, troisième objectif, accessoirement, c’est de faire du lobbying auprès des pouvoirs publics, forts de notre expérience de terrain, pour témoigner de tout ce qui ne fonctionne pas. Notamment les délais de traitement des affaires, comme le manque de formation du personnel policier, voilà ce que représente Avocat Stop Féminicide, qui a déjà accompagné quelques dizaines de femmes victimes de violences conjugales jusqu’à aujourd’hui, et je veux le croire, sauvé quelques unes d’entre elles.

[00:01:57.150] – Olivier Truchot

Et sur ce qui s’est passé, ce qui frappe, c’est la détermination de cet homme qui poursuit sa femme dans la rue, lui tire dessus. Elle est blessée à la cuisse. Elle tombe et à ce moment là, il va l’asperger de ce liquide inflammable et mettre le feu au corps de sa propre femme, son ex-femme étant en instance de divorce et la mère de 3 de ses enfants. Face à une telle détermination, il s’est d’ailleurs laissé ensuite prendre par les forces de l’ordre, qu’est ce qu’on peut faire de plus ?

[00:02:27.420] – Pierre Farge

Dans la violence des faits, il n’y avait rien à faire. En revanche, ce qu’on aurait pu faire, c’était l’anticiper. Vous avez parlé tout à l’heure des bracelets anti-rapprochement. C’est insensé que, pour des raisons techniques, ce genre d’individu n’en ait pas été doté plus tôt. On voit que le bracelet électronique, de façon générale, fonctionne depuis plus d’une dizaine d’années. Pourquoi le bracelet anti-rapprochement, dans ce cas, n’a pas fonctionné ? Pourquoi le magistrat n’a pas ordonné un bracelet anti-rapprochement ? C’est la question que je me pose.
Donc on a des outils, mais maintenant, il faut les utiliser, il faut les généraliser. Et on peut également aussi informer les juridictions spécialisées, les magistrats, de l’existence de ces bracelets anti- rapprochement.  Peut être que, tout simplement, le magistrat qui a ordonné cette interdiction d’entrer en contact n’avait pas connaissance de ce bracelet anti-rapprochement? Ou alors que ça ne fonctionnait pas. Et dans ce cas là, il faut faire en sorte qu’il fonctionne, qu’il soit utile.

[00:03:27.180] – Olivier Truchot

Bien entendu.  On va retourner à Mérignac, où un hommage est rendu à la victime…

Sur le même thème, voir tous les articles de Maitre Pierre Farge sur le féminicide et les violences conjugales, et notamment :

Le droit pénal doit définir clairement le féminicide

Violences conjugales : « Lever le secret médical permettra de sauver des vies » – BFM TV

La levée partielle du secret médical en cas de violences conjugales | Pierre Farge à CNEWS

Pourquoi on dit Féminicide ? – TV Al Jazeera

 

Affaire Vaquier : Pierre Farge invité par Morandini sur NRJ12

Affaire Vaquier : Pierre Farge invité par Morandini sur NRJ12

Le 8 avril à 12h30, Maître Pierre Farge, président de l’association Avocat Stop Féminicide, était l’invité de Jean-Marc Morandini dans son émission La Quotidienne n°537 de Crimes et Faits Divers sur NRJ 12.

Il intervient sur le plateau concernant l’affaire Aurélie Vaquier, mystérieusement disparue le 28 janvier 2021. Dans ces affaires, il rappelle que le conjoint fait souvent partie des premiers suspects.

La gendarmerie ayant découvert le 7 avril un cadavre (celui d’Aurélie ?) coulé dans une dalle de béton au domicile où vivait le couple, le compagnon d’Aurélie Vaquier, Samire L est en garde à vue et une autopsie est en cours ce jeudi 8 avril. Pierre Farge explique la procédure judiciaire et la garde à vue.

Revoir l’émission sur le site de NRJ12 : https://www.nrj-play.fr/nrj12/crimes-et-faits-divers : 

 

Condamnation Sarkozy : Pierre Farge sur le plateau de TPMP C8

Condamnation Sarkozy : Pierre Farge sur le plateau de TPMP C8

Lundi 1er mars, Nicolas Sarkozy a été condamné à trois ans de prison dont un an ferme pour corruption et trafic d’influence dans l’affaire des écoutes.

Pierre Farge était invité sur le plateau de Touche Pas à Mon Poste, l’émission de Cyril Hanouna sur la chaîne C8, pour donner son avis d’avocat pénaliste sur la question : « La condamnation de Nicolas Sarkozy est-elle trop sévère ? »

 

Voir la rediffusion sur le site de Canal Plus : (démarre à 29’06 et finit à 50’24) : https://www.canalplus.com/divertissement/tpmp-partie-1/h/8946028_50013