+33 1 45 24 54 73 contact@pierrefarge.com

Actualités Farge Associés

Actualités du Cabinet et de Pierre Farge, avocat associé fondateur :
lanceurs d’alerte, droit fiscal, droit pénal, pro-bono, culture…

Pierre Farge dénonce l’inertie du Parquet National Financier

Pierre Farge dénonce l’inertie du Parquet National Financier

Saisi par un ancien agent des douanes, lanceur d’alerte dans un dossier mettant en cause son administration et CapGemini pour violation du secret fiscal, l’avocat Pierre Farge dénonce l’inertie du Parquet National Financier.

Dans son édition des 3-4 juillet 2022, Le Monde a publié une nouvelle enquête, signée Manon Romain et Maxime Vaudano, sur la mainmise des Cabinets de Conseil, notamment Capgemini, dans l’administration française depuis 2017.

Le recours aux prestations du cabinet américain McKinsey par l’administration française avait soulevé un tollé dans la presse durant la campagne de l’élection présidentielle.

Mais l’externalisation de missions de service public au cabinet de conseil français Capgemini, qui a totalisé 1,1 Milliard d’euros de contrats publics depuis 2017, soulève tout autant l’indignation.

Et ce n’est pas qu’une question d’argent, cela pose également de graves problèmes de confidentialité des données communiquées par l’administration à ce prestataire externe, en particulier dans le domaine fiscal.

Lire l’article sur le site du Monde 

Aux douanes l'embarrassante mission secrète de Capgemini

Dans cet article paru dans Le Monde, je dénonce l’inertie coupable du Parquet national Financier : « Je suis indigné de voir une telle inertie judiciaire face au courage de mon client lanceur d’alerte, qui dénonce des faits d’intérêt public incontestables » 

Je représente en effet un ancien agent des douanes lanceur d’alerte. Ce fonctionnaire a d’abord dénoncé les faits auprès de sa hiérarchie aux Douanes, laquelle n’a pas réagi.  Devant la gravité des faits en cause, il s’est vu contraint de porter plainte pour violation du secret fiscal au Parquet national Financier contre les Douanes et CapGemini : or le PNF n’a ouvert aucune enquête depuis 8 mois ! 

Maître Pierre Farge, avocat des lanceurs d’alerte.

Le secret professionnel des avocats attaqué

Le secret professionnel des avocats attaqué

Le Sénat adopte définitivement le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Malgré un amendement de dernière minute dangereux, les atteintes au secret professionnel restent sauves.

Tribune de Maître Pierre Farge parue du Contrepoints

En France, le secret professionnel de l’avocat est défini par la loi du 31 décembre 1971.

Il s’agit d’un principe fondamental à la base de la profession d’avocat : pour pouvoir utilement défendre, il doit y avoir une confiance absolue avec son client, qui doit pouvoir tout dire. Le secret professionnel était jusque récemment absolu. Il était un et indivisible.

C’est sans compter qu’avec l’évolution de la profession, l’avocat n’est plus seulement un défenseur, il est aussi un conseiller.

LE RÔLE DU SECRET PROFESSIONNEL

La chambre criminelle de la Cour de cassation faisait ainsi une distinction dans la protection des correspondances entre un client et son avocat selon l’activité de l’avocat :

  • lorsqu’elles interviennent dans le cadre d’une activité de conseil, la Cour autorise la saisie de ces correspondances.
  • En revanche, la chambre civile de la Cour de cassation couvrait du secret professionnel toutes les correspondances avec un avocat, quel que soit le domaine d’intervention.

Afin de rendre la jurisprudence cohérente, la loi du 7 avril 1997 modifie l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 et étend clairement le secret professionnel à « toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense ».

En dépit de ce texte pourtant très clair, la chambre criminelle de la Cour de cassation reste toujours dans la nuance.

Encore récemment, dans un arrêt du 23 décembre 2020, alors même qu’elle rappelle le principe de la protection des correspondances entre un client et son avocat en toutes matières, elle juge légale la saisie de ces correspondances lorsqu’elles ne concernent pas l’exercice des droits de la défense.

UN PRINCIPE SOUS ATTAQUE

C’est dans ce contexte que le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire intervient, avec pour objectif affiché de renforcer le secret professionnel de l’avocat. En réalité, c’est l’inverse qui a failli se passer, et un jeu à somme nulle qui a finalement abouti.

La loi modifie directement le Code de procédure pénale par un article en ces termes :

« Le respect du secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 665 de la loi n° 711130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, est garanti au cours de la procédure pénale dans les conditions prévues par le présent code ».

C’est la première reconnaissance de la divisibilité du secret professionnel, de la défense et du conseil. Mais surtout une formulation malheureuse qui divise le secret professionnel entre l’activité de défense et l’activité de conseil.

Et pour cause, la loi prévoit également l’ajout d’un nouvel article 56-1-2 selon lequel le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquêtes ou d’instructions en matière de fraude fiscale, corruption, trafic d’influence, financement du terrorisme et blanchiment de ces délits.

Autrement dit, si l’avocat est complice même à son insu (en vertu d’un conseil qu’il aurait donné sans tout savoir du caractère frauduleux des agissements du client), le secret ne tient plus.

Autrement dit encore, une présomption de culpabilité permettait de mettre à mal le secret professionnel au prétexte de poursuites pour fraude fiscale, corruption ou trafic d’influence.

Et pour cause, où placer cette frontière de la défense et du conseil d’un client qui consulte, par exemple, un avocat pour dissoudre sa société ; puis l’avocat de comprendre que le client est finalement poursuivi pour fraude fiscale, et se voyait consulté sans doute pour organiser son insolvabilité ?

Cette extension des pouvoirs du juge n’est pas sans rappeler celle communément admise de placer un avocat sur écoute téléphonique pour un dossier précis, mais qui finalement permet d’écouter tous les échanges, et ainsi potentiellement n’avoir plus qu’à choisir celui le plus utile pour engager des poursuites.

Soit encore une fois au mépris de l’esprit et de la lettre du secret professionnel.

Pierre Farge, avocat au Barreau de Paris

Crédit photo de couverture : Eric Dupond Moretti by Pierre Metivier (creative commons) (CC BY-NC 2.0)

Lanceurs d’alerte : la France assure le service minimum pour les protéger

Lanceurs d’alerte : la France assure le service minimum pour les protéger

OPINION : si la protection des lanceurs d’alerte ne cesse de croître aux États-Unis, la France doit encore l’améliorer.

Tribune de Maître Pierre Farge parue dans Contrepoints 

Les lanceurs d’alerte pris de plus en plus au sérieux aux Etats-Unis

Le rôle des lanceurs d’alerte est pris de plus en plus au sérieux outre-Atlantique. La Securities and Exchanges Commission (SEC) – l’équivalent de notre Autorité des Marchés Financiers (AMF) – les protégeait déjà financièrement de façon bien plus importante et transparente qu’en France.

La SEC assure ainsi une indemnisation à la hauteur du potentiel de recouvrement qu’elle permet puisque depuis septembre 2020 ce sont près de 500 millions de dollars qui leur ont été versés.

Un tel soutien a même conduit, en octobre dernier, au versement record de 52 millions de dollars à l’un d’eux. Mais la récente déclaration de son président, Gary Gensler, de l’intérêt qu’ils représentent pour la justice américaine traduit une volonté d’améliorer encore le dispositif dans les prochains mois.

Il serait ainsi question de prévoir une prise en charge financière complète par un seul et unique organe, tant pour les alertes financières que pour celles analogues, et ce, alors même qu’elles donneraient lieu à d’autres rétributions parallèles d’autres organismes.

En l’état du droit américain, lorsqu’un whistleblower dénonce une infraction qui ne relève pas entièrement de la délinquance financière, les possibilités pour la SEC d’accorder une récompense sont restreintes, alors même que les informations se sont révélées utiles.

La SEC compte également davantage aiguiller le lanceur d’alerte vers les solutions qui lui seraient les plus profitables, tout en déplafonnant les potentielles indemnisations auxquelles il aurait droit.

Lanceurs d’alerte : qui n’avance pas… recule

À la grande différence des États-Unis, en France, la prise en charge financière n’est toujours pas garantie.

Son attribution est conditionnée, puis plafonnée à un million d’euros, et ne promet pas d’évoluer dans la transposition de la directive qui doit intervenir avant mi-décembre 2021.

En l’état, cet impératif promet simplement de s’en tenir aux standards minimum européens, sans jamais donner droit à une contrepartie financière.

Comme l’assurent les États-Unis, c’est pourtant ce dont les lanceurs d’alerte ont le plus besoin pour protéger leur action, encourager leur initiative, compenser la perte de revenus à laquelle il font le plus souvent face, assumer les frais judiciaires des procédures qu’il sont souvent obligés de mener, ou de s’en défendre ; et surtout pour apporter une indemnisation considérant la prise de risque et les montants recouvrés par l’État dans l’intérêt général.

Car protéger les lanceurs d’alerte, c’est indirectement ce qui permet le recouvrement de fonds publics sans précédent.

Et ce sont ces mêmes fonds éludés que l’on peut espérer réinvestir, au hasard, dans la santé, la recherche, les énergies non carbonées, ou pour réduire les inégalités. Soit autant de sujets brûlants d’actualité en vue de la prochaine élection présidentielle, qui devraient donc intéresser les candidats pour agir très vite.

Maître Pierre Farge, avocat au Barreau de Paris,
Auteur du livre Le lanceur d’alerte n’est pas un délateur paru aux éditions J.C.Lattès

Crédit image d’illustration : Gary Gensler by Third Way Think Tank (creative commons CC BY-NC-ND 2.0)

Audition de Pierre Farge à l’Assemblée nationale pour l’évaluation de la loi Sapin 2

Audition de Pierre Farge à l’Assemblée nationale pour l’évaluation de la loi Sapin 2

Rendez-vous Jeudi 8 avril à 10h00 pour suivre en direct sur le site de l’Assemblée Nationale l’audition de Pierre_Farge par la Commission des Lois, dans le cadre de l’évaluation de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2.

Rediffusion sur le site l’Assemblée Nationale

Succession à Monaco: un héritier dénonce les défaillances du fisc

Succession à Monaco: un héritier dénonce les défaillances du fisc

Maître Pierre Farge a été interviewé par Mediapart dans le cadre de l’affaire rocambolesque d’une succession à Monaco où 5 millions d’euros de droits de mutation vont échapper au fisc français...

Dans cette affaire Maître Farge représente un des héritiers de la succession.

Un patrimoine de 20 millions d’euros, neuf héritiers dispersés dans le monde, des sociétés offshore dans des paradis fiscaux… Et un centre des impôts qui laisse échapper une succession susceptible de rapporter 5 millions d’euros.

L’histoire que Donatello B. a tenu à raconter à Mediapart n’est pas banale. À la suite du décès de son père, ancien banquier et riche propriétaire terrien, le centre des impôts de Menton (Alpes-Maritimes) a laissé échapper une succession qui aurait pu rapporter 5 millions d’euros de droits de mutation à l’État français.

Article d’Hélène Constanty, réservé aux abonnés de Mediapart : https://www.mediapart.fr/journal/france/251020/succession-monaco-un-heritier-denonce-les-defaillances-du-fisc

Conflit d’intérêt à Bercy : quand un ancien du lobby bancaire ralentit la protection des lanceurs d’alerte

Conflit d’intérêt à Bercy : quand un ancien du lobby bancaire ralentit la protection des lanceurs d’alerte

Pour la Cour des comptes, qui vient de dresser un rapport sévère contre l’État, l’action de la France est insuffisante contre les fraudeurs fiscaux.

Dans cette tribune, je dénonce les dispositifs d’affichage en vigueur et j’interroge les conflits d’intérêts au plus haut sommet de l’État visant à ralentir ces politiques.

Tribune de Maître Pierre Farge publiée initialement sur Le Club Mediapart

Suite aux contestations sociales sans précédent en France, la Cour des comptes vient de dresser un rapport sévère contre l’État (*), considérant que l’action de la France est insuffisante contre les fraudeurs fiscaux. Ce rapport chiffre la fraude à un montant supérieur aux recettes de l’impôt sur le revenu, soulignant  l’« efficacité insuffisante » et un taux de recouvrement « très faible ».

Cela fait cinq ans que je défends comme avocat un certain nombre de lanceurs d’alerte, en général dans le milieu bancaire et financier.

Cela fait cinq ans que je constate les avancées législatives en la matière, à commencer par la loi Sapin II, le dispositif expérimental censé protéger les aviseurs fiscaux, et autres mesures promettant de protéger les indics des douanes.

D’un côté des parlementaires s’épuisent, pas plus tard que la nuit dernière, à boucler un Projet de Loi de Finances 2020 incluant d’immenses avancées pour la protection des lanceurs d’alerte du fisc.

Cela fait cinq ans que je déplore les contradictions entre ces dispositifs, et leur inapplicabilité totale dans la pratique.

Et cela fait cinq ans que je me demande pourquoi ces avancées sont si lentes, et surtout jamais suivies d’effet.

Une mobilisation sans précédent

Des pétitions ont été organisées par des syndicats et des ONG, une lettre ouverte a été envoyée au Président de la République, et j’ai personnellement dénoncé cet état de fait dans l’opinion, sans jamais avoir véritablement de réponse.

Des chiffres préoccupants pour l’intérêt de l’État

Toujours dans le même temps, les chiffres continuent de scandaliser :

  • Entre 2013 et 2018, les sommes recouvrées grâce au contrôle fiscal ont chuté de 22%, passant de 10 à 7,8 milliards d’euros.
  • En 2018, ces sommes étaient 2,5 moindres qu’en Allemagne, et 2 fois moindres qu’au Royaume-Uni.
  • Même « efficacité insuffisante » pour la lutte contre la fraude aux cotisations sociales : leur taux de recouvrement est « très faible » selon ce rapport.
  • Et à mon seul cabinet d’avocats, le potentiel de recouvrement est estimé entre 8 et 10 milliards d’euros si les lanceurs d’alerte et autres aviseurs fiscaux étaient protégés.

Pourquoi une telle inertie de l’administration ?
Et comment cela est-il possible au regard de l’intérêt objectif de protéger les lanceurs d’alerte dans l’intérêt du plus grand nombre ?

Une nomination posant la question des conflits d’intérêt au sommet de l’État

Je viens d’avoir la réponse, en tout cas un début de réponse, que je peux partager sans trahir mon secret professionnel : l’information est publique. Elle permettra à chacun d’apprécier.

Marie-Anne Barbat-LayaniCette réponse s’appelle Marie-Anne Barbat-Layani.

Ainsi après quelques allers-retours entre public et privé, Barbat-Layani était depuis cinq ans Directrice de la Fédération bancaire française, autrement dit le lobby des banques.

Et elle vient d’être nommée début décembre 2019 au poste stratégique de Secrétaire général des ministères économiques et financiers, autrement dit encore, en théorie, pour défendre les intérêts du contribuable, en s’assurant notamment d’un recouvrement de l’impôt optimal.

Dès lors, comment peut-on avoir été nourri pendant des années par et pour défendre les intérêts de tous les établissements financiers du pays, pour faire aujourd’hui exactement l’inverse en prenant des mesures en faveur des caisses de l’État ?

Comment la nouvelle secrétaire s’occupera-t-elle des dossiers concernant ses anciens employeurs, les banquiers? A quelle équation intérieure apportera-t-elle son concours?

Cela vous choque ? Vous vous demandez comment cela est possible ?

Contournement de la loi par l’État

J’ai alors pris mes codes pour tenter d’avoir la réponse.

Résultat : si les hauts fonctionnaires qui passent du public au privé doivent obtenir le feu vert de la Commission de déontologie de la fonction publique, il n’en va pas de même pour leur retour au service de l’État.

Aucune autorité ne régit cet état de fait, pour l’autoriser ou l’interdire. Pire, aucun texte ne limite leur activité ou tel ou tel domaine pour éviter les conflits d’intérêts.

En principe, ce genre de cas a été traité dans la loi de transformation de la fonction publique promulguée par le Chef de l’État le 6 août 2019. Désormais, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique aura compétence pour examiner pareils cas et pour apprécier les risques de conflits d’intérêts. Un détail : le texte de loi n’entrera en vigueur que le 1er février 2020. Il ne concerne donc pas la nouvelle secrétaire générale de Bercy.

Non seulement je suis jaloux de cette expertise, appréciée sans doute à sa juste valeur, et curieusement irremplaçable par qui que ce soit d’autre de moins polémique, mais surtout j’en conçois tous les avantages pour le lobby bancaire.

Dès lors, je ne veux pas plaider l’accointance facile avec la haute finance, mais cet état de fait mérite tout de même de s’interroger sérieusement sur l’appréciation que fait le sommet de l’État de la notion de conflit d’intérêt, État contournant donc rien de moins que la loi.

Pierre Farge,
avocat au barreau de Paris,
défenseur de la protection des lanceurs d’alerte,

(*) La fraude aux prélèvements obligatoires (Cour des comptes, 2 décembre 2019)

Le fisc va collecter vos données sur les réseaux sociaux !

Le fisc va collecter vos données sur les réseaux sociaux !

Le Projet de Loi de Finances 2020 prévoit la collecte en masse et l’exploitation au moyen de traitements informatisés et automatisés, des contenus librement accessibles, publiés sur les réseaux sociaux.

Cette tribune de Maître Pierre Farge a été également publiée dans Contrepoints

Discuté mercredi 30 octobre 2019 en séance de la Commission des lois, l’article 57 du Projet de loi de Finances pour 2020 (*) prévoit, à titre expérimental et pour une durée de 3 ans, la collecte en masse et l’exploitation au moyen de traitements informatisés et automatisés des contenus, librement accessibles, publiés sur les réseaux sociaux et notamment de toutes plateformes de mise en relation par voie électronique.

Se pose la question de la légitimité d’une telle pratique, tant d’un point de vue éthique que juridique.

Quels sont les conseils que l’on peut donner au contribuable pour se protéger ?

Lorsqu’elles sont de nature à concourir à la constatation des infractions fiscales, les données collectées sont conservées pour une durée maximale d’un an à compter de leur collecte et sont détruites à l’issue de ce délai. Toutefois, lorsqu’elles sont utilisées dans le cadre d’une procédure pénale, fiscale ou douanière, ces données peuvent être conservées jusqu’au terme de la procédure.

Les autres données sont détruites dans un délai maximum de trente jours à compter de leur collecte.

Voilà, en substance, les termes de ce qui a été discuté jeudi dernier à l’Assemblée nationale dans le cadre du Projet de loi de finance pour 2020.

Cette avancée, s’il en est, fait écho à l’entretien télévisé sur Capital du ministre en charge du Budget reconnaissant voilà quelques mois la possibilité au fisc d’utiliser les « données publiques » des réseaux sociaux pour alimenter officiellement tous les contrôles de l’administration, et confondre les contribuables devant les contradictions entre leurs déclarations fiscales et ce qu’ils affichent ouvertement, ou pratiquent effectivement sur les plateformes de mise en relation par voie électronique.

Une extension continuelle du pouvoir de l’État

Rappelant qu’on ne peut pas lutter contre la fraude fiscale du XXIe siècle avec des outils du XXe siècle, l’État institutionnalise ici ce qui se pratique depuis longtemps.

Pour améliorer la détection de la fraude et le ciblage des contrôles fiscaux, l’administration fiscale a en effet d’abord développé en 2013 un traitement automatisé de données dénommé Ciblage de la fraude et valorisation des requêtes (CFVR) consistant à :

  • croiser diverses bases de données administratives, notamment économiques payantes et en libre accès,
  • puis modéliser les comportements frauduleux pour mener des actions de prévention, de recherche, de constatation ou de poursuite d’infractions fiscales en présumant d’un risque d’erreur ou de fraude permettant d’augmenter la productivité de l’administration de façon exponentielle.

Le décret d’application du 21 février 2014 était alors allé encore plus loin puisque ce dispositif concernant initialement les entreprises et les professionnels, était étendu aux particuliers par arrêté du 28 août 2017.

Dès lors, bis repetita, en introduisant ce dispositif expérimental par la petite porte dans le PLF 2020, il est aisé d’imaginer que son décret d’application permettra d’élargir encore davantage ce qui a été voté.

En ajoutant donc ces nouvelles « données publiques » issues des réseaux sociaux, à la manne d’informations déjà à disposition de l’administration, l’État ne vient donc qu’aggraver comme jamais l’inquiétude quant à l’usage liberticide des données personnelles.

À noter tout de même que, conscient de la dangerosité de ce dispositif, et pour ne pas porter atteinte de façon trop pérenne aux droits et libertés des contribuables, celui-ci a été mis en place à titre expérimental pour une durée de trois ans.

Mais à quel prix les libertés publiques payent-elles cette efficacité ? Peut-on tout se permettre à titre expérimental ? Dans quelle mesure le droit des contribuables peut-il être respecté par un algorithme tenu secret ? Facilite-t-il la relation de confiance entre l’administration fiscale et les contribuables d’un système qui se veut déclaratif ?

L’importance de la CNIL

Posant de très sérieuses questions quant au pouvoir qui serait ainsi donné aux administrations fiscales et douanières d’élargir leurs moyens juridiques déjà très importants, pareil amendement au PLF 2020 remet en cause le respect de plusieurs principes, à savoir :

  • les principes de pertinence et de proportionnalité,
  • mais également la loi ESSOC du 10 août 2018 mettant en œuvre un principe de confiance dans les relations entre les usagers, particuliers comme entreprises, et l’administration,
  • ou encore les dispositions nationales de transposition du RGPD,
  • et in fine aux principes du respect de la vie privée, de la liberté d’entreprendre et de la liberté d’expression.

C’est précisément pour cela que la CNIL a déjà émis d’importantes réserves en septembre dans un avis indiquant en ces termes avoir « relevé que ce dispositif présente des enjeux très particuliers du point de vue des libertés, compte tenu de l’impact du dispositif sur la vie privée et ses possibles effets sur la liberté d’expression en ligne ».

Ou encore : « Si la lutte contre la fraude fiscale est un objectif à valeur constitutionnelle, la commission estime toutefois, au regard du nombre de personnes concernées et des techniques mises en œuvre, que des garanties appropriées doivent être prévues. »

En outre, rappelons que le principe d’utiliser les « données publiques » des réseaux sociaux signifie, de façon plus insidieuse, une réquisition à l’hébergeur des données dites « derrière la photo », c’est-à-dire celles contenant notamment des informations confidentielles comme la géolocalisation. L’administration se servirait ainsi d’un paravent d’informations publiques pour se saisir d’informations relevant de la vie privée via les réseaux sociaux.

Après la poursuite des réseaux sociaux eux-mêmes pour optimisation fiscale agressive, tels les GAFA, et avoir tenté en vain de redresser leur impôt, voilà que l’administration viendrait donc à collaborer avec ces mêmes réseaux sociaux pour diligenter ses contrôles.

Pyromane et pompier, l’État n’est plus à une contradiction près.

Pierre Farge
Crédit image : big brother is watching by Nicole Bratt(CC BY-SA 2.0) — Nicole Bratt, CC-BY
Budget 2020 : 10 milliards d’euros à récupérer

Budget 2020 : 10 milliards d’euros à récupérer

Le Projet de Loi de Finances pour 2020 est arrivé vendredi à l’Assemblée nationale. En écho à la hausse contre la fraude hissée parmi les revendications du Grand débat national, il est urgent d’ici le 15 novembre de faire des amendements au PLF 2020 qui offrent une protection aux lanceurs d’alerte. L’enjeu est de permettre un recouvrement sans précédent en faveur du budget de l’État qui se chiffrerait en milliards d’euros.

Article de Maître Pierre Farge publié initialement dans La Tribune.
La loi de finances pour 2017 a mis en place un dispositif expérimental d’indemnisation de aviseurs fiscaux communiquant à l’administration fiscale des renseignements menant à la découverte d’infractions fiscales en fonction du risque pris et du recouvrement permis. Ce statut a été pérennisé en 2018 par la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale.

En pratique, les modalités de leur indemnisation fait l’objet d’une approche au cas par cas souffrant de nombreuses carences :

–  à commencer par une limitation de l’indemnisation aux seules infractions de fraude fiscale, excluant toute possibilité d’exploiter l’information d’un aviseur révélant des faits hors champ du dispositif comme du blanchiment ou une fraude à la TVA;

–  aussi, aucun barème, ni grille de rémunération n’ont été prévus ou publiés, rendant l’indemnisation discrétionnaire et donc opaque de l’administration, qui ne rend compte à personne de ses arbitrages, que ce soit au Parlement, ou à la Cour des comptes;

–  enfin, l’indemnisation est soumise à un plafond de seulement un million d’euros par affaire.

Six propositions

Un premier rapport d’information rédigé par Christine Pires Beaune publié le 5 juin 2019 prévoit six propositions pour améliorer les règles en vigueur du statut d’aviseur fiscal. Parmi les plus importantes, celles répondant à ses faiblesses, à savoir:

1) Étendre le champ des manquements aux opérations portant sur la TVA, dont la fraude est estimée entre 10,7 et 16,6 milliards d’euros;

2) Supprimer le plafond d’un million d’euros applicable à l’indemnité, ce dernier limitant l’attractivité du dispositif.

3) Codifier le dispositif dans le livre des procédures fiscales afin d’apporter davantage de sécurité juridique.

4) En outre, mais cela ne figure pas encore au rapport, dans le respect des principes républicains, il est déterminant d’instaurer un barème obligeant l’administration à ne plus fixer discrétionnairement l’indemnisation, autant que de pouvoir rendre compte devant les représentants du peuple du montant des sommes recouvrées par rapport à l’indemnisation de ceux ayant permis ce recouvrement.

Sur ce point, rappelons la question très claire d’un député au ministre du Budget demandant la méthode de calcul, et à laquelle il était répondu: « L’indemnisation des aviseurs fiscaux (…) est proportionnelle à la qualité de l’information fournie ». Comment calculer cette « proportion » en l’absence de grille officielle formalisant de quelconques seuils? Qu’entend-on par « qualité », ou même « information »? S’agit-il de termes à comprendre comme le ministre les comprend, ou comme les comprennent les services sous sa tutelle censés les appliquer?

En dépit d’un accueil favorable du gouvernement en début d’été, et d’un soutien unanime des parlementaires en raison des premiers résultats encourageants du dispositif (100 millions d’euros dans les caisses de l’État en deux ans), aucune de ces propositions n’est pour autant reprise dans le Projet de loi de finances 2020 arrivé vendredi 27 septembre à l’Assemblée nationale.

C’est pourtant ce secours financier qui est clef de voûte des révélations des aviseurs. Il permet de faire face au changement de vie, au licenciement, à l’impossibilité de retrouver un emploi, à la nécessité de se défendre en justice face aux procédure bâillon, voire aider à accepter les représailles en tous genres dans lequel peut être plongé l’aviseur plusieurs mois ou années durant.

Ce secours financier clair et transparent permettrait donc de convaincre les aviseurs encore frileux à partager leurs informations en l’absence de véritablement garanties, et représentant à mon seul cabinet d’avocats, dans trois dossiers, un potentiel de recouvrement entre 8 et 10 milliards d’euros.

Ce secours financier est l’occasion de maîtriser notre fiscalité et tenir les objectifs de politiques publiques sans que cela ne pèse sur qui que ce soit d’autre que les fraudeurs.

Une perspective d’autant plus fidèle aux attentes des français telles que révélées dans le Grand débat national.

Protéger la spoliation organisée du bien public

Le lancement d’une alerte ne consiste donc pas à se poser la question dérangeante de savoir s’il vaut mieux résister ou collaborer. Mais donne plutôt la possibilité à chacun de pouvoir protéger la spoliation organisée du bien public, les dysfonctionnements de nos États, et ainsi contribuer à l’intérêt général, à renforcer l’égalité, et encourager la conscience démocratique.

Ce paradigme est tout à fait possible: il tient au dépôt de quatre amendements au PLF 2020 (extension du champ de l’indemnisation à la TVA, déplafonnement du million d’euros, création d’un barème et codification de l’ensemble).

Le texte objet de ces quatre amendements est arrivé à l’Assemblée nationale vendredi 27 septembre 2019, jusqu’au 15 novembre 2019 avant sa navette au Sénat, et son adoption définitive fin décembre.
Nous avons donc exactement un mois et demi pour agir.

Pierre Farge, avocat à la Cour, spécialisé dans la cause des lanceurs d’alerte.

Balkany : Une sévérité exceptionnelle digne d’un régime… populiste

Balkany : Une sévérité exceptionnelle digne d’un régime… populiste

Condamné pour fraude fiscale, le maire de Levallois a dormi à la prison de la Santé…

Article de Maître Pierre Farge publié initialement dans Causeur

Condamné à 4 ans de prison ferme et 10 ans d’inéligibilité pour fraude fiscale, l’opinion reconnait le jugement de Patrick Balkany légitime. Mais elle s’interroge sur la légitimité de son mandat de dépôt. Pierre Farge, avocat pénaliste, regrette un jugement pour l’exemple, qui relève davantage d’une influence d’alors et d’une amitié payée chère avec un ancien Président de la République, lui aussi toujours objet de poursuites judiciaires… Un tribunal correctionnel rend toujours un jugement, pas nécessairement la justice.

L’opinion publique compare à l’envi depuis hier la condamnation en première instance de Patrick Balkany à celle rendue alors pour Jérome Cahuzac, à l’époque condamné sévèrement, mais jamais incarcéré.

À la lecture in extenso du jugement correctionnel de 67 pages, l’on comprend que la justice n’a pas été aussi clémente dans l’affaire Balkany, en raison notamment du comportement du prévenu à son procès. Ce dernier a gardé la tête haute face à ses juges, préférant relativiser les faits de fraude à hauteur de quelques millions d’euros, plutôt que de prendre toute la mesure de la lutte souhaitée contre la fraude fiscale au lendemain du Grand Débat National. Balkany a préféré présenter toute l’assurance d’un maire soutenu par ses administrés depuis 20 ans plutôt qu’un mea culpa national.

La dichotomie de jugements entre Balkany et Cahuzac est d’autant plus regrettable au regard des sommes fraudées toutes relatives. Soyons un peu cyniques : comment ne pas considérer ce sévère jugement comme politique, pour les quelques millions d’euros détournés ?

Le même jour, Google entérine discrètement un accord avec l’administration fiscale française de près d’un milliard d’euros (!) en échange de renoncer à toute poursuite pénale pour fraude fiscale, permettant ainsi à l’entreprise de négocier une amende sans aller en procès, ni passer par une procédure de « plaider coupable » : à savoir 500 millions d’euros d’amende en vertu d’une accord soldant de poursuites pour fraude fiscale depuis quatre ans par le Parquet national financier, et 465 millions d’euros de taxes additionnelles pour mettre un terme aux procédures de redressement fiscal engagées par Bercy.

Prison ferme

On le voit, cette condamnation en première instance à quatre ans fermes est lourde, très lourde, qui plus est assortie d’un mandat de dépôt à l’audience. Elle est la preuve que le maire ami de Sarkozy n’a pas été traité comme il aurait dû l’être, c’est-à-dire comme un primo-délinquant (en tout cas pas en état de récidive légale). Elle est la preuve que la mauvaise publicité faite à la classe politique se paye d’un traitement particulier. Elle est la preuve que l’égalité dont nous avons fait notre devise n’est qu’un mot et que la balance, symbole de sa justice, n’a pas le même poids qu’il s’agisse d’un élu ou d’un citoyen lambda.

À vouloir être exemplaire, cette justice en devient injuste.

Pour défendre depuis quelques années maintenant une misère humaine multirécidiviste, allant du chauffard imbibé d’alcool et de stupéfiants, au père de famille non moins sobre qui perd patience sur femme et enfants, en passant par les petits trafiquants de drogue empoisonnant quelques dizaines d’âmes, la pratique veut que la prison ferme ne soit prononcée qu’après un sursis simple, puis au moins un ou deux sursis avec mise à l’épreuve, accompagnés le cas échéant de travaux d’intérêt général.

Combien de vies Balkany a-t-il brisées ?

Cette pratique veut en effet — sauf infractions d’une particulière gravité comme les crimes, les agressions sexuelles, les violences ayant entraîné une incapacité de travail considérable, apanage des assises — que les juges évitent de prononcer une peine ferme à la première condamnation.

Et, au plus sévère, dans le cas où le juge condamne à de la prison ferme, la pratique veut toujours qu’il soit inférieur ou égal à deux ans afin d’envisager un aménagement ab initio, c’est-à-dire à tout prix éviter, dès le début, l’incarcération pour l’effectuer en semi-liberté ou sous bracelet électronique.

Cette pratique est tellement bien ancrée, qu’en droit, c’est ce que l’on appelle la subsidiarité de la peine d’emprisonnement, disposée au Code pénal, et d’ailleurs renforcée par la loi Taubira du 15 août 2014.

Cette pratique codifiée, que l’on appelle la loi, signifie donc que la peine de prison ne doit être prononcée qu’en dernier recours, s’il n’existe aucun autre moyen de protéger la société et d’éviter la récidive.

Quand on y pense, qu’a vraiment fait Patrick Balkany, combien de vies a-t-il brisées, combien de destins a-t-il bouleversés ? L’ancien maire a virtuellement placé sur une ligne de compte (suisse) des fonds qui auraient dû l’être sur une autre (française). Personne n’est mort, personne n’a souffert. Il s’est simplement soustrait au contrat social, incontestablement.

Sans rien souhaiter minimiser, Patrick Balkany ne représente donc aucun danger et sa potentialité de récidive est nulle. Comme tel, il ne devrait pas aller en prison. Que gagne donc la société à son enfermement ? Rien, sinon l’esprit de vengeance — symptomatique d’une société morose — sur un homme de 71 ans !

Pierre Farge, Avocat pénaliste au Barreau de Paris

 

Crédit photo : Patrick Balkany en juin dernier © SOLAL/SIPA Numéro de reportage: 00912683_000015

Négociation avec les fraudeurs, ou protection des lanceurs d’alerte ?

Négociation avec les fraudeurs, ou protection des lanceurs d’alerte ?

En écho aux lignes directrices communes du Parquet national financier et de l’Agence française anticorruption relatives à la mise en œuvre de la convention judiciaire d’intérêt public, Pierre Farge déplore les dispositifs paradoxaux consistant, d’un côté, à encourager les fraudeurs à la négociation d’amendes; et de l’autre, décourager les lanceurs d’alerte au partage d’informations, en dépit pourtant d’un potentiel de recouvrement beaucoup plus important.  

Cet article de Maître Pierre Farge a initialement été publié dans Le Monde du Droit.

Les moyens pour y remédier sont pourtant simples, et rapides, afin d’assurer un recouvrement sans précédent des fonds échappant frauduleusement à l’intérêt général, et ainsi aller dans le sens des priorités souhaitées par le grand débat national, c’est-à-dire une empreinte forte sur la fiscalité, la réduction d’impôt et la lutte contre la fraude.

Ces propositions prennent ici la forme d’une note aussi didactique que technique à l’attention du Ministre du Budget, et du fraîchement nommé Procureur de la République financier.

La rentrée du gouvernement cette semaine marque la reprise des réunions d’arbitrage pour le bouclage du projet de loi de finances. Un exercice qui derrière les chiffres s’avère hautement politique, et qui devra être marqué par la sortie du grand débat, c’est-à-dire une empreinte forte sur la fiscalité, la réduction d’impôt et la lutte contre la fraude fiscale, qui continue de coûter 80 milliards d’euros, soit 10 milliards de plus de ce que rapporte l’impôt sur le revenu par an.

Ce ne sont pas les moyens pour ce faire qui manquent, tels qu’issus de la récente loi Sapin 2, créant notamment la convention judiciaire d’intérêt public, et définissant ce qu’est un lanceur d’alerte.

La pratique oblige néanmoins à constater que :
– le premier dispositif encourage les fraudeurs à la négociation d’amendes, témoignant d’un recouvrement relatif de 440 millions d’euros en trois ans et demi;
– et le second dispositif décourage les lanceurs d’alerte au partage d’informations, en dépit d’un potentiel de recouvrement pourtant sans précédent de 8 à 10 milliards d’euros dans un moindre temps.

Négociation avec les fraudeurs pour un recouvrement relatif

La création issue de la loi Sapin 2, inspirée des mécanismes américain et anglais de transaction pénale, a fourni un outil permettant au Procureur de la République de renoncer à la poursuite des personnes morales mises en cause pour corruption, trafic d’influence, fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale.

Pour ce faire, trois conditions cardinales à remplir afin de bénéficier d’un abandon des poursuites, à savoir auto-dénonciation, coopération et mesures correctrices appropriées.

Depuis son entrée en vigueur en 2017, et ses mesures directrices précisées le 27 juin 2019, six conventions judiciaires d’intérêt public ont été conclues et près de 440 millions d’euros versés au Trésor public français après avoir reconnu les faits, collaboré étroitement avec l’autorité judiciaire, mis en vigueur un programme de conformité, et indemnisé les victimes.

Si cette avancée parait louable, force néanmoins de constater qu’un dispositif beaucoup plus prometteur, et beaucoup plus rapide en terme de recouvrement de deniers publics serait possible, à savoir protéger les lanceurs d’alerte.

Découragement des lanceurs d’alerte en dépit d’un potentiel de recouvrement sans précédent

Conformément à l’article 6 de la Loi Sapin 2, un lanceur d’alerte est un individus désintéressé faisant un signalement dans l’intérêt général, permettant la prévention ou la révélation des failles et dysfonctionnements de nos États, nos économies, nos systèmes politiques et financiers, et à ce jour ayant déjà permis un recouvrement considérable de fonds publics.

Ce désintéressement du lanceur d’alerte exclut donc une aide financière. Issu d’une décision du Conseil constitutionnel de 2016, ce postulat est tout à fait contestable puisque cette interdiction ne concernait que la compétence attribuée au Défenseur des droits pour procéder lui-même à l’indemnisation. Autrement dit, en attribuant cette compétence à une autre institution, le secours financier au lanceur d’alerte serait donc tout à fait possible.

Ce défaut de secours financier en l’état de la loi Sapin 2 est d’autant plus inadmissible que :

– les lanceurs d’alerte des douanes et du fisc sont rémunérés sans que leur statut n’ait jamais encore été défini sur le plan juridique, pas plus que leur rémunération n’ait reçue une base budgétaire incontestable;

– que Bercy a préféré mettre en place, en parallèle, un dispositif rémunérant les « lanceurs d’alertes du fisc », désormais appelés par commodité langagière « aviseurs fiscaux », d’abord de manière expérimentale de 2017 à 2019, puis définitivement avec la loi de 2018 sur la lutte contre la fraude fiscale;

– qu’une fois déverrouillé le principe d’une rémunération, reste encore à clarifier ses conditions, puisqu’à ce jour elle est laissée à la discrétion d’une poignée de fonctionnaires, et que pas même les parlementaires n’ont permis de lever cette opacité.

Force est donc de constater que le potentiel de révélations, et donc de recouvrement de fonds éludés à l’État, serait estimé entre 8 et 10 milliards d’euros si les lanceurs d’alerte venaient à être effectivement protégés par la loi Sapin 2; donnant ainsi un caractère très relatif aux 440 millions d’euros encaissés en trois ans par la Convention judiciaire d’intérêt public (CGIP).

Légiférer d’urgence : des rentrées immédiates dans les caisses de l’État

Trois mesures pourraient donc être prises sans délai par le ministre du Budget pour palier à ces contradictions issues du même texte de loi.

1) Il a d’abord les moyens, quasiment du jour au lendemain, de rédiger un nouvel arrêté définissant les critères d’indemnisation chiffrés des aviseurs fiscaux, soit, en quelques lignes, préciser en pourcentage les seuils à concurrence des sommes recouvrées.

2) Le ministre du Budget a également le pouvoir de faire amender l’article 6 de la loi Sapin 2 en ajoutant la possibilité d’une indemnisation du lanceur d’alerte à un autre organe que le Défenseur des droits, comme par exemple le Parquet national financier (PNF)

3) Le ministre du Budget a enfin le pouvoir d’impulser l’initiative au Parquet national financier et à l’Agence française anticorruption (AFA) de préciser les conditions dans lesquelles ces derniers pourraient indemniser le lanceur d’alerte sur le modèle américain, comme cela vient d’être fait en juin pour la CJIP s’inspirant des dispositions du Department of Justice (DoJ).

Une impulsion d’autant plus possible que le nouveau Procureur de la République financier succédant à Madame Eliane Houlette sera bientôt connu, et qu’il pourrait décider dès son entrée en fonction de faire de cela un marqueur de son mandat.

Pierre Farge, Avocat à la Cour, spécialisé dans la protection des lanceurs d’alerte.

(*) Convention judiciaire d’intérêt public (CGIP) : La loi du 9 décembre 2016, dite Loi Sapin 2, a créé une procédure, permettant au procureur de la République de conclure une convention judiciaire d’intérêt public avec une personne morale mise en cause pour des faits d’atteintes à la probité. Cette mesure alternative aux poursuites est applicable aux entreprises, associations, collectivités territoriales, etc. mises en causes pour des faits de corruption, trafic d’influence, fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et toute infraction connexe. (source AFA)

Lanceurs d’alerte : Le parcours des combattant.e.s ? | Table ronde à l’Assemblée Nationale

Lanceurs d’alerte : Le parcours des combattant.e.s ? | Table ronde à l’Assemblée Nationale

A la suite du rapport sur la lutte contre la délinquance financière (*), Ugo Bernalicis, député de La France Insoumise, a organisé une table ronde à l’Assemblée nationale le 26 juin 2019 sur la question des Lanceurs d’alerte.

Cette table ronde réunit :

– Céline Boussié, Lanceuse d’alerte du médico-social, poursuivie en diffamation (puis relaxée) par l’IME de Moussaron pour avoir dénoncé les faits de maltraitance qui y ont été pratiquées impunément pendant plus de 20 ans sur des enfants poly-handicapés. Elle est secrétaire générale adjointe de la Maison des Lanceurs d’Alerte (MLA) et auteure de « Les enfants du silence » (Harper Collins).

– Patrick Bourdillon, secrétaire fédéral CGT santé.

– Maxime Renahy, ancien administrateur de fonds à Jersey et au Luxembourg, devenu espion à la DGSE. Il est désormais ce qu’on appelle un lanceur d’alerte dans le domaines de la délinquance financière. Son livre « Là où est l’argent » dénonce les pratiques offshore des multinationales et l’inaction de Bercy.

– Pierre Farge, Avocat au barreau de Paris, spécialisé dans la défense des lanceurs d’alerte.

Table ronde filmée et retransmise sur YouTube :

(*) Rapport d’information sur l’évaluation de la lutte contre la délinquance financière, déposé par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques et présenté par MM. Ugo BERNALICIS et Jacques MAIRE, députés.

Protéger les lanceurs d’alerte, une bonne affaire pour Bercy!

Protéger les lanceurs d’alerte, une bonne affaire pour Bercy!

L’actuelle législation censée protéger les lanceurs d’alerte est insuffisante. Or, ce n’est qu’en les assistant davantage que l’Etat pourra recouvrer son efficacité fiscale.

Article de Maître Pierre Farge publié initialement dans Causeur.fr

Alors que le Grand Débat soulignait l’importance d’une réforme fiscale d’envergure, les lanceurs d’alerte pourraient bien permettre des recouvrements d’impôts colossaux s’ils étaient correctement protégés. Pourtant, le gouvernement se garde bien de faire évoluer le droit en vigueur.

Pourquoi une telle inertie, en dépit des avancées européennes et des récents rapports parlementaire clairement en faveur des lanceurs d’alerte, et malgré le fait qu’une protection plus efficace des lanceurs d’alerte, seuls à permettre de révéler et recouvrir le manque à gagner causé par la fraude fiscale, pourrait apporter un début de réponse à la crise sociale ?

Cette perspective s’inscrit parfaitement dans les objectifs voulus par le Parlement européen en 2018  et le Parlement français en mars 2019 suite au rapport sur la lutte contre la délinquance financière, soulignant notamment l’importance d’indemniser les lanceurs d’alerte.

Pour ce faire, il apparaît donc qu’une uniformisation des dispositifs de prise en charge financière de ces nouveaux héros de la démocratie soit indispensable. Car à ce jour plusieurs dispositifs existent, mais sont en contradiction les uns avec les autres.

Ainsi selon la loi Sapin II le lanceur d’alerte ne peut pas être rémunéré,  la loi du 23 octobre 2018 permet la rémunération de « l’aviseur fiscal » – le lanceur d’alerte du fisc.

C’est également le cas du lanceur d’alerte des douanes, ou informateur des douanes dont l’arrêté du 18 avril 1957, accepte aussi le principe d’une rémunération.

Sapin II : la loi insuffisante

La définition même du lanceur d’alerte telle que prévue dans la loi Sapin II, entièrement applicable depuis le 1er janvier 2018, exclut même une aide financière sous la forme d’une avance sur les frais de procédure exposés ou d’un secours financier temporaire !

Issu d’une décision du Conseil constitutionnel de 2016, ce postulat est tout à fait contestable puisque l’interdiction ne concernait que la compétence attribuée au Défenseur des droits pour procéder lui-même à la rémunération. Autrement dit, en attribuant cette compétence à une autre institution, le secours financier au lanceur d’alerte serait tout à fait possible.

Et ce secours pourrait être inspiré de la rémunération des informateurs des douanes, quoi que de façon plus transparente. Par ailleurs, il faudrait dans la même occasion accroître la transparence concernant les lanceurs d’alerte des douanes et du fisc.

Car, si dans le cadre de la répression du trafic de drogue, les services de police, de gendarmerie ou des douanes sont dans la nécessité de recourir à des informateurs, indicateurs ou autres aviseurs, le statut de ces personnes n’ait jamais été défini sur le plan juridique, pas plus que leur rémunération n’ait reçu une base budgétaire incontestable, une situation qui a déjà permis un certain nombre d’abus.

Le Parlement injustement écarté

Car en pratique, l’administration fiscale oppose le secret des procédures fiscales, empêchant donc au lanceur d’alerte de connaître la prise en charge dont il pourra in fine bénéficier, au regard du risque qu’il a pris et de l’importance des informations qu’il a révélé pour le recouvrement de l’Etat.

Pire, il ressort d’un arrêté du 18 avril 1957 définissant l’aviseur des douanes qu’une poignée de hauts fonctionnaires au sein des services de police et de gendarmerie, ainsi que des agents des douanes, seraient, sur cette seule définition, fondés, par l’intermédiaire en droit à rémunération tacite, mais sans davantage de précision.

Moralement compréhensible, ce postulat n’est cependant pas conforme aux principes de comptabilité publique. L’ensemble des rémunérations versées par l’Etat est en effet retracé dans le fascicule budgétaire transmis annuellement au ministère chargé du budget. Pire encore, ces données ne sont curieusement pas rendues publiques au Parlement.

A ceux qui brandissent la nécessité de secret de telles informations, rappelons que les portefeuilles accordés à la lutte contre le terrorisme sont tout aussi sensibles, sinon plus, et connus de la représentation nationale.

Que faire ?

Dégageons une logique commune et cohérente pour le traitement par l’Etat des lanceurs d’alerte quels qu’ils soient. Ainsi, il faut tout d’abord uniformiser les trois dispositifs contradictoires relatifs aux lanceurs d’alerte, aux aviseurs fiscaux et autres informateurs des douanes pour un secours financier clair et transparent.

De même, il est essentiel, de cesser de concentrer un pouvoir discrétionnaire aux mains d’un seul fonctionnaire pour indemniser ses informateurs. Enfin, et peut-être surtout, rendre compte au Parlement des chiffres afin de savoir où passe l’impôt.

Autrement dit, rétablir une sécurité juridique des lanceurs d’alerte, et protéger efficacement leur geste démocratique dans le respect de l’intérêt général. La société en a besoin, et les institutions aussi.

Pierre Farge, avocat à la Cour, spécialisé dans la cause des lanceurs d’alerte.

Grand débat ou grand déballage fiscal ?

Grand débat ou grand déballage fiscal ?

L’administration dispense des règles de transparence au contribuable qu’elle ne s’applique pas elle-même.
Tribune de Pierre Farge publiée dans Contrepoints
À l’heure de la fin du Grand débat incité par un mouvement populaire sans précédent, et un million de contributions plus tard en près de deux mois sur la plateforme en ligne prévue à cet effet, la fiscalité arrive en tête des préoccupations, avant l’écologie et la démocratie.
Toutes sortes de revendications sont soulevées par les Français, relatives à la baisse d’impôts. Pierre Farge, avocat fiscaliste, apporte un témoignage de terrain sur cette nécessité de redonner sens à une certaine justice sociale et fiscale, obligeant par exemple à sortir de l’opacité par laquelle l’administration s’autorise à diligenter ses contrôles fiscaux.

La politique fiscale est peut-être le dernier outil que contrôle vraiment l’État.

Dans la mesure où l’outil monétaire est aux mains de la Banque centrale Européenne, et que le chômage, autant que la dépense publique, sont de plus en plus incontrôlés, il n’est pas insolent de penser à cette voie pour répondre au drame social qui sévit depuis 18 semaines en France ; et donc de s’intéresser de plus près au comportement de l’administration elle-même à l’égard de l’impôt, et notamment sa façon de diligenter ses contrôles fiscaux.

Une fiscalité sans foi ni loi

Depuis un arrêté du 28 août 2017, l’administration fiscale dispose d’un traitement automatisé de lutte contre la fraude dénommé CFVR (Ciblage de la Fraude et Valorisation des Requêtes). Ce traitement permet à l’État de croiser diverses bases de données et modéliser les comportements frauduleux pour mener des actions de prévention, de recherche, de constatation ou de poursuite d’infractions fiscales.

L’algorithme utilisé dans le cadre de ce traitement est basé sur des techniques de data mining. Autrement dit,

  • un ensemble d’outils informatiques opaques permettant pour la première fois la programmation des contrôles fiscaux, l’exploration et l’analyse de différentes données en même temps,
  • et centralisé sur une seule et unique base informatique pour un ciblage des entreprises laissant présumer un risque d’erreur ou de fraude.

Un état de fait permettant donc d’augmenter de façon exponentielle la productivité de l’administration en matière de contrôle, aux dépens potentiels de tous les contribuables.

Dans quelle mesure le droit des contribuables peut-il être respecté par un algorithme tenu secret ?

Facilite-t-il la relation de confiance entre l’administration fiscale et les contribuables d’un système plus juste à l’origine d’un Grand débat national sans précédent ?

Une position de l’administration discrétionnaire et absurde

C’est pour répondre à ces questions que nous avons demandé à l’administration fiscale la communication de la grille d’analyse permettant de connaître les critères de sélection des contribuables contrôlés, et donc une certaine transparence sur les algorithmes utilisés sur des millions de contribuables.

Celle-ci n’a pas donné une suite favorable, prétextant une jurisprudence antédiluvienne rendue par le Conseil d’État le 12 décembre 1990, indiquant que l’administration ne doit pas communiquer les « documents révélant les critères » qu’elle retient pour « sélectionner le dossier d’un contribuable » afin de le contrôler. Pareille communication porterait, soi-disant, atteinte à la recherche des infractions fiscales au nom du Code des relations entre le public et l’administration (article L. 311-5).

Las mais non moins déterminé, nous avons donc fait appel en saisissant la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA).

Confirmant le refus, cette initiative a pourtant eu le mérite, dans son avis, de témoigner d’une argumentation édifiante de l’administration :

la communication de ces documents porterait atteinte à la recherche, par les services compétents, des infractions fiscales, et par conséquent ne serait pas communicable avant l’expiration d’un délai de vingt-cinq ans à compter de leur élaboration ou (tenez vous bien) de la date du document le plus récent figurant dans le même dossier.

Autrement dit, au prétexte d’ajouter au fil des ans un document au dossier du contribuable en question, ce délai pour réclamer un document serait quasiment imprescriptible !

Mettre fin à l’opacité

Cet état de fait permet donc de conclure qu’autrefois toute circulaire interprétative était publique, à savoir dans un souci de transparence et de respect du contradictoire accessible dans le bulletin officiel. Mais qu’aujourd’hui, à l’heure de la digitalisation des outils de contrôle, les circulaires, et les interprétations de circulaire sont remplacés par des algorithmes, et une interprétation de ces algorithmes curieusement non communiquée au justiciable.

L’administration doit s’imposer la même transparence que celle attendue des contribuables à l’occasion de leurs déclarations fiscales.

Par ces logiciels occultes, l’administration remplace ainsi petit à petit toutes les interprétations connues et exploitables de la loi, privant insidieusement le contribuable, et ses avocats, d’informations utiles à la défense de ses droits.

Sous couvert de progrès informatique et de digitalisation des procédures, l’arbitraire n’a alors plus de limite.

Dans cette mort des libertés publiques, l’algorithme autorise potentiellement l’administration à tout justifier à titre expérimental sous couvert de logiciels de chiffres qui n’agissent donc plus du tout par hasard.

Des recommandations de la CNIL non suivies d’effet

Dans ces conditions, il faut d’urgence se conformer à l’avis de la CNIL, alors favorable, à la condition que ce système informatique reste

un outil d’aide et d’orientation des travaux des agents et non pas un outil de profilage destiné à identifier directement des fraudeurs potentiels.

Et de préciser que :

si la lutte contre la fraude fiscale est un objectif à valeur constitutionnelle, la commission estime toutefois, au regard du nombre de personnes concernées et des techniques mises en œuvre, que des garanties appropriées doivent être prévues. À ce titre, le caractère expérimental de cette extension constitue une première garantie, dans la mesure où cela permettra au ministère de déterminer l’opportunité d’un tel dispositif ou les éventuelles améliorations à y apporter. La commission rappelle néanmoins qu’un rapport circonstancié devra être établi et lui être communiqué1.

Force est de constater que ce rapport attendu pour le début de l’année 2019 n’est toujours pas arrivé.

L’administration dispense donc des règles de transparence au contribuable qu’elle ne s’applique pas elle-même.

Par Maître Pierre Farge.
  1. Délibération n°2017-226 du 20 juillet 2017 portant avis sur un projet d’arrêté modifiant l’arrêté du 21 février 2014 portant création par la direction générale des finances publiques d’un traitement automatisé de lutte contre la fraude dénommé « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes ».

 

Ce que le fisc sait de vous | Dossier Le Particulier

Ce que le fisc sait de vous | Dossier Le Particulier

Salaires, pensions, comptes… Certaines de vos données sont transmises automatiquement aux services fiscaux, qui disposent d’outils parfois étonnants pour débusquer les fraudes. Aujourd’hui, on peut ainsi être trahi par Facebook ou sa box internet quand on a menti au fisc sur son train de vie.

Maître Pierre Farge était interrogé dans le cadre de ce dossier paru dans Le Particulier et réalisé par Caroline Mazodier, Marie Pellefigue et Frédérique Schmidiger.

Télécharger le Dossier Le Particulier ce que le fisc sait de vous

De quoi le fisc est-il au courant ? De tout, ou presque. Revenus, charges, train de vie, patrimoine immobilier, comptes bancaires, assurances vie… Même vos photos et vos données publiques sur votre compte Facebook, LinkedIn ou Instagram, viendront bientôt enrichir un vaste entrepôt de données sur votre situation fiscale. Les inspecteurs des impôts n’ont plus besoin de se déplacer ou de vous réclamer des informations.

Depuis leur bureau, sans que vous sachiez être l’objet d’un contrôle, ils sont en mesure de détecter les erreurs ou omissions dans vos déclarations, mais aussi une déduction de frais anormalement élevés ou la possession de comptes à l’étranger non déclarés… Et ce qu’ils ne savent pas ou ce qu’ils souhaitent vérifier, ils peuvent l’obtenir en interrogeant directement votre banque, l’artisan qui a rénové le logement que vous donnez en location, ou même l’agent immobilier à qui vous avez confié sa gestion. Encore faut-il qu’un contrôleur s’intéresse à votre cas.

Avec la baisse continue des effectifs de la direction générale des finances publiques (DGFIP), le fisc concentre ses actions sur les plus gros poissons (gros revenus et ou gros patrimoine), sur les entreprises (fraude au remboursement de TVA ou de crédit recherche) et sur l’évasion fiscale. Les simples salariés et retraités, résidents français, n’ont, de toute façon, jamais vraiment eu les moyens de frauder. Avec l’appui de l’intelligence artificielle, Bercy espère bien rendre plus efficace le contrôle fiscal en détectant des fraudes qui passaient jusqu’alors inaperçues et identifier plus vite les nouveaux montages à cibler. Faut-il craindre la création d’un Big Brother fiscal ? Qui sont vraiment ses cibles ? Notre enquête.

Bercy mise sur l’intelligence artificielle pour mieux vous surveiller

En 2019, l’administration fiscale exploitera les données des réseaux sociaux pour lutter contre l’évasion fiscale, a annoncé Gérald Darmanin en novembre dernier dans l’émission Capital, sur M6. Si la modernisation du fisc avait échappé aux Français, personne ne l’ignore plus après les propos du ministre en charge de l’Action et des Comptes publics. Quelles données précisément seront collectées ? Comment seront-elles traitées ?

Cela reste flou, mais Bercy devra fournir des détails à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) avant de pouvoir faire aboutir son projet. « Si le traitement a une finalité de prévention et de détection des infractions pénales, et ce même à titre expérimental, il doit être autorisé par arrêté pris après avis de la Cnil comme le prévoient les articles 70-3 et 26-I de la loi du 6 janvier 1978 modifiée », a confirmé la commission. Début février, elle n’avait toujours pas été saisie. Il faudra donc attendre la publication au Journal officiel de son avis pour en savoir plus.

23 fichiers et applications informatiques sont exploités pour détecter les fraudes des particuliers. S’y ajoutent les données d’autres organismes (caisses d’allocations familiales, Urssaf…), des douanes, des tribunaux de commerce et d’administrations étrangères (arrêté du 28.8.17, JO du 14.11)

L’utilisation des données

Les agents des impôts exploitaient déjà les nombreuses traces laissées par les contribuables sur internet comme source d’information. La nouveauté, c’est le traitement automatisé de cette masse de données. « La déclaration de Gérald Darmanin vise, sans doute, à marquer les esprits. Un avertissement pour dire qu’on ne peut plus rien cacher au fisc. Mais ces données aspirées sur les réseaux sociaux ne seront pas faciles à traiter », souligne Me Maud Bondiguel, avocate fiscaliste.

Exilé fiscal, la presse people le photographie en France

Un cadre bancaire prend sa retraite par anticipation au Luxembourg, dont il devient résident fiscal. Après quelques mois d’inactivité, il s’ennuie ferme. Il aime découvrir de nouveaux restaurants, faire la fête et passe, en réalité, la majeure partie de son temps en France, dans une petite maison héritée de sa mère. Sa situation fiscale ne présentant pas de complexité (il touche sa retraite au Luxembourg, n’a pas de placements financiers en France, la succession de sa mère est réglée depuis des années), il n’avait pas attiré l’œil du fisc. Jusqu’à ce que la brigade chargée de vérifier la véracité des exils fiscaux des personnalités, qui épluche régulièrement les pages de Paris Match, Gala ou Voici, le repère à plusieurs reprises en arrière-plan, sur les photos publiées dans ces revues.

Le fisc mène l’enquête, l’identifie et prouve une expatriation fictive. À la clé : un redressement fiscal avec intérêts de retard et pénalités ! Moralité : on ne peut pas cacher longtemps sa présence en France si l’on fréquente les lieux à la mode. D’autant qu’à ce petit jeu, les selfies publiés sur les réseaux sociaux vont devenir de véritables mouchards.

Que fera l’administration fiscale de photos de maison ou de voiture de rêve postées sur Facebook ou Instagram ? Elles l’alerteront sur la discordance entre les revenus déclarés et le train de vie des contribuables ou révéleront des gains dissimulés. « La démarche semble renvoyer à la taxation forfaitaire à partir des signes extérieurs de richesse, prévue à l’article 168 du code général des impôts », analyse Me Jérôme Barré, avocat fiscaliste du cabinet Franklin.

La base d’imposition pourra être évaluée d’après le barème forfaitaire fixé à cet article : cinq fois la valeur locative cadastrale de la villa les pieds dans l’eau, le prix du coupé sport neuf…Mais, rappelle l’avocat, « ces photos ne sont pas des preuves. Les contribuables peuvent avoir emprunté ces biens, s’inventer une vie ou avoir été piégés. Le fisc devra réunir d’autres éléments ». La meilleure parade pour éviter une telle intrusion dans votre vie privée reste de paramétrer vos comptes pour limiter la consultation de vos photos et discussions personnelles à vos proches.

L’administration devra obtenir l’autorisation d’un juge pour y avoir accès. Même s’il y a fort à parier que les activités dissimulées, comme le trafic de cigarettes qui prospère sur les réseaux sociaux, intéresseront davantage le fisc et les douanes que vos photos de vacances.

Le contrôle assisté par ordinateur

Que fera l’administration fiscale de photos de maison ou de voiture de rêve postées sur Facebook ou Instagram ? Elles l’alerteront sur la discordance entre les revenus déclarés et le train de vie des contribuables ou révéleront des gains dissimulés. « La démarche semble renvoyer à la taxation forfaitaire à partir des signes extérieurs de richesse, prévue à l’article 168 du code général des impôts », analyse Me Jérôme Barré, avocat fiscaliste du cabinet Franklin pour détecter plus vite les nouveaux montages frauduleux en apprenant des contrôles passés. Cet outil de lutte contre la fraude, d’abord testé sur les entreprises en 2014, a été appliqué à leurs dirigeants et pérennisé en 2016.

Depuis 2017, l’expérience a été étendue aux particuliers, pour 2 ans (arrêté du 28.8.17, JO du 24.11). Les résultats de ce test devraient être présentés à la Cnil courant 2019. On sait déjà qu’en 2018, plus de 24 000 dossiers (entreprises et particuliers confondus) ont été envoyés par le CFVR aux services de contrôle. Mais, à en croire les syndicats des agents des impôts, les résultats ne sont pas probants (du moins, pour le moment). « Nous n’y sommes pas hostiles par principe, mais nous déplorons que sa finalité soit davantage de réduire le nombre de fonctionnaires que de lutter contre la fraude.

Les agents ont de moins en moins de latitude pour lancer des contrôles à leur initiative. Ils ont l’obligation de traiter les listes transmises par le CFVR et s’épuisent à vérifier une masse de dossiers qui peut ne révéler aucune anomalie », rapporte Anne Guyot-Welke, porte-parole du syndicat Solidaires Finances. Elle pointe, par ailleurs, des difficultés techniques qui pourraient fausser les résultats. « Les données collectées à partir des déclarations dématérialisées des contribuables et des actes notariés comportent des erreurs et les bases ne sont pas forcément à jour. Il subsiste aussi des risques d’homonymie, des dates de naissance inexactes… indiquées parfois sciemment à l’ouverture, par exemple, de comptes bancaires, qui perturbent le croisement des données. »

Un algorithme opaque

N’espérez pas que le fisc vous communique les paramètres de l’algorithme qui conduit à vous contrôler. « Cette information n’est obligatoire que si la décision est entièrement automatisée », précise Lorena Gonzalez, de la Cnil. Un manque de transparence que déplore Me Pierre Farge. Cet avocat fiscaliste a tenté, pour un de ses clients contrôlés tous les ans depuis 5 ans, d’obtenir auprès de la DGFIP sa grille d’analyse pour connaître ses critères de sélection.

Sans succès.

« Nous avons fait appel de ce refus auprès de la Cada, la Commission d’accès aux documents administratifs. Mais elle nous a opposé le fait que la communication de ce document porterait atteinte à la recherche d’infractions fiscales. Comble de l’absurdité, elle a précisé qu’il ne serait communicable que 25 ans après la date de la pièce la plus récente figurant dans ce dossier ! Autant dire jamais du vivant du contribuable » s’insurge-t-il.

Le secret du contrôle fiscal est, ainsi, bien protégé. Pas sûr que, dans ces conditions, les libertés publiques, elles, soient préservées.

Dossier réalisé par Caroline Mazodier, Marie Pellefigue et Frédérique Schmidiger.

Tribune pour une protection plus cohérente des lanceurs d’alerte

Tribune pour une protection plus cohérente des lanceurs d’alerte

Entre le sentiment de trahison et le devoir civique, les lanceurs d’alerte prennent de gros risques pour révéler les comportements portant atteinte à l’intérêt général. Comment les protéger ? Pourquoi les dispositifs en vigueur sont-ils insuffisants, voire complètement inefficaces ? Et dans quelle mesure l’opinion publique a-t-elle son mot à dire ?

Tribune de Maître Pierre Farge, publiée initialement dans l’édition Droit du Contentieux et Arbitrage du Journal du Management Juridique n°68 (pages 8 et 9) du 2 janvier 2019, et reprise par Fiscal online, La revue internet de la fiscalité.

Les lanceurs d’alerte œuvrent pour l’intérêt général

« Ma seule motivation est d’informer le public, sur ce qui est fait en son nom, et ce qui est contre lui » se défendait devant le monde entier Edward Snowden lors de ses révélations.

Sans doute le lanceur d’alerte le plus connu de la planète, son expérience témoigne néanmoins de lendemains très difficiles, rendant indispensable une protection pour palier à l’impossibilité de retrouver un emploi, aux procédures bâillon et au quotidien de fugitif.

Tandis que certains soutiennent la crainte d’un marchandage d’informations confidentielles, d’autres mettent en avant le courage d’individus prenant tous les risques pour l’intérêt général et devant à ce titre être protégé.

Le statut des lanceurs d’alerte en France

En France, la loi Sapin II, assure une protection théorique très relative, voire inexistante en pratique : outre une application graduée loin des réalités, cette loi n’apporte pas la garantie essentielle constituée par « une aide financière ou un secours financier » censurée :

  • par le Conseil constitutionnel,
  • de même que récemment par Transparency International France,
  • tout comme la Cour Européenne des droits de l’Homme, rappelant que « le lanceur d’alerte doit agir avant tout, de façon désintéressée, dans l’intérêt général ».

En dépit de cette position qui parait claire et unanime, force est de constater que la même administration française y contrevient.

Deux statuts de lanceurs d’alerte

En effet, le droit français applique deux statuts de lanceurs d’alerte à des individus agissant pourtant au nom du même intérêt général, prenant les mêmes risques, et faisant preuve du même courage :

  • le « lanceur d’alerte » en tant que tel, protégé, comme nous l’avons dit de façon toute relative, par la loi Sapin II ;
  • et l’« informateur fiscal », que l’on peut considérer comme un « lanceur d’alerte du fisc » révélant tout comportement portant une atteinte grave au recouvrement de l’impôt, et dont le statut à ce jour reste à la merci de l’arbitraire de l’administration fiscale.

Expliquons-nous.

Une loi entrée en vigueur en 2017 autorise une indemnisation des informateurs fiscaux (1). Passé inaperçu, son décret d’application (2), renvoyant courageusement à une circulaire ministérielle (3), vient permettre à l’administration fiscale de façon bien discrète, à titre expérimental, pour deux ans, d’indemniser les personnes qui lui communiquent des informations conduisant à la découverte d’une fraude.

Il y a donc ici l’expression d’une totale contradiction constituant à déclarer

  • inconstitutionnelle la « rémunération » des lanceurs d’alerte au titre de la loi Sapin II,
  • mais conforme « l’indemnisation » des informateurs fiscaux au titre d’un autre dispositif législatif.

Il y a ensuite la preuve implicite du malaise créé par cette contradiction puisque l’« indemnisation » des informateurs fiscaux n’apparaît pas clairement dans la loi, qui renvoie à son décret d’application, lui-même renvoyant à un arrêt ministériel évasif.

En d’autres termes, en l’absence de dispositions précises, l’indemnisation est discrétionnaire.

L’indemnisation des lanceurs d’alerte laissée à la discrétion de l’administration fiscale

Et les récents débats parlementaires ne permettent pas de clarifier cette situation (4). En témoigne la question pourtant très claire d’un député au Ministre du Budget demandant la méthode de calcul pour indemniser l’informateur fiscal, à laquelle il était répondu : « l’indemnisation des aviseurs fiscaux (…) est proportionnelle à la qualité de l’information fournie ».

  • Comment calculer cette «  proportion » en l’absence de grille officielle formalisant de quelconques seuils ?
  • Qu’entend-on par « qualité », ou même « information » ?
  • S’agit-il de termes à comprendre comme le ministre les comprend, ou comme les comprennent les services sous sa tutelle censés les appliquer ?

Impossible à savoir. Autrement dit, il est toujours laissé à la discrétion de l’administration, et donc d’une poignée de fonctionnaires, la liberté de fixer le montant de l’indemnisation à la tête du client, quand il récupère quelque chose.

La réponse du Ministre n’en demeure pas moins édifiante puisqu’elle permet de comprendre que l’indemnisation d’un aviseur fiscal dépend du gain recouvré par l’État, faisant ainsi clairement de l’informateur fiscal un individu apprécié dans une logique économique pour sa rentabilité ; plutôt que complètement étranger à tout intérêt financier comme on essaie de s’en défendre pour écarter l’idée d’une rémunération.

Mais il y a pire. Outre cette contradiction et cette imprécision des dispositifs, celui expérimental, initialement pour deux ans, vient d’être pérennisé (5) sans que le régime d’indemnisation des informateurs fiscaux n’ait été clarifié.

Sous couvert d’être expérimental, l’administration fiscale institutionnalise ainsi jusqu’en 2021 un dispositif complètement opaque et dangereux aux informateurs fiscaux, ne disposant d’aucune base légale ou autre garantie.

Le gouvernement doit clarifier le régime d’indemnisation des lanceurs d’alerte

Dans ces conditions, et dans un souci de cohérence, il convient

  • soit définitivement renoncer à toute indemnisation des lanceurs d’alerte, mais dans ce cas aussi des informateurs fiscaux, en cohérence avec les décisions passées du Conseil constitutionnel ; l’on renoncerait alors à un recouvrement grandissant de 80 millions d’euros par an en 2017.
  • soit assumer que les informateurs fiscaux constituent jusqu’à ce jour des lanceurs d’alerte déguisés, et à ce titre les mettre sur un pied d’égalité en terme de protection et en les indemnisant à l’identique, là encore dans un souci de cohérence ; l’on permettrait alors par ces garanties d’accroitre sensiblement le montant de recouvrement à plusieurs centaines de millions d’euros par an.

Dans ce dernier postulat, les deux dispositifs existants relatifs aux lanceurs d’alerte et informateurs fiscaux pourraient être donc fondus dans une protection comparable au modèle britannique du Public Interest Disclosure Act. Eprouvé depuis 1998, ce système offre aux lanceurs d’alerte nationaux

  • une protection contre les représailles telles que les licenciements ainsi qu’un soutien concret tout au long de la procédure judiciaire (mécanisme de prévention),
  • de même que la mise en place d’un dédommagement intégral de la perte éventuelle de revenus et du préjudice moral (mécanisme de réparation).

Cette ambition très concrète, permettant un recouvrement quasi immédiat, serait une preuve de la volonté de transparence et d’exemplarité dans la vie publique, avec sans aucun doute l’appui d’une large majorité parlementaire et le soutien attentif d’une opinion publique de plus en plus exigeante aux questions de moralité financière.

Et en attendant cette refonte de profondeur, le Ministre chargé du budget a les moyens, quasiment du jour au lendemain, de rédiger un nouvel arrêté définissant les critères d’indemnisation chiffrés des informateurs fiscaux, soit en quelques lignes préciser en pourcentage les seuils à concurrence des sommes recouvrées afin de ne plus laisser aucune place à l’arbitraire de l’État.

Par M°Pierre Farge, avocat à la Cour

 

Télécharger cet article en pdf

 

  • (1) Loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, article 109.
  • (2) Décret n° 2017-601 du 21 avril 2017 pris pour l’application de l’article 109.
  • (3) Arrêté du 21 avril 2017 pris pour l’application de l’article 109 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.
  • (4) Débat parlementaire du 18 septembre 2018 relatif au projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale.
  • (5) Amendement 87, du sous-amendement 304, du débat parlementaire du 18 septembre 2018 relatif au projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale.

 

Big brother ou les nouveaux objectifs de l’administration fiscale

Big brother ou les nouveaux objectifs de l’administration fiscale

Dans un récent entretien télévisé, le ministre en charge du budget a enfin reconnu la possibilité au fisc d’utiliser les « données publiques » des réseaux sociaux pour alimenter tous les contrôles de l’administration. Suscitant l’indignation de milliers de contribuables, cette ambition soulève une nouvelle fois la question de la légitimité d’une telle pratique, tant d’un point de vue éthique que juridique. Le point par Pierre Farge, avocat fiscaliste.

Tribune de Pierre Farge publiée dans Fiscalonline

Défaut de base légale à l’annonce du ministre

Après avoir poursuivi les géants du web (Google, Apple, Facebook, Amazon ou GAFA) des années durant, et tenté en vain de redresser leur impôt, voilà que l’administration, qui n’est plus à une contradiction près, collabore avec ces mêmes GAFA pour diligenter ses contrôles.

Invité dans l’émission Capital diffusée dimanche dernier sur M6, le ministre en charge du budget, Gérald Darmanin, a en effet expliqué qu’une « expérimentation » allait être mise en place pour permettre à la lutte contre la fraude menée par l’administration d’utiliser les « données publiques issues des réseaux sociaux », et d’ajouter que ce dispositif serait prévu dans la loi anti-fraude de 2018 entrant en vigueur dès janvier 2019.

Pourtant, ce texte ne prévoit à aucun endroit pareille « expérimentation », laissant ainsi comprendre que cette annonce serait dépourvue, pour l’instant, de toute base légale.

Elle fera donc, selon toute probabilité, l’objet d’un décret ou d’un arrêté ministériel, c’est-à-dire dans la précipitation et au mépris d’une approbation du Parlement symbole de la représentation nationale.

L’utilisation des données imprécises des réseaux sociaux

Dans la pratique, quelle applicabilité donner à l’annonce du ministre ?

Pour répondre, il convient de rappeler que le droit fiscal français considère qu’une personne est résidente en France si elle y séjourne au moins 183 jours par an. Si l’on suit le raisonnement du ministre, son objectif serait donc par exemple de déterminer, via les réseaux sociaux, si d’anciens ressortissants français exilés ne passeraient pas en réalité plus de la moitié de leur temps en France, et ainsi requalifier leur résidence fiscale étrangère pour les imposer sur le territoire.

Pour autant, rappelons le peu de fiabilité à accorder aux données publiées sur les réseaux sociaux :

  • En premier lieu :

Les images publiées en ligne ne sont pas forcément datées ; c’est le cas par exemple des photos publiées sur Instagram. Dans la pratique, un résident belge peut ainsi très bien publier en 2018 autant de photos en France que de jours calendaire alors qu’il a pris des centaines de photos à l’occasion d’un voyage de seulement quelques jours en France.

Si l’on s’en tient au raisonnement du ministre, en s’appuyant comme il le dit sur le réseau social du contribuable, ce dernier serait reconsidéré à tort résident fiscal français, alors que la majorité des jours effectivement passés seraient sur un territoire étranger.

  • En deuxième lieu :

Rappelons que les données publiées sur les réseaux sociaux ne sont que le reflet d’un désir aussi humain que contemporain de « paraître ». Par définition, les photos prises traduisent un story telling dans lequel les objets mis en avant ne sont pas nécessairement propriétés de l’intéressé. Traquer ainsi tout signe extérieur de richesse comme l’annonce le ministre peut donc s’avérer vain.
Un récent dossier a pu illustrer cet état de fait. Il était reproché par exemple entre autres au client d’avoir été au volant d’une voiture de sport témoignant, en apparence, d’un train de vie faramineux, alors qu’en réalité il conduisait le véhicule à la demie-heure en contrepartie de quelques dizaines d’euros payées à une société de location sur un grand axe parisien.

Un dispositif imprécis, et donc dangereux

En outre, rappelons que le propos du ministre d’utiliser les « données publiques » des réseaux sociaux pourrait également signifier,de façon plus insidieuse, une réquisition à l’hébergeur des données dites « derrière la photo », c’est-à-dire celles contenant notamment désinformations confidentielles comme la géolocalisation.

L’administration se servirait ainsi d’un paravent d’informations publiques pour se saisir d’informations relevant de la vie privée.

L’opacité de l’Administration fiscale

Cette ambition du ministre ne vient donc que confirmer l’opacité, déjà dénoncée, de l’administration fiscale à communiquer dans le respect du contradictoire ses algorithmes et l’usage qu’elle fait du big data pour diligenter ses contrôles.

Il convient en effet de rappeler que depuis un décret du 21 février 2014 (3), l’administration dispose d’un traitement automatisé de lutte contre la fraude, dit CFVR ou Ciblage de la Fraude et Valorisation des Requêtes ; mais encore que ce décret concernait initialement les entreprises et les professionnels mais qu’il a été étendu aux particuliers par arrêté du 28 août 2017.

Ce dispositif permet à l’administration de croiser de multiples bases de données afin de modéliser les comportements frauduleux et mener des actions de poursuite d’infractions fiscales. Autrement dit, ce big data permet au fisc d’établir un « profil type » de fraudeur et contrôler tous les particuliers et les entreprises dont le profil se rapprocherait de celui-ci, et ce sans communiquer, au mépris du contradictoire, la façon dont ces algorithmes sont modélisés.

En ajoutant donc ces nouvelles « données publiques » issues des réseaux sociaux, à la manne d’informations déjà à disposition de l’administration, le ministre en charge du budget ne vient donc qu’aggraver l’inquiétude quant à l’usage liberticide des données personnelles.

Par Maître Pierre Farge.

 

La CNIL a d’ailleurs déjà mis en garde le gouvernement en ces termes : « Si la lutte contre la fraude fiscale est un objectif à valeur constitutionnelle, la commission estime toutefois, au regard du nombre de personnes concernées et des techniques mises en œuvre, que des garanties appropriées doivent être prévues. A ce titre, le caractère expérimental de cette extension constitue une première garantie, dans la mesure où cela permettra au ministère de déterminer l’opportunité d’un tel dispositif ou les éventuelles améliorations à y apporter. La commission rappelle néanmoins qu’un rapport circonstancié devra être établi et lui être communiqué »(5).

 

  • [1]Emission Capital, diffusée sur M6, le dimanche 11 novembre à 21h00.
  • [2]Loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.
  • [3]Arrêté du 21 février 2014 portant création par la direction générale des finances publiques d’un traitement automatisé de lutte contre la fraude dénommé « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes (le CFVR) ».
  • [4]Arrêté du 28 août 2017 modifiant l’arrêté du 21 février 2014 portant création par la direction générale des finances publiques d’un traitement automatisé de lutte contre la fraude dénommé « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes ».
  • [5]Délibération n°2017-226 du 20 juillet 2017 portant avis sur un projet d’arrêté modifiant l’arrêté du 21 février 2014 portant création par la direction générale des finances publiques d’un traitement automatisé de lutte contre la fraude dénommé « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes ».
Opacité de l’administration fiscale

Opacité de l’administration fiscale

A grand renfort de politique de transparence dispensée au contribuable, l’administration fiscale est pourtant la dernière à s’appliquer ses propres règles. Témoignage de Pierre Farge, avocat fiscaliste, relatif à l’opacité des algorithmes sur lesquels se fonde l’administration pour diligenter ses contrôles.

Tribune de Maître Pierre Farge, publiée initialement dans Village de la Justice.

Un dispositif expérimental dangereux pour les contribuables.

Le Président de la République, Emmanuel Macron, prévenait voilà peu des « problèmes de confiance démocratique » lié à l’innovation technologique. A ce titre, il déclarait vouloir « mettre à la fois de la transparence et de la loyauté dans le système ». Précis, il entendait notamment par ce « système », « la clé est de mettre partout de la transparence publique sur les algorithmes » utilisés par l’État dans ses contrôles fiscaux. Force est de constater que ce discours n’a pas retenu toute l’attention de l’administration fiscale.

Depuis un arrêté du 28 août 2017, l’Administration fiscale française dispose, à titre expérimental pour deux ans, d’un traitement automatisé de lutte contre la fraude dénommé CFVR. Ce traitement permet à l’Administration fiscale de croiser diverses bases de données et modéliser les comportements frauduleux pour mener des actions de prévention, de recherche, de constatation ou de poursuite d’infractions fiscales.
L’algorithme utilisé dans le cadre de ce traitement est basé sur des techniques de « data mining ». Autrement dit :

  • un ensemble d’outils informatiques opaques permettant pour la première fois la programmation des contrôles fiscaux, l’exploration et l’analyse de différentes données en même temps ;
  • et centralisé sur une seule et unique base informatique pour un ciblage des entreprises laissant présumer un risque d’erreur ou de fraude.

Par la force des choses, cet état de fait permet d’augmenter la productivité de l’administration de façon exponentielle.

Néanmoins conscient de la dangerosité de ce dispositif, et ainsi ne pas porter atteinte de façon trop pérenne aux droits et libertés des contribuables, celui a été mis en place à titre expérimental, pour une durée de deux ans. Mais à quel prix les libertés publiques payent-elle cette efficacité ? Peut-on tout se permettre à titre expérimental ? Dans quelle mesure le droit des contribuables peut-il être respecté par un algorithme tenu secret ? Facilite-t-il la relation de confiance entre l’administration fiscale et les contribuables d’un système qui se veut déclaratif ?

Refus de l’administration.

C’est pour répondre à ces questions que nous avons demandé à l’administration fiscale la communication de la grille d’analyse permettant de connaître les critères de sélection des contribuables contrôlés, et donc une certaine transparence sur les algorithmes utilisés sur des millions de contribuables.

L’Administration fiscale n’a pas donné une suite favorable au prétexte d’une jurisprudence antédiluvienne rendue par le Conseil d’État le 12 décembre 1990, indiquant que l’administration ne doit pas communiquer les « documents révélant les critères » qu’elle retient pour « sélectionner le dossier d’un contribuable » afin de le contrôler. Pareille communication porterait soit disant atteinte à la recherche des infractions fiscales au nom de l’article L. 311-5 du Code des relations entre le public et l’administration.

Las mais non moins déterminé, nous avons donc fait appel en saisissant la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Confirmant le refus, cette initiative a pourtant eu le mérite, dans son « Avis », de témoigner d’une argumentation édifiante de l’administration : « la communication de ces documents porterait atteinte à la recherche, par les services compétents, des infractions fiscales, et par conséquent ne serait pas communicable avant l’expiration d’un délai de vingt-cinq ans à compter de leur élaboration ou (tenez vous bien) de la date du document le plus récent figurant dans le même dossier ». Autrement dit, au prétexte d’ajouter au fil des ans un document au dossier, ce délai pour réclamer un document serait quasiment imprescriptible !

Sortir du silence.

Cet état de fait permet donc de conclure qu’autrefois toute circulaire interprétative était publique, dans un souci de transparence et de respect du contradictoire accessible dans le bulletin officiel. Mais aujourd’hui, à l’heure de la digitalisation des outils de contrôle, les circulaires, et les interprétations de circulaire sont remplacés par des algorithmes, et une interprétation de ces algorithmes curieusement non communiquée au justiciable.
Par ces logiciels occultes, l’administration remplace ainsi petit à petit toutes les interprétations connues et exploitables de la loi, privant insidieusement le contribuable d’informations utiles sous couvert de progrès informatique et de digitalisation des procédures.

Dans cette mort des libertés publiques, l’arbitraire n’a alors plus de limite, l’algorithme autorisant potentiellement l’administration à tout justifier à titre expérimental sous couvert de logiciels de chiffres qui n’agissent donc plus du tout par hasard.

Que faire ?

Dans ces conditions, il faut d’urgence se conformer à la recommandation de la CNIL préconisant depuis plus d’un an un « un haut niveau de transparence » en ces termes : « Si la lutte contre la fraude fiscale est un objectif à valeur constitutionnelle, la commission estime toutefois, au regard du nombre de personnes concernées et des techniques mises en œuvre, que des garanties appropriées doivent être prévues. A ce titre, le caractère expérimental de cette extension constitue une première garantie, dans la mesure où cela permettra au ministère de déterminer l’opportunité d’un tel dispositif ou les éventuelles améliorations à y apporter. La commission rappelle néanmoins qu’un rapport circonstancié devra être établi et lui être communiqué ». [1] Ce rapport très attendu devrait, en théorie, être rendu après une année d’expérimentation, soit après le 1er janvier 2019.

Un tel postulat clair et transparent pour les algorithmes fiscaux serait d’autant plus cohérent qu’il s’alignerait sur la politique souhaitée par le même Président de la République, préconisant la publication de l’algorithme national controversé de sélection universitaire, dit Parcoursup, en avril 2018 alors considéré comme opaque et incompréhensible.

Par Maître Pierre Farge.

Fiscalité Google : Gentleman’s agreement

Fiscalité Google : Gentleman’s agreement

Retour sur le bras de fer fiscal contre Google, et les perspectives en matière de lutte contre l’évasion fiscale

Je défendais dans La Tribune l’inutilité de la perquisition Google en mai 2016 à Paris. Et j’étais bien seul.

Je soutenais qu’une pareille procédure était peine perdue pour redresser le géant américain à grand renfort d’enquêteurs et de brigade anti-corruption intervenant au petit matin pour emporter quelques millions d’octets de documents.

Je terminais ainsi mon billet : « Google ayant les moyens de s’acheter à n’importe quel prix, et à n’importe quel moment de la procédure sa tranquillité judiciaire tout en donnant à un État asservi par ses finances publiques l’illusion de la contrôler ».

Nous y sommes.

Moins d’un an et demi plus tard, voilà que le tribunal administratif de Paris a annulé dans l’été le redressement fiscal de 1,15 milliards d’euros demandé au groupe californien, considérant légal d’exercer une activité en France et de payer ses impôts à l’étranger.

Quoi que l’administration ait fait appel pour garder la face, et le poids qui lui reste, celle-ci cède à Google en négociant en ce moment l’abandon des poursuites contre un chiffre tenu secret.

Instructions de l’Elysée : un signal fort de négocier avec les GAFA

Secret car l’administration française ne veut pas se ridiculiser sur le montant de la transaction, l’entreprise californienne s’engageant quant à elle à ne rien révéler.

Ce « gentleman’s agreement », plus sérieusement appelé « ruling», consiste pour l’État à valider un projet d’optimisation fiscale garantissant qu’aucun redressement contraire à cet accord ne sera opéré. Après mûre négociation, celui-ci dispose d’une redevance très basse mais toutefois plus élevée que si l’accord n’avait pas existé.

Il est en effet préférable en ce début de mandat présidentiel de recouvrer tout de suite une transaction de quelques centaines de millions d’euros épongeant, au possible, une dette publique plus élevée que jamais, plutôt que de se lancer dans un long contentieux qui retarderait le recouvrement de l’impôt et profiterait à une prochaine législature.

Qui plus est, politiquement, contribuer d’en haut aux efforts collectifs pour boucler le prochain budget permet de se placer du côté de l’opinion, plutôt que de toujours demander plus bas aux collectivités locales de se serrer la ceinture pour participer aux économies souhaitées par le Gouvernement.

Inspiration du pragmatisme américain

Cette pratique inédite, pour la première fois publiquement acceptée en France, s’inspire du pragmatisme de l’administration fiscale américaine, qui s’étend depuis quelques mois à certains pays européens comme l’Italie transigeant à hauteur de 306 millions d’euros pour les bénéfices réalisés entre 2009 et 2013, ou comme la Grande-Bretagne acceptant 168 millions d’euros pour la période de 2005 à 2015.

Velléités politiques

Néanmoins, ce revirement de politique fiscale ne plaît pas à tout le monde.

Le Ministre de l’Économie Bruno Le Maire s’en est immédiatement insurgé et tempère les instructions présidentielles.

Il s’était notamment engagé à négocier dès le 15 septembre au prochain Conseil des ministres européens un accord avec l’Allemagne susceptible de donner une impulsion au niveau de l’Union au mois de décembre en matière de lutte contre les pratiques fiscales du numérique. Néanmoins, force est de constater qu’à ce jour, rien de concret n’est à prévoir d’ici la fin de l’année.

Cette velléité est aussi peu crédible que l’OCDE et la Commission européenne se sont déjà emparées de ces questions fiscales depuis 2008, promettant beaucoup mais réalisant peu.

La question capitale du numérique exclue du projet BEPS

Et pour cause, je me souviens au cours des négociations de l’OCDE dans le cadre du projet de lutte contre l’érosion des bases fiscales (BEPS), des représentants de la France tentant de faire accepter la notion de « présence fiscale numérique comme constitutive d’un établissement stable », c’est-à-dire l’idée que, même en l’absence de toute présence physique, une entreprise aurait une présence fiscale imposable à partir d’un certain niveau d’activité numérique en France.

Je me suis alors stupéfié de constater que cette tentative ait échoué du seul fait de l’opposition des États-Unis, et du G20 de l’époque convenant étrangement à cette position, excluant du même coup la problématique du numérique la plus importante de toutes.

Le « reporting pays par pays » vidé de substance

De même, le « reporting» pays par pays promis par l’OCDE visait à faire état pour toute multinationale de la nature de l’activité, du chiffre d’affaires qu’elle génère et des effectifs en personnel par filiales afin d’identifier, à la simple lecture des rapports annuels, les éventuelles coquilles vides.

Ce dispositif était censé permettre de ne plus faire apparaître artificiellement les profits dans les paradis fiscaux et les pertes dans les pays à forte fiscalité, du moins à les ventiler par région, de telle façon qu’il soit impossible de savoir aujourd’hui où les profits seraient effectivement réalisés.

Néanmoins, en incluant une clause de sauvegarde, ardemment négociée, la directive comporte une faille importante exploitable par les entreprises pour continuer à cacher leurs montages fiscaux. Celles-ci peuvent en effet échapper à l’obligation de transparence à la faveur d’une clause leur permettant de demander une exemption pour protéger leurs intérêts commerciaux. Autrement dit, en pratique, les sociétés peuvent donc choisir, au prétexte de la protection des informations commercialement sensibles,ce qu’elles échangent.

C’est donc encore une fois le statu quo, mais cette fois après du temps et de l’argent engloutis par nos organisations internationales.

Un impôt sur les sociétés à 25% inenvisageable

Derechef, d’autres promesses encore plus irréalisables sont lancées à la hâte. A savoir, par exemple, ramener l’impôt sur les sociétés à 25% – contre 33% actuellement – afin de rejoindre la moyenne européenne et ainsi être plus compétitif. Si cette ambition est en théorie louable, elle ne résout pas le taux d’imposition irlandais de 12% qui continuera d’attirer les entreprises du numérique et autres start-up, sans rien changer au manque à gagner des autres états.

Un impôt européen sur les sociétés improbable

Quant à la question d’envisager une approche harmonisée du taux d’imposition au niveau européen selon une assiette commune consolidée pour l’IS qui résoudrait ce premier problème, c’est encore une fois théorique car celle-ci nécessite un vote du Parlement… et donc l’unanimité des États membres, c’est-à-dire de l’Irlande qui n’est pas prêt de couper la branche sur laquelle elle est assise en signant pour un impôt au moins du double à celui en vigueur.

***

Dans la mesure où une organisation internationale (l’OCDE) et un sommet (le G20) ont échoué en près de dix ans avec les moyens qui sont les leurs, j’ai du mal à croire qu’un Ministre de l’Économie fasse bouger quoi que ce soit en quelques mois à la seule force de ses promesses.

Cela dit, me direz-vous, à ce compte-là, on ne fait plus rien…

Et bien non, on continue de faire, mais dans un autre sens, plus modeste, et plus efficace.

Dans la mesure où nous sommes dans un avion en vol, et qu’il faut des solutions à très court terme, on se concentre sur ce qui serait immédiatement réalisable. A savoir,par exemple, une meilleure coordination interministérielle et financière.

Une plus grande coordination interministérielle et financière

First things first, commençons au niveau national par coordonner tous les organes décideurs censés appréhender la taxation de l’économie numérique.

Tout d’abord des ministères. Le Premier d’entre eux doit fixer des objectifs à court terme à ses ministres, tous concernés par l’économie numérique.

Dans ce sens, l’Office central de lutte contre la fraude et la corruption doit disposer davantage de moyens issus des ministères de l’Intérieur, de la Justice et des Finances. Une telle collaboration permettrait de mettre en commun les budgets de certains ministères et accroître la force des autorités.

Il m’est également évident que l’administration fiscale doit travailler avec la Justice, et le parquet, disposant de plus de moyens.

Ce travail interministériel ne doit pas non plus ignorer la CNIL afin de rendre plus rapide l’utilisation des nouveaux outils informatiques de lutte contre la fraude et de mesures des données collectées par les entreprises du numérique.

Enfin,les diverses administrations en charge des dossiers de fraude fiscale internationale n’échangent que trop peu d’informations entre elles (pour le meilleur de mes clients). La direction générale des finances publiques (DGFIP)ne s’appuie que très rarement surla direction du renseignement intérieur (DCRI) ou sur la cellule française de lutte contre le blanchiment (TRACFIN).

Ce postulat permettrait d’ailleurs de donner davantage de moyens au nouveau statut de Procureur financier.

Sans préjuger des actions contradictoires du Président de la République donnant instruction de négocier avec les entreprises du numérique dans un souci de court terme, et d’un Gouvernement essayant de les attaquer dans un souci de (très) long terme, il est donc possible quasi-immédiatement d’assurer un meilleur recouvrement de l’impôt par une coordination plus efficace des services existants.

Et comme l’on négociera encore très longtemps avant que les actions du Gouvernement portent leur fruit, cette ambition a toutes ses raisons d’aboutir.

Je vous l’écris, et m’engage même à le rappeler en reprenant ce propos pour introduire mon prochain billet.

Oh, le bel article qui finit comme il a commencé !

Pierre Farge, avocat spécialisé en contentieux et droit pénal fiscal.

Un avocat soupçonne l’administration fiscale d’avoir hacké ses données

Un avocat soupçonne l’administration fiscale d’avoir hacké ses données

Pierre Farge, avocat au barreau de Paris, était l’invité de Seul contre Tous dans le Grand Matin Sud Radio. Alors qu’il défendait, en tenant secret son nom, un lanceur d’alerte qui voulait révéler des pratiques frauduleuses, il explique pour la première fois sur Sud Radio que la base de données de son cabinet a été piratée et que l’administration fiscale a directement pris contact avec son client.

Quelle protection pour les lanceurs d’alerte ? Après le vote de la loi Secret des Affaires à l’Assemblée nationale, les voix continuent de s’élever pour dénoncer une législation d’affichage, que ce soit à travers ce texte ou avec la loi Sapin II votée sous la précédente majorité.

Invité de l’émission Seul contre Tous sur Sud Radio, l’avocat au barreau de Paris Pierre Farge a relaté une expérience récente montrant une réalité beaucoup plus obscure que l’affichage politique autour de ces différents textes de loi.

Un de ses clients est en possession d’informations sur des pratiques frauduleuses pouvant intéresser l’administration fiscale. Me Farge a donc pris contact avec « une antenne de Bercy » pour « négocier la façon dont on leur remettait ces informations, comment on sécurisait cette opération et comment on pouvait indemniser ce lanceur d’alerte ».

Les précédents Stéphanie Gibaud, Hervé Falciani ou Antoine Deltour

Une indemnisation qui n’a pas pour but de récompenser un acte de civisme, ni « de faire des lanceurs d’alerte des gens cupides », mais simplement de leur assurer une protection financière face aux retombées que peuvent avoir leur révélations sur leur emploi.

Le cas de Stéphanie Gibaud, qui est intervenue à l’antenne pour rappeler qu’elle avait refusé d’obéir à l’ordre de détruire des documents traduisant l’évasion fiscale de nombreux clients de la banque UBS, son employeur à l’époque, et a ainsi permis à l’État français de remettre la main sur plusieurs centaines de millions d’euros qui fuyaient vers des paradis fiscaux, en est la parfaite illustration. Elle a ensuite été licenciée d’un poste de cadre, poursuivie en justice et se retrouve aujourd’hui au RSA.

« Fort de l’expérience de Stéphanie Gibaud, j’ai voulu me rapprocher de l’administration pour voir comment bénéficier des nouveaux dispositifs législatifs en vigueur et voir la façon dont on pouvait négocier une enveloppe pour être indemnisé et assurer une transition entre l’emploi actuel de mon client et le suivant », a poursuivi Pierre Farge.

C’est alors qu’après un entretien informel avec l’administration fiscale, non contente que l’avocat tienne confidentiels le nom et les données de son client pour le protéger, il a réalisé « que la base de données de [son] cabinet d’avocats avait été hackée, que le nom du lanceur d’alerte avait été extrait, qu’on avait pris son email et que l’administration lui avait envoyé un mail pour l’inviter, en substance, à ne plus passer par un avocat mais à les contacter directement. »

Ce sont des pratiques dignes des pires Républiques bananières. Comment un fonctionnaire à la tête d’un service public peut-il se permettre une telle dérive ?

Une administration fiscale qui « n’a pas admis » que l’avocat tienne à préserver l’anonymat de son client. « L’administration fiscale n’a pu obtenir le nom de mon client et son email qu’en fouillant dans des dizaines de dossiers de ma base de données, procédé nécessairement illégal. Et ça ne s’est pas arrêté là, a poursuivi Pierre Farge. Mes téléphones portables se sont mis à buguer constamment, au point que je n’arrivais plus à les éteindre. Le lendemain, le site internet de mon cabinet ne fonctionnait plus, mes cartes bleues non plus. Je ne suis pas paranoïaque, mais mon site existe depuis 4 ans et je n’ai eu aucun problème d’envergure jusque-là. J’ai du mal à y voir le fruit du hasard. »

Il parle donc aujourd’hui « d’intimidation de l’administration fiscale«  et n’entend pas en rester là : « J’ai déposé une main courante, j’ai fait des constats d’huissiers (…) Ce sont des pratiques dignes des pires Républiques bananières. Le secret professionnel des avocats est un des piliers de la démocratie. Comment un fonctionnaire à la tête d’un service public peut-il se permettre une telle dérive ? J’ai posé la question au ministre, j’attends une réponse. »

Les paradis fiscaux ne sont pas un problème de riches

Les paradis fiscaux ne sont pas un problème de riches

Trou noir de l’économie mondiale, le manque à gagner causé par les paradis fiscaux n’épargne pas le Tiers-Monde, et notamment l’Afrique. Pourtant, ces pays demeurent les grands oubliés des réformes sur la fiscalité internationale en matière de lutte contre la fraude.

Tribune de Pierre Farge, publiée dans Afrique Presse

Nous savons à longueur de journaux télévisés et d’articles de presse que des millions de manque à gagner échappent aux caisses de l’État de nos pays riches en raison des dommages causés, notamment, par l’économie numérique en matière d’évasion fiscale.

Mais nous ignorons que l’offshore fait aussi perdre au pays en développement (PED), au point que se sont eux qui en proportion subissent le plus de dommages.

Les Nord sont ainsi les premiers à bénéficier des paradis fiscaux. Veillant à rester fiscalement compétitifs entre eux, cherchant chacun à défendre leurs avantages fiscaux concurrentiels, ils constituent un véritable fléau budgétaire pour les Sud, spoliés des recettes fiscales qui leur permettraient de se développer.

Si l’évasion fiscale nuit au pays riches, elle tue les plus pauvres

Et pour cause, ces derniers ne disposent pas de moyens suffisants – économiques et a fortiori juridiques – pour faire face à ce mal. Ils sont ainsi contraints de recourir au cercle vicieux de l’endettement, de s’en remettre aux ambigüités de l’aide des pays riches, en somme d’abandonner leur souveraineté et mourir de faim.

L’offshore fait en effet perdre aux Tiers-Monde 125 milliards d’euros de recettes fiscales, soit cinq fois le montant nécessaire estimé par la FAO pour éradiquer la faim dans la monde.

Le Tiers-Monde

Cette estimation certainement sous-évaluée rappelle la corrélation entre le développement des législations offshore et l’accroissement des dettes du Tiers-Monde: le montage des dettes publiques du Tiers-Monde correspondait presque exactement au montant des avoirs privés que les élites de ces pays possédaient aux États-Unis et dans d’autres paradis fiscaux comme le démontre dans son ouvrage de référence N. Shaxson.

L’Afrique, grand oublié des paradis fiscaux et pourtant le plus prometteur des continents

Fléau des Sud en général mais d’Afrique en particulier, l’offshore explique à lui seul la pauvreté endémique du continent, pourtant le plus prometteur de la planète (une richesse en matières premières inégalée – pétrole, minerais, produits agricoles -, une croissance exceptionnelle à deux chiffres dans sa partie subsaharienne, une population supérieure à 2 milliards d’habitants d’ici 2050, qui plus est incroyablement jeune – 43 % des Africains subsahariens seront âgés de moins de 15 ans).

Pourtant, selon un rapport de l’Union africaine, le continent a perdu plus de 1000 milliards de dollars au cours de 50 dernières années à cause de l’évasion fiscale ; ce que confirme d’ailleurs les chiffres les plus prudents de l’ONG Global Financial Integrity, du FMI et de la BRI. Et ce qui représente près de 10 fois le montant de l’aide publique au développement versée par les pays industrialisés. Soit dix dollars pour chaque dollar reçu au titre de l’aide étrangère, expliquant le phénomène communément appelé la « fatigue des donneurs » : cette lassitude des opinions de pays développés à voir leurs contributions dilapidées par des institutions locales corrompues ou inefficaces.

Exemples d’évasion fiscale au détriment des pays africains

Un exemple ? Pour ne citer personne, Areva exploite l’uranium nigérian depuis plus de 40 ans. Au hasard, en 2012, la société faisait perdre seize millions d’euros en négociant de façon agressive des exonérations de TVA, en dépit d’un résultat pourtant largement positif pour la même année au niveau consolidé.

Un autre exemple ? Les matières premières sont transformées et revendues à l’Afrique sans qu’aucun profit ou emploi ne reste sur le continent. Certains dirigeants africains opacifient le produit de ces matières premières, transformant les aides et emprunts internationaux sur des comptes offshore personnels, pour s’enrichir avec la dette de leur pays, ou encore contourner les embargos économiques internationaux, comme M. Gaydamak en son temps en Angola.

Encore un exemple ? Les industriels occidentaux ont bénéficié, sous couvert d’une politique du FMI de désendettement dans les années 1990 incitant à la privatisation, du droit offshore pour racheter à bas coût les actifs du pays. C’est ainsi que des secteurs entiers furent attribués aux industriels occidentaux. Dans le cadre des relations Françafrique, certains entrepreneurs français ont ainsi servis leur essor financier en développant leurs activités sur le continent africain. Inutile de les citer, aucun de ceux auxquels vous pensez en lisant ces lignes ne fait exception.

Un dernier exemple ? Ces jours-ci, la presse révélait comment Isabel dos Santos, la fille du Président de la République d’Angola, obtenait sans appel d’offres, via une société offshore à Hong Kong, près de 40 % d’un contrat de 4,5 milliards de dollars pour la construction d’un barrage, approuvé par un décret signé par son père en 2015. Le sens de la famille me direz-vous ?

Cet état de fait développé et généralisé dans le temps affaiblit le produit intérieur brut de nombreux pays en proportion de la place des flux illicites, à savoir 12 % en Mauritanie, 20 % au Tchad ou encore 25 % en République du Congo, le Ghana estimant quant à lui que l’évasion fiscale lui coûte 50 % de son budget annuel.

Colonialisme moderne ; pillage des matières premières ; ingérences économique et juridique ; politique d’appropriation par les industriels occidentaux, aucun des outils mis en place ces dix dernières années pour lutter contre l’évasion fiscale n’a permis d’inverser cette tendance.

« Reporting pays par pays » vidé de substance

Il a par exemple été pensé d’obliger les multinationales à rendre compte de leurs activités pays par pays, afin de détecter les pratiques d’évasion fiscale, et ainsi permettre aux pays en développement de renforcer leur contrôle sur les multinationales opérant chez eux. Il n’en est rien.

Le texte adopté par les élus européens prévoit certes que les multinationales dévoilent enfin la nature de l’activité, du chiffre d’affaires et des effectifs en personnel par filiales afin d’identifier, à la simple lecture des rapports annuels, les éventuelles coquilles vides.

Néanmoins, en incluant une clause de sauvegarde, ardemment négociée, la directive comporte une faille importante exploitable par les entreprises pour continuer à cacher leurs opérations peu scrupuleuses.

Autrement dit, en pratique, les sociétés peuvent choisir, au prétexte de la protection des informations commercialement sensibles, les informations qu’elles échangent.

La mauvaise volonté – en tout cas l’inefficacité – des pays riches à disposer de normes contraignantes est à ce point évidente que certains états africains, sans d’autres choix, et dans la même logique concurrentielle, s’essayent en paradis fiscaux.

Les nouveaux paradis fiscaux africains : Gambie, Botswana, Liberia

Il est en effet compréhensible, en vertu du principe de souveraineté, que certains de ces pays pauvres proposent des services offshore dans une perspective de développement économique. Prenez l’exemple de la Gambie se présentant depuis quelques mois comme centre offshore, en faisant savoir que ses banques de Banjul seraient bientôt en mesure d’offrir les outils nécessaires à tout candidat à l’évasion fiscale.

Le Botswana et le Libéria tentent de s’aligner et figuraient d’ailleurs il y a peu sur la liste des paradis fiscaux de l’OCDE, avant de s’engager à des promesses (qui ne seront pas tenues) dans le seul but de gagner du temps. Dans la mesure où les grands projets internationaux de lutte contre l’évasion fiscale ont tous échoué en près de dix ans, voire, pire, que de nouveaux paradis fiscaux apparaissent, la solution la plus crédible pour les circonscrire est donc ailleurs.

Une meilleure protection des lanceurs d’alerte

Qui d’autre que les lanceurs d’alerte pour révéler la structuration réelle des entreprises, de loin les principales coupables des sorties illicites de capitaux ? Qui d’autre que quelqu’un de l’intérieur ?

Lorsque les sociétés en auront assez d’être mises au ban de la communauté internationale par la multiplication des révélations de leurs employés, et de payer de lourdes amendes pour les détournements révélés, il est logique que, craignant toutes la taupe, celles-ci s’interdiront la moindre dérive.

Ce raisonnement obéit à une pure logique libérale : les entreprises s’auto réguleraient d’elles-mêmes, apportant la stabilisation du droit dans le monde, et de l’Etat de droit dans les pays africains. Pour généraliser ces pratiques, les lanceurs d’alerte doivent être mieux protégés.

Souvenons-nous de Nicole-Marie Meyer, cette fonctionnaire du Quai d’Orsay envoyée en Afrique révélant les errements du Ministère des affaires étrangères employant, entre autres, soixante-et-une personnes sans contrat de travail, sans caisse d’assurance maladie et sans retraite. Perdant sa place à défaut d’anonymat de son alerte, elle s’est depuis engagée aux côtés de l’ONG Transparency international afin de faire progresser les législations protégeant les lanceurs d’alerte de par le monde.

Et pour cause, le cadre juridique censé protéger les lanceurs d’alerte est extrêmement faible. L’Afrique ne fait pas exception puisque seuls 7 pays sur 54 ont adopté des lois de protection des lanceurs d’alerte, contre 11 sur 28 en Europe.

Partant de ce postulat, a été lancé en mars dernier à Dakar une initiative enfin efficace.

Un collectif d’ONG, d’avocats, de juristes, de magistrats et de journalistes de diverses nationalités, créant une Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (Pplaaf) proposant une assistance technique, juridique et médiatique aux lanceurs d’alerte avant, pendant et après le lancement d’alerte.

Et cela fonctionne : en seulement trois mois, cette nouvelle plateforme a permis les « GuptaLeaks », révélant près de 200 000 courriels et documents partagés avec la presse française dont certains ont déjà fait l’objet d’enquêtes entraînant des investigations en cascade en Afrique du Sud.

Apportant la stabilisation du droit et de l’Etat de droit, ce type d’initiative promet donc à moindre coût un renversement extrêmement rapide du paradigme à même de rendre à l’Afrique tout son potentiel de développement aux réseaux de financement et d’entrepreneurs.

Par Maître Pierre Farge.