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Actualités Farge Associés

Actualités du Cabinet et de Pierre Farge, avocat associé fondateur :
lanceurs d’alerte, droit fiscal, droit pénal, pro-bono, culture…

Pierre Farge dénonce l’inertie du Parquet National Financier

Pierre Farge dénonce l’inertie du Parquet National Financier

Saisi par un ancien agent des douanes, lanceur d’alerte dans un dossier mettant en cause son administration et CapGemini pour violation du secret fiscal, l’avocat Pierre Farge dénonce l’inertie du Parquet National Financier.

Dans son édition des 3-4 juillet 2022, Le Monde a publié une nouvelle enquête, signée Manon Romain et Maxime Vaudano, sur la mainmise des Cabinets de Conseil, notamment Capgemini, dans l’administration française depuis 2017.

Le recours aux prestations du cabinet américain McKinsey par l’administration française avait soulevé un tollé dans la presse durant la campagne de l’élection présidentielle.

Mais l’externalisation de missions de service public au cabinet de conseil français Capgemini, qui a totalisé 1,1 Milliard d’euros de contrats publics depuis 2017, soulève tout autant l’indignation.

Et ce n’est pas qu’une question d’argent, cela pose également de graves problèmes de confidentialité des données communiquées par l’administration à ce prestataire externe, en particulier dans le domaine fiscal.

Lire l’article sur le site du Monde 

Aux douanes l'embarrassante mission secrète de Capgemini

Dans cet article paru dans Le Monde, je dénonce l’inertie coupable du Parquet national Financier : « Je suis indigné de voir une telle inertie judiciaire face au courage de mon client lanceur d’alerte, qui dénonce des faits d’intérêt public incontestables » 

Je représente en effet un ancien agent des douanes lanceur d’alerte. Ce fonctionnaire a d’abord dénoncé les faits auprès de sa hiérarchie aux Douanes, laquelle n’a pas réagi.  Devant la gravité des faits en cause, il s’est vu contraint de porter plainte pour violation du secret fiscal au Parquet national Financier contre les Douanes et CapGemini : or le PNF n’a ouvert aucune enquête depuis 8 mois ! 

Maître Pierre Farge, avocat des lanceurs d’alerte.

Coronavirus : comment concilier sécurité et respect des libertés ?

Coronavirus : comment concilier sécurité et respect des libertés ?

Comment protéger les libertés individuelles tout en garantissant la sécurité des citoyens ? Les élections municipales peuvent-elles être reportées ?

Tribune de Maître Pierre Farge publiée dans Contrepoints

Coronavirus : comment concilier sécurité et respect des libertés ?

A l’heure du renforcement d’une politique d’urgence, les mesures contraignantes prises pour tenter d’endiguer l’épidémie de Coronavirus interrogent sur la capacité de nos gouvernants à arbitrer entre liberté et sécurité, et à les faire respecter. Comment protéger les libertés individuelles tout en garantissant la sécurité des citoyens ? Les élections municipales peuvent-elles être reportées ?  L’avocat Pierre Farge, fervent défenseur des libertés publiques, nous répond au lendemain de l’annonce du confinement.

Des mesures exceptionnelles

Chaque jour les mesures du gouvernement se durcissent.

Face à la pandémie, et des mesures exceptionnelles pour l’endiguer, la question de la garantie des droits et libertés individuels reste primordiale.

Chaque pays improvise des réponses dans la précipitation, témoignant une fois de plus d’une Europe économique, incapable de construire une Europe politique et sanitaire pour agir ensemble devant la gravité de la menace.

Il semble impératif de restreindre nos libertés de circulation ; comment interdire la tenue de manifestations, ou de regroupements quels qu’ils soient, comment fermer des écoles, sans porter atteinte à nos droits fondamentaux, et à nos libertés individuelles ? Faut-il imiter la Chine ou la Corée en ordonnant un confinement strict ?

Mais, faut-il au nom de l’efficacité de la lutte contre l’épidémie, et au mépris du secret médical, révéler, par exemple, l’identité des personnes infectées ?

Le Code de la Santé répond à cette question : l’État d’urgence ne dispense pas du respect de la vie privée des personnes, et de la confidentialité des informations relatives à la santé, et interdit par exemple à l’employeur de prendre la température de son employé.

Trouver l’équilibre entre sécurité et liberté

L’objectif reste donc de trouver un équilibre entre sécurité et liberté.

La propagation exponentielle de l’épidémie interdit, aujourd’hui, tout rassemblement, c’est à dire une restriction totale des libertés de circulation et de réunion. A ce jour, constatons que les arrêtés (*) sont pris dans le respect du droit, et ne sont pas disproportionnés, en raison notamment de leur courte durée dans le temps et dans l’espace.

Mais cela va-t-il durer ? Très probablement, non.

La fermeture systématique des frontières au nom du principe de précaution, en plus d’être une atteinte à la liberté de circulation est une restriction inutile.

La liberté doit être défendue mais l’efficacité médicale doit prédominer.

Les organisations de défense des droits de l’homme sont sur ce sujet assez silencieuses.

La CNIL a publié un mémorandum sur les collectes de données personnelles liées à l’épidémie (*).
Elle y souligne que les données de santé sont des données protégées. Afin d’éviter d’éventuelles dérives, elle rappelle aux employeurs privés et publics ce qui leur est permis ou interdit concernant l’utilisation des données personnelles de leurs salariés. Elle recommande, ainsi le télétravail tout en alertant l’importance de ne pas porter atteinte au respect de la vie privée.

Le CCNE, Comité consultatif national d’éthique, a également été saisi pour rendre un rapport sur l’équilibre entre impératif de santé publique et respect des droits humains fondamentaux. Il a rendu son avis le 13 mars 2020.

Le maintien des élections

D’autre part, dans un tel contexte, fallait-il maintenir les élections municipales de dimanche au prétexte d’impératifs démocratiques, au lieu de les reporter d’un an comme l’a fait l’Angleterre ? Comment de telles circonstances sanitaires permettent-elles de garantir un vote en confiance ?

L’enjeu de santé publique s’impose à l’enjeu démocratique.

Le premier tour s’est déroulé dimanche 15 mars, mais un éventuel report du second tour est possible d’un point de vue constitutionnel.  Ce report rendra le premier tour caduc et obligerait les électeurs à voter à nouveau pour les deux tours.

Le vote d’une loi, même en cas de recours à l’état d’urgence, serait nécessaire par le Parlement réuni en session extraordinaire, pour protéger le mandat des conseillers municipaux sortants. Les élections municipales forment un bloc, le second tour n’est pas dissociable du premier, le code électoral est explicite sur ce point.

Avec une courbe de contamination qui suit celle de l’Italie, avant ses mesures drastiques, nous nous sommes cachés derrière le prétexte de velléités politiques pour repousser des mesures de confinement, qui auraient dû être adoptées déjà depuis plusieurs jours, sinon plusieurs semaines.

Pire, les bases scientifiques supposées justifier cette décision du Président de la République de maintenir les élections municipales n’ont curieusement jamais été rendues publiques.

Dans ces conditions, et sachant que le pic de contamination ne sera atteint que dans 50 jours, le confinement généralisé ne semble pas disproportionné.

Il revient donc d’accepter cet état d’exception sanitaire qui touche notre rapport à notre manière de vivre, de consommer, de travailler, et d’une manière générale à la mondialisation. Il oblige aussi à nous positionner sur l’étendue de nos libertés publiques, quitte à en suspendre certaines, tout en maintenant notre droit au secret médical.

En cela, il nous rappelle ce mot de Montesquieu énonçant déjà dans l’Esprit des Lois qu’« il y a des cas où il faut mettre, pour un moment, un voile sur la liberté, comme l’on cache les statues des Dieux ».

Pierre Farge, avocat au Barreau de Paris

 

(*) Références

Arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19
Arrêté du 15 mars 2020 complétant l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19.
Arrêté du 16 mars 2020 complétant l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 (NOR : SSAZ2007862A)
Décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19
– Coronavirus (Covid-19) : les rappels de la CNIL sur la collecte de données personnelles

Coronavirus les mesures de confinement au 17 mars 2020

 

Internet ou mémoire éternelle : aucun droit au déréférencement

Internet ou mémoire éternelle : aucun droit au déréférencement

Une décision européenne s’est prononcée récemment sur la question du droit au déréférencement sur internet, c’est-à-dire de notre possibilité de supprimer les liens pointant vers des pages web contenant des données personnelles nous concernant.

Article de Maître Pierre Farge et Manon Bourhis publié sur Contrepoints.

La décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 24 septembre 2019 (*) pose la question de l’application du droit de l’Union européenne dans le reste du monde, droit qui par vocation n’a normalement à s’appliquer qu’à l’intérieur de celle-ci.

Le droit au déréférencement se définit comme la possibilité de demander au moteur de recherche de désindexer une page internet produite par une requête formulée avec son nom et prénom, autrement dit : ne plus voir apparaître un résultat suite à une recherche effectuée avec les éléments constituant son identité, le contenu de la page web initial en reste inchangé ; à ne pas confondre avec l’effacement, à savoir la suppression de l’information sur le site original.

En pratique, le déréférencement est souvent demandé lorsque l’auteur de la page web ayant publié l’information a d’ores et déjà refusé de changer son contenu.

La création récente du droit au déréférencement

Découlant d’une directive sur la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel du 24 octobre 1995, une décision rendue le 13 mai 2014 par la Cour de Justice de l’Union européenne a créé le droit au déréférencement.

Cette décision aussi appelée l’« Affaire Google Spain » a marqué un tournant dans le cadre du droit numérique en admettant la responsabilité des moteurs de recherche dans le traitement des données.

Cette décision vient d’être rappelée, et précisée récemment par un arrêt européen (CJUE, 24 septembre 2019*).

Des précisions allant contre les libertés publiques

L’Union européenne rappelle ainsi qu’il existe encore des zones d’ombre dans la délimitation tant géographique que matérielle du droit au déréférencement.
En effet, si la CNIL affirme que le déréférencement doit avoir lieu sur l’ensemble des extensions du moteur de recherche, Google considère de façon singulière qu’un effet national ou régional suffirait.

Comme si les barrières d’internet étaient nationales ou régionales, la société a en effet soutenu, contre tout bon sens, qu’elle effectuait un géo-blocage consistant à rediriger systématiquement les sites internet vers l’extension nationale ; autrement dit refuser l’accès à la recherche déréférencée uniquement à l’intérieur de l’État en question.

Un tel postulat est d’autant plus absurde que l’on sait qu’il suffit à tout un chacun d’installer un réseau privé virtuel (VPN) pour préserver son anonymat et donc contourner traîtreusement l’indication géographique.

La question de l’application extra-territoriale d’une décision européenne

Au-delà de l’aspect pratique, la décision de septembre 2019 pose la question de l’application du droit de l’Union européenne dans le reste du monde, droit qui par vocation n’a normalement à s’appliquer qu’à l’intérieur de celle-ci.

En effet, la Cour de justice a d’abord estimé que le déréférencement dans un pays européen doit donner lieu à une application, non pas nationale, mais européenne.
Elle considère également que le droit communautaire ne peut pas obliger un moteur de recherche a effectué un déréférencement mondial.

Fort de ces avancées, cette décision européenne incite depuis Google dans huit cas récents sur treize à procéder lui-même au déréférencement à l’origine du litige avant même que le juge ne statue.

Maître Pierre Farge et Manon Bourhis

 

Référence

(*) ARRÊT DE LA COUR (grande chambre) du 24 septembre 2019 « Renvoi préjudiciel – Données à caractère personnel – Protection des personnes physiques à l’égard du traitement de ces données – Directive 95/46/CE – Règlement (UE) 2016/679 – Moteurs de recherche sur Internet – Traitement des données figurant sur des pages web – Portée territoriale du droit au déréférencement »

 

Grand débat ou grand déballage fiscal ?

Grand débat ou grand déballage fiscal ?

L’administration dispense des règles de transparence au contribuable qu’elle ne s’applique pas elle-même.
Tribune de Pierre Farge publiée dans Contrepoints
À l’heure de la fin du Grand débat incité par un mouvement populaire sans précédent, et un million de contributions plus tard en près de deux mois sur la plateforme en ligne prévue à cet effet, la fiscalité arrive en tête des préoccupations, avant l’écologie et la démocratie.
Toutes sortes de revendications sont soulevées par les Français, relatives à la baisse d’impôts. Pierre Farge, avocat fiscaliste, apporte un témoignage de terrain sur cette nécessité de redonner sens à une certaine justice sociale et fiscale, obligeant par exemple à sortir de l’opacité par laquelle l’administration s’autorise à diligenter ses contrôles fiscaux.

La politique fiscale est peut-être le dernier outil que contrôle vraiment l’État.

Dans la mesure où l’outil monétaire est aux mains de la Banque centrale Européenne, et que le chômage, autant que la dépense publique, sont de plus en plus incontrôlés, il n’est pas insolent de penser à cette voie pour répondre au drame social qui sévit depuis 18 semaines en France ; et donc de s’intéresser de plus près au comportement de l’administration elle-même à l’égard de l’impôt, et notamment sa façon de diligenter ses contrôles fiscaux.

Une fiscalité sans foi ni loi

Depuis un arrêté du 28 août 2017, l’administration fiscale dispose d’un traitement automatisé de lutte contre la fraude dénommé CFVR (Ciblage de la Fraude et Valorisation des Requêtes). Ce traitement permet à l’État de croiser diverses bases de données et modéliser les comportements frauduleux pour mener des actions de prévention, de recherche, de constatation ou de poursuite d’infractions fiscales.

L’algorithme utilisé dans le cadre de ce traitement est basé sur des techniques de data mining. Autrement dit,

  • un ensemble d’outils informatiques opaques permettant pour la première fois la programmation des contrôles fiscaux, l’exploration et l’analyse de différentes données en même temps,
  • et centralisé sur une seule et unique base informatique pour un ciblage des entreprises laissant présumer un risque d’erreur ou de fraude.

Un état de fait permettant donc d’augmenter de façon exponentielle la productivité de l’administration en matière de contrôle, aux dépens potentiels de tous les contribuables.

Dans quelle mesure le droit des contribuables peut-il être respecté par un algorithme tenu secret ?

Facilite-t-il la relation de confiance entre l’administration fiscale et les contribuables d’un système plus juste à l’origine d’un Grand débat national sans précédent ?

Une position de l’administration discrétionnaire et absurde

C’est pour répondre à ces questions que nous avons demandé à l’administration fiscale la communication de la grille d’analyse permettant de connaître les critères de sélection des contribuables contrôlés, et donc une certaine transparence sur les algorithmes utilisés sur des millions de contribuables.

Celle-ci n’a pas donné une suite favorable, prétextant une jurisprudence antédiluvienne rendue par le Conseil d’État le 12 décembre 1990, indiquant que l’administration ne doit pas communiquer les « documents révélant les critères » qu’elle retient pour « sélectionner le dossier d’un contribuable » afin de le contrôler. Pareille communication porterait, soi-disant, atteinte à la recherche des infractions fiscales au nom du Code des relations entre le public et l’administration (article L. 311-5).

Las mais non moins déterminé, nous avons donc fait appel en saisissant la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA).

Confirmant le refus, cette initiative a pourtant eu le mérite, dans son avis, de témoigner d’une argumentation édifiante de l’administration :

la communication de ces documents porterait atteinte à la recherche, par les services compétents, des infractions fiscales, et par conséquent ne serait pas communicable avant l’expiration d’un délai de vingt-cinq ans à compter de leur élaboration ou (tenez vous bien) de la date du document le plus récent figurant dans le même dossier.

Autrement dit, au prétexte d’ajouter au fil des ans un document au dossier du contribuable en question, ce délai pour réclamer un document serait quasiment imprescriptible !

Mettre fin à l’opacité

Cet état de fait permet donc de conclure qu’autrefois toute circulaire interprétative était publique, à savoir dans un souci de transparence et de respect du contradictoire accessible dans le bulletin officiel. Mais qu’aujourd’hui, à l’heure de la digitalisation des outils de contrôle, les circulaires, et les interprétations de circulaire sont remplacés par des algorithmes, et une interprétation de ces algorithmes curieusement non communiquée au justiciable.

L’administration doit s’imposer la même transparence que celle attendue des contribuables à l’occasion de leurs déclarations fiscales.

Par ces logiciels occultes, l’administration remplace ainsi petit à petit toutes les interprétations connues et exploitables de la loi, privant insidieusement le contribuable, et ses avocats, d’informations utiles à la défense de ses droits.

Sous couvert de progrès informatique et de digitalisation des procédures, l’arbitraire n’a alors plus de limite.

Dans cette mort des libertés publiques, l’algorithme autorise potentiellement l’administration à tout justifier à titre expérimental sous couvert de logiciels de chiffres qui n’agissent donc plus du tout par hasard.

Des recommandations de la CNIL non suivies d’effet

Dans ces conditions, il faut d’urgence se conformer à l’avis de la CNIL, alors favorable, à la condition que ce système informatique reste

un outil d’aide et d’orientation des travaux des agents et non pas un outil de profilage destiné à identifier directement des fraudeurs potentiels.

Et de préciser que :

si la lutte contre la fraude fiscale est un objectif à valeur constitutionnelle, la commission estime toutefois, au regard du nombre de personnes concernées et des techniques mises en œuvre, que des garanties appropriées doivent être prévues. À ce titre, le caractère expérimental de cette extension constitue une première garantie, dans la mesure où cela permettra au ministère de déterminer l’opportunité d’un tel dispositif ou les éventuelles améliorations à y apporter. La commission rappelle néanmoins qu’un rapport circonstancié devra être établi et lui être communiqué1.

Force est de constater que ce rapport attendu pour le début de l’année 2019 n’est toujours pas arrivé.

L’administration dispense donc des règles de transparence au contribuable qu’elle ne s’applique pas elle-même.

Par Maître Pierre Farge.
  1. Délibération n°2017-226 du 20 juillet 2017 portant avis sur un projet d’arrêté modifiant l’arrêté du 21 février 2014 portant création par la direction générale des finances publiques d’un traitement automatisé de lutte contre la fraude dénommé « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes ».

 

Ce que le fisc sait de vous | Dossier Le Particulier

Ce que le fisc sait de vous | Dossier Le Particulier

Salaires, pensions, comptes… Certaines de vos données sont transmises automatiquement aux services fiscaux, qui disposent d’outils parfois étonnants pour débusquer les fraudes. Aujourd’hui, on peut ainsi être trahi par Facebook ou sa box internet quand on a menti au fisc sur son train de vie.

Maître Pierre Farge était interrogé dans le cadre de ce dossier paru dans Le Particulier et réalisé par Caroline Mazodier, Marie Pellefigue et Frédérique Schmidiger.

Télécharger le Dossier Le Particulier ce que le fisc sait de vous

De quoi le fisc est-il au courant ? De tout, ou presque. Revenus, charges, train de vie, patrimoine immobilier, comptes bancaires, assurances vie… Même vos photos et vos données publiques sur votre compte Facebook, LinkedIn ou Instagram, viendront bientôt enrichir un vaste entrepôt de données sur votre situation fiscale. Les inspecteurs des impôts n’ont plus besoin de se déplacer ou de vous réclamer des informations.

Depuis leur bureau, sans que vous sachiez être l’objet d’un contrôle, ils sont en mesure de détecter les erreurs ou omissions dans vos déclarations, mais aussi une déduction de frais anormalement élevés ou la possession de comptes à l’étranger non déclarés… Et ce qu’ils ne savent pas ou ce qu’ils souhaitent vérifier, ils peuvent l’obtenir en interrogeant directement votre banque, l’artisan qui a rénové le logement que vous donnez en location, ou même l’agent immobilier à qui vous avez confié sa gestion. Encore faut-il qu’un contrôleur s’intéresse à votre cas.

Avec la baisse continue des effectifs de la direction générale des finances publiques (DGFIP), le fisc concentre ses actions sur les plus gros poissons (gros revenus et ou gros patrimoine), sur les entreprises (fraude au remboursement de TVA ou de crédit recherche) et sur l’évasion fiscale. Les simples salariés et retraités, résidents français, n’ont, de toute façon, jamais vraiment eu les moyens de frauder. Avec l’appui de l’intelligence artificielle, Bercy espère bien rendre plus efficace le contrôle fiscal en détectant des fraudes qui passaient jusqu’alors inaperçues et identifier plus vite les nouveaux montages à cibler. Faut-il craindre la création d’un Big Brother fiscal ? Qui sont vraiment ses cibles ? Notre enquête.

Bercy mise sur l’intelligence artificielle pour mieux vous surveiller

En 2019, l’administration fiscale exploitera les données des réseaux sociaux pour lutter contre l’évasion fiscale, a annoncé Gérald Darmanin en novembre dernier dans l’émission Capital, sur M6. Si la modernisation du fisc avait échappé aux Français, personne ne l’ignore plus après les propos du ministre en charge de l’Action et des Comptes publics. Quelles données précisément seront collectées ? Comment seront-elles traitées ?

Cela reste flou, mais Bercy devra fournir des détails à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) avant de pouvoir faire aboutir son projet. « Si le traitement a une finalité de prévention et de détection des infractions pénales, et ce même à titre expérimental, il doit être autorisé par arrêté pris après avis de la Cnil comme le prévoient les articles 70-3 et 26-I de la loi du 6 janvier 1978 modifiée », a confirmé la commission. Début février, elle n’avait toujours pas été saisie. Il faudra donc attendre la publication au Journal officiel de son avis pour en savoir plus.

23 fichiers et applications informatiques sont exploités pour détecter les fraudes des particuliers. S’y ajoutent les données d’autres organismes (caisses d’allocations familiales, Urssaf…), des douanes, des tribunaux de commerce et d’administrations étrangères (arrêté du 28.8.17, JO du 14.11)

L’utilisation des données

Les agents des impôts exploitaient déjà les nombreuses traces laissées par les contribuables sur internet comme source d’information. La nouveauté, c’est le traitement automatisé de cette masse de données. « La déclaration de Gérald Darmanin vise, sans doute, à marquer les esprits. Un avertissement pour dire qu’on ne peut plus rien cacher au fisc. Mais ces données aspirées sur les réseaux sociaux ne seront pas faciles à traiter », souligne Me Maud Bondiguel, avocate fiscaliste.

Exilé fiscal, la presse people le photographie en France

Un cadre bancaire prend sa retraite par anticipation au Luxembourg, dont il devient résident fiscal. Après quelques mois d’inactivité, il s’ennuie ferme. Il aime découvrir de nouveaux restaurants, faire la fête et passe, en réalité, la majeure partie de son temps en France, dans une petite maison héritée de sa mère. Sa situation fiscale ne présentant pas de complexité (il touche sa retraite au Luxembourg, n’a pas de placements financiers en France, la succession de sa mère est réglée depuis des années), il n’avait pas attiré l’œil du fisc. Jusqu’à ce que la brigade chargée de vérifier la véracité des exils fiscaux des personnalités, qui épluche régulièrement les pages de Paris Match, Gala ou Voici, le repère à plusieurs reprises en arrière-plan, sur les photos publiées dans ces revues.

Le fisc mène l’enquête, l’identifie et prouve une expatriation fictive. À la clé : un redressement fiscal avec intérêts de retard et pénalités ! Moralité : on ne peut pas cacher longtemps sa présence en France si l’on fréquente les lieux à la mode. D’autant qu’à ce petit jeu, les selfies publiés sur les réseaux sociaux vont devenir de véritables mouchards.

Que fera l’administration fiscale de photos de maison ou de voiture de rêve postées sur Facebook ou Instagram ? Elles l’alerteront sur la discordance entre les revenus déclarés et le train de vie des contribuables ou révéleront des gains dissimulés. « La démarche semble renvoyer à la taxation forfaitaire à partir des signes extérieurs de richesse, prévue à l’article 168 du code général des impôts », analyse Me Jérôme Barré, avocat fiscaliste du cabinet Franklin.

La base d’imposition pourra être évaluée d’après le barème forfaitaire fixé à cet article : cinq fois la valeur locative cadastrale de la villa les pieds dans l’eau, le prix du coupé sport neuf…Mais, rappelle l’avocat, « ces photos ne sont pas des preuves. Les contribuables peuvent avoir emprunté ces biens, s’inventer une vie ou avoir été piégés. Le fisc devra réunir d’autres éléments ». La meilleure parade pour éviter une telle intrusion dans votre vie privée reste de paramétrer vos comptes pour limiter la consultation de vos photos et discussions personnelles à vos proches.

L’administration devra obtenir l’autorisation d’un juge pour y avoir accès. Même s’il y a fort à parier que les activités dissimulées, comme le trafic de cigarettes qui prospère sur les réseaux sociaux, intéresseront davantage le fisc et les douanes que vos photos de vacances.

Le contrôle assisté par ordinateur

Que fera l’administration fiscale de photos de maison ou de voiture de rêve postées sur Facebook ou Instagram ? Elles l’alerteront sur la discordance entre les revenus déclarés et le train de vie des contribuables ou révéleront des gains dissimulés. « La démarche semble renvoyer à la taxation forfaitaire à partir des signes extérieurs de richesse, prévue à l’article 168 du code général des impôts », analyse Me Jérôme Barré, avocat fiscaliste du cabinet Franklin pour détecter plus vite les nouveaux montages frauduleux en apprenant des contrôles passés. Cet outil de lutte contre la fraude, d’abord testé sur les entreprises en 2014, a été appliqué à leurs dirigeants et pérennisé en 2016.

Depuis 2017, l’expérience a été étendue aux particuliers, pour 2 ans (arrêté du 28.8.17, JO du 24.11). Les résultats de ce test devraient être présentés à la Cnil courant 2019. On sait déjà qu’en 2018, plus de 24 000 dossiers (entreprises et particuliers confondus) ont été envoyés par le CFVR aux services de contrôle. Mais, à en croire les syndicats des agents des impôts, les résultats ne sont pas probants (du moins, pour le moment). « Nous n’y sommes pas hostiles par principe, mais nous déplorons que sa finalité soit davantage de réduire le nombre de fonctionnaires que de lutter contre la fraude.

Les agents ont de moins en moins de latitude pour lancer des contrôles à leur initiative. Ils ont l’obligation de traiter les listes transmises par le CFVR et s’épuisent à vérifier une masse de dossiers qui peut ne révéler aucune anomalie », rapporte Anne Guyot-Welke, porte-parole du syndicat Solidaires Finances. Elle pointe, par ailleurs, des difficultés techniques qui pourraient fausser les résultats. « Les données collectées à partir des déclarations dématérialisées des contribuables et des actes notariés comportent des erreurs et les bases ne sont pas forcément à jour. Il subsiste aussi des risques d’homonymie, des dates de naissance inexactes… indiquées parfois sciemment à l’ouverture, par exemple, de comptes bancaires, qui perturbent le croisement des données. »

Un algorithme opaque

N’espérez pas que le fisc vous communique les paramètres de l’algorithme qui conduit à vous contrôler. « Cette information n’est obligatoire que si la décision est entièrement automatisée », précise Lorena Gonzalez, de la Cnil. Un manque de transparence que déplore Me Pierre Farge. Cet avocat fiscaliste a tenté, pour un de ses clients contrôlés tous les ans depuis 5 ans, d’obtenir auprès de la DGFIP sa grille d’analyse pour connaître ses critères de sélection.

Sans succès.

« Nous avons fait appel de ce refus auprès de la Cada, la Commission d’accès aux documents administratifs. Mais elle nous a opposé le fait que la communication de ce document porterait atteinte à la recherche d’infractions fiscales. Comble de l’absurdité, elle a précisé qu’il ne serait communicable que 25 ans après la date de la pièce la plus récente figurant dans ce dossier ! Autant dire jamais du vivant du contribuable » s’insurge-t-il.

Le secret du contrôle fiscal est, ainsi, bien protégé. Pas sûr que, dans ces conditions, les libertés publiques, elles, soient préservées.

Dossier réalisé par Caroline Mazodier, Marie Pellefigue et Frédérique Schmidiger.