Actualités Farge Associés

Actualités du Cabinet et de Pierre Farge, avocat associé fondateur :
lanceurs d’alerte, droit fiscal, droit pénal, pro-bono, culture…

Défenseur des droits : en manque de pouvoir et de financement

Défenseur des droits : en manque de pouvoir et de financement

Alors que les réclamations auprès du Défenseur des droits augmentent, l’institution peine à répondre efficacement aux attentes des citoyens.

Tribune de Maître Pierre Farge et Federico Corsa

Le Rapport annuel du Défenseur des droits est toujours l’occasion de prendre la température de la société française, ses évolutions, ses limites, et finalement relativiser le rôle réel de cette institution créée en 2011.

Beaucoup est dit et promis sur son utilité. Le terrain témoigne qu’elle manque de pouvoir et d’argent.

Autorité administrative indépendante inscrite dans la Constitution, le Défenseur des droits a été créé par une loi du 29 mars 2011 qui lui confie cinq missions :

  1. Défense des droits et libertés dans le cadre des relations avec les administrations de l’État
  2. Défense des droits de l’enfant
  3. Lutte contre les discriminations
  4. Respect de la déontologie par les forces de sécurité
  5. Protection des lanceurs d’alerte

 

Son Rapport 2022, publié par sa présidente Claire Hédon, rend compte de l’action accomplie. L’objectif de cette année était de « mettre en avant la nécessité d’aller au plus près des personnes les plus éloignées de leurs droits ».

Des réclamations en hausse

Vaste engagement et vague annonce, comme en témoignent les chiffres eux-mêmes.

125 456 réclamations ont été adressées en 2022, soit 9 % de plus qu’en 2021, conséquence directe de deux facteurs importants selon l’auteure : d’une part les politiques publiques, dont le Rapport révèle « les failles et les angles morts » ; d’autre part, le choix de la dématérialisation excessive éloignant les citoyens des services publics et faisant « obstacle à l’exercice des droits ».

Cette dernière situation vise particulièrement les étrangers.

Selon le Rapport 2022, le nombre de réclamations les concernant a atteint un niveau sans précédent, au point que la Défenseure regrette une véritable « dégradation », les destinant à vivre dans des « zones de non-droit ».

Depuis 2019, on constate une hausse de 231 % des réclamations, et de 450 % seulement en Île-de-France, notamment avec la dématérialisation des guichets préfectoraux.

Cela pose donc la question de la simplification des démarches pour le travail de l’administration, mais aussi sa déshumanisation.

S’agissant de discrimination, le rapport constate 6 545 réclamations, la majorité portant sur l’emploi privé (24 %) et l’emploi public (17 %). Dans le premier, 69 % visent la grossesse. Dans le secteur public, ce sont 40% des activités syndicales qui seraient prétexte à discriminer.

S’agissant de la protection de l’enfance, la plupart des réclamations, à hauteur de 30 %, portent sur l’accès à l’éducation, et notamment la discrimination du handicap et le traitement des mineurs isolés.

S’agissant de l’action des forces de sécurité, dans le contexte des crises sociales que nous connaissons, 2 455 réclamations sont dénombrées, dont 49 % concernent la police nationale, 15 % des violences et 10% des refus de plainte.

S’agissant enfin de la protection des lanceurs d’alerte, l’adoption de quatre textes, dans le cadre de la transposition de la directive du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019, marque une nouvelle étape. La procédure de signalement a été assouplie avec la fin de l’obligation de passer par la voie interne avant d’alerter une autorité extérieure, comme le Défenseur des droits lui-même ou l’autorité judiciaire.

C’est ainsi que depuis la loi Waserman du 21 mars 2022, le Défenseur des droits enregistre une hausse des signalements en vertu de son pouvoir de certification du « statut de lanceur d’alerte ».

Partant justement de notre accompagnement d’avocats en matière de lanceur d’alerte, deux grandes difficultés ressortent à raison de la publicité faite de l’institution.

Le manque de moyens au regard des missions croissantes confiées

Le budget de l’Autorité administrative indépendante augmente à peine de 22 millions d’euros en 2020, il passe à 24,1 millions en 2021 et 24,4 millions en 2022, alors que les saisines des justiciables explosent.

Croyant sans doute qu’elle pourrait pallier les délais d’audiencement judiciaire stratosphériques, les requêtes engorgent à leur tour l’institution.

Faute d’un budget corrélé à cette augmentation exponentielle des demandes, les délais de l’Autorité administrative indépendante pour rendre un avis – pouvant atteindre dans certains cas plus d’un an – vident l’initiative de toute utilité.

Ce ne sont donc pas 500 agents et délégués bénévoles, et environ 240 salariés qu’il faudrait, mais plus du double pour être utile

Le simple pouvoir de recommandation de l’institution

Il n’a donc aucune valeur contraignante, sinon celui d’enjoindre le mis en cause, dans un délai déterminé, à réaliser les mesures qui s’imposent… mais sans aucune sanction en l’absence d’exécution.

Le comprenant souvent trop tard, les justiciables finissent par se tourner vers l’institution judiciaire, et ont donc perdu autant de temps pour faire valoir leur droit.

Parce qu’il vaut mieux faire que dire, afin de rendre une utilité réelle à l’institution, peut-être faudrait-il augmenter son budget – le doubler – et donner un pouvoir de sanction comme par exemple celui dont dispose l’Autorité de la concurrence, une autre Autorité administrative indépendante de la République avec un budget et des effectifs comparables, mais disposant du pouvoir d’infliger des peines d’amende.

Maître Pierre Farge et Federico Corsano

Violences conjugales : avancées et défaillances – Note d’actualité

Violences conjugales : avancées et défaillances – Note d’actualité

Depuis le Grenelle de 2019, de nombreuses mesures ont été prises, excellentes même. Force néanmoins de constater qu’elles n’ont pas permis d’inverser les chiffres toujours alarmants.  

Fort de notre engagement quotidien dans la lutte contre les violences conjugales, voici ce qu’il ressort des récentes jurisprudences. 

Des avancées

Le 25 novembre 2019 un plan d’action national de lutte contre les violences faites aux femmes, dit le Grenelle des violences conjugales a été présenté par le gouvernement français lors de la Journée internationale pour l’élimination de la violence faite aux femmes.

Il prévoit toute une série de mesures comme la formation des professionnels de santé et de justice à la question des violences faites aux femmes, pour permettre une meilleure prise en charge des victimes, mais aussi des actions très concrètes.  

Parmi elles, le téléphone grave danger ou téléphone grand danger (TGD), contenant une touche permettant d’alerter un service de téléassistance identifiant le danger, les lieux et la situation de la victime. Les forces de l’ordre sont alertées sur un canal dédié et une patrouille est envoyée sans délai auprès de la victime. En 2021, 3.320 TGD ont été déployés dont 2.252 attribués. Au 1er juillet 2022, les chiffres ont augmenté avec 4.247 TGD déployés et 3.211 attribués.

Autre mesure concrète, le plan promettait de renforcer l’accompagnement des femmes victimes de violences en augmentant le nombre d’hébergements d’urgence. Entre 2017 et 2021, il est ainsi passé de 5.100 à 7.700 places. Entre 2021 et 2022, le bilan semble atteint avec l’ouverture de 1.944 places sur les 2.000 qui étaient initialement prévues. 1.000 places supplémentaires sont attendues pour 2023.

Cependant, nous sommes loin du besoin réel sur le terrain : plus de 200.000 femmes sont victimes de violences conjugales, dont 35.000 ont besoin d’un hébergement.

Les affaires de violences conjugales étant complexes, et la solution jamais manichéenne, l’expérience a montré qu’il ne suffisait pas d’héberger la victime pour mettre fin aux violences. Le conjoint violent n’ayant, par exemple, aucun lieu où dormir suite à son éloignement du domicile conjugale ordonné par le juge, il a bien fallu réfléchir comment prendre en charge les plus démunis.

Qui plus est, afin de ne pas rajouter de la violence à la violence, ce n’est pas à la victime d’avoir à quitter le domicile conjugal.

Des Centres de prises en charge des auteurs de violence ont donc été créés, les CPCA. On en dénombre à ce jour trente. Outre un toit, ils proposent aux auteurs des modules de sensibilisation et de responsabilisation. L’objectif est de permettre un accompagnement psychologique, social et judiciaire afin de prévenir toute délinquance ou récidive.

Les jurisprudences récentes démontrent aussi une volonté de l’autorité judiciaire de s’harmoniser avec le législateur et le gouvernement en permettant une aggravation des peines.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation rend par exemple un arrêt le 15 mars 2023 condamnant un concubin à la réclusion criminelle à perpétuité pour meurtre sur conjoint (Cass, crim, 15 mars 2023 – n°22-80.609). Le 29 mars 2023, confirmant le lien entre la séquestration et le suicide d’une femme, la Chambre criminelle condamne à 25 ans de réclusion criminelle (Cass, crim, 29 mars 2023 – n° 22-83.214).

Les défaillances persistantes

Mais il ne faut pas se satisfaire de ces avancées pour autant.

Les chiffres sont têtus. En 2020, 102 féminicides ont été recensés, contre 122 en 2021. En 2022, le taux reste tout aussi haut avec un nombre total de 110.

Et au-delà des violences physiques, très peu de mesures protègent encore effectivement les victimes de violences économiques.

C’est en ce sens que la loi du 28 février 2023 crée l’Aide financière universelle d’urgence. Le nouvel article 214-12 du Code de l’action sociale et des familles consacre en effet cette aide pour toute victime de violences conjugales. L’aide peut être consentie sous la forme d’un prêt et lorsque les faits prévus au premier alinéa de l’article L214-9 dudit Code ont donné lieu à une procédure pénale. Son remboursement ne peut être demandé au bénéficiaire tant que cette procédure est en cours, et l’auteur des violences aura la charge du remboursement une fois sa condamnation définitive prononcée.

Si l’initiative est louable, on peut regretter qu’elle ne soit applicable qu’à la fin de l’année 2023… le temps d’attendre la publication du décret d’application.

L’évolution de la protection des lanceurs d’alerte – Note d’actualité

L’évolution de la protection des lanceurs d’alerte – Note d’actualité

Note d’actualité Avril 2023

La protection des lanceurs d’alerte avance lentement mais sûrement. Fort de l’engagement du cabinet Farge Associés dans la défense des lanceurs d’alerte, voici ce qu’il ressort de récentes jurisprudences.

Depuis l’achèvement de la transposition de la directive du 23 octobre 2019 sur les lanceurs d’alerte, la loi Waserman, entrée en vigueur le 1er septembre 2022, et son décret d’application du 3 octobre 2022 ont apporté quelques précisions sur les procédures de recueil de signalements interne (avec la création d’un « canal de réception de signalement » permettant de faire une alerte « par écrit ou par oral », par « tout moyen » et sous couvert de « confidentialité ») et externe (avec une liste de toutes les autorités compétentes en annexe).

C’est dans ce sens que les jurisprudences française et européenne évoluent.

Un renforcement de l’office du juge du référé en France

Il s’agissait d’une salariée ayant saisi de faits de corruption le comité d’éthique du groupe Thalès. Ce dernier conclut à « l’absence de situation contraire aux règles et principes éthiques », et licencie la lanceuse d’alerte.

Le juge des référés rend ainsi une première ordonnance dans laquelle il limite son office, estimant que l’examen du lien entre la décision de licenciement et l’alerte relevait du juge du fond.

La Cour d’appel confirme cette ordonnance en estimant « qu’il n’y avait pas eu violation du statut protecteur prévu par les dispositions de l’article L. 1132-3-3 du code du travail » et affirme que « l’appréciation du motif de licenciement de la salariée relevait exclusivement des juges du fond ».

La chambre sociale de la Cour de cassation rend néanmoins un arrêt le 1er février 2023 dans lequel elle élargit les contours de l’office du juge des référés dans le cas où il est chargé de se prononcer sur le licenciement d’un lanceur d’alerte.

Il incombe ainsi désormais à ce dernier de vérifier plusieurs conditions, à savoir si le salarié a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime, ou plus largement qu’il a alerté dans le respect des articles 6 et 8 de la loi Sapin II.

Dans l’affirmative, il lui faut vérifier si l’employeur rapporte la preuve que sa décision de licencier est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de ce salarié.

Autrement dit, pour la première fois, et sans préjuger du fond, le juge des référés doit apprécier la qualité de lanceur d’alerte conformément à la loi Sapin II.

Cette avancée permet au salarié abusivement licencié de ne plus avoir à pâtir de délais d’audiencement très importants – pouvant aller jusqu’à deux ans devant certaines juridictions  – avant que son employeur ne soit jugé.

 

Plus largement, la jurisprudence européenne protège aussi de mieux en mieux les lanceurs d’alerte.

La reconnaissance de la qualité de lanceur d’alerte par la jurisprudence européenne

Après onze ans de procédure, la Cour européenne des droits de l’homme-CEDH a enfin reconnu la qualité de lanceur d’alerte à Raphaël HALET (à l’origine des « LuxLeaks ») le 14 février 2023

Le requérant estimait que sa « condamnation pénale consécutive à la divulgation par lui, à un journaliste, de documents émanant de son employeur et soumis au secret professionnel, constitue une ingérence disproportionnée dans son droit à la liberté d’expression. »

La CEDH lui donne ainsi raison en reprenant dans sa décision exactement ses termes.

Autrement dit, même en l’absence de définition du « lanceur d’alerte » en droit interne luxembourgeois, ni de critères d’application à l’article L.271-1 du Code du travail et à l’article 38-12 de la loi du 5 mai 1993 luxembourgeois, les juges nationaux doivent considérer cette qualité.

En conséquence, le Grand-Duché a été condamné à verser 15.000 euros pour préjudice moral et 40.000 euros tous frais confondus.

***

 

 

Les classements fantaisistes du Magazine Décideurs – Leaders League groupe

Les classements fantaisistes du Magazine Décideurs – Leaders League groupe

Le cabinet a été démarché en 2019 pour participer au Classement des cabinets d’avocats du Magazine Décideurs, groupe Leaders League, promettant de promouvoir notre activité.

Durant trois ans, nous sommes passés dans ce classement de « PRATIQUE REPUTEE » (2020) à « FORTE NOTORIÉTÉ » (2021 et 2022).

Comprenant dès la première année que ces classements n’étaient fondés sur rien d’autre que le réglement d’une facture annuelle croissante – aucune donnée chiffrée, aucune question sur notre activité n’étant réalisée – nous avons tenté de résilier.

Plus prompt à facturer qu’à respecter ses engagements, le Magazine Décideurs, groupe Leaders League, nous a adressé d’éprouvantes relances, des mises en demeure, avant de menacer de recours judiciaire.

Bien que faisant savoir que nous nous défendrions fermement de ces pratiques, ces recours sont finalement arrivés ; multiples, et tous plus abusifs les uns que les autres.

Par jugement du 30 septembre 2022 du Tribunal judiciaire de Paris, la résiliation judiciaire du contrat a été ordonnée et les sommes demandées ramenées à un chiffre dérisoire, finalement conforme à l’absence de diligence.

Non content de cette décision judiciaire immédiatement exécutée, Décideurs Magazine, groupe Leaders League, a alors tenté d’interpréter le jugement à son avantage, établissant un décompte fantaisiste des sommes qui seraient dues, et recourant, avec le concours d’un huissier de justice, à une multitude de tentatives de saisies attribution sur les comptes du cabinet.

Refusant toujours de céder à ces manœuvres allant au mépris d’une décision judiciaire, nous avons déposé une plainte pénale le 15 décembre 2022, pour faux, usage de faux, et tentative d’escroquerie au jugement ; contre le groupe Leaders League, mais aussi contre l’étude d’huissiers et l’avocat ayant porté leur concours.

Toujours avec beaucoup d’imagination, ce dernier nous a assigné en liquidation judiciaire.

Par jugement du 26 janvier 2023, le Tribunal judiciaire de Paris a rejeté toutes les demandes de Décideurs Magazine, groupe Leaders League, et l’a condamné à nous indemniser des frais engagés conformément à l’article 700 CPC.

A ce jour, la décision est définitive, pourtant elle n’a toujours pas été exécutée.

***

Ce témoignage donc pour dénoncer cette supercherie, qui trompe les justiciables sur la réalité de ces classements d’avocats.

Il pourrait sembler contre notre intérêt de témoigner des dessous de ces classements, en apparence élogieux, si notre indépendance n’avait pas pris le dessus.

Assumant le paradoxe, nous préférons être les premiers à dénoncer ces pratiques, voulant croire que ce sont nos clients qui font la fierté de notre réputation, et parfois les médias qui s’intéressent à nos causes.

Nous pensons que si un tel témoignage avait été disponible plus tôt, nous n’aurions pas répondu au démarchage, et donc donné notre crédit en figurant à ces classements sans valeur.

Enfin, nous espérons que notre « Forte notoriété » permettra de faire savoir que le groupe Leaders League a déjà été condamné, à plusieurs reprises, pour des pratiques comparables par le tribunal judiciaire de Paris, à savoir, rien que sur ces six derniers mois dans les jugements suivants :

  • Cour d’appel de Paris, 6 janvier 2023 / n° 20/17123
  • Cour d’appel de Paris, 29 novembre 2022 / n° 22/09624
Maître Pierre Farge témoigne pour les lanceurs d’alerte dans Les Echos Start

Maître Pierre Farge témoigne pour les lanceurs d’alerte dans Les Echos Start

Les Echos Start mènent l’enquête sur la situation des lanceurs d’alerte en France et et interrogent Maître Pierre Farge dans leur article : « Lanceurs d’alerte : ils ont sonné l’alarme et ont connu l’enfer »

Une décennie d’attente avant d’obtenir un verdict. Pendant ce temps, les lanceurs d’alerte sont tantôt dénigrés par leurs collègues, tantôt licenciés par leur employeur désireux d’écarter toute brebis galeuse. Après deux lois sur le sujet, dont la dernière fête cette semaine son 1 an, les choses commencent à changer. Certaines entreprises donnent même de véritables moyens à chaque salarié de tirer l’alarme.

Extraits :

« 15 ans d’attente, licencié, ostracisé de son village. S’il avait su, Pierre Hinard aurait-il déclenché l’alerte ? (…) 14 années d’opprobre et en juin 2022, enfin un jugement. Castel Viandes et son PDG sont condamnés, reconnus coupables pour tromperie et mise sur le marché de denrées préjudiciables à la santé. La société est pour sa part condamnée à 40.000 euros d’amende et le patron à 10.000 euros et six mois de prison avec sursis. Une fierté pour ce lanceur d’alerte, mais « à vivre, c’était d’une violence extrême ».

(…)

« Pour éviter la « loterie judiciaire » que décrit Raphaël Halet, l’Etat français a, en 2011, attribué au Défenseur des droits la possibilité d’octroyer le statut de lanceur d’alerte. Mais là encore, les délais sont dissuasifs. « Jusqu’à un an et demi d’attente », tempête Pierre Farge, avocat et auteur du livre « Le Lanceur d’alerte n’est pas un délateur » (Ed. Lattès, 2021).

Et d’ajouter : « Et l’avis du Défenseur n’est même pas contraignant, autrement dit, les magistrats ne sont pas obligés de le suivre. »

Dans ces conditions, difficile pour un salarié, témoin d’une infraction pénale ou d’une atteinte à l’intérêt général, de la révéler sans protection. « Notre système n’encourage pas les initiatives », fulmine Me Farge. « J’ai des clients qui préfèrent se taire par manque de protection. Ils ne peuvent pas se permettre d’être licenciés et de se retrouver sans revenu. ».

(…)

Me Farge milite pour que l’Etat aille plus loin et leur assure une protection financière. « Comme ils ne sont pas protégés financièrement, les lanceurs d’alerte ne font pas peur aux entreprises. Elles savent qu’ils s’essouffleront plus vite qu’elles. » Lui plaide pour un système à l’américaine, où le lanceur d’alerte perçoit jusqu’à 30 % des montants récupérés par l’administration.

Pourquoi la France peine-t-elle à imiter son voisin d’outre-Atlantique ? Car notre pays n’arrive pas à changer son regard sur ceux qui dénoncent, selon Pierre Farge. « Le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale et de la délation des Juifs n’y est pas pour rien. »

Violences conjugales : les annonces de Borne face à la réalité de la Justice

Violences conjugales : les annonces de Borne face à la réalité de la Justice

Hier, c’était la Journée internationale du droit des femmes. L’occasion de revenir sur les promesses du gouvernement en matière de violences conjugales face aux réalités de la justice et de son fonctionnement.

Tribune de Maître Pierre Farge parue dans Contrepoints 

Avancées ou reculs, les mesures pour lutter contre les violences conjugales ne manquent pas.

Ce lundi 6 mars 2023, sur le plateau de « C à vous », la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé « mettre en place des pôles spécialisés dans chaque tribunal pour pouvoir mieux traiter ces violences conjugales, pour pouvoir aussi répondre globalement aux difficultés que rencontrent les femmes victimes de violences ».

Du 1er au 16 janvier 2023, déjà 4000 femmes ont contacté le 3919, numéro destiné aux femmes victimes de violences conjugales.

Le 4 mars 2023, le site noustoutes.org compte 23 féminicides depuis le début de l’année.

Symptomatiques de la difficulté à endiguer les violences conjugales, ces chiffres témoignent toujours d’un système judiciaire incapable d’apporter une réponse utile.

Quatre ans depuis le Grenelle, l’annonce de l’instauration de pôles spécialisés sur les violences conjugales dans chaque tribunal fait une nouvelle fois espérer.

Au total, 200 seraient créés au sein des 164 tribunaux judiciaires et 36 cours d’appel du territoire, et permettraient de répondre « tant au civil qu’au pénal » dans une même affaire de violences à l’occasion d’audiences dédiées, et ce à très brefs délais.

Après la Première ministreil est par exemple promis par la ministre déléguée à l’Égalité, Isabelle Rome, la « création d’une ordonnance de protection immédiate en 24 heures que le juge prononcera, sans audience, en urgence, pour garantir la sécurité effective de la victime et de ses enfants » :


Une promesse qui interroge d’abord dans quelle mesure sera respecté le contradictoire, un des principes fondateurs de l’idée même de justice, et qui lui donne sa légitimité.

Une ambition qui remettrait en cause l’intitulé même du poste de la ministre déléguée à l’Égalité entre les femmes et les hommes.

Quelle égalité resterait-il en effet d’une ordonnance d’éloignement d’un domicile conjugal injustement prononcée contre un conjoint présumé violent, car comme le veut la formule, l’absent à toujours tort ?

Cette justice d’abattage serait ainsi une atteinte à la présomption d’innocence qui engorgerait donc les cours d’appel.

Une promesse qui interroge aussi sur la mise en œuvre d’une telle mesure au regard du manque déjà accru de moyens de la justice, et pourrait donc engorger toujours plus un système à bout de souffle.

Se pose donc la question d’évaluation des politiques publiques pour estimer ces besoins humains et matériels, sans pénaliser d’autres chambres ou aggraver un peu plus les délais d’audiencement.

Une promesse qui interroge encore sur son délai de mise en place dans un impératif d’égalité sur tout le territoire, et s’il faudra par exemple encore quatre ans pour la voir aboutir de façon homogène sur tout le territoire, et autant de victimes.

Pierre Farge

 

Crédit photo : Elisabeth Borne By: Jacques Paquier – Creative Commons BY 2.0

Tribune dans Le Monde pour dénoncer les dérives persistantes de certains instituts médico-éducatifs

Tribune dans Le Monde pour dénoncer les dérives persistantes de certains instituts médico-éducatifs

Tribune de Maître Pierre Farge publiée dans Le Monde du 28 décembre 2022.

« Les mauvaises pratiques perdurent dans certains instituts médico-éducatifs »

Les pouvoirs publics s’avèrent incapables de mettre fin aux dérives constatées depuis des dizaines d’années dans certains instituts médico-éducatifs au détriment des enfants handicapés, s’indigne, dans une tribune au « Monde », l’avocat Pierre Farge, prenant en exemple plusieurs affaires récentes ou en cours.

Le délibéré rendu le 8 décembre par le tribunal correctionnel d’Auch dans la procédure engagée par la lanceuse d’alerte Céline Boussié réactive le débat sur la protection des enfants polyhandicapés en institut médico-éducatif (IME), et plus largement celui sur les lanceurs d’alerte dans le domaine de la santé.

Comme le montrent les jugements rendus en 2021 concernant les lanceuses d’alerte Irène Frachon, dans l’affaire du Mediator, et Marine Martin, dans celle de la Dépakine, ou aujourd’hui l’affaire de Céline Boussié contre l’IME de Moussaron (Gers), nombre d’alertes surviennent dans le domaine médico-légal. Et il faut parfois compter jusqu’à dix ans pour que l’initiative citoyenne se traduise par un jugement pénal.

Dans le cas de Céline Boussié, c’est en effet dès 2013 qu’elle dénonce les maltraitances subies par quatre-vingts mineurs au sein de l’IME de Moussaron, destiné à accueillir des enfants et adolescents handicapés atteints de déficience intellectuelle.

En dix ans, cette lanceuse d’alerte a été obligée de se défendre contre une procédure en diffamation (avant d’être relaxée par une décision du 21 novembre 2017), puis d’engager une procédure en licenciement abusif (lui donnant finalement raison en appel le 24 juillet 2020), avant d’engager une procédure en responsabilité pénale de son employeur pour harcèlement moral.

Cette dernière procédure, dans laquelle elle n’a pas obtenu gain de cause, s’est conclue, le 8 décembre, à l’encontre des réquisitions, par une relaxe générale au vu de « faits insuffisamment caractérisés ».

« Dysfonctionnements », « dérives »

Dix ans, c’est long, très long, à l’échelle d’une carrière, ou même d’une vie humaine, surtout quand un appel correctionnel est encore possible. Dix ans, c’est énorme, mais finalement relatif quand on sait que, vingt-cinq ans plus tôt, en 1997, un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (cité dans un article du Monde du 27 mars 2014) pointait du doigt ce même établissement.

Ce rapport jugeait « opaque » sa gestion financière, s’étonnait « des dysfonctionnements, voire des dérives, tout à la fois de nature institutionnelle, financière, comptable et médicale », et remarquait aussi que « le patrimoine des propriétaires gérants de l’établissement s’[était] entretenu et embelli depuis 1971 ».

Symptomatique de la persistance du fonctionnement défaillant de certains IME, l’alerte de Céline Boussié a certes permis de dénoncer, une nouvelle fois, les maltraitances sur les enfants handicapés, et a évidemment ému l’opinion. Mais cela n’a pas empêché le robinet des subventions de continuer de couler, faisant de ces établissements privés, subventionnés à coups de milliards d’euros par l’Etat, une manne financière pour leurs propriétaires.

Assez logiquement donc, les mauvaises pratiques perdurent. Et, sans surprise, un autre lanceur d’alerte, Olivier Paolini, enseignant spécialisé dans l’IME Les Hirondelles à Narbonne (Aude), a déposé plainte le 16 décembre devant le tribunal judiciaire de Carcassonne contre la direction des services départementaux de l’éducation nationale de l’Aude pour des faits de « discrimination, atteinte au principe de dignité humaine et détournement de fonds publics ».

« Intimidations présumées », selon l’ONU

Un article publié le 22 septembre par le Huffington Post relate comment cet enseignant est devenu lanceur d’alerte après être entré, en 2020, en conflit avec sa hiérarchie, reprochant à celle-ci de ne pas respecter, dans le cas particulièrement difficile d’un élève de 16 ans, la durée minimale de scolarisation fixée par une circulaire de 2016. Saisi par la famille de l’élève, le tribunal de justice de Narbonne a, le 3 février, condamné en première instance l’IME… qui a fait appel.

Face aux pressions et aux représailles dont il fait l’objet à la suite de son alerte, ce professeur a saisi, le 7 avril, trois rapporteurs spéciaux de l’ONU (sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, sur les droits des personnes handicapées et sur le droit à l’éducation). Ces derniers ont répondu le 30 juin par un courrier officiel à l’Etat français sur les « intimidations présumées » à l’encontre de l’enseignant.

N’ayant pas reçu de réponse dans le délai légal de soixante jours, l’ONU a rendu publique cette communication le 31 août. Olivier Paolini est soutenu dans ses démarches par la Maison des lanceurs d’alerte, qui dispose de trop peu de pouvoir. La Défenseure des droits a été saisie en novembre et instruit cette affaire, mais ses moyens sont trop limités. D’expérience, cela peut donc encore prendre un an.

De son côté, le ministre de l’éducation nationale, également averti, s’est courageusement limité à des tweets sur l’école inclusive. En résumé, cette nouvelle alerte d’Olivier Paolini, dont est saisie la justice dans un nouveau scandale d’IME, s’inscrit dans la continuité. Elle témoigne de l’inertie des pouvoirs publics et du peu de volonté, sur les plans législatif et politique, de protéger ces enfants handicapés.

Pierre Farge est l’auteur du livre « Le lanceur d’alerte n’est pas un délateur » (JC Lattès, 2021).

Pierre Farge.

Pierre Farge dénonce l’inertie du Parquet National Financier

Pierre Farge dénonce l’inertie du Parquet National Financier

Saisi par un ancien agent des douanes, lanceur d’alerte dans un dossier mettant en cause son administration et CapGemini pour violation du secret fiscal, l’avocat Pierre Farge dénonce l’inertie du Parquet National Financier.

Dans son édition des 3-4 juillet 2022, Le Monde a publié une nouvelle enquête, signée Manon Romain et Maxime Vaudano, sur la mainmise des Cabinets de Conseil, notamment Capgemini, dans l’administration française depuis 2017.

Le recours aux prestations du cabinet américain McKinsey par l’administration française avait soulevé un tollé dans la presse durant la campagne de l’élection présidentielle.

Mais l’externalisation de missions de service public au cabinet de conseil français Capgemini, qui a totalisé 1,1 Milliard d’euros de contrats publics depuis 2017, soulève tout autant l’indignation.

Et ce n’est pas qu’une question d’argent, cela pose également de graves problèmes de confidentialité des données communiquées par l’administration à ce prestataire externe, en particulier dans le domaine fiscal.

Lire l’article sur le site du Monde 

Aux douanes l'embarrassante mission secrète de Capgemini

Dans cet article paru dans Le Monde, je dénonce l’inertie coupable du Parquet national Financier : « Je suis indigné de voir une telle inertie judiciaire face au courage de mon client lanceur d’alerte, qui dénonce des faits d’intérêt public incontestables » 

Je représente en effet un ancien agent des douanes lanceur d’alerte. Ce fonctionnaire a d’abord dénoncé les faits auprès de sa hiérarchie aux Douanes, laquelle n’a pas réagi.  Devant la gravité des faits en cause, il s’est vu contraint de porter plainte pour violation du secret fiscal au Parquet national Financier contre les Douanes et CapGemini : or le PNF n’a ouvert aucune enquête depuis 8 mois ! 

Maître Pierre Farge, avocat des lanceurs d’alerte.

La plainte des proches de Samuel Paty : un symbole irréaliste

La plainte des proches de Samuel Paty : un symbole irréaliste

Plus d’un an après la décapitation du professeur d’histoire-géographie, les proches de Samuel Paty mettent en jeu la responsabilité de l’État. La plainte est déposée contre l’Éducation nationale et le ministère de l’Intérieur. Mais à quelle fin ?

Tribune de Maître Pierre Farge publiée dans Contrepoints 

L’assassinat de Samuel Paty par Abdoullakh Anzorov, Tchétchène de 18 ans, en octobre 2020, a bouleversé le pays.

Comme il faut toujours un responsable et quand le coupable n’est plus (car il est mort quelques minutes après les faits sous les balles de la BAC), la question de l’engagement de la responsabilité de l’État s’est évidemment posée.

Début avril, les proches du professeur déposent donc plainte : l’inertie des agents du ministère de l’Intérieur et de l’Éducation nationale aurait rendu possible la décapitation. C’est ainsi qu’ils estiment que « dès le 8 octobre et jusqu’au 16 (le jour de sa mort), Samuel Paty, la principale et les enseignants avaient identifié une menace grave pour leur intégrité physique et la sécurité du collège ».

Pour calmer les victimes et l’opinion, le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire le 19 avril pour « non-assistance à personne en péril » et « non-empêchement de crime ».

Le risque pour l’État : être rendu responsable de l’inertie de la puissance publique à n’avoir pas protégé Samuel Paty de l’acte d’un terroriste de 18 ans.

Ce risque est mince pour trois raisons principales.

  • À l’évidence, et l’expérience l’a montré, il est d’abord impossible pour l’État de mettre derrière chaque individu radicalisé (en 2018 ils sont 19 745 selon le FSPRT), un service entier des forces de l’ordre.
  • Pour la surveillance d’un seul fiché S, comptez une vingtaine de fonctionnaires des renseignements et services de police pour assurer la surveillance téléphonique 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et au moins deux voitures pour les filatures.
  • C’est d’autant plus irréaliste quand on sait la très faible évolution des effectifs de police, à peine 3000 fonctionnaires de plus, loin des 10 000 promis par Emmanuel Macron en 2017. Cet état de fait est d’autant plus regrettable qu’en l’espèce le terroriste n’était connu d’aucun service de renseignement.

Donc, rien à critiquer de ce côté là pour engager la responsabilité de l’État.

Partant, sauf à faire de la justice prédictive comme dans Minority Report, personne ne pouvait raisonnablement imaginer ce passage à l’acte, comme la plupart des attentats d’ailleurs. Faut-il ainsi rappeler que la tragédie du Bataclan a donné lieu à un recours des victimes contre les « défaillances » de l’État… rejeté par le tribunal administratif de Paris, estimant qu’aucun élément ne permettait d’engager la responsabilité des forces de l’ordre le soir du drame, ou les services de renseignement en amont. Même cause, même effet concernant les attentats de Charlie Hebdo.

Plus encore, l’engagement de la responsabilité de l’État apparaît d’autant plus complexe en matière pénale qu’il serait indispensable d’isoler avec précision le ou les services qui ont failli, ce qui est loin d’être évident dans la coordination de la chaine renseignement-police-justice

En somme, bien qu’humainement compréhensible, cette plainte est d’ores et déjà vouée à ne pas aboutir. La justice devrait donc cesser d’obéir à la pression de l’opinion ou des associations de victime, et plutôt se concentrer sur le désengorgement de ses tribunaux.

Pierre Farge

Damien Abad : nouveau ministre, nouveau tribunal médiatique

Damien Abad : nouveau ministre, nouveau tribunal médiatique

Dans l’affaire Abad, au nom de la présomption d’innocence, rien n’autorise de réclamer une sanction comme une démission, ou plus simplement salir une image.

Tribune de Maître Pierre Farge publiée dans Contrepoints

La formation du nouveau gouvernement entraîne son lot habituel de révélations sur la vie des ministres. La dernière d’entre elles vise Damien Abad pour de présumées violences sexuelles… datant de plus d’une décennie, et déjà classées sans suite par la justice.

Malgré le rapport d’octobre 2021 de l’ancienne garde des Sceaux Élisabeth Guigou sur la protection de la présomption d’innocence mise à mal par la presse, ce principe est de nouveau piétiné quelques jours après la formation du gouvernement avec la mise en cause d’un nouveau ministre.

Ancien député de l’Ain et Président LR, c’est curieusement lorsqu’il est nommé membre du gouvernement que son passé refait subitement surface, comme si les plaignantes retrouvaient la mémoire en le voyant sur le devant de la scène.

Il est important de respecter la présomption d’innocence. Fort du phénomène #MeToo, la voix des victimes est entendue plus que jamais partout en France, et c’est une excellente nouvelle que la justice puisse être rendue plus utilement et plus rapidement. Pour autant, cette libération de la parole doit intervenir dans le respect d’un des principes les plus fondamentaux de notre droit : la présomption d’innocence.

Et en l’espèce, la présomption d’innocence devrait avoir un sens d’autant plus important que ces deux femmes ont porté plainte pour viols entre 2010 et 2011, plaintes donnant lieu à deux classements sans suite en 2012 et en 2017.

Attention à la justice populaire.
Partant, rien n’autorise – sinon peut-être la volonté de faire polémique et vendre du papier – de réclamer une sanction comme une démission, ou plus simplement salir une image.

Sauf donc à considérer que n’importe qui peut se faire justice lui-même en un tweet ou une simple déclaration péremptoire dans un média, l’institution judiciaire demeure garante du respect de cette présomption d’innocence, des suites qu’elle donne, ou non, à une plainte conformément au droit en vigueur.

Pierre Farge.

La mort annoncée de Julian Assange

La mort annoncée de Julian Assange

L’extradition de Julian Assange par l’Angleterre vers les États-Unis marque un nouveau recul de la protection des lanceurs d’alerte.

Tribune de Maître Pierre Farge publiée dans Contrepoints

D’abord, rappelons nous. Onze ans après les révélations WikiLeaks, Julian Assange finit par être interpellé à l’ambassade d’Équateur à Londres. Il est immédiatement livré à la justice britannique et placé en détention provisoire. Les États-Unis réclament alors son extradition.

Le lanceur d’alerte avait de sérieux espoirs d’y échapper pour trois raisons :

  • Un état de santé préoccupant,
  • La liberté d’expression et le droit à l’information dont son alerte est le symbole,
  • Et la jurisprudence Snowden.

Ce n’est en effet qu’à la faveur de fragilités psychiatriques que le refus d’extradition a d’abord été accordé, le magistrat appréciant un risque de suicide élevé, plutôt que les arguments sans cesse invoqués par le lanceur d’alerte comme la liberté d’expression ou le droit à l’information issus de ses leaks.

Il est en effet malheureux que le refus d’extradition d’un lanceur d’alerte, ayant permis par exemple de révéler des crimes de guerre au Moyen-Orient, se fonde essentiellement sur un état mental fragilisé, plutôt que sur des droits aussi fondamentaux.

Le cas de d’Edward Snowden mérite aussi d’être rappelé, tant il témoigne de la différence de traitement avec Julian Assange.

Tous deux font l’objet de poursuites de la part des autorités américaines pour avoir divulgué des informations confidentielles. Tous deux se sont réfugiés dans un État différent de celui dont ils sont ressortissants. Tous deux font l’objet d’une demande d’extradition des États-Unis.

À la différence que la Russie a d’abord accueilli Snowden, refusé de l’extrader, sans jamais le placer en détention. Il a même successivement obtenu l’asile temporaire, un permis de séjour, et peut aujourd’hui librement se déplacer sur ce territoire ; aussi restreint soit-il depuis la guerre en Ukraine née entretemps.

« Des garanties suffisantes » ou un procès Kafkaïen à venir pour Julian Assange

En dépit de ses espoirs légitimes du lanceur d’alerte, en décembre 2021, l’appel devant la justice britannique fait droit à la demande des États-Unis, estimant que des garanties suffisantes avaient été fournies quant au traitement réservé à Julian Assange.

Ces garanties suffisantes sont donc à ce jour les suivantes :

  • Rien de moins qu’une prévention maximale de 175 ans de prison.
  • Rien de moins qu’un ancien Président (Donald Trump) qui a promis d’en faire « un exemple » pour tous les journalistes d’investigation.
  • Rien de moins qu’une incarcération promise dans une prison de « très haute sécurité », en l’occurrence l’ADX dans le Colorado, aux côtés de membres d’Al-Qaida.
  • Et une incarcération d’autant plus exceptionnelle qu’elle sera en isolement total.

Preuve supplémentaire de cette décision politique, la Suprem Court britannique refuse d’examiner le recours du lanceur d’alerte au prétexte qu’il ne soulèverait pas de question juridique particulière.

L’extradition vers les États-Unis ainsi ordonnée le 20 avril 2022 est donc définitive. Très concrètement, cela signifie que Julian Assange dépend maintenant de l’ordonnance d’extradition du ministre de l’Intérieur britannique. Une fois signée, il quittera le pays sous 28 jours.

Un départ donc sous forme de sentence, ici synonyme de condamnation à mort, preuve supplémentaire de l’allégeance de Londres à la puissance américaine, et signal fort du peu de cas que fait la Couronne à la cause des lanceurs d’alerte.

Pierre Farge.

Comment juger Vladimir Poutine – Le Journal du Dimanche

Comment juger Vladimir Poutine – Le Journal du Dimanche

L’avocat, Pierre Farge, démontre l’intérêt de pointer la responsabilité de Vladimir Poutine, et non pas de l’État russe, pour l’invasion de l’Ukraine. 
Retrouvez la tribune de Pierre Farge publiée dans Le Journal du Dimanche, ce 13 mars 2022.

Différents scénarios pour juger Poutine

Saisir la Cour internationale de justice contre la Russie ?

Une responsabilité étatique de la Russie. On pense d’abord logiquement à la Cour internationale de justice (CIJ), principal organe judiciaire de l’ONU. Mais elle n’est compétente que pour les seuls États qui s’y soumettent, c’est‑à-dire qui reconnaissent volontairement sa compétence.

Il est peu probable que la Russie se soumette à cette juridiction… en vue d’une condamnation quasiment garantie, à en croire l’unanimité des opinions émises dans le monde sur ce conflit.

C’est d’autant plus improbable que la CIJ ne dispose d’aucun moyen pour faire respecter ses décisions, comme faire appliquer un ­cessez-le-feu.

Saisir la Cour pénale internationale ?

Deuxième hypothèse, celle de la Cour pénale internationale (CPI), compétente pour juger des crimes contre l’humanité.

Pour la saisir, il faut que les États soient signataires du statut de Rome de 1998. Cependant, ni la Russie ni l’Ukraine n’ont ratifié cet accord.

La CPI est donc incompétente pour connaître de ces faits.

Saisir la Cour européenne des droits de l’homme ?

Troisième hypothèse pour condamner la Russie, recourir à une procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Cette option, d’ailleurs déjà engagée par l’Ukraine, promet d’être longue et n’est pas répressive au sens pénal du terme.

Créer un tribunal pénal international spécial ?

Dernière possibilité, sans doute la plus crédible, mais toujours pas immédiate : créer un tribunal pénal international spécial, comme nous l’avions fait pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda.

Ces hypothèses visent donc toutes une responsabilité de la Russie, mais pas de la personne de son président, qui serait pourtant la plus efficace.

Une responsabilité individuelle de Vladimir Poutine et de son entourage ?

Comme le tribunal de Nuremberg l’a prouvé, la responsabilité individuelle d’un dirigeant politique est possible s’il est démontré un crime de guerre en violation des lois de la guerre prévues par la convention de Genève et la convention de La Haye.

Un mandat d’arrêt international devrait être émis par Interpol contre Vladimir Poutine et son entourage politique impliqué dans le conflit.

Si cette perspective est juridiquement possible, à ce jour elle n’a jamais été mise en œuvre contre un président en exercice.

Comme il y a un début à tout, c’est une question de détermination et de volonté politique. Cette volonté pourrait se manifester en France, et Paris donner l’impulsion, à l’occasion de sa présidence de l’Union, à l’ensemble de l’Europe.

Plus largement, même si ni l’Ukraine ni la Russie n’ont ratifié le traité créant la Cour Pénale Internationale, l’Ukraine a néanmoins reconnu en 2014 sa compétence pour les crimes commis sur son territoire.

Il serait donc possible, dans le même temps, de poursuivre les ressortissants russes impliqués dans cette invasion en les arrêtant sur le territoire d’un État qui reconnaît la compétence de la CPI.

Pierre Farge, avocat au Barreau de Paris.

 

Une filiale d’ENGIE gaspille des milliers de M3 de gaz : réaction de Pierre Farge

Une filiale d’ENGIE gaspille des milliers de M3 de gaz : réaction de Pierre Farge

Maître Pierre Farge est interviewé par RMC, dans l’émission « Apolline Matin », concernant l’enquête sur le gaspillage de milliers de M3 de gaz par une filiale d’ENGIE.

Environ 2,5 millions de mètres cubes de gaz seraient ainsi rejetés chaque année, car « trop coûteux à recycler ». Non seulement, c’est une aberration écologique mais en plus, il y aurait de quoi chauffer des milliers de ménages !

Depuis 2014, un arrêté impose pourtant aux entreprises de « prendre toutes les dispositions de leur ressort pour limiter les purges ou rejets à l’atmosphère de gaz à effet de serre« .

Mais à l’heure actuelle, aucune sanction n’existe pour celles qui ne respectent pas la loi, et il n’existe pas non plus de seuil d’émissions pour le méthane.

Réaction de Pierre Farge : « On se moque du monde et malheureusement, le droit n’est pas respecté parce qu’il y a trop peu de sanctions en conséquence. Quelles sont les autorités judiciaires qui se sont saisies pour faire appliquer la loi ? Il n’y en a aucune. C’est ça qui est révoltant ».

Une situation paradoxale au moment où la question de l’indépendance énergétique européenne est posée suite au conflit en Ukraine…

Quelques exemples de « Greenwashing »

En réalité, la politique d’ENGIE en matière de Développement Durable relève de ce que l’on appelle depuis quelques années le « greenwashing », ou éco-blanchiment.

Il est ainsi défini par Wikipédia : « procédé de marketing ou de relations publiques utilisé par une organisation (entreprise, administration publique nationale ou territoriale, etc.) pour se donner une image trompeuse de responsabilité écologique. La plupart du temps, les dépenses consenties concernent davantage la publicité que de réelles actions en faveur de l’environnement et du développement durable ».

L’opinion commence, lentement, à ouvrir les yeux sur sa réalité. Les exemples sont légion et se multiplient.

On pense, entre autres, aux belles publicités d’enfants qui disent à leurs parents merci de prendre soin de la planète en souscrivant auprès de tel producteur d’électricité; ce dernier présumant sans doute qu’un enfant peut toucher davantage un adulte…

Mais l’opinion ignore encore trop largement que le mépris écologique continue en réalité de plus belle.

Prenons trois exemples, parmi d’autres :

1. Bilans d’émissions de gaz à effet de serre

Les bilans établis après le 1er janvier 2016 doivent être transmis et publiés via la plate-forme informatique des Bilans d’émissions de gaz à effet de serre administrée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), accessible au public.

Les manquements à cette obligation peuvent être sanctionnés, en théorie, par une amende de 10.000 €.

En pratique, les bilans de toutes les entités du groupe ne sont pas publiés, et ce parfois jusqu’à quatre ou cinq ans en arrière.

Cela autorise certains des plus grands groupes d’énergie à publier les résultats exemplaires d’une filiale, tout en n’étant pas transparent sur sa pollution consolidée au niveau du groupe.

2. Rapport sur les risques et la prévention des risques environnementaux

Au mépris encore du droit en vigueur (articles L.225-102-1, et R.225-104 à R.225-105-2 du Code de commerce), ces mêmes producteurs d’énergie français doivent publier un rapport concernant les risques et la prévention des risques environnementaux.

Ces informations doivent ainsi faire l’objet d’une publication encore librement accessible sur le site internet de la société dans un délai de huit mois à compter de la clôture de l’exercice et pendant cinq ans.

Aucune déclaration de performance extra-financière n’est pourtant en ligne sur le site de STORENGY, filiale d’ENGIE, qui est donc en infraction à ces dispositions, pour ne citer qu’elle.

3. Déclaration de réduction des émissions de méthane

Même groupe, autre exemple. Une déclaration de performance est disponible sur le site de GRTgaz, filiale à 61% d’ENGIE.

Dans ce rapport, la société annonce une réduction par trois des émissions de méthane (de 30,9(n)m3 en 2016 à 10,2(n)m3 en 2020)… sauf que le système européen d’échange de quotas d’émission ne couvre pas le méthane !

Des efforts très récents de la Communauté européenne proposent d’ajouter un seuil d’émission pour les entreprises concernées, mais ce n’est toujours pas le cas aujourd’hui.

Partant, il est aisé d’assurer d’une réduction de ses émissions pour un gaz qui ne fait l’objet d’aucune restriction. Un peu comme si l’on s’engageait à réduire par trois la dette sur trois ans, sans pour autant être tenu par une méthodologie claire, objective et rigoureuse pour le permettre réellement et témoigner de la sincérité de ses intentions.

Maître Pierre Farge, avocat défenseur des lanceurs d’alerte.

 

Lexbase : Pierre Farge avocat des lanceurs d’alerte et des femmes victimes de violences

Lexbase : Pierre Farge avocat des lanceurs d’alerte et des femmes victimes de violences

Dans cet entretien avec LEXBASE, Me Pierre Farge, avocat au Barreau de Paris, raconte son métier d’avocat pénaliste et son engagement auprès des lanceurs d’alerte et des femmes victimes de violences.

La vidéo est accessible ci dessous :

Transcript de l’entretien LEXBASE / Pierre Farge

Quand as-tu commencé à défendre les lanceurs d’alerte ?

C’est très tôt, quand j’ai commencé à exercer, que j’ai réalisé qu’il n’y avait pas de droit en tant que tel qui protégeait les lanceurs d’alerte. Il y avait beaucoup d’affichage sur les dispositions qui étaient censées les protéger, mais quand on était avocat et qu’on avait des clients lanceurs d’alerte et il y avait très peu de dispositifs applicables pour les protéger réellement. J’ai donc beaucoup écrit dans la presse à ce sujet et ça a fait boule de neige. Il y a plein de lanceurs d’alerte qui se sont identifiés dans les histoires que je racontais, dans le vide juridique que je dénonçais. Et petit à petit, ils sont venus de plus en plus à moi.

J’ai voulu rendre accessible au plus grand nombre un sujet qui est d’apparence compliqué. On sait avec Erin Brockovich, avec les films qu’il y a eu d’Oliver Stone sur Julian Assange et les WikiLeaks. On vulgarise la question des lanceurs d’alerte, mais là, j’ai voulu en 200 pages, c’est un livre qui se lit très rapidement,  expliquer la genèse des lanceurs d’alerte, leurs histoires. Quand est ce qu’ils sont apparus dans l’Antiquité gréco romaine ?  Expliquer qu’ils ont toujours existé.

Et aujourd’hui, ils ont un besoin très important pour que les pouvoirs publics prévoient une protection digne de ce nom. Et on voit que, faute d’un droit applicable, d’un droit qui les protège réellement, on est obligé de faire appel aux journalistes pour dénoncer et se faire le relais des alertes des lanceurs d’alerte.

Quid de l’association AMALA ?

Amala est une association que j’ai créée, dans le cadre justement de la protection des lanceurs d’alerte. Dans la mesure où le lancement d’une alerte est en général multi juridictionnelle, ça peut très bien concerner des juridictions comme la France, mais aussi beaucoup et très souvent les Etats-Unis.

Et j’ai remarqué qu’on manquait souvent de correspondants et que c’était important de les relier, que tous les spécialistes de la matière, des lanceurs d’alerte en France, en Europe ou aux Etats-Unis, voire même en Amérique latine, puissent avoir un réseau et communiquer entre eux. Aujourd’hui, grâce à cette association, quand on a besoin d’un correspondant aux Etats-Unis, on sait comment le trouver par où passer.

Tu as également créé l’asso Avocat Stop Féminicide, peux-tu nous en parler ?

Avocat-Stop-féminicide.org, plus qu’une association, c’est un collectif d’avocats, le premier collectif d’avocats venant en aide aux femmes victimes de violences conjugales. J’ai créé ça le jour de l’ouverture du Grenelle contre les violences conjugales en 2019. Et il a trois missions principales :

  1. La première mission, c’est d’orienter les femmes victimes de violences conjugales. C’est à dire les aider à constituer leur dossier pour qu’il soit utile, qui soit recevable par les autorités judiciaires. Et à ce titre, en général, on a beaucoup d’associations qui nous envoient des femmes victimes pour les orienter, pour les accompagner, les aider à constituer leur dossier.
  2. Puis, éventuellement, si le dossier est suffisamment solide, c’est de les accompagner devant les juridictions françaises, aussi bien des juridictions civiles que les juridictions pénales.
  3. Et fort de cette expertise, de ces témoignages de terrain, on essaie de faire du lobbying comme on le fait depuis 2019 auprès des pouvoirs publics pour témoigner de ce qui fonctionne, mais surtout de ce qui ne fonctionne pas, dans la chaîne pénale pour protéger ces femmes victimes de violences conjugales le plus rapidement possible.
Travail en prison : vers plus de réinsertion

Travail en prison : vers plus de réinsertion

La réforme du travail en prison proposée par Éric Dupont-Moretti vise à rapprocher le statut des travailleurs détenus à celui du droit commun par de nouvelles mesures.

Tribune de Maître Pierre Farge publiée dans Contrepoints 

En parallèle du Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire réduisant la peine des détenus faisant preuve de bonne conduite en détention, le garde des Sceaux entend maintenant leur donner les moyens d’assurer leur réinsertion. Cette ambition tient notamment à une réforme du travail en prison.

Une peine privative de liberté concilie plusieurs objectifs :

  • la protection de la société,
  • la sanction du condamné,
  • la défense des intérêts de la victime,
  • la réinsertion du détenu.

Ce dernier point apparaît avec la fameuse réforme de la politique pénale de 1945, dite « Réforme Amor ».

Son objectif : réadapter le détenu à la vie en société afin de prévenir la récidive.

Et cela peut notamment prendre deux formes : l’éducation ou la professionnalisation.

L’évolution du travail en prison

Malgré cela, le travail en prison n’a pas toujours été perçu comme un moyen de réinsertion.

D’abord parce que pendant longtemps, il était partie intégrante de la peine privative de liberté et donc obligatoire. La volonté de se réinsérer était donc, de fait, limitée…

Ce n’est qu’avec une loi 1987, relative au service public pénitentiaire, que ce paradigme évolue. Conformément à l’article 717-3 Code de procédure pénale, toute personne incarcérée doit en faire la demande. 

En 2009, cette liberté est encore étendue : le détenu prouve ses efforts de réinsertion lorsqu’il exerce au moins l’une des activités relevant de l’un des domaines suivants : travail, formation professionnelle insertion par l’activité économique, enseignement, activités éducatives, culturelles, socioculturelles, sportives et physiques (article R-57-9-1 du Code de procédure pénale).

Cette idée de travail est d’autant plus attractive que les détenus sont ensuite rémunérés de 20 à 45 % du SMIC selon l’activité. Cela leur permet ainsi soit d’améliorer les conditions de vie en détention, soit de capitaliser en vue de leur sortie, par exemple pour se loger, se déplacer, se nourrir ou se vêtir, éloignant d’autant le risque de récidive.

Ces velléités politique et juridique ignoraient cependant la réalité carcérale, à savoir des offres très limitées, en raison notamment de la surpopulation.

À titre d’exemple :

  • fin 2017, le nombre d’heures d’activités proposées dans les établissements pénitentiaires s’élevait en moyenne à 3 heures 46 par détenu et par jour ;
  • les volontaires sont ainsi fréquemment placés sur liste d’attente pour accéder à un travail, à un enseignement ou à une formation professionnelle.

La folie en prison : la détention plutôt que les soins pour une question de coût ?

Une réforme du travail des détenus qui va dans le bon sens

Le garde des Sceaux tente donc aujourd’hui de rendre effectifs ces droits, et d’améliorer les conditions des détenus, notamment ceux condamnés à des moyennes et longues peines, où la routine est d’autant plus écrasante que l’espoir de réinsertion est mince.

La réforme proposée par monsieur Éric Dupond-Moretti vise donc à rapprocher le statut des travailleurs détenus à celui du droit commun par de nouvelles mesures.

Elle leur garantit non seulement un salaire minimum, mais également une meilleure régulation de la relation de travail et l’ouverture de droits sociaux, à savoir :

  • l’extension des droits à l’assurance vieillesse,
  • l’ouverture de droits à l’assurance-chômage,
  • l’indemnisation en cas d’accidents, de maladies professionnelles et de congés maternité.

Mieux, cette rémunération promet également de ne pas servir qu’au détenu, puisqu’une partie pourrait être allouée aux victimes. Cela pourrait passer par le règlement des dommages intérêts dus par les condamnés, souvent insolvables. Ce qui allègerait d’autant le Service d’Aide au Recouvrement des Victimes d’Infractions (SARVI), à ce jour assumé par le contribuable et obligeant encore trop souvent les victimes dans des procédures chronophages.

Encore mieux, cette professionnalisation en détention permettrait de pallier la pénurie de main-d’œuvre sur le marché du travail, en particulier aux postes de techniciens ne nécessitant pas ou peu de diplômes (un tiers des PME tournent de ce fait au ralenti).

Ce serait une occasion pour les entreprises de retrouver la main-d’œuvre bon marché qui lui manque, et d’incarner cette idée de la deuxième chance, souvent utile aux valeurs de l’entreprise pour communiquer sur son image.

Outre garantir une meilleure réinsertion, le travail en prison promet donc au détenu d’améliorer l’indemnisation des victimes, et de dynamiser largement le tissu économique du pays.

Pierre Farge

Dézoom : Lanceur.se.s d’alerte au Théâtre du Point du jour à Lyon

Dézoom : Lanceur.se.s d’alerte au Théâtre du Point du jour à Lyon

Demain Samedi 4 décembre 2021 à 16h00  :

DÉZOOM Lanceur.se.s d’alerte au Théâtre du Point du Jour à Lyon

Cette saison au Théâtre du Point du Jour, les lanceur·se·s d’alerte montent sur scène, s’affichent sur les murs et inspirent les artistes. Mais qui sont ces personnes, traitres pour les uns, héro·ïne·s pour les autres, qui s’opposent aux multinationales, aux banques et aux États ? Quels sont leurs droits ?

Alors que l’Assemblée nationale examine mercredi 17 novembre les moyens de mieux les reconnaître et protéger, le Dézoom nous fait prendre du recul dans une actualité brulante.

En écho à Pale Blue Dot, la dramaturge Catherine Ailloud-Nicolas convie deux membres du Collectif Metoo, Charlène Magnin et Krystel Le Ribler, l’ancien espion de la DGSE Maxime Renahy et l’avocat spécialiste des lanceur•se•s d’alerte Pierre Farge. Ensemble, ils interrogent les définitions, expliquent la réalité et les risques qu’encourent celles et ceux qui dénoncent les puissant•e•s.

Venez nombreux !
Accès libre sur réservation sur le site du théâtre
: https://pointdujourtheatre.fr/actualites/dezoom-lanceurses-dalerte

Public sénat : La présomption d’innocence existe-t-elle encore ?

Public sénat : La présomption d’innocence existe-t-elle encore ?

Maître Pierre Farge, avocat au Barreau de Paris, est intervenu dans l‘émission « Sens Public » du 1er décembre 2021 sur la chaîne Public Sénat a propos d’une question au centre de notre système judiciaire et au centre de l’actualité depuis l’affaire Nicolas Hulot : Comment concilier le droit à l’information et la présomption d’innocence ?

Rediffusion de l’émission Sens Public du 1er décembre 2021 sur Public Sénat

Élisabeth Guigou a remis un rapport au gouvernement sur ce thème. L’ancienne garde des Sceaux était entendue au Sénat.
Débats et analyse sur Public Sénat avec les invités :

  • Élisabeth Guigou, Ancienne ministre de la justice
  • Marine Turchi, Journaliste à Mediapart
  • Pierre Farge, Avocat pénaliste
  • Sophie Obadia, Avocate
  • Matthieu Croissandeau, Éditorialiste Public Sénat

Extrait :  Pierre Farge : « Il faudrait alourdir les sanctions et obliger les organes de presse à publier les non-lieux, avec le même battage médiatique que lorsqu’il était question de vendre et de mobiliser l’opinion autour d’un nom »

Le secret professionnel des avocats attaqué

Le secret professionnel des avocats attaqué

Le Sénat adopte définitivement le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Malgré un amendement de dernière minute dangereux, les atteintes au secret professionnel restent sauves.

Tribune de Maître Pierre Farge parue du Contrepoints

En France, le secret professionnel de l’avocat est défini par la loi du 31 décembre 1971.

Il s’agit d’un principe fondamental à la base de la profession d’avocat : pour pouvoir utilement défendre, il doit y avoir une confiance absolue avec son client, qui doit pouvoir tout dire. Le secret professionnel était jusque récemment absolu. Il était un et indivisible.

C’est sans compter qu’avec l’évolution de la profession, l’avocat n’est plus seulement un défenseur, il est aussi un conseiller.

LE RÔLE DU SECRET PROFESSIONNEL

La chambre criminelle de la Cour de cassation faisait ainsi une distinction dans la protection des correspondances entre un client et son avocat selon l’activité de l’avocat :

  • lorsqu’elles interviennent dans le cadre d’une activité de conseil, la Cour autorise la saisie de ces correspondances.
  • En revanche, la chambre civile de la Cour de cassation couvrait du secret professionnel toutes les correspondances avec un avocat, quel que soit le domaine d’intervention.

Afin de rendre la jurisprudence cohérente, la loi du 7 avril 1997 modifie l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 et étend clairement le secret professionnel à « toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense ».

En dépit de ce texte pourtant très clair, la chambre criminelle de la Cour de cassation reste toujours dans la nuance.

Encore récemment, dans un arrêt du 23 décembre 2020, alors même qu’elle rappelle le principe de la protection des correspondances entre un client et son avocat en toutes matières, elle juge légale la saisie de ces correspondances lorsqu’elles ne concernent pas l’exercice des droits de la défense.

UN PRINCIPE SOUS ATTAQUE

C’est dans ce contexte que le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire intervient, avec pour objectif affiché de renforcer le secret professionnel de l’avocat. En réalité, c’est l’inverse qui a failli se passer, et un jeu à somme nulle qui a finalement abouti.

La loi modifie directement le Code de procédure pénale par un article en ces termes :

« Le respect du secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 665 de la loi n° 711130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, est garanti au cours de la procédure pénale dans les conditions prévues par le présent code ».

C’est la première reconnaissance de la divisibilité du secret professionnel, de la défense et du conseil. Mais surtout une formulation malheureuse qui divise le secret professionnel entre l’activité de défense et l’activité de conseil.

Et pour cause, la loi prévoit également l’ajout d’un nouvel article 56-1-2 selon lequel le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquêtes ou d’instructions en matière de fraude fiscale, corruption, trafic d’influence, financement du terrorisme et blanchiment de ces délits.

Autrement dit, si l’avocat est complice même à son insu (en vertu d’un conseil qu’il aurait donné sans tout savoir du caractère frauduleux des agissements du client), le secret ne tient plus.

Autrement dit encore, une présomption de culpabilité permettait de mettre à mal le secret professionnel au prétexte de poursuites pour fraude fiscale, corruption ou trafic d’influence.

Et pour cause, où placer cette frontière de la défense et du conseil d’un client qui consulte, par exemple, un avocat pour dissoudre sa société ; puis l’avocat de comprendre que le client est finalement poursuivi pour fraude fiscale, et se voyait consulté sans doute pour organiser son insolvabilité ?

Cette extension des pouvoirs du juge n’est pas sans rappeler celle communément admise de placer un avocat sur écoute téléphonique pour un dossier précis, mais qui finalement permet d’écouter tous les échanges, et ainsi potentiellement n’avoir plus qu’à choisir celui le plus utile pour engager des poursuites.

Soit encore une fois au mépris de l’esprit et de la lettre du secret professionnel.

Pierre Farge, avocat au Barreau de Paris

Crédit photo de couverture : Eric Dupond Moretti by Pierre Metivier (creative commons) (CC BY-NC 2.0)

L’animal n’est pas un meuble

L’animal n’est pas un meuble

Preuve de l’intérêt grandissant de l’opinion pour la cause animale, le premier Code de l’animal en Europe nait en France le 22 mars 2018.

Il rassemble toutes les dispositions légales et réglementaires en droit interne, européen et international, ainsi que les arrêts de jurisprudence les plus significatifs pour la protection des animaux de compagnie, d’élevages et sauvages.

En France encore, le 18 novembre 2021 est adoptée définitivement la loi pour la lutte contre la maltraitance animale. Elle prévoit notamment de nouvelles réglementations pour lutter contre l’abandon des animaux domestiques et durcit les peines applicables en cas de sévices et d’actes de cruauté.

Malgré ces avancées, les animaux restent toujours considérés, au sens juridique du terme, comme des biens meubles, comme l’explique Maître Pierre FARGE dans cet article paru dans Madame Figaro.

En cas de séparation, à qui revient la garde de l’animal ?

Handicap et études supérieures : un étudiant porte plainte contre son école d’ingénieurs

Handicap et études supérieures : un étudiant porte plainte contre son école d’ingénieurs

Un étudiant «multidys» n’a pas obtenu les aides auxquelles il avait légalement droit pour passer un concours d’écoles d’ingénieurs et a porté plainte contre les Arts et Métiers pour discrimination. L’audience se tient ce vendredi 19 novembre 2021.

Après avoir témoigné de cette affaire lors de la Journée Nationale des Dys, son avocat Pierre Farge appelle aujourd’hui à la mobilisation générale pour cette audience cruciale pour l’égalité d’accès à des études supérieures des personnes en situation de handicap.

Venez nous soutenir en assistant au procès le 19 novembre 2021 à 13h30 au Tribunal judiciaire de Paris, 17e chambre, situé Parvis du tribunal judiciaire de Paris, 75017 Paris.
C’est à la Porte de Clichy : Métro lignes 13 et 14, RER C, Tramway ligne T3b, Bus RATP 28, 54, 74, 163 et 173.
Audiences publiques : comment accéder au Tribunal judiciaire de Paris pour assister à un procès.

Discrimination des Dys : Pierre Farge témoigne à la Journée Nationale des Dys

Article d’Elsa Maudet paru dans LIBERATION > Le handicap au quotidien

« Raphaël se bat un peu pour lui-même et beaucoup pour les autres. A quasi 22 ans, en quatrième année d’école d’ingénieur, il ne lui reste plus qu’un an à tirer. «Je sais très bien que je ne vais pas intégrer une autre école. Une fois que le dossier sera clos, je n’aurai rien gagné», estime le jeune homme.

Le 19 novembre, il a rendez-vous au tribunal correctionnel de Paris, devant qui il poursuit l’Ecole nationale supérieure d’arts et métiers (Ensam) et son directeur général, Laurent Champaney, pour «discrimination fondée sur le handicap avec la circonstance aggravante d’avoir été commise par une personne dépositaire de l’autorité publique».

L’affaire remonte à 2020. En début d’année, Raphaël s’inscrit à la Banque PT, un concours commun aux écoles d’ingénieurs recrutant des étudiants parmi les classes préparatoires de la filière physique-technologie (PT). Ce pour quoi il bûche depuis près de deux ans.

Lors de l’inscription, il coche la demande d’aménagements, dont peuvent bénéficier les étudiants handicapés. Le jeune homme est «multidys» : dyslexique, dysorthographique, dyscalculique, dysphasique, dysgraphique et dyspraxique. «La parole n’est pas innée, l’écriture n’est pas innée. Le spontané n’existe quasiment pas», résume-t-il depuis le cabinet de son avocat, à Paris.

Sans ordinateur, il rend des copies à l’apparence brouillonne. Sans correcteur orthographique, elles sont truffées de fautes. Sans calculatrice, il ne peut pas faire de graphiques ni d’opérations simples. Bref, il a besoin de ces aménagements pour pouvoir montrer ce qu’il vaut, son intelligence et ses compétences académiques n’étant en rien amoindries par ses troubles. Raphaël fait donc une demande d’aménagements, puis envoie les documents justifiant ses besoins. «J’avais fait en sorte de voir tous les médecins et spécialistes avant», resitue l’étudiant.

Notes catastrophiques

Les semaines passent et aucune validation de sa demande ne lui parvient. Dans la dernière ligne droite avant l’échéance, censée être une phase d’intenses révisions, «je passais beaucoup de temps à chercher à comprendre à qui il fallait m’adresser pour avoir des réponses». Ses coups de fil et courriers sont sans réponse depuis des mois.

A force d’acharnement, il obtient notamment un tiers-temps, c’est-à-dire davantage de temps pour composer au concours, et un ordinateur. Sans correcteur orthographique ni logiciels adaptés. Il continue donc de demander la totalité des aménagements dont il a besoin pour passer son concours dans des conditions équitables par rapport aux étudiants valides. En vain.

«Le jour J, j’ai essayé de faire au mieux, en perdant un temps monstrueux sur la recherche de mots. Dès le début de l’énoncé, c’est écrit “lisibilité et orthographe sont déterminants”. Comment un dyslexique peut compenser son orthographe s’il n’a pas son correcteur d’orthographe ?», souffle Raphaël.

Le jour des résultats, le couperet tombe : ses notes sont catastrophiques. Avec notamment un 2/20 en français, qui lui laisse à penser que son travail n’a même pas été lu – ses demandes de consultation de copies sont restées lettre morte. Les portes des meilleures écoles d’ingénieurs se ferment. «J’avais la possibilité d’intégrer une école post-bac mais j’avais fait le choix d’aller en classe préparatoire pour avoir mieux, s’agace Raphaël. Je ne demande pas à être catapulté en haut du classement, je connais mes compétences. Mais les Arts et métiers, c’était réalisable. Je pense qu’ils se sont dit que je n’avais rien à faire ici.» 

Le vingtenaire a saisi le tribunal par une citation directe en octobre 2020. Aujourd’hui, il étudie dans une école accessible après le baccalauréat, qu’il a intégrée directement en troisième année.

«Ça ne compensera jamais ce qu’il a perdu»

Du côté des organisateurs du concours, on assure tantôt n’avoir pas reçu le dossier médical, tantôt que l’intéressé s’y est pris trop tard. «J’ai bien vérifié, il n’y a pas de faute de la part de la famille, tout a été fait selon les règles», défend Concepcion El Chami, présidente de l’association Dyslexiques de France. Sollicité par Libération, l’Ensam, qui gère les dossiers d’inscription et l’organisation des épreuves écrites de la Banque PT, n’a pas souhaité s’exprimer car la procédure judiciaire est en cours.

Habituellement, ce type de litiges se règle au tribunal administratif, pas au pénal, mais «de plus en plus de jeunes qui sont dans le supérieur ont vécu cela et veulent être entendus. Derrière cette audience, il y a un ras-le-bol de cette légèreté. Il faut montrer la responsabilité des personnes qui traitent les dossiers et montrer qu’il y a un préjudice, un impact sur la vie des gens», assène Concepcion El Chami. «Quoi qu’on obtienne comme somme, ça ne compensera jamais ce qu’il a perdu. Toute sa carrière, il devra assumer le fait d’être dans cette école», moins prestigieuse, juge Pierre Farge, l’avocat de Raphaël«Quand je voudrai évoluer, il faudra que je me justifie. Les autres seront augmentés par défaut parce qu’ils auront fait une meilleure école», anticipe le jeune homme. Aujourd’hui, il peine à imaginer son avenir. Sa seule certitude : il rejoindra «une entreprise qui a des valeurs». Et traite correctement les travailleurs handicapés. »

Info relayée sur Twitter 

https://twitter.com/Pierre_Farge/status/1460608703619608579?s=20