La surpopulation carcérale en France atteint des records historiques, reflétant une inertie politique préoccupante face à un problème qui met à mal les principes fondamentaux de la République.
Tribune de Maître Pierre Farge publiée dans Contrepoints
Régulièrement condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) pour ses conditions de détention, et en cinquième place du classement des pires pays européens pour son taux d’occupation carcéral, la France aggrave sa situation.
La publication du rapport d’activité 2022 de Dominique Simonnot, actuelle Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, met une nouvelle fois en évidence la surpopulation carcérale et l’inertie des politiques publiques à respecter certains des plus importants principes de la République.
Le dernier rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) établit un nouveau record historique, portant à 73 080 le nombre de détenus dans les prisons françaises pour 60 899 places, soit un taux d’occupation de 142,2 %.
Selon le rapport, cette « inertie coupable » contraint plus de 2100 détenus à dormir sur un matelas au sol, sans sommier, « à vivre à trois par cellule, 21 heures sur 24 – dans moins de 1 m² d’espace vital par personne –, d’être grignotés par les punaises, envahis par les cafards et les rats ».
Ces chiffres témoignent d’une promiscuité aux doubles conséquences, à savoir, directement, 11 967 agressions entre détenus et 4911 à l’encontre du personnel pénitentiaire en 2022 ; et, indirectement, en entretenant un milieu propice à la récidive plutôt qu’à la réinsertion.
Mépris depuis dix ans du principe de l’encellulement individuel
Cet état de fait est d’autant plus honteux qu’il va au mépris du principe de l’encellulement individuel introduit en droit français par une loi de 1875.
Aménagé par une dérogation devenue provisoirement durable de 2014 à 2019, l’article 106 de la Loi de finances rectificative pour 2014 disposait ainsi que :
« Il peut être dérogé au placement en cellule individuelle dans les maisons d’arrêt au motif tiré de ce que la distribution des locaux ou le nombre de personnes détenues ne permet pas son application… ».
Cette dérogation au « droit à l’encellulement individuel », visant à tenir compte du manque de places disponibles, a finalement été reconduite jusqu’à fin 2022. Proposée par le gouvernement lors de l’examen du projet de budget de l’État pour 2023, l’Assemblée nationale a encore une fois adopté un report jusqu’en 2027.
C’est donc un contournement du principe d’encellulement individuel qui s’est institutionnalisé depuis déjà presque dix ans, soit ni plus ni moins le mépris de la loi par l’État lui-même.
Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti avait affirmé qu’« il est indispensable que ce moratoire soit reconduit », « à défaut, l’administration sera exposée à de très nombreux recours contentieux ». À suivre ce raisonnement, le problème ne serait pas d’endiguer la surpopulation carcérale comme il l’a dénoncé durant 35 ans d’exercice, mais de faire en sorte que l’administration ne soit pas condamnée à ce titre. Excellente reconversion politique pour un ancien avocat, mais qui ne résout donc rien sur le fond du problème de la surpopulation carcérale.
Parce qu’il vaut mieux faire que dire, l’action commande de se concentrer sur le développement de structures légères, adaptées aux courtes peines.
Des structures adaptées aux courtes peines
Cette ambition est la plus sérieuse. En effet, aujourd’hui en France, il n’existe que trois structures de ce genre, et avec 40 % des peines prononcées inférieures à un an, en développer davantage garantirait la résorption de la surpopulation carcérale en même temps que la réinsertion. Cela permettrait d’intervenir plus systématiquement dès les premiers faux pas et ainsi éviter les récidives plutôt qu’un enfermement tardif après de multiples condamnations laissées sans effet. La surpopulation carcérale empêche l’exécution de la grande majorité des peines, et donne ainsi au justiciable un sentiment d’impunité.
Les pays scandinaves comme la Suède ont éprouvé ce système caractérisé par des cellules individuelles de 7 m2, une possibilité de thérapie et d’études pour les détenus, une augmentation du nombre des conseillers d’insertion.
Voilà donc une initiative claire, simple et abordable qu’il faudrait attendre des programmes présidentiels français, aussi bien de gauche que de droite. À gauche, puisqu’elle obéit à ses valeurs de prévention de la délinquance, d’accompagnement socio-éducatif et d’aménagement des peines. À droite, puisqu’elle obéit à la tradition peut-être plus sécuritaire de placement des condamnés dans des structures adaptées, sans pour autant diminuer le nombre de détenus.
Sans esprit partisan, ces structures plus légères sont, par définition, moins coûteuses : les coûts de réalisation sont estimés 40 % inférieurs à un établissement pénitentiaire classique, de même qu’est amoindri le ratio détenus/fonctionnaires nécessaire à la surveillance.
Cette mesure témoigne de tout ce qu’on attend d’un chef de l’État qui a fondé ses deux campagnes présidentielles sur le dépassement du clivage gauche/droite, et promettait le pragmatisme des bonnes idées des deux bords.
Qui plus est, Dominique Simonnot suggérait déjà il y a un an que des peines autres que l’incarcération systématique soient mises en place, à savoir « le travail d’intérêt général, le sursis probatoire, la libération sous contrainte, ou encore les jours-amende (contribution quotidienne au Trésor pendant un nombre de jours déterminé en fonction des ressources et charges du prévenu), pour ne citer qu’elles. Des aménagements sont également possibles, comme les placements extérieurs, la semi-liberté, le placement sous bracelet électronique, la libération conditionnelle… ».
Elle insistait sur leur caractère véritablement contraignant puisqu’elles sont soumises au contrôle des services pénitentiaires d’insertion et de probation.
Ces solutions font notamment écho au système de la régulation carcérale qui permettrait, au-dessus de 100 % d’occupation, à chaque entrée de nouveau détenu, la sortie d’un autre, sous le contrôle du juge d’application des peines. Dès 2018, la Direction de l’administration pénitentiaire y était très favorable et c’est ce qu’avait promis Emmanuel Macron.
Pour tenter de comprendre pourquoi aucune mesure n’a donc été effectivement prise, peut-être faut-il conclure, assez logiquement, que le développement d’un nouveau parc immobilier pénitentiaire est très coûteux, et pèse donc sur le mandat qui le vote, mais profite systématiquement à la législature suivante, voyant du même coup le taux d’occupation diminuer.
C’est la distinction entre le temps politique et l’intérêt général.
Pierre Farge
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