Plaidoyer pour la création de l’Autorité de Protection des Lanceurs d’Alerte (APLA) dont la mise en place permettrait de recouvrer 20 à 30 milliards d’euros par an, tout en préservant la croissance.
Alors que le vote du budget 2025 s’accompagne d’une recherche de 60 milliards d’euros, la création d’une autorité indépendante chargée de protéger les lanceurs d’alerte et récupérer les fonds issus de leurs révélations permettrait de recouvrer entre 20 et 30 milliards de recettes en une année.
Aux antipodes d’un comité Théodule, cette nouvelle autorité forcerait aussi à réduire la multitude d’agences publiques pesant inutilement sur le budget de l’Etat.
Avec un déficit public de 5,5% du PIB en 2023 (au lieu de 3%), qui sera peut-être contenu à 5,2% en 2024, la France a été placée par la Commission européenne en « procédure de déficit excessif ». Elle est à ce jour la pire élève de la zone euro. Cela l’oblige à réduire son déficit hors charges d’intérêts à 10 milliards d’euros par an.
Pour répondre à cette urgence budgétaire, la création d’une autorité indépendante chargée de protéger et recouvrer les fonds issus des alertes permettrait plusieurs dizaines de milliards d’euros de recouvrement chaque année.
Elle se distinguerait par son indépendance financière, une expertise spécifique en matière d’alerte et des délais de traitement restreints (de quelques jours à quelques semaines maximums).
Elle pourrait s’appeler l’Autorité de protection des lanceurs d’alerte, ou APLA.
La création de l’APLA
L’APLA apporterait trois grands jalons.
Simplification
D’abord une simplification : du fait de la multiplication des textes législatifs, décrets, circulaires, rapports, notes, et initiatives privées comme les associations et autres fondations portant leur aide à la protection des lanceurs d’alerte depuis une décennie – souvent de bonne volonté, mais trop peu utile – la lisibilité est de plus en plus complexe.
Centraliser cette gestion, éliminerait les chevauchements bureaucratiques, simplifiant d’autant les démarches des lanceurs d’alerte, et donc encouragerait l’alerte.
Harmonisation
Cette autorité unique aurait aussi l’avantage d’harmoniser les dispositifs existants.
Elle protégerait le lanceur d’alerte, l’aviseur fiscal (qui n’est autre qu’un lanceur d’alerte du fisc) et l’informateur des douanes (qui n’est autre qu’un lanceur d’alerte des douanes).
Et notamment en matière de prise en charge financière, contingence essentielle pour encourager les alertes, afin de pallier au licenciement abusif par exemple et aux frais liés aux procédures judiciaires.
Désengorgement
L’APLA apporterait encore un désengorgement de l’unique autorité aujourd’hui compétente : le Défenseur des droits.
Alors que cette institution était déjà débordée par quatre missions[1], dont la première, sans cesse croissante, est l’atteinte aux droits des étrangers, il lui a été rajouté en 2016 la compétence d’orienter les lanceurs d’alertes. Autrement dit, d’attribuer après vérification des conditions légales le statut du lanceur d’alerte à toute personne qui en formule la demande, dans un délai maximal de six mois.
Cette nouvelle compétence augmente la charge de travail d’une institution déjà sous-dotée. En 2023, elle a reçu 257.000 sollicitations pour seulement 590 délégués territoriaux, soit environ 450 réclamations à traiter par personne par an, soit, grossièrement, plus d’une réclamation par jour ouvré.
L’année 2023 ayant marqué une hausse de 128% des saisines, cette nouvelle compétence en matière d’alerte ne permet donc ni de tenir le délai ni d’apporter une réponse utile. D’autant que, dans les faits, l’institution peut souvent mettre bien plus que six mois à répondre, quand elle répond, car aucune sanction n’est prévue à ce non-respect du délai.
L’APLA permettrait encore de soulager le Défenseur des droits disposant d’un budget annuel 2023 insuffisant de 27 millions d’euros[2]. Voire dérisoire comparé au potentiel de recouvrement des lanceurs d’alerte.
- Aux Etats-Unis, depuis 2013, les services spécialisés des lanceurs d’alerte (DoJ et SEC) recouvrent des sommes avoisinant annuellement 6 milliards de dollars ;
- En France, les lanceurs d’alerte prévus à la loi Sapin II ont permis des recouvrements comme l’amende versée par Airbus en 2020 de 2,1 milliards ;
- Selon les informations publiques disponibles, les alertes fiscales (DNEF) ont permis de recouvrer sur la décennie plus de 15 milliards d’euros ;
- sans compter les recouvrements grâce aux informateurs des douanes dont les chiffres sont encore plus confidentiels.
Dans l’urgence budgétaire, autant que d’un long terme productif, pas besoin d’un avis du Conseil national de productivité pour conclure que le montant de recouvrement minimum s’élèverait entre 20 et 30 milliards d’euros par an, soit à peu près celui de la charge de la dette, tout en préservant la croissance.
Cette création permettrait aussi de rationnaliser les comités Théodule, ces centaines d’agences publiques qui pèsent sur le budget de l’Etat sans qu’il ne soit prouvé leur réelle utilité (quatre agences publiques pour s’occuper de l’alimentation et de la consommation par exemple; ou sept agences pour les questions environnementales qui se réunissent pour certaines moins d’une fois par an).
En les fermant, ce serait autant d’économies et de simplification des institutions.
Le financement de l’APLA
Le financement de l’APLA pourrait être généré de manière autonome et sans conséquence sur le budget de l’Etat.
- Quoi qu’un financement public n’enlèverait rien au symbole d’assurer que la France défend bien comme elle l’assure le lanceur d’alerte, l’APLA pourrait fonctionner en circuit fermé, financée par les sommes recouvrées grâce aux alertes.
En s’autofinançant, cette autorité préserverait le socle de sa crédibilité : son indépendance. C’est donc le moyen de financement à privilégier avant tous les autres.
- Cette autonomie budgétaire pourrait aussi être garantie par des taxes spécifiques sur certains secteurs ou industries à risque. Quoi que sûrement impopulaires, ces taxes pourraient être justifiées par le fait que ces secteurs bénéficieraient indirectement de la régulation et de la transparence que l’autorité contribuerait à instaurer.
- A l’image encore d’une cotisation annuelle obligatoire des grandes entreprises tenues au financement de l’APLA. En soutenant, réellement, un dispositif de protection des lanceurs d’alerte, cela renforcerait leur publicité et engagement pour l’éthique et la transparence auquel elles sont si chères.
La création de l’APLA nécessiterait l’adoption d’une loi. D’intérêt général et transpartisane – à l’image de grandes lois comme celles de l’Assurance Maladie Universelle en 1999 ou de Programmation Militaire adoptée en 2018 – elle garantira, sans coût, une marge de manœuvre budgétaire sous un an. Elle pourra déjà s’insérer dans le plan budgétaire de l’année suivante, faisant des lanceurs d’alerte un pilier central de politique publique.
Maître Pierre Farge
[1] Le droit des usagers du service public, le droit des enfants, la lutte contre les discriminations et la surveillance du respect des règles de déontologie par les professionnels de sécurité.
[2] A titre de comparaison, d’autres agences de régulation comme l’AMF (avec un budget de 130 millions et 114,5 millions de recouvrements), ou la CNIL (avec un budget de 26 millions et 89 millions de recouvrements)