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4 mesures à appliquer d’urgence après le Grenelle des violences conjugales

4 mesures à appliquer d’urgence après le Grenelle des violences conjugales

Tribune de Maître Pierre Farge publiée dans le Huffington Post

Enfin les conclusions du Grenelle sur les violences conjugales sont arrivées.
Enfin les pouvoirs publics ont pris conscience de ce que dénoncent toutes les associations de victimes et les avocats sur le terrain depuis plus de dix ans.
Enfin la justice fait son mea culpa et tire les conséquences des graves dysfonctionnements judiciaires face aux femmes mortes sous les coups de leur conjoint.
Enfin le chiffre de 138 féminicides depuis le début de l’année, soit 18 de plus qu’en 2018 sur une année encore non écoulée, va ralentir, et nous l’espérons un jour s’arrêter. Enfin une femme ne sera plus tuée en France tous les deux jours sous les coups de son conjoint.

C’est en tout cas dans cet esprit que 150.000 personnes participaient samedi à la Marche contre les violences faites aux femmes, organisée à Paris par le collectif #NousToutes.

En France, une femme est tuée tous les deux jours par son conjoint

Un état des lieux alarmant, confirmé par le rapport accablant du 17 novembre 2019 révélé par la Ministre de la Justice mettant très clairement en évidence les profondes défaillances du système judiciaire en matière de lutte contre les violences conjugales.

En effet, aujourd’hui, seulement 18% des mains courantes donnent lieu à investigation, et 80% des plaintes sont classées sans suite. Autant dire, un taux extrêmement faible de poursuites effectives après des faits de violences conjugales, qu’elles aient ou non entraîné la mort.

Des paroles, mais surtout des actes! 

Maintenant que ces conclusions sont intervenues, il est indispensable que les paroles laissent place à quatre actions de l’après Grenelle.

1) À commencer par l’inscription du féminicide dans le Code pénal, une mesure demandée par l’ONU des Femmes à la France, et plaidée par notre Collectif depuis le premier jour, notamment dans Le Monde.

2) Sur cette nouvelle base, il est indispensable de garantir une meilleure prévention par la formation des policiers et gendarmes aux violences conjugales,  la mise en place de protocoles de prise en charge des victimes, ainsi que la transmission systématique des plaintes et mains courantes à un juge.

3) Dans ce sens, sur le modèle des mineurs victimes de violences, systématiser la levée du secret médical, permettant à tout professionnel de santé, même en cas de refus de la victime, de signaler des faits de violence conjugale, facilitant ainsi la détection de femmes en danger vital.

4) D’un point de vue strictement judiciaire, se battre pour raccourcir les délais d’audiencement.

Il n’est en effet pas raisonnablement possible de donner une date d’audience à six mois, ou plus, à une femme ayant quitté, avec ses enfants, en urgence, et en général sans ressources, le domicile conjugal aux fins d’obtenir une mesure d’éloignement du conjoint violent.

Comme en ont témoigné les instructions du gouvernement de raccourcir drastiquement les délais dans le cadre du Grenelle, cette ambition relève de la volonté politique d’imposer des délais restreints aux présidents de juridictions sur tout le territoire français.

En témoigne par exemple l’instruction donnée à la juridiction-pilote de cette réforme, à savoir le Tribunal de grande instance de Créteil, connaissant initialement devant le JAF des délais d’audiencement de plusieurs mois, tout d’un coup ramenés à 10 jours pour obtenir une date d’audience, et 8 jours supplémentaires pour mettre à disposition son jugement. Preuve que cette réduction des délais est donc possible.

Enfin, rendre cet éloignement effectif en garantissant le relogement de l’agresseur par le biais de programmes publics et associatifs, au risque sinon de voir ce dernier revenir chez sa victime, qui en général fragilisée ne voit d’autre possibilité que de rouvrir sa porte.

Ce plan d’action progressif est clair, parfaitement réalisable, et donc applicable dès demain.

Pierre Farge Avocat,
Président du 1er collectif d’avocats en France aidant les femmes victimes de violences conjugales : avocat-stop-féminicide.org

Pierre Farge à CNews : Féminicides, comment améliorer la réponse judiciaire

Pierre Farge à CNews : Féminicides, comment améliorer la réponse judiciaire

Pierre Farge au Carrefour de l’info – CNEWS 17 novembre 2019

(pas de Replay disponible)

Après son intervention du 12 novembre, Pierre Farge était à nouveau sur le plateau de CNEWS le 17 novembre, pour réagir à la publication du rapport de l’Inspection Générale de la Justice révélant les failles du suivi judiciaire des femmes victimes de violences conjugales.

Inspection générale de la justice : Mission sur les homicides conjugaux (pdf)

Il s’exprime sur les 24 recommandations adressées à la ministre de la justice Nicole Belloubet, qui a promis de les mettre en œuvre.

 


Liste des 24 recommandations de la Mission sur les homicides conjugaux – Octobre 2019

  1. Organiser une campagne nationale annuelle de sensibilisation et assurer une meilleure diffusion auprès du public et des professionnels des dispositifs de protection.
  2. Systématiser l’information de la victime à tous les stades de la procédure pénale dès lors qu’une interdiction la concernant est imposée à l’auteur. Lui communiquer les coordonnées de l’autorité à contacter en cas de nécessité.
  3. Systématiser l’information de la victime de violences conjugales et de son conseil de la date de sortie de détention de l’auteur même en cours de détention provisoire ou à l’occasion de permission de sortie.
  4. Recenser les dispositifs d’accompagnement des victimes en vue de leur évaluation et de leur développement.
  5. Modifier l’article 226-14 du code pénal pour permettre à tout professionnel de santé de signaler les faits même en cas de refus de la victime
  6. Élaborer une grille d’évaluation des facteurs de risques à destination des parquets
  7. Permettre l’attribution des téléphones grave danger sans les réserver aux seules situations d’extrême danger et réduire à 24/48heures le processus d’évaluation sur l’opportunité d’attribution d’un tel dispositif sans attendre le prononcé d’une interdiction judiciaire de contact.
  8. Demander aux procureurs de la République de s’assurer de l’efficacité des dispositifs locaux de remontée des faits de violences conjugales.
  9. Organiser par ressort de cour d’appel une réunion de retour d’expérience pour chaque dossier d’homicide conjugal.
  10. Systématiser la recherche par la permanence pénale de procédures en cours auprès des services des JAF, JE et JAP.
  11. Mettre en place un dispositif statistique de recensement des homicides conjugaux.
  12. Actualiser le guide de l’action publique en matière de traitement des violences conjugales.
  13. Créer au sein du ministère de la justice une instance coordinatrice chargée d’évaluer l’efficacité de la politique publique en matière de lutte contre les violences conjugales.
  14. Créer dans les juridictions une cellule de veille consacrée aux violences conjugales à laquelle seront associés les magistrats en charge des situations conjugales ou familiales dégradées.
  15. Accompagner le développement de l’ordonnance de protection en confiant éventuellement ce contentieux à la juridiction de proximité et en sensibilisant les barreaux et les écoles de formation des avocats au recours plus systématique à cette procédure.
  16. Conduire une réflexion organisationnelle du traitement des violences conjugales dans le cadre d’un projet de juridiction.
  17. Favoriser, au titre des obligations de soins du contrôle judiciaire, d’une composition pénale ou d’un sursis avec mise à l’épreuve, le suivi de l’auteur par des médecins addictologues, des psychiatres ou psychologues et des professionnels spécialisés en matière d’addiction et de violence.
  18. Élaborer dans chaque ressort de tribunal de grande instance des protocoles de prise en charge des auteurs par le secteur associatif afin de permettre leur mise à l’écart temporaire y compris en hébergement autonome, leur prise en charge psychologique et leur participation à un groupe de paroles.
  19. Inviter les parquets à donner une réponse pénale dès le premier fait, à systématiser les stages de sensibilisation aux violences conjugales, ou à recourir à une mesure d’éviction de courte durée de l’auteur assortie d’une prise en charge psychologique dans le cadre d’un rappel à la loi ou d’une composition pénale.
  20. Faire entendre systématiquement les mis en cause par les services d’enquête;
  21. Développer systématiquement dans le cadre du parcours de détention des auteurs des prises en charge collectives sur les violences conjugales (programmes de prévention de la récidive). Dès lors, conditionner l’octroi de réduction de peine supplémentaire pour les auteurs de violences conjugales à leur participation à ce type de module ou à un suivi psychologique régulier pendant la détention.
  22. Étendre l’entrée en application des interdictions prononcées dans le cadre d’une peine mixte dès la période de détention ou, à défaut, inviter les chefs d’établissement pénitentiaire à ne pas accorder de parloirs et a fortiori d’unité de vie familiale aux auteurs pour rencontrer leur conjoint ou ex-conjoint victime.
  23. Systématiser, en cas de violation des interdictions de contact avec la victime, le recours au placement sous surveillance électronique dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’un sursis avec mise à l’épreuve ou d’une mesure d’aménagement de peine.
  24. Introduire dans le référentiel des pratiques opérationnelles 1 un item spécifique sur les auteurs de violences conjugales afin de ne pas éluder la nature de l’infraction du champ de l’évaluation des auteurs et réfléchir au développement sur tout le territoire national de programmes de prévention de la récidive centrés sur les violences conjugales en détention et en milieu ouvert.
Violences conjugales : Pierre Farge sur CNEWS pour le collectif Avocat Stop féminicide

Violences conjugales : Pierre Farge sur CNEWS pour le collectif Avocat Stop féminicide

Alors qu’un nouveau féminicide tragique s’est produit en Alsace, le 131ème depuis janvier 2019, Maître Pierre Farge est intervenu ce 12 novembre au Carrefour de l’Info sur la chaîne CNEWS pour expliquer comment le collectif Avocat Stop Féminicide vient en aide aux femmes victimes de violences conjugales.

Voir la rediffusion de l’émission (Pierre Farge intervient de 23’16 à 28’25) :

Le collectif Avocat Stop Féminicide

Ce collectif national d’avocats intervient sur trois plans :

  • en conseil auprès des femmes concernées
  • en accompagnement des victimes pour une défense au civil et au pénal.
  • en support auprès de pouvoirs pouvoirs publics pour adapter le droit, notamment dans le cadre du Grenelle des Violences conjugales.

Même si beaucoup d’associations existent, les victimes restent le plus souvent démunies quand elles sont victimes de ces violences, et le collectif s’est créé pour les conseiller sur la marche à suivre pour faire valoir leurs droits et sortir du cycle des violences.

Victime de violences conjugales, que faire ?

La question de la preuve des faits de violence est ainsi cruciale, pour sortir du piège du « parole contre parole » lors de l’enquête préliminaire. sans preuve, on ne pourra pas obtenir une condamnation en justice d’un homme si violent soit-il. Elle peut être rapportée par tous moyens : SMS, courriel, photo, vidéo, ou, plus discret, enregistrement vocal…sont des preuves admissibles.

L’objectif est en effet de pouvoir obtenir du Juge aux Affaires familiales la délivrance en urgence d’une ordonnance de protection (*), visant notamment une mesure d’éloignement du conjoint violent, et l’ouverture d’une instruction sur la base des preuves déposées.

Ce qui doit changer

Les commissariats et gendarmeries, peut-être faute de moyens et de formation, n’offrent toujours pas une réponse adaptées aux cas qui leur sont signalés, ainsi que le rappelle le tragique fait divers d’aujourd’hui. Pourtant, pour prévenir ces drames, il est déterminant d’intervenir le plus en amont possible, dès le premier signalement aux autorités.

Les procédures judiciaires auprès du juge aux Affaires Familiales devraient également être accélérées, Les délais actuels (plusieurs semaines) sont actuellement beaucoup trop longs et mettent en danger les femmes qui demandent en urgence une ordonnance de protection. C’est une question de vie ou de mort !

Enfin, la société civile peut aussi se mobiliser pour les aider :

  • Les banques doivent se montrer solidaires et accorder des facilités de paiement à ces femmes qui se voient couper les vivres par leur ex-conjoint dès qu’elles quittent le domicile pour fuir les violences.
  • Les employeurs doivent soutenir leurs salariées et accorder à ces femmes les congés nécessaires pour leur permettre de s’organiser quand elles sont dans cette situation dramatique.
  • les voisins peuvent témoigner et signaler les violences dont ils sont témoins.

Vous avez besoin d’aide ?

Contactez le collectif Avocat Stop Féminicide par téléphone  : +33 1 45 24 54 73
Par email : contact@avocat-stop-feminicide.org

#Violencesconjugales  | #ViolencesFaitesAuxFemmes | #féminicides | #PasUneDePlus | #ViolencesDomestiques | #FemmesBattues

http://avocat-stop-feminicide.org

 

(*) Requête au juge aux affaires familiales en vue de la délivrance d’une ordonnance de protection (Article 515-9 et suivants du code civil, articles 1136-3 et suivants du code de procédure civile)

Violences conjugales : « Nous accompagnons gratuitement les femmes victimes » (Ouest France, oct 2019)

Violences conjugales : « Nous accompagnons gratuitement les femmes victimes » (Ouest France, oct 2019)

Entretien avec Maître Pierre Farge. Propos recueillis par Charlotte Hervot pour Ouest france.

Pourquoi avoir créé le collectif Avocat stop féminicide ?

L’idée germait, et tout s’est accéléré lorsque l’une de mes clientes, que j’accompagnais depuis deux ans, s’est suicidée la veille de l’ouverture du Grenelle contre les violences conjugales, à la suite de la pression qu’exerçait son conjoint. Et il se trouve que les femmes suicidées ne sont pas comptabilisées dans les chiffres du féminicide.

Vous plaidez pour l’introduction du féminicide dans notre Code pénal. Pourquoi vouloir en faire un « crime autonome » ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes… 115 femmes mortes, victimes de féminicides en 2019. Comment ne pas en tenir compte dans ce code, censé représenter les intérêts de son temps ?
Plutôt que d’essayer de conjuguer le crime d’homicide avec certaines circonstances aggravantes comme cela se fait aujourd’hui, je pense qu’on gagnerait en clarté, sans obéir à aucun effet de mode, en introduisant ce terme. Encore faut-il le définir…

Que propose votre collectif ?

Nos 30 à 50 avocates et avocats accompagnent bénévolement les femmes victimes de violences à qui nous délivrons des conseils juridiques.

Une des premières choses qu’on leur demande, c’est l’existence d’une plainte, d’une procédure judiciaire en cours et à défaut, si elles ont des preuves (textos, e-mails, enregistrements…) de ce qu’elles avancent. Sans cela, la procédure peut difficilement déboucher sur une mesure utile, dans leur intérêt de la part d’un juge.
Ensuite, on les réoriente vers des avocats du collectif au plus proche de chez elles.
On fait aussi du lobbying auprès des pouvoirs publics.

Que demandez-vous aux pouvoirs publics?

Ce qu’on veut en priorité, c’est raccourcir les délais procéduraux concernant par exemple les ordonnances d’éloignement.
Une femme en détresse ne peut pas attendre trois à six mois qu’un magistrat statue, surtout lorsqu’elle n’a d’autre choix que de rester au domicile conjugal.
Il faut donc réduire ces délais à quelques jours, maximum quinze. Sinon, cela rend les dispositifs de protection inefficaces.
Si cela est possible en Espagne, je ne vois pas pourquoi on ne réussirait pas à compresser ces délais ici. C’est vraiment une question de volonté politique.

Pierre Farge pour le collectif Avocat Stop Féminicide
www.avocat-stop-feminicide.org
Tél. 01 45 24 54 73

Nouvelle réforme inutile : la justice pénale des mineurs

Nouvelle réforme inutile : la justice pénale des mineurs

La réforme n’entraîne aucune amélioration dans le traitement de la justice pénale des mineurs : l’éducatif est de moins en moins pris en compte, et le répressif prime.

Cette tribune a été publiée initialement sur Contrepoints. Elle a également été citée par Les Actualités du Droit Wolters Klutwers

Le gouvernement a entamé sa plus importante réforme de la justice pénale des mineurs depuis 1945.

Devant entrer en application par voie d’ordonnance le 1er octobre 2020, à l’issue d’un débat de pure forme devant le Parlement, les professionnels de l’enfance, tout comme les avocats, dénoncent, en l’état du texte, un projet où le répressif prime et où l’éducatif est de moins en moins pris en compte.

La base d’une société stable passe par la prévention de la commission de nouvelles infractions, et notamment au plus tôt par un relèvement éducatif et moral des enfants en conflit avec la société.

Dans cette perspective, avant toute procédure pénale, la loi doit en priorité s’emparer du relèvement éducatif des enfants en se focalisant sur des mesures de protection judiciaire.

C’est pourtant exactement le contraire qui ressort de cette loi, promettant ainsi d’alimenter le « millefeuilles législatif », et ne jamais endiguer le chiffre alarmant de 845 enfants incarcérés, et un peu plus de 700 en détention provisoire.

Trois mesures visant à accélérer la réponse pénale

— Le texte prévoit notamment qu’un jugement sur la culpabilité soit rendu dans un délai de trois mois maximum, ou encore qu’une mise à l’épreuve éducative soit ouverte pour une période de six à neuf mois, et la sanction intervenue dans le délai maximal de 12 mois. Si cette volonté de réactivité théorique doit être salué, l’on se demande néanmoins comment ces délais seront tenus en l’état de la surcharge de travail des magistrats, de l’engorgement des tribunaux et des moyens alloués à la protection judiciaire de la jeunesse. Un effet d’annonce donc absolument inapplicable en pratique.

— Pire, la justice des majeurs est calquée sur celle des mineurs comme en témoignent

  • la création d’une audience dite « unique », autrement dit une comparution possible immédiate du mineur dès l’âge de 13 ans, un état de fait d’autant plus inquiétant que
  • la détention provisoire sera toujours possible et le traitement des 16-18 ans n’est pas amélioré. L’enfant pourra ainsi ne pas exécuter tout ou partie de sa peine à la condition de respecter strictement les obligations qui lui auront été imposées. En d’autres termes, cette mesure est l’équivalent d’un « sursis avec mise à l’épreuve » puisqu’on oblige l’enfant à adopter un comportement exemplaire avant le jugement sur la sanction pénale. Un calque donc de la justice des majeurs sur les mineurs.

— Le texte dispose aussi d’une présomption d’irresponsabilité pénale pour les enfants âgés de moins de 13 ans, permettant au magistrat de ne pas poursuivre pénalement un enfant en dessous de cet âge, au motif qu’à 11 ou 12 ans, on ne dispose pas du discernement suffisant pour être responsable pénalement de ses actes.

Si cette proposition semblait audacieuse, c’est sans compter la création à titre dérogatoire de la possibilité offerte au juge d’engager des poursuites pénales à l’encontre d’un enfant âgé de moins de 13 ans s’il motive sa décision. En créant une exception au principe, la présomption d’irresponsabilité pénale perd sa substance et donc son sens.

Dès lors, pourquoi ne pas avoir fixé l’âge de 13 ans comme un seuil ferme ne pouvant faire l’objet d’aucune dérogation, et assumer politiquement l’idée selon laquelle un enfant âgé de moins de 13 ans est une personne vulnérable en incapacité de comprendre le sens d’un procès pénal ?

Une approche éducative négligée

En résumé, en l’état, cette réforme n’entraîne aucune amélioration dans le traitement de la justice pénale des mineurs : l’éducatif est de moins en moins pris en compte, et le répressif prime.

Qui plus est, elle n’est pas davantage lisible que l’ordonnance du 2 février 1945 qui sera bientôt abrogée, puisqu’elle fait en permanence référence au Code pénal et au Code de procédure pénale alors qu’il nous était annoncé un code autonome.

Un état de fait d’autant plus critiquable qu’aucune des propositions des avocats du barreau de Paris, pour partie les mêmes que celles des magistrats, n’a été reprise dans l’ordonnance du 11 septembre 2019.

C’est si vrai que pour éviter tout risque de rejet du parlement, le gouvernement a en effet choisi de procéder par voie d’ordonnance, tout en promettant pour la forme que le texte soit examiné à l’Assemblée nationale, semblerait-il avant l’été 2020, pour entrer en application le 1er octobre 2020.

En attendant, il revient donc aux acteurs de la société civile, et notamment aux professionnels de l’enfance, de se mobiliser plus que jamais auprès des parlementaires, qui se sont jusqu’à présent peu intéressés à cette réforme, les enfants ne votant pas et la politique étant à l’heure actuelle beaucoup plus politicienne qu’autre chose.

Pour ce faire, il reste donc une étape décisive pour convaincre : la grande journée du 21 novembre prochain à l’Assemblée nationale dont le titre sera a priori : « Justice des enfants : le point de l’éducation », permettant notamment de faire valoir l’expertise :

  • du Défenseur des droits, son collège et ses équipes chargés de la protection des droits de l’enfant, qui pourra par exemple analyser la portée du texte par rapport à l’intérêt supérieur de l’enfant conformément aux lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur une justice réellement adaptée aux enfants.
  • des avocats pouvant également s’interroger sur la conformité de ce texte à la directive relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants suspects ou poursuivis dans le cadre des procédures pénales devant la CJUE.

Autant d’espoirs pour que cette réforme ne soit pas complètement vaine.

Pierre Farge, avocat en droit pénal

 

Un collectif d’avocats aide gratuitement les victimes de violences conjugales

Un collectif d’avocats aide gratuitement les victimes de violences conjugales

Depuis le début de l’année, plus de 100 femmes ont perdu la vie en France, soit pratiquement une tous les trois jours.

Face au nombre grandissant de féminicides, un collectif d’avocats s’est créé afin d‘aider les femmes victimes de violences conjugales. Inscrire le mot féminicide dans le Code pénal, orienter et accompagner gratuitement les femmes victimes de violences conjugales, sont les missions de ce collectif.

Interview de Maître Pierre Farge par Léa Collet dans Psychologies pour le Collectif Avocat Stop Féminicide.

Vous avez besoin d’aide ?

Le site web du Collectif Avocat Stop féminicide : http://avocat-stop-feminicide.org/

 

Balkany : Une sévérité exceptionnelle digne d’un régime… populiste

Balkany : Une sévérité exceptionnelle digne d’un régime… populiste

Condamné pour fraude fiscale, le maire de Levallois a dormi à la prison de la Santé…

Article de Maître Pierre Farge publié initialement dans Causeur

Condamné à 4 ans de prison ferme et 10 ans d’inéligibilité pour fraude fiscale, l’opinion reconnait le jugement de Patrick Balkany légitime. Mais elle s’interroge sur la légitimité de son mandat de dépôt. Pierre Farge, avocat pénaliste, regrette un jugement pour l’exemple, qui relève davantage d’une influence d’alors et d’une amitié payée chère avec un ancien Président de la République, lui aussi toujours objet de poursuites judiciaires… Un tribunal correctionnel rend toujours un jugement, pas nécessairement la justice.

L’opinion publique compare à l’envi depuis hier la condamnation en première instance de Patrick Balkany à celle rendue alors pour Jérome Cahuzac, à l’époque condamné sévèrement, mais jamais incarcéré.

À la lecture in extenso du jugement correctionnel de 67 pages, l’on comprend que la justice n’a pas été aussi clémente dans l’affaire Balkany, en raison notamment du comportement du prévenu à son procès. Ce dernier a gardé la tête haute face à ses juges, préférant relativiser les faits de fraude à hauteur de quelques millions d’euros, plutôt que de prendre toute la mesure de la lutte souhaitée contre la fraude fiscale au lendemain du Grand Débat National. Balkany a préféré présenter toute l’assurance d’un maire soutenu par ses administrés depuis 20 ans plutôt qu’un mea culpa national.

La dichotomie de jugements entre Balkany et Cahuzac est d’autant plus regrettable au regard des sommes fraudées toutes relatives. Soyons un peu cyniques : comment ne pas considérer ce sévère jugement comme politique, pour les quelques millions d’euros détournés ?

Le même jour, Google entérine discrètement un accord avec l’administration fiscale française de près d’un milliard d’euros (!) en échange de renoncer à toute poursuite pénale pour fraude fiscale, permettant ainsi à l’entreprise de négocier une amende sans aller en procès, ni passer par une procédure de « plaider coupable » : à savoir 500 millions d’euros d’amende en vertu d’une accord soldant de poursuites pour fraude fiscale depuis quatre ans par le Parquet national financier, et 465 millions d’euros de taxes additionnelles pour mettre un terme aux procédures de redressement fiscal engagées par Bercy.

Prison ferme

On le voit, cette condamnation en première instance à quatre ans fermes est lourde, très lourde, qui plus est assortie d’un mandat de dépôt à l’audience. Elle est la preuve que le maire ami de Sarkozy n’a pas été traité comme il aurait dû l’être, c’est-à-dire comme un primo-délinquant (en tout cas pas en état de récidive légale). Elle est la preuve que la mauvaise publicité faite à la classe politique se paye d’un traitement particulier. Elle est la preuve que l’égalité dont nous avons fait notre devise n’est qu’un mot et que la balance, symbole de sa justice, n’a pas le même poids qu’il s’agisse d’un élu ou d’un citoyen lambda.

À vouloir être exemplaire, cette justice en devient injuste.

Pour défendre depuis quelques années maintenant une misère humaine multirécidiviste, allant du chauffard imbibé d’alcool et de stupéfiants, au père de famille non moins sobre qui perd patience sur femme et enfants, en passant par les petits trafiquants de drogue empoisonnant quelques dizaines d’âmes, la pratique veut que la prison ferme ne soit prononcée qu’après un sursis simple, puis au moins un ou deux sursis avec mise à l’épreuve, accompagnés le cas échéant de travaux d’intérêt général.

Combien de vies Balkany a-t-il brisées ?

Cette pratique veut en effet — sauf infractions d’une particulière gravité comme les crimes, les agressions sexuelles, les violences ayant entraîné une incapacité de travail considérable, apanage des assises — que les juges évitent de prononcer une peine ferme à la première condamnation.

Et, au plus sévère, dans le cas où le juge condamne à de la prison ferme, la pratique veut toujours qu’il soit inférieur ou égal à deux ans afin d’envisager un aménagement ab initio, c’est-à-dire à tout prix éviter, dès le début, l’incarcération pour l’effectuer en semi-liberté ou sous bracelet électronique.

Cette pratique est tellement bien ancrée, qu’en droit, c’est ce que l’on appelle la subsidiarité de la peine d’emprisonnement, disposée au Code pénal, et d’ailleurs renforcée par la loi Taubira du 15 août 2014.

Cette pratique codifiée, que l’on appelle la loi, signifie donc que la peine de prison ne doit être prononcée qu’en dernier recours, s’il n’existe aucun autre moyen de protéger la société et d’éviter la récidive.

Quand on y pense, qu’a vraiment fait Patrick Balkany, combien de vies a-t-il brisées, combien de destins a-t-il bouleversés ? L’ancien maire a virtuellement placé sur une ligne de compte (suisse) des fonds qui auraient dû l’être sur une autre (française). Personne n’est mort, personne n’a souffert. Il s’est simplement soustrait au contrat social, incontestablement.

Sans rien souhaiter minimiser, Patrick Balkany ne représente donc aucun danger et sa potentialité de récidive est nulle. Comme tel, il ne devrait pas aller en prison. Que gagne donc la société à son enfermement ? Rien, sinon l’esprit de vengeance — symptomatique d’une société morose — sur un homme de 71 ans !

Pierre Farge, Avocat pénaliste au Barreau de Paris

 

Crédit photo : Patrick Balkany en juin dernier © SOLAL/SIPA Numéro de reportage: 00912683_000015

Le droit pénal doit définir clairement le féminicide

Le droit pénal doit définir clairement le féminicide

L’avocat Pierre Farge défend, dans une tribune au « Monde », l’inscription de cette infraction dans la loi afin de permettre une meilleure prise en compte de la spécificité des crimes visant les femmes.

Tribune de Maître Pierre Farge publiée initialement dans Le Monde

Macabre décompte : pour les neuf premiers mois de l’année 2019, les associations ont déjà enregistré plus de 100 homicides conjugaux, contre 83 à la même période en 2018. Une femme meurt donc tous les trois jours en France sous les coups d’un homme. Le terme « féminicide » est un mot nouveau qui n’existe pas dans notre droit pénal, admettant seulement l’« homicide ».

Pourtant, le terme est connu de la langue française, à savoir, selon Le Petit Robert, « l’homicide d’une femme, d’une jeune fille ou d’une enfant en raison de son sexe ». Le féminicide est donc un meurtre « genré » impliquant un mobile misogyne. Il s’agit du « meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme ». Il n’épargne aucune génération, aucune nationalité, aucune classe sociale. Aujourd’hui, il n’est pas encore un crime autonome, mais il doit le devenir.

Le féminicide est une violence spécifique, son incrimination ne peut résulter d’une qualification globale et indifférenciée. Le droit pénal doit définir clairement l’infraction, tant dans son élément matériel qu’intentionnel.

L’Organisation mondiale de la santé, dans une acception très large, répertorie quatre catégories de féminicide : le féminicide individuel, commis par un compagnon intime, le « féminicide d’honneur », « le féminicide de dot », le féminicide non intime, commis par une personne étrangère à la victime. Le féminicide ne se limite donc pas au meurtre conjugal, et tout meurtre de femme n’est pas un féminicide. Les définitions peuvent se compléter, se recouper, s’étoffer, mais toutes témoignent de ce même rapport de domination masculine.

A noter encore que la notion de féminicide existe déjà dans d’autres pays, et notamment en Amérique du Sud. Le Mexique a déjà adopté une législation spécifique depuis de nombreuses années. L’Europe commence timidement à se pencher sur la reconnaissance de ce crime. Et la France a notamment introduit la circonstance aggravante de sexisme dans le code pénal. Mais il faut aller plus loin. Persister à ne pas nommer et refuser de qualifier le féminicide revient à masquer une violence spécifique. Le terme féminicide donne en effet une visibilité à ces mortes, même si l’arsenal judiciaire permet déjà d’en condamner les auteurs.

Adaptation à la réalité

Le féminicide n’implique pas de reconnaître que le meurtre d’une femme soit plus grave que celui d’un homme. Le féminicide ne fait pas non plus des femmes une catégorie de victimes plus vulnérables. Il ne porte donc pas atteinte à l’universalité du droit, mais permet plutôt que le droit s’adapte à une réalité. L’entrée du féminicide dans le code pénal contribuera à une meilleure prise en compte de la spécificité des meurtres dont sont victimes les femmes et à une prise de conscience collective. Car, oui, le féminicide doit être une infraction pénale.

Cette reconnaissance légale doit aussi s’accompagner dans les faits par un accompagnement des femmes victimes de violences conjugales. Un travail d’information et de conseils juridiques gratuits sur les mesures déjà existantes est lancé par la création d’un site Internet, avocat-stop-feminicide.org. Parallèlement, et pour combattre ce fléau, un collectif d’avocats, fort d’une expérience de terrain, propose des recommandations légales aux pouvoirs publics. Tout d’abord, il est urgent qu’une formation d’unités spéciales au sein de la police et de la gendarmerie, et auprès des magistrats, soit mise en place afin de recueillir la parole des femmes victimes de violences et d’identifier et caractériser le crime de féminicide ; la systématisation du bracelet anti-rapprochement sur tout le territoire français doit se généraliser, sans attendre le dépôt d’une plainte pénale ; les ordonnances de protection doivent être élargies et plus fréquentes ; enfin, les mesures d’éloignement doivent s’appliquer à l’auteur de violences, car c’est à l’homme de quitter le domicile conjugal, et non à sa victime.

Ces propositions ne sont pas nouvelles, mais elles doivent être le marqueur d’une volonté politique accrue dans le cadre des débats à venir. C’est le rôle de l’avocat de servir d’intermédiaire entre les victimes et les institutions judiciaires, et de faire ainsi avancer le droit. Il en relève de la dignité de la démocratie et de l’objectif de ce collectif d’avocats.

Pierre Farge est avocat au barreau de Paris. Il a d’abord travaillé chez Metzner Associés puis à la cellule anti-blanchiment de l’OCDE avant de fonder le Cabinet Farge Associés consacré au droit pénal et à la défense des libertés publiques.

Lanceurs d’alerte : Le parcours des combattant.e.s ? | Table ronde à l’Assemblée Nationale

Lanceurs d’alerte : Le parcours des combattant.e.s ? | Table ronde à l’Assemblée Nationale

A la suite du rapport sur la lutte contre la délinquance financière (*), Ugo Bernalicis, député de La France Insoumise, a organisé une table ronde à l’Assemblée nationale le 26 juin 2019 sur la question des Lanceurs d’alerte.

Cette table ronde réunit :

– Céline Boussié, Lanceuse d’alerte du médico-social, poursuivie en diffamation (puis relaxée) par l’IME de Moussaron pour avoir dénoncé les faits de maltraitance qui y ont été pratiquées impunément pendant plus de 20 ans sur des enfants poly-handicapés. Elle est secrétaire générale adjointe de la Maison des Lanceurs d’Alerte (MLA) et auteure de « Les enfants du silence » (Harper Collins).

– Patrick Bourdillon, secrétaire fédéral CGT santé.

– Maxime Renahy, ancien administrateur de fonds à Jersey et au Luxembourg, devenu espion à la DGSE. Il est désormais ce qu’on appelle un lanceur d’alerte dans le domaines de la délinquance financière. Son livre « Là où est l’argent » dénonce les pratiques offshore des multinationales et l’inaction de Bercy.

– Pierre Farge, Avocat au barreau de Paris, spécialisé dans la défense des lanceurs d’alerte.

Table ronde filmée et retransmise sur YouTube :

(*) Rapport d’information sur l’évaluation de la lutte contre la délinquance financière, déposé par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques et présenté par MM. Ugo BERNALICIS et Jacques MAIRE, députés.

Stupéfiants : comment des justiciables contournent les tests d’urine

Stupéfiants : comment des justiciables contournent les tests d’urine

Certains déjouent et se jouent des contrôles, révèle l’avocat Pierre Farge

Avec le retour, maintenant récurrent, du débat relatif à la légalisation du cannabis, l’avocat Pierre Farge témoigne d’une faille trouvée dans le système judiciaire par un de ses clients (une célébrité) pour duper le dépistage de stupéfiants… Du plus léger pétard aux drogues les plus dures : la loi laisserait faire. Stupéfiant!

Tribune de Maître Pierre Farge publiée dans CAUSEUR

L’histoire est assez simple et commence à l’audience, ou plus précisément à l’issue de son délibéré, lorsque mon client est condamné au sursis, assorti d’une obligation de soins…

Autrement dit : mon client échappe à de la prison ferme, mais doit témoigner d’un suivi auprès d’un spécialiste pour mettre un terme à son addiction. Passé le premier soulagement de pouvoir dormir chez lui, l’inquiétude refait surface quelques heures plus tard quant à savoir comment il va faire pour arrêter de se droguer, au risque sinon de vraiment terminer au trou.

Un test d’urine tous les 5 jours…

Dans l’obligation d’assurer au Juge de l’application des peines (c’est comme cela qu’on l’appelle) tous les mois d’un suivi psychiatrique, et tous les quinze jours d’une analyse urinaire négative aux stupéfiants, mon client déchante donc aussi sec. Anticipant le pire, mon conseil est formel : se plier strictement à cette mise à l’épreuve, au risque sinon de voir révoquer le sursis et de devoir passer par la case prison.

L’imagination des clients est parfois sans borne. De bonne volonté, mais dans l’incapacité absolument totale d’arrêter du jour au lendemain une consommation stable d’opiacés depuis quinze ans, mon client a trouvé une parade. La question à se poser était la suivante : si les Unités médico-judiciaires (aussi appelées UMJ dans notre petit milieu) vérifient la présence de stupéfiants dans l’urine, vérifient-elles au préalable que ce liquide est bien de l’urine ?

Oasis ou stupéfiant?

Le pari valait la peine d’être tenté, puisque tel n’est pas le cas. Autrement dit, il suffit de traîtreusement verser dans le flacon à urine un peu d’Oasis ou d’Ice Tea, selon les goûts, bien à l’abri des regards dans des toilettes. Les sportifs, eux, dans le cadre de contrôles du dopage beaucoup plus stricts, n’ont pas ce privilège !

Cela parait aberrant. Le système judiciaire réunit un Tribunal correctionnel de minimum trois magistrats, mobilise un Juge d’application des peines, un psychiatre, un laboratoire et des médecins légistes spécialisés… mais il suffit de verser dans le flacon à urine n’importe quel liquide à la couleur approchante pour passer entre les mailles du filet !

Ne le répétez pas, je ne vous ai rien dit

J’entends déjà ceux regrettant que l’avocat ait trop parlé, que la mèche soit maintenant vendue, et qu’il ne soit maintenant plus envisageable de recourir à ce subterfuge si cet article est lu…

Ce témoignage n’est évidemment par là pour ça, mais plutôt pour s’interroger, en souriant, sur l’efficacité d’un système judiciaire qui se veut répressif, et demeure en réalité inopérant face à ceux qui ont de la suite dans les idées… A prendre aussi en considération, quand il s’agira de nouveau d’évoquer d’éventuelles dépénalisations de stupéfiants.

Par Maître Pierre Farge, avocat en droit pénal.

Nouveau privilège pour les parlementaires : le casier judiciaire

Nouveau privilège pour les parlementaires : le casier judiciaire

Quand les députés enterrent eux-mêmes la condition d’un casier judiciaire vierge pour être éligibles.

Tribune de Maître Pierre Farge publiée dans Contrepoints

Tandis que la France connait sa quatrième semaine de manifestations sans précédent depuis cinquante ans, les députés enterrent eux-mêmes la condition d’un casier judiciaire vierge pour être éligibles. Soulignant un peu plus les problèmes de légitimité et de représentativité du pouvoir, le Parlement secoue une fois encore la démocratie de ses contradictions.

Après l’allocution du président de la République en réponse au mouvement des Gilets jaunes, exactement au moment où le Sénat votait l’allègement des taxes contre les exilés, une nouvelle contradiction accablait le pouvoir en place.

Se présenter aux élections avec un casier

Alors que la récente loi de moralisation de la vie publique disposait de « l’interdiction pour tous les détenteurs d’un casier judiciaire (niveau B2) de se présenter à une élection », le Parlement a en effet trouvé la parade juridique selon laquelle l’interdiction de se présenter à une élection si le casier n’est plus vierge peut être interprétée comme « une peine automatique », contrevenant au « principe d’individualisation des peines garanti par la Constitution ».

Quoi que cet argument n’ait gêné personne des décennies durant, voilà que nos députés y font droit.

Ainsi, sans polémiquer sur les membres du Parlement, objets de procédure judiciaire en cours, et donc passibles de peines qui les empêcheraient de renouveler leur mandat, la question de fond qui se pose est de savoir pourquoi les parlementaires votent eux-mêmes leur immunité par une loi les exemptant de casier judiciaire vierge pour se présenter, plutôt que de laisser, comme tout le monde, en vertu de l’article 755-1 du Code de procédure pénale, le soin de formuler une demande d’effacement de la condamnation mentionnée au casier judiciaire, à l’appréciation d’un magistrat le soin de juger, ou non, de cette désinscription ?

  • En effet, tous les citoyens condamnés à une peine — ferme ou avec sursis — peuvent
    formuler ab initio, à l’audience, en vue de la condamnation encore probable, une demande de non inscription au casier judiciaire de la peine éventuellement à venir ;
  • à défaut, dans les cas en général les plus graves, formuler a posteriori à la condamnation une requête aux fins de désinscription au B2 devant la Chambre correctionnelle ayant prononcé leur jugement (c’est ce qui est dans la pratique privilégié afin de donner au condamné la mesure de sa peine, et l’obligation de son amendement pour obtenir le retrait de sa mention).

Dans ces deux cas, il convient de justifier :

  • de raisons légitimes en apportant la garantie, ou la preuve, de l’amendement de l’intéressé depuis les faits, d’une distance avec l’infraction, voire d’une guérison dans le cas par exemple d’une pathologie de kleptomanie ou autre problème psychiatrique ;
  • et surtout de témoigner que la mention d’une telle condamnation au B2 constitue un véritable obstacle à la réussite d’un objectif (comme rejoindre un emploi dans la fonction publique, une charge assermentée, ou une élection au Parlement).

Laisser à l’appréciation de la justice indépendante

Par conséquent, si les parlementaires tiennent absolument à être éligibles malgré un casier judiciaire, il revient non pas de décider, entre eux, et de façon générale, leur immunité par une loi les exemptant, mais plutôt de laisser à l’appréciation d’une justice indépendante, le soin de juger s’ils justifient, au cas par cas, de la désinscription de toute mention, et in fine d’être en capacité d’être éligible.

Cette seconde solution placerait les représentants du peuple sur un pied d’égalité avec ceux qui sont censés les représenter, comme autant de témoignages d’un pays respectueux de l’équilibre des pouvoirs, sans parler de donner une image exemplaire de l’État, sinon plus vivifiante de la démocratie en pareille contestation populaire placardant par milliers de manifestants des demandes de Référendum d’initiative citoyenne (RIC).

Ce qui fait finalement penser au bon mot d’Alain Juppé, certes dans d’autres circonstances, mais toujours philosophe : « En matière judiciaire, il vaut mieux avoir un passé qu’un avenir ».

Par Maître Pierre Farge.

Minority report, ou la justice prédictive du parquet de Paris

Minority report, ou la justice prédictive du parquet de Paris

Tribune de Maître Pierre Farge, publiée initialement dans Mediapart

Avocat d’un homme en détention provisoire pour des faits présumés terroristes, Pierre Farge revient sur les dérives de la politique sécuritaire, construite selon lui sous la pression de l’opinion. Faisant régulièrement polémique, il rappelle aujourd’hui que la réalité de notre système judiciaire dépasse la fiction.

LA RÉALITÉ DÉPASSE LA FICTION

Année 2054 – Dans l’État de Columbia, les Pré-cogs, prédisent les crimes ; autrement dit, des êtres doués de voyance permettent d’interpeller de présumés auteurs avant de passer à l’acte. Ce système baptisé « Pré-crime » fait diminuer spectaculairement la criminalité avant que l’arrivée d’une erreur judiciaire ne le remette en cause. Vous l’avez reconnu, c’est un film de Steven Spielberg. Et c’est du cinéma.

Année 2018 – Dans l’État français, les magistrats présument des intentions criminelles ; autrement dit, enferment sur la seule base d’un faisceau d’indice, qui comme son nom l’indique, peut se limiter à un simple doute. Ce système baptisé « Détention provisoire » repose sur la loi des grands nombres pour les cas similaires, et n’a donc jamais, dans l’espèce terroriste, démontré une diminution du danger. Vous l’avez reconnu, c’est la politique de l’État français. Et c’est la réalité.

Dans ces deux états, la question posée demeure la même : comment empêcher les potentiels criminels à commettre l’irréparable ?

Dans ces deux états, la détention repose sur une probabilité manipulée par des impératifs de politique sécuritaire.

Dans ces deux états, l’on enferme de pauvres âmes à des fins de catharsis judiciaire, pour montrer aux citoyens que l’autorité agit, que l’État protège, et à défaut rassure.

Dans ces deux états, l’on a créé un Guantánamo de gens enfermés sans procès.

LA FRANCE EST UN GUANTÁNAMO DE GENS ENFERMÉS SANS PROCÈS

Banalisation de l’État d’urgence, État d’exception, dérive du droit, c’est bien ce que vit depuis près d’un an un de mes clients en détention provisoire pour une présumée Association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes d’atteintes aux personnes (c’est la qualification pénale).

Que lui reproche-t-on plus précisément ?

D’avoir eu des conversations un peu trop orthodoxes sur internet avec ses amis sur la pratique de sa foi (dans un pays qui se dit laïc), d’avoir entrepris un voyage en Turquie (qu’il n’a jamais fait), et d’avoir consulté des sites internet faisant allégeance à Daesh (comme j’en consulte moi-même, tant par curiosité que pour mieux apprivoiser les dossiers qui m’occupent).

Sur ce dernier point, notez la décision du Conseil constitutionnel du 10 février 2017 censurant le délit de consultation habituelle de sites terroristes dans la mesure où il n’était pas prouvé « que l’auteur de la consultation habituelle des services de communication au public en ligne concernés ait la volonté de commettre des actes terroristes ni même la preuve que cette consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ces services ».

Notez également dans mon espèce un casier judiciaire vide, un métier stable, une femme, deux filles, dont une qu’il n’a toujours pas vu. Malgré ce profil de bon père de famille, comme on dit, l’instruction, qui patine, refuse toute alternative à l’enfermement ; à savoir, ordonner par exemple un placement sous bracelet électronique qui permettrait de garantir aussi bien les besoins de l’enquête, que le respect des libertés fondamentales.

Alors, comment se termine une telle voie de fait ?

Mal, en tout cas c’est la réponse apportée dans l’État ultra-sécurisé dépeint par Spielberg, c’est même la morale du film : la justice prédictive admet finalement l’erreur et sème un doute encore plus grand qui remet en cause toutes les incarcérations sous ce régime judiciaire.

Alors, me direz-vous, aujourd’hui en France, une personne suspectée de terrorisme n’est pas cryogénisée, mais simplement incarcérée jusqu’à son procès, soit quatre ans au maximum. Mais quatre ans quand même ! Les chiffres vous sont relatifs vous qui me lisez ? Rappelez-vous donc ce que vous avez fait ces quatre dernières années, ce que vous avez appris, tous les déplacements que vous avez réalisés, ou à quel point vos enfants ont grandi, pour imaginer, l’espace d’un instant, l’éternité d’une telle mesure, et ses conséquences sur une existence.

Je me demande donc aujourd’hui si le cas de mon client ne serait pas symptomatique d’un système judiciaire prédictif dans un décor orwellien, prêt à sacrifier la liberté personnelle pour une sécurité illusoire. Ce qui me rappelle ce mot de Roosevelt : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité n’est digne ni de l’un ni de l’autre, et finit par perdre les deux ».

Pierre Farge, Avocat à la Cour

Cour de cassation : Un pas en avant pour les migrants

Cour de cassation : Un pas en avant pour les migrants

La Cour de cassation considère récemment illégale la rétention de migrants en attente de renvoi dans l’État membre par lequel ils sont entrés sur le territoire européen (règlement de Dublin, voir encadré).

Analyse de Pierre Farge dans le M@G DES AVOCATS N°35  et Le BARREAU de FRANCE n°368 – Octobre – Novembre – Décembre 2017

Le règlement de Dublin est au cœur de la crise migratoire. Établissant une base de données européenne des empreintes digitales recueillies dans tous les pays d’entrée des migrants, son objectif théorique est de déterminer rapidement l’État membre responsable de la demande d’asile – le premier où le pied est posé -, et ainsi éviter de saturer les services administratifs par des demandes dans tous les pays traversés.

Pire que sa non application, le règlement de Dublin paralyse les migrants sur un territoire non souhaité.

Dès lors que l’enregistrement des empreintes aux points d’entrée est opéré, il les oblige un an sur ce territoire et sanctionne les contrevenants d’un renvoi vers l’Etat responsable les paralysant jusqu’à six mois supplémentaires dont une partie en rétention. 

C’est cette rétention qui est remise en cause par cet arrêt.

Tout en souhaitant épargner le commentaire d’arrêt qui saoule gentiment, je lis et relis cette décision de neuf pages passée inaperçue. Et je m’aperçois qu’elle est édifiante.

Elle révèle d’abord le prétexte utilisé jusqu’à ce jour par l’Etat français pour placer arbitrairement derrière les barreaux des migrants, au mépris total des dispositions européennes, à savoir au prétexte d’une notion de « risque non négligeable de fuite » jamais définie par le législateur.

Elle laisse par conséquent enfin présager la libération d’une partie des retenus actuels dans une promesse de liberté et d’allègement des centres de rétentions bondés.

Elle montre aussi que l’Etat français dans cet arbitraire reste soumis à la loi et une certaine exigence de justice, que l’état d’urgence et la profonde inquiétude traversant les opinions publiques ne sauraient justifier un pouvoir illimité.

Elle témoigne enfin que la justice française peut envoyer un message fort à l’Union européenne dans un rappel d’indépendance et de respect des valeurs qui l’ont construite.

Il est rare que des textes juridiques soient aussi empreints de l’esprit du temps.

En lisant et relisant ces « attendus », comme on dit, je vois un automne de plus balayé par la crise migratoire. Et je revois ses audiences iniques du tribunal kafkaïen en bout

de piste de l’aéroport Charles de Gaulle à Paris ; je revois aussi ces jours qui précèdent dans la poussière et les flammes, les cris de la nuit, puis le silence de la mer ; je revois la quiétude et les mains qui agrippent, dépeuplées, puis déployées dans l’obscurité. Je revois le drame du Sud, des Sud. Lampedusa, Ischia, Catania. Le sang coule dans ces syllabes. Et cette décision est de la même eau.

Pierre Farge, Avocat en droit pénal au Barreau de Paris.

 

Référence de l’arrêt : Cour de cassation, 1ère  Chambre civile, 27 septembre 2017, n°17-15160

Lire l’arrêt de la Cour de casstaion dans le M@G35

Prisons : un jugement, pas toujours la justice

Prisons : un jugement, pas toujours la justice

Les quelques 140 pages du Livre Blanc sur l’immobilier pénitentiaire remis au Ministre de la justice rendent difficile une compréhension rapide et claire. Voici donc l’analyse, complétée d’un témoignage de terrain, de Pierre Farge, avocat au barreau de Paris et membre du Comité justice à l’Assemblée nationale portant réforme de la justice pour 2022.

Cette Tribune de Maître Pierre Farge a été publiée

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Réforme de la justice : état des lieux des prisons

ou le Livre Blanc sur l’immobilier pénitentiaire

Cette plaidoirie a eu lieu quelques jours après la remise du Livre Blanc sur l’immobilier pénitentiaire au Ministre de la Justice le 4 avril 2017. Symptomatique du mal judiciaire français, offrons-en une compréhension rapide et claire.

Pour ce faire, il convient d’abord de savoir ce qui se cache derrière le mot « prison ».

La Prison

Parce qu’il faut que le public français sache, il convient d’abord de comprendre ce qui se cache derrière le mot « prison ».

Le parc immobilier pénitentiaire compte, outre 6 établissements pénitentiaires pour mineurs et l’établissement public de santé national de Fresnes, 191 établissements dont 99 maisons d’arrêt et 85 établissements pour peine, ainsi que 6 établissements pénitentiaires pour mineurs et l’établissement public de santé national de Fresnes,

Une maison d’arrêt reçoit, en théorie, les prévenus en attente de leur procès, ainsi que les détenus condamnés à une peine d’emprisonnement inférieure à deux ans ou dont le reliquat de peine est inférieur à un an.

Un établissement pour peine reçoit les condamnés à des peines d’au moins deux années.

Ces établissements sont soumis, en théorie nous le verrons, en principe à l’encellulement individuel.

Ils se décomposent en :
25 centres de détention accueillant des dé-tenus présentant des perspectives de réinsertion sociale ;
6 maisons centrales recevant les détenus les plus dangereux ;
43 centres pénitentiaires abritant au moins deux quartiers caractérisés par des régimes de détention différents comme la maison d’arrêt et le centre de détention ;
11 centres de semi-liberté destinés à accueillir des détenus aux heures fixées par un juge.

Surpopulation carcérale : des chiffres accablants

Au 1er janvier 2017, la capacité d’hébergement française en « prison » était de 58 681 places pour 69 432 personnes détenues, soit une densité moyenne de 120 %, atteignant 140% en maisons d’arrêt, voire 200 % à celle de Villepinte en Seine-Saint-Denis.

Cette promiscuité a conduit, d’abord, directement, à 9 000 agressions entre personnes détenues, et 4 500 contre le personnel en 2016 ; puis, indirectement, entretenu la récidive au dépend de la réinsertion.

Violation du droit fondamental : le principe de l’encellulement individuel contourné par l’État

Ces chiffres accablants sont d’autant plus honteux qu’ils méprisent le principe de l’encellulement individuel introduit en droit français par une loi de 1875.

Aménagé par une dérogation devenue provisoirement durable, l’article 106 de la Loi de finances rectificative pour 2014 dispose ainsi que : « Jusqu’au 31 décembre 2019, il peut être dérogé au placement en cellule individuelle dans les maisons d’arrêt au motif tiré de ce que la distribution des locaux ou le nombre de personnes détenues ne permet pas son application. » C’est donc un contournement du principe d’encellulement individuel qui s’est institutionnalisé, soit ni plus ni moins que le mépris de la loi par l’État même.

Il faut mettre en place des structures légères adaptées à la réinsertion.

Plutôt que ces bons mots, courageusement relancés à la veille de chaque campagne présidentielle, l’action commande de se concentrer sur le développement de structures lé-gères, adaptées aux courtes peines.

Cette ambition est la plus sérieuse puisqu’il n’existe que deux structures de ce type aujourd’hui en France, et qu’avec 40% des peines prononcées inférieures à un an, en développer davantage garantirait la résorption de la surpopulation carcérale en même temps que la réinsertion. Cela permettrait d’intervenir plus systématiquement dès les premiers faux pas et ainsi éviter les récidives plutôt qu’un enferment tardif après de multiples condamnations laissées sans effet (car la surpopulation carcérale empêche l’exécution de la grande majorité des peines, donnant ainsi au justiciable un sentiment d’impunité).

Les pays scandinaves comme la Suède ont éprouvé ce système, comme ils avaient en leur temps éprouvé le bracelet électronique. Une dizaine de détenus de peines comparables vivent ensemble dans des petites unités composées d’un séjour, d’une cuisine et d’autant de cellules individuelles de 7 m2. Le matin les détenus effectuent une thérapie ou des études, l’après-midi ils travaillent. A cet effet, il faut tripler le nombre de conseiller d’insertion pour parvenir à un ratio de 1 conseiller pour 35 détenus. Des bénévoles pourraient même compléter cette objectif dès lors que l’administration pénitentiaire estime un soutien supplémentaire nécessaire.

Voilà donc une initiative claire, simple et abordable qu’il faudrait attendre des programmes présidentiels, aussi bien de gauche que de droite :

  • De gauche, puisqu’elle répond à ses valeurs de prévention de la délinquance, d’accompagnement socio-éducatif et d’aménagement des peines.
  • De droite, puisqu’elle répond à la tradition peut-être plus sécuritaire en plaçant les condamnés dans des structures adaptées, sans pour autant diminuer le nombre de détenus.

Sans esprit partisan, ces structures plus légères sont, par définition, moins coûteuses : les coûts de réalisation sont estimés 40% inférieurs à un établissement pénitentiaire classique, de même le ratio détenues/fonctionnaires nécessaire à la surveillance amoindrit.

« Une société se juge à l’état de ses prisons » disait Camus.

La présente mesure permet de juger la vision du candidat pour son pays, d’un véritable projet de société éclairant ceux qui doutent en l’avenir, qui cherchent à échapper au désespoir et à la rage, qui n’ont pas de débouchés, pas de projets, et pas d’ambition.

Aussi anodine et technique puisse-t-elle paraître, cette mesure témoigne bien d’altruisme, d’initiative, d’empathie à ceux qui sont perdus, qui sont mal orientés dans leurs études, qui n’ont pas confiance, qui ne savent pas comment réussir leur vie, et qui finalement constituent la majorité des électeurs.

Voilà de quoi éclairer, et permettre un choix plus conscient du prochain Président de la République.

Réforme de la justice : un cas de comparution immédiate

Compte-rendu d’audience, ou la justice française au quotidien, avec toutes ses limites.

Parce qu’une image vaut mille mots, je ressors mes notes d’audience pour dessiner un récent dossier pénal de comparution immédiate.

En comparution immédiate au tribunal correctionnel

Le ton est toute de suite donné : je ne dois ni approcher, ni toucher mon client – il a la gale – et c’est un multirécidiviste – trente-six mentions au casier judiciaire, trente-six condamnations, en immense majorité inférieures à un an, quasiment toutes en état de récidive légale.

En réalité, il ne ferait pas de mal à une mouche. Mon client est un sans-domicile fixe, venu se soigner à Bichat pour des douleurs de dos. Il a pris son mal en patience en fouillant dans un sac plastique, sous un siège inoccupé de la salle d’attente. Ce siège inoccupé s’avèrera être celui d’un autre SDF, venu chercher un hébergement d’urgence. Revenu à sa place, ce dernier découvre que son sac plastique n’est plus là : branle-bas de combat, visionnage de la vidéosurveillance, remise du sac plastique, appel de la police, transfert au commissariat, plainte, garde à vue, puis déferrement.

Au tribunal correctionnel, le vol de sac plastique est requalifié en « vol de sac à main ». Il reconnaît les faits. Pourquoi ce vol ? Pour chercher de l’argent, pour manger. Pourquoi l’avoir rendu avant même l’arrivée de la police ? Parce qu’il ne contenait pas d’argent, et qu’il n’avait rien à manger (le sac plastique contenait du maquillage, des dessins et des cartes de visites d’assistantes sociales). La sincérité rend inattaquable. Pourtant, le procureur poursuit.

Afin de contaminer le moins de gens possible – gale oblige – le greffier m’annonce à 19 heures que mon client passera le dernier. J’assiste donc aux plaidoiries plus ou moins bonnes de tous les dossiers de la journée. Je devine les confrères qui sont là par accident, par besoin, ou par vocation.

Nous passons finalement à minuit.

Il entre dans le box, couvert d’une combinaison blanche des pieds à la tête, masque sur le visage compris. Hypocrisie de la justice française prenant toutes les précautions quand le mal est à côté d’elle, mais ignorant, quelques étages plus bas les épidémies en tous genres proliférant dans les couvertures, les matelas, et tout ce que touchent, jusqu’à preuve du contraire, des présumés innocents. Quelle est l’attention du tribunal à une heure pareille ?

L’avenir judiciaire de mon client n’est-il pas déjà scellé à la seule lecture de son casier judiciaire ? Ai-je encore une marge de manœuvre sur les réquisitions du procureur ?

Plaidoirie

Je me lance à la seule force des mots. Je plaide donc. Ou non, plutôt, je parle. Je parle au juge comme je parle à un ami, en lui confiant mes certitudes, mes doutes, mes interrogations et mon désir de vérité.

« Madame le Président, Mesdames et Messieurs du Tribunal. Que l’exercice de la défense pénale peut être difficile, tant concernant les réquisitions, que l’avenir du prévenu ! Je n’ai pas de conclusions de nullité. Je ne vais pas plaider de sursis. Et je ne veux pas chercher à duper le tribunal, mais est-ce qu’une relaxe ne serait pas justifiée ? En effet, que fait-on devant la misère humaine ? La misère humaine, c’est bien de cela dont il s’agit ce soir. Mon client doit-il être à nouveau sorti du système ? Il me l’a dit, il ne connaît que cela, la prison, et jusqu’ici elle ne lui a servi à rien. Elle ne lui a jamais permis de se réinsérer. Il a toujours fait l’objet de sortie sèche n’offrant aucune perspective pour se réadapter et trouver un travail. Il y a perdu son temps. Il y a perdu sa vie. Vous êtes devant un homme qui, en effet, depuis 1980, n’a pas passé une année sans être avoir affaire à la justice, un homme qui a été dévoré par l’héroïne dans les années 1980 [« la pakistanaise, la rose, pas la blanche », me racontait-il avec des étoiles dans les yeux], qui a survécu à une hépatite il y a dix ans ; vous êtes devant un homme qui a sauté du troisième étage pour fuir les huissiers l’expulsant de son domicile il a quatre ans. N’ayant que frôlé la mort, il est depuis handicapé : il a une broche à la tête, à la jambe et au poignet. Vous êtes devant un homme qui a perdu dix kilo ces derniers jours, assommé de kétoprofène et tient tout juste debout. Il a la gale, vous avez vu sa gueule ? Il fait vingt ans de plus. Quand on voit sa vie et la façon dont le système judiciaire a fonctionné jusqu’à ce soir, je vous le demande : le remet-on derrière les barreaux ? »

L’audience est suspendue pour délibéré. Je suis un peu gêné par cette effusion soudaine d’émotions. Mon client fait trois fois mon âge. Il a traversé la vie comme on traverse la tempête. Il a tout vu, tout vécu, et il a énormément souffert.

Verdict

Le tribunal reprend place : « La cour, après en avoir délibéré, prononce une peine de six mois d’emprisonnement, dont trois de sursis avec mise à l’épreuve, accompagnée d’une obligation de trouver une résidence, et mandat de dépôt ». Autrement dit, trois mois fermes dès ce soir.

Le tribunal rend toujours un jugement, pas nécessairement la justice.

Pierre Farge, Avocat en droit pénal au Barreau de Paris

Doublement de la prescription pénale : vers la paralysie du système judiciaire ?

Doublement de la prescription pénale : vers la paralysie du système judiciaire ?

Cette réforme sur la prescription pénale témoigne d’une procédure pénale à bout de souffle, et d’une marque d’intolérance de plus en plus forte de la société à l’infraction et à la faute. Un texte dans l’air du temps qui n’est pas au pardon mais à la colère.

Tribune de Maître Pierre Farge publiée dans Contrepoints 

Les quelques cinq cents pages de rapports parlementaires rendent difficile une compréhension rapide et claire de la récente réforme de la prescription pénale.

Tenant pourtant en trois articles, voici un résumé de son impact, inversement proportionnel à sa taille, sur la procédure pénale française.

Nous connaissons tous l’histoire d’Edmond Dantès sous la plume d’Alexandre Dumas, ce marin de 19 ans sur le point de se fiancer lorsqu’il est accusé à tort de bonapartisme. Après 14 ans d’emprisonnement injuste, nous découvrons l’étonnement de ceux qui l’y ont envoyé lorsqu’ils le voient revenir, lui et sa vengeance, sous les traits du Comte de Monte-Cristo. Pour ses ennemis, c’est une histoire ancienne, c’est du passé, c’est la question même de la prescription. Et lorsqu’à la fin du roman, le comte offre une île à un jeune couple, il accompagne son cadeau d’un bref message qui tient en deux verbes : « attendre et espérer ».

Attendre et espérer que justice se fasse en dépit du temps écoulé.

Voilà ce que consacre la nouvelle loi portant doublement de la prescription pénale (I) ouvrant la voie à l’imprescriptibilité en droit français (II).

Un jalon qui n’en est pas moins critiquable au regard des risques qu’elle fait courir aux institutions judiciaires et à la procédure pénale française (III).

Du doublement des délais de prescription pénale

Jamais révisée dans son intégralité depuis le Consulat sous Napoléon, cette réforme portée par Alain Tourret (Radical de Gauche) et Georges Fenech (Les Républicains), débutée en janvier 2015, retardée en raison des attentats de Paris, vient enfin d’être adoptée le 16 février 2017.

L’action de la justice en droit pénal est grevée par deux formes de prescription qu’il convient impérativement de ne pas confondre :

1. La prescription de l’action publique

Est antérieure à la condamnation définitive,

Délais : 1-3-10 années (ancien) / 1-6-20  années (nouveau)

L’action publique se trouve éteinte par l’écoulement d’un certain temps depuis le jour de la commission de l’infraction, c’est le temps des poursuites ; son délai court à compter de la commission de l’infraction.

Le délai est maintenu à 1 an pour les contraventions, mais doublé de 3 à 6 ans pour les délits et de 10 à 20 ans pour les crimes.

2. La prescription de la peine

Est postérieure au prononcé de la sanction.

délais : 3-5-20 années (ancien) / 3-6-20 années  (nouveau)

La peine se trouve éteinte dès lors que la puissance publique se voit empêchée, passé l’expiration d’un certain délai, d’exécuter les sanctions définitives prononcées par le juge. C’est le délai pendant lequel, par exemple, un condamné en fuite réussit à se soustraire à l’application de l’exécution de sa peine ; son délai court à compter de la date de la décision de condamnation définitive.

Les délais ne sont pas doublés comme en matière d’action publique puisque le texte conserve à 3 ans le délai de prescription des peines contraventionnelles, porte seulement de 5 à 6 ans le délai de prescription des peines délictuelles et maintient à 20 ans le délai de prescription des peines criminelles.  De même que restent inchangés les délais de prescriptions dérogatoires de droit commun, allongés – comme en matière de terrorisme ou de trafic de stupéfiants – ou abrégés – comme en matière de presse ou de droit électoral.

En gardant la différenciation tripartite qui a toujours fait la spécificité française, l’évolution de ce texte tient compte de l’augmentation de l’espérance de vie, elle-même quasiment doublée depuis Napoléon, du régime en vigueur illisible et des avancées en matière de conservation des preuves.

En croyant réduire le dommage causé à l’ordre social, le doublement de la prescription n’est donc clairement pas au service de l’effectivité de la réponse pénale.

Cette réforme témoigne plutôt d’une procédure pénale à bout de souffle, et d’une marque d’intolérance de plus en plus forte de la société à l’infraction et à la faute qui est pourtant le propre de l’homme. Un texte dans l’air du temps qui n’est pas au pardon mais à la colère.

Ce texte sur la voie de l’imprescriptibilité peut donc servir l’intrigue d’un des plus grands romans du XIXème siècle mais certainement pas la réalité judiciaire française.

En consacrant le doublement de la prescription et en avalisant la théorie jurisprudentielle du délit dissimulé, il est finalement davantage politique que juridique puisqu’il conduira, s’il n’est pas encadré, à un engorgement des tribunaux, une nouvelle remise en cause de l’indépendance du parquet et une aggravation de la surpopulation carcérale.

Pour donner à la réforme les moyens d’être efficace, les jalons qu’elle pose doivent donc être conjugués à une approche systémique.

À savoir, compenser l’afflux de nouvelles procédures résultant du doublement des prescriptions par un recours subsidiaire au juge pénal, réformer le principe d’opportunité des poursuites et veiller au respect du principe de proportionnalité.

Pour cela, il faut agir vite, au risque de paralyser le système judiciaire et remettre en cause les grands principes de sécurité juridique et de confiance en la loi. En pleine campagne présidentielle, c’est ce genre de préoccupations qui devraient animer les candidats.

Pierre Farge, Avocat en Droit pénal

Un assassin au Musée d’Art Moderne de Paris

Un assassin au Musée d’Art Moderne de Paris

A Paris pour un procès aux assises, je cherche sur mon iPhone les expositions en cours susceptibles de me changer les idées (du moins, je veux le croire).

Quelle n’est pas ma surprise à la fin de l’article du Monde, Les 15 grandes expos de la rentrée à Paris, Découvertes, redécouvertes ou grandes rétrospectives : les événements les plus attendus cet automne dans la capitale, en découvrant le post d’une certaine Chantal Laurent, abonnée du journal :
« Il est scandaleux que le MAM organise une rétrospective de Carl André, un assassin qui a tué en septembre 1985 sa femme, Ana Mendieta, artiste cubano-américaine, en la jetant par la fenêtre », Chantal Laurent 19/09/2016 – 17h25.

Au regard de la défense qui m’anime, je ne peux que réagir à ce grand fait divers.

1. D’abord, parce que, dans le meilleur des cas pour Chantal, Carl André n’aurait pas été un « assassin » mais un « meurtrier » : en imaginant qu’il poussait de la fenêtre la femme qu’il épousait huit mois plus tôt, un saut du 34èmeétage à la suite d’une dispute tenant au fait qu’il soit plus connu qu’elle ne caractérise pas le dessein mûri et réfléchi de tuer, et donc la préméditation nécessaire à la qualification de l’assassinat (plus grave dans son quantum que le meurtre).

2. Ensuite, parce que, précisément, en l’absence de preuves sur le fait que la malheureuse ait été poussée, Carl André a été acquitté.

3. Aussi, parce que beaucoup d’artistes s’intéressent à la mort, et que ce drame a conduit Carl André à la toucher plus qu’un autre, faisant de sa recherche un attrait supplémentaire.

4. Enfin, parce que l’artiste est la preuve que l’on peut se reconstruire après une tragédie, voire avec gloire et postérité.

Dans ces conditions, je ne vois pas le mal d’une rétrospective au Musée d’Art Moderne qui, en plus de sa qualité artistique, a la vertu de l’exemple.
…si l’ego fragile des artistes pousse parfois à des folies, leur fêlure laisse aussi passer la lumière.

Pierre Farge, avocat à la Cour

jusqu’au 12 février 2017, exposition Carl André au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.

Attendre et espérer : la réforme de la prescription pénale

Attendre et espérer : la réforme de la prescription pénale

Article de Pierre Farge paru dans le Dossier spécial paru dans AJ Pénal 07|2016 Numéro 7, Dossier, Dalloz, juillet 2016.

Nous connaissons tous l’histoire d’Edmond Dantès sous la plume d’Alexandre Dumas, ce marin de dix-neuf ans sur le point de se fiancer lorsqu’il est accusé à tort de bonapartisme. Après quatorze ans d’emprisonnement injuste, nous découvrons l’étonnement de ceux qui l’y ont envoyé lorsqu’ils le voient revenir, lui et sa vengeance, sous les traits du Comte de Monte-Cristo. Pour ses ennemis, c’est une histoire ancienne, c’est du passé.

C’est la question même de la prescription. Et lorsqu’à la fin du roman, le comte offre une île à un jeune couple, il accompagne son cadeau d’un bref message qui tient en deux verbes : « attendre et espérer ».

Attendre et espérer que justice se fasse en dépit du temps écoulé. Voilà ce que consacre la proposition de loi (1) portant doublement de la prescription pénale, ouvrant la voie à une certaine forme d’imprescriptibilité en droit français. Un jalon qui n’en est pas moins critiquable au regard des risques qu’elle fait courir aux institutions judiciaires et à la procédure pénale françaises.

Doublement des délais de prescription

Après deux mille ans d’histoire de la prescription, la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale porte doublement du délai de prescription de l’action publique et légère augmentation du délai de prescription de la peine délictuelle.

Deux mille ans d’existence de la prescription

La longue histoire de la notion de prescription serait héritée du droit romain et apparue pour la première fois sous le règne d’Auguste avec la loi qui instaura en 18 ou 17 avant Jésus-Christ une prescription de cinq ans pour les « délits de la chair ».

Au Moyen Âge, c’est Saint Louis qui installa la prescription dans notre droit par l’octroi de la Charte d’Aigues-Mortes de 1246 posant déjà le principe d’une classification tripartite.

La période révolutionnaire vit ensuite l’apparition de règles nouvelles édictées par le code pénal des 25 septembre et 6 octobre 1791, qui introduisit la notion de prescription des peines.

Le code d’instruction criminelle de 1808 fixe alors les délais de prescription de l’action publique que l’on connaît jusqu’à aujourd’hui, sous réserve du délai de prescription des peines applicables aux contraventions désormais fixé à trois ans (2).

Jamais révisée dans son intégralité depuis le Consulat, cette réforme de la prescription portée par Alain Tourret (Radical de Gauche) et Georges Fenech (Les Républicains), débutée en janvier 2015, retardée en raison des attentats de Paris, pourrait entrer en vigueur à l’été 2016.

Action publique et peine

L’action de la justice en droit pénal est grevée par deux formes de prescription : la prescription de l’action publique, antérieure à la condamnation définitive, et la prescription de la peine, postérieure au prononcé de la sanction.

L’action publique se trouve éteinte par l’écoulement d’un certain temps depuis le jour de la commission de l’infraction, c’est le temps

des poursuites ; son délai court en général à compter de la commission de l’infraction. Le délai est main- tenu à un an pour les contraventions, mais doublé de trois à six ans pour les délits et de dix à vingt ans pour les crimes (3).

Prescription de l’action publique :

  • régime actuel : 1-3-10
  • proposition de loi : 1-6-20

La peine se trouve éteinte dès lors que la puissance publique se voit empêchée, après l’expiration d’un certain délai, d’exécuter les sanctions définitives prononcées par le juge. C’est le délai pendant lequel par exemple un condamné en fuite réussit à se soustraire à l’application de l’exécution de sa peine ; son délai court à compter de la date de la décision de condamnation définitive.

Les délais ne sont pas doublés comme en matière d’action publique puisque le texte conserve trois ans de délai de prescription des peines contraventionnelles, porte seulement de cinq à six ans le délai de prescription des peines délictuelles et maintient à vingt ans le délai de prescription des peines criminelles (4).

De même que restent inchangés les délais de prescription dérogatoires de droit commun, allongés – comme en matière de terrorisme ou de trafic de stupéfiants – ou abrégés – comme en matière de presse ou de droit électoral. Prescription de la peine :

  • régime actuel : 3-5-20
  • proposition de loi : 3-6-20

En gardant la différenciation tripartite qui a toujours fait la spécificité française, l’évolution du texte tient compte de l’augmentation de l’espérance de vie – elle-même quasiment doublée depuis Napoléon –, du régime en vigueur peu lisible et des avancées en matière de conservation des preuves. L’ADN permet en effet, par exemple, de confondre l’auteur d’un crime bien plus de dix ans après les faits sans qu’il ne soit plus possible d’invoquer le dépérissement des preuves à ce sujet.

■    L’imprescriptibilité en droit français

En avalisant la théorie jurisprudentielle du délit dissimulé et en maintenant certains délais dérogatoires, cette réforme témoigne d’une volonté du droit français de calquer le modèle anglo-saxon d’imprescriptibilité.

Imprescriptibilité en droit français

Imprescriptibilité des délits « astucieux ». La deuxième grande proposition du texte consacre dans le code de procédure pénale la jurisprudence, inaugurée dans les années 1930 et consacrée par la Chambre criminelle en 1981 5, relative à l’exercice des poursuites pour les infractions occultes ou dis- simulées du jour où elles sont découvertes, et non plus du jour de leur commission. Dès lors que la prescription court à compter de la révélation des faits, ce texte donne la possibilité au ministère public de poursuivre en théorie indéfiniment, contre le principe même de prescription, et témoigne d’un premier pas vers l’imprescriptibilité (6).

Imprescriptibilité des crimes de guerre. Dans le sens de cette imprescriptibilité, la proposition de loi met le système juridique français en conformité avec la Convention de Rome (7) en rendant le crime de guerre imprescriptible, au même titre que le crime de génocide et les autres crimes contre l’humanité.

Imprescriptibilité des crimes sexuels. Qui plus est, en maintenant le commencement du délai de prescription des crimes sexuels à la majorité de la victime pour les infractions commises sur les mineurs, les faits peuvent être poursuivis jusqu’à vingt ans après leur commission. Témoignage supplémentaire de l’entérinement progressif de l’imprescriptibilité en droit français, une victime abusée à l’âge de cinq ans peut ainsi dans les faits se porter partie civile jusqu’à près de 40 ans dans un procès qui peut durer vingt ans (8).

Une imprescriptibilité calquée sur le modèle anglo-saxon

Notre système juridique de Civil law s’inspire du modèle de Common law, qui consacre le principe selon lequel l’imprescriptibilité est la règle, le juge disposant du pouvoir d’abandonner les poursuites selon l’ancienneté de l’infraction.

Cette pratique est pourtant dangereuse, comme en a témoigné l’affaire Roman Polanski, assurant à la prescription son utilité dans la régulation d’un système judiciaire politisé. Fondé sur l’opportunité des poursuites, et non la légalité, il confère en effet au parquet l’énorme responsabilité politique de poursuivre ou de classer.

Par ailleurs, de nombreux pays dits de Civil law ont rendu imprescriptibles certaines infractions et certaines peines, en dehors des crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité : par exemple en Allemagne, les meurtres commis avec circonstances aggravantes, en Autriche et en Italie les infractions punies d’un emprisonnement à vie, ou encore en Es- pagne les délits de terrorisme ayant entraîné la mort.

L’imprescriptibilité en droit français semble donc satisfaire à l’exigence de répression des infractions mais pas à l’impératif de sécurité juridique.

Des risques inconsidérés pour la procédure pénale française

Votée à l’unanimité des députés, saluée par le gouvernement, avec le soutien de certains magistrats, des associations de victimes et la bénédiction du Conseil d’État, cette proposition de loi n’en est pas moins discutable, tant du point de vue institutionnel qu’au regard de la proportionnalité et de la surpopulation carcérale.

Engorgement des tribunaux et indépendance du parquet

Ce doublement du délai de prescription apparaît comme un nouvel acquis aux victimes pour qui une prescription trop courte valait, selon certaines associations, une forme d’échec de la justice et d’impunité.

Ce sont donc ces dernières qui ont pesé sur les débats parlementaires plutôt que les professionnels du droit, Syndicat de la magistrature et Ordre des avocats, largement opposés à la proposition dès lors que nos moyens techniques permettent aujourd’hui d’élucider plus vite les affaires, et donc de juger au plus près de l’infraction.

Il est donc indispensable de conjuguer cette réforme avec la déjudiciarisation d’un grand nombre de contentieux et un changement vers un système de légalité des poursuites.

À défaut du premier, nous risquons de voir exploser la charge de travail des services d’enquête de police judiciaire ainsi que des tribunaux, que les législatures successives essaient pourtant de désengorger.

À défaut du second, le parquet en conserve l’opportunité et dispose ainsi d’une responsabilité politique énorme en l’état de sa dépendance au pouvoir.

Disproportionnalité de la loi

En outre, la consécration de la jurisprudence conduit à s’interroger sur les principes de légalité et de proportionnalité, sources de sécurité juridique et de confiance dans la loi.

La proposition de loi remet ainsi en cause le principe même de légalité de la prescription qui n’est autre que la sanction de la négligence des autorités judiciaires n’ayant pas été capables d’agir à temps.

En s’arrogeant ainsi le droit de poursuivre indéfiniment, le ministère public ne permet plus au justiciable de se protéger du rempart que lui offrait l’écoulement du temps. En rendant imprescriptibles les poursuites des infractions économiques et financières, la loi porte également atteinte au principe de proportionnalité.

Comment en effet considérer une loi comme étant proportionnelle dès lors qu’elle place sous le même régime de prescription le dirigeant ayant falsifié les comptes de sa société et le criminel contre l’humanité ayant torturé son peuple ?

Comment considérer une loi comme proportionnelle dès lors qu’elle est en contradiction avec nos engagements conventionnels, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme disposant du droit à être jugé dans un « délai raisonnable », notion par définition contraire aux actes interruptifs qui s’appliquent au procès, depuis l’enquête jusqu’au renvoi, et rendent ainsi quasiment imprescriptible l’engagement de l’action ?

Comment considérer une loi comme étant proportionnelle dès lors qu’elle encourage l’écoulement de plusieurs années sans qu’aucun acte d’enquête, d’instruction ou de poursuite ne soit réalisé, c’est-à-dire l’inverse du principe d’une justice rapide ?

Comment considérer une loi comme étant proportionnelle dès lors qu’elle s’applique immédiatement au mépris de la non-rétroactivité de la loi pénale, aggravant ainsi, malgré l’exception pré- vue pour les lois de forme, la répression pour des faits déjà commis mais non échus ?

Augmentation de la surpopulation carcérale

Rappelons enfin que la prescription n’est pas le seul élément à caractériser la gravité d’une infraction. Ce qui caractérise cette gravité, c’est la sanction. Et cette sanction aujourd’hui n’est pas appliquée comme elle le devrait puisque le bout de la chaîne pénale reste la prison et qu’elle est pleine. Avec une densité carcérale moyenne en maison d’arrêt de 136 %, la loi sur l’encellulement individuel n’est pas respectée.

En croyant réduire l’intensité du dommage causé à l’ordre social par le coupable, le doublement de la prescription n’est donc clairement pas au service de l’effectivité de la réponse pénale.

Sachant que la France se distingue par son taux de personnes condamnées pour une peine jusqu’à un an de près de 40 %, il convient d’adapter le parc immobilier à cette réalité.

C’est ainsi que l’effort immobilier pénitentiaire doit prioritairement porter sur des structures plus légères sur le modèle scandinave (Une dizaine de détenus soumis à des peines comparables vivent ensemble dans de petites unités composées d’un séjour, d’une cuisine et d’autant de cellules individuelles de 7 m². Le matin est consacré aux études, l’après-midi aux travaux d’intérêts généraux).

À cela s’ajoute un travail majeur sur la politique d’aménagement des peines, notamment pour que son prononcé intègre les conditions de son application et que les réductions automatiques des remises de peine ne soient pas supprimées tant que les deux tiers de la peine n’ont pas été accomplis.

La tendance n’est donc plus à la surenchère sécuritaire sous la pression des associations de victimes mais au développement de structures plus légères en milieu carcéral adaptées à la sécurité de la petite délinquance ou hors milieu carcéral.

***

Ce texte sur la voie de l’imprescriptibilité peut donc servir l’intrigue d’un des plus grands romans du XIXe siècle mais certainement pas la réalité judiciaire française.

En consacrant le doublement de la prescription et en avalisant la théorie jurisprudentielle du délit dissimulé, il est finalement davantage politique que juridique puisqu’il conduira, s’il n’est pas encadré, à un engorgement des tribunaux, une nouvelle remise en cause de l’indépendance du parquet et une aggravation de la surpopulation carcérale.

Cette réforme témoigne donc d’une procédure pénale à bout de souffle, et d’une marque d’intolérance de plus en plus forte de la société à l’infraction, à la faute, qui est pourtant le propre de l’homme. Un texte dans l’air du temps, qui n’est pas au pardon mais à la colère.

Pierre Farge, Avocat en droit pénal.

Article paru dans AJ Pénal / Dalloz 07| 2016  : version PDF

NOTES

  1. Tourret et G. Fenech, Proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale, no 2931, Assemblée nationale, 1erjuill. 2015.
  2. Sur l’histoire de la prescription, B. Bouloc, Regard sur la prescription pénale, infra,
  3. pr. pén., art. 7 à 9, art. 9-1 (nouveau), art. 9-2 (nouveau) et art. 9-3 (nouveau).
  4. C. pén., art. 133-2 à 133-4.
  5. Crim. 10 août 1981, no 80-93.092.
  6. Sur le recul du point de départ de la prescription et sa suspension,A. Darsonville, Recul du point de départ de la prescription de l’action publique et suspension du délai : le flou actuel et à venir ?, infra,
  7. Convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale, 17 juill.
  8. Sur la prescription des infractions contre les mineurs, C. Courtin, La prescription des infractions contre les mineurs, infra,.
Réforme de la prescription pénale – Le Monde du Droit

Réforme de la prescription pénale – Le Monde du Droit

Jamais révisé dans son intégralité depuis 1810, le régime de la prescription pénale fait aujourd’hui l’objet d’une révolution. Son entrée en vigueur dès janvier 2016 devrait bouleverser la procédure pénale. Cette proposition de loi témoigne d’une évolution profonde de la société en général et d’une attente des victimes en particulier.

Article de Pierre Farge publié dans Le Monde du Droit

Portée par Alain Tourret (Radical de Gauche) et Georges Fenech (Les Républicains), la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale tient en trois points.

1. Ce texte dispose tout d’abord d’un doublement du délai de prescription de l’action publique de 1 à 2 ans pour les contraventions, de 3 à 6 ans pour les délits, et de 10 à 20 ans pour les crimes.

Cette évolution tient compte de l’augmentation de l’espérance de vie, elle-même quasiment doublée depuis Napoléon, du régime en vigueur illisible et des avancées en matière de conservation des preuves. L’ADN permet en effet de confondre l’auteur d’un crime bien plus de dix ans après les faits sans qu’il ne soit plus possible d’invoquer la fragilité des témoignages et les autres dépérissements de preuves. Une prescription trop courte valait selon les associations de victime une forme d’échec de la justice et d’impunité du simple fait de l’écoulement du temps.

Si ce doublement du délai de prescription apparaît comme un nouvel acquis aux victimes, il est cependant indispensable de le conjuguer à une déjudiciarisation d’un grand nombre de contentieux. A défaut, nous risquons de voir potentiellement exploser la charge de travail des services d’enquête de police judiciaire ainsi que des tribunaux, que les législatures successives essaient pourtant de désengorger.

2.  La deuxième grande proposition du texte consacre dans le code de procédure pénale la jurisprudence permettant l’exercice des poursuites pour les infractions occultes ou dissimulées au jour où elles sont découvertes, et non plus au jour de leur commission.

Cela concerne essentiellement les infractions économiques et financières complexes comme l’abus de bien social, le blanchiment ou la fraude fiscale. Dès lors que la prescription court à compter de la révélation des faits, ce texte donne la possibilité au Ministère public de poursuivre indéfiniment sans être tenu par les délais légaux.

Cette consécration conduit donc à s’interroger sur les principes de légalité et de proportionnalité, sources de sécurité juridique et de confiance dans la loi.

En effet, le projet de loi remet en cause le principe même de légalité de la prescription qui n’est autre que la sanction de la négligence des autorités judiciaires n’ayant pas été capables d’agir à temps. En s’arrogant ainsi le droit d’enjoindre indéfiniment, le Ministère public ne permet plus au justiciable de se protéger du rempart que lui offrait l’écoulement du temps.

En rendant ainsi imprescriptibles les poursuites pour les infractions économiques et financières, la loi porte atteinte au principe de proportionnalité. Comment considérer en effet une loi proportionnelle dès lors qu’elle place sous le même régime juridique de la prescription le dirigeant ayant falsifié les comptes de sa société et le criminel contre l’humanité ayant torturé un peuple ?

3.  Enfin, cette proposition de loi met en conformité la France à la convention de Rome en rendant les crimes de guerre imprescriptibles, au même titre que le crime de génocide et les autres crimes contre l’humanité… tels que, nous venons de le dire, les infractions économiques et financières occultes ou dissimulées.

Pour donner à cette réforme les moyens d’être efficace, les jalons qu’elle pose doivent donc être conjugués à une approche systémique. A savoir, compenser l’afflux de nouvelles procédures résultant du doublement des prescriptions par un recours subsidiaire au juge pénal, et veiller au respect du principe de proportionnalité. Pour cela, il faut agir vite, au risque de paralyser le système judiciaire et remettre en cause les grands principes de sécurité juridique et de confiance dans la loi dès 2016.

Pierre Farge, Avocat en droit pénal