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Quand les députés enterrent eux-mêmes la condition d’un casier judiciaire vierge pour être éligibles.

Tribune de Maître Pierre Farge publiée dans Contrepoints

Tandis que la France connait sa quatrième semaine de manifestations sans précédent depuis cinquante ans, les députés enterrent eux-mêmes la condition d’un casier judiciaire vierge pour être éligibles. Soulignant un peu plus les problèmes de légitimité et de représentativité du pouvoir, le Parlement secoue une fois encore la démocratie de ses contradictions.

Après l’allocution du président de la République en réponse au mouvement des Gilets jaunes, exactement au moment où le Sénat votait l’allègement des taxes contre les exilés, une nouvelle contradiction accablait le pouvoir en place.

Se présenter aux élections avec un casier

Alors que la récente loi de moralisation de la vie publique disposait de « l’interdiction pour tous les détenteurs d’un casier judiciaire (niveau B2) de se présenter à une élection », le Parlement a en effet trouvé la parade juridique selon laquelle l’interdiction de se présenter à une élection si le casier n’est plus vierge peut être interprétée comme « une peine automatique », contrevenant au « principe d’individualisation des peines garanti par la Constitution ».

Quoi que cet argument n’ait gêné personne des décennies durant, voilà que nos députés y font droit.

Ainsi, sans polémiquer sur les membres du Parlement, objets de procédure judiciaire en cours, et donc passibles de peines qui les empêcheraient de renouveler leur mandat, la question de fond qui se pose est de savoir pourquoi les parlementaires votent eux-mêmes leur immunité par une loi les exemptant de casier judiciaire vierge pour se présenter, plutôt que de laisser, comme tout le monde, en vertu de l’article 755-1 du Code de procédure pénale, le soin de formuler une demande d’effacement de la condamnation mentionnée au casier judiciaire, à l’appréciation d’un magistrat le soin de juger, ou non, de cette désinscription ?

  • En effet, tous les citoyens condamnés à une peine — ferme ou avec sursis — peuvent
    formuler ab initio, à l’audience, en vue de la condamnation encore probable, une demande de non inscription au casier judiciaire de la peine éventuellement à venir ;
  • à défaut, dans les cas en général les plus graves, formuler a posteriori à la condamnation une requête aux fins de désinscription au B2 devant la Chambre correctionnelle ayant prononcé leur jugement (c’est ce qui est dans la pratique privilégié afin de donner au condamné la mesure de sa peine, et l’obligation de son amendement pour obtenir le retrait de sa mention).

Dans ces deux cas, il convient de justifier :

  • de raisons légitimes en apportant la garantie, ou la preuve, de l’amendement de l’intéressé depuis les faits, d’une distance avec l’infraction, voire d’une guérison dans le cas par exemple d’une pathologie de kleptomanie ou autre problème psychiatrique ;
  • et surtout de témoigner que la mention d’une telle condamnation au B2 constitue un véritable obstacle à la réussite d’un objectif (comme rejoindre un emploi dans la fonction publique, une charge assermentée, ou une élection au Parlement).

Laisser à l’appréciation de la justice indépendante

Par conséquent, si les parlementaires tiennent absolument à être éligibles malgré un casier judiciaire, il revient non pas de décider, entre eux, et de façon générale, leur immunité par une loi les exemptant, mais plutôt de laisser à l’appréciation d’une justice indépendante, le soin de juger s’ils justifient, au cas par cas, de la désinscription de toute mention, et in fine d’être en capacité d’être éligible.

Cette seconde solution placerait les représentants du peuple sur un pied d’égalité avec ceux qui sont censés les représenter, comme autant de témoignages d’un pays respectueux de l’équilibre des pouvoirs, sans parler de donner une image exemplaire de l’État, sinon plus vivifiante de la démocratie en pareille contestation populaire placardant par milliers de manifestants des demandes de Référendum d’initiative citoyenne (RIC).

Ce qui fait finalement penser au bon mot d’Alain Juppé, certes dans d’autres circonstances, mais toujours philosophe : « En matière judiciaire, il vaut mieux avoir un passé qu’un avenir ».

Par Maître Pierre Farge.

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