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La réforme n’entraîne aucune amélioration dans le traitement de la justice pénale des mineurs : l’éducatif est de moins en moins pris en compte, et le répressif prime.

Cette tribune a été publiée initialement sur Contrepoints. Elle a également été citée par Les Actualités du Droit Wolters Klutwers

Le gouvernement a entamé sa plus importante réforme de la justice pénale des mineurs depuis 1945.

Devant entrer en application par voie d’ordonnance le 1er octobre 2020, à l’issue d’un débat de pure forme devant le Parlement, les professionnels de l’enfance, tout comme les avocats, dénoncent, en l’état du texte, un projet où le répressif prime et où l’éducatif est de moins en moins pris en compte.

La base d’une société stable passe par la prévention de la commission de nouvelles infractions, et notamment au plus tôt par un relèvement éducatif et moral des enfants en conflit avec la société.

Dans cette perspective, avant toute procédure pénale, la loi doit en priorité s’emparer du relèvement éducatif des enfants en se focalisant sur des mesures de protection judiciaire.

C’est pourtant exactement le contraire qui ressort de cette loi, promettant ainsi d’alimenter le « millefeuilles législatif », et ne jamais endiguer le chiffre alarmant de 845 enfants incarcérés, et un peu plus de 700 en détention provisoire.

Trois mesures visant à accélérer la réponse pénale

— Le texte prévoit notamment qu’un jugement sur la culpabilité soit rendu dans un délai de trois mois maximum, ou encore qu’une mise à l’épreuve éducative soit ouverte pour une période de six à neuf mois, et la sanction intervenue dans le délai maximal de 12 mois. Si cette volonté de réactivité théorique doit être salué, l’on se demande néanmoins comment ces délais seront tenus en l’état de la surcharge de travail des magistrats, de l’engorgement des tribunaux et des moyens alloués à la protection judiciaire de la jeunesse. Un effet d’annonce donc absolument inapplicable en pratique.

— Pire, la justice des majeurs est calquée sur celle des mineurs comme en témoignent

  • la création d’une audience dite « unique », autrement dit une comparution possible immédiate du mineur dès l’âge de 13 ans, un état de fait d’autant plus inquiétant que
  • la détention provisoire sera toujours possible et le traitement des 16-18 ans n’est pas amélioré. L’enfant pourra ainsi ne pas exécuter tout ou partie de sa peine à la condition de respecter strictement les obligations qui lui auront été imposées. En d’autres termes, cette mesure est l’équivalent d’un « sursis avec mise à l’épreuve » puisqu’on oblige l’enfant à adopter un comportement exemplaire avant le jugement sur la sanction pénale. Un calque donc de la justice des majeurs sur les mineurs.

— Le texte dispose aussi d’une présomption d’irresponsabilité pénale pour les enfants âgés de moins de 13 ans, permettant au magistrat de ne pas poursuivre pénalement un enfant en dessous de cet âge, au motif qu’à 11 ou 12 ans, on ne dispose pas du discernement suffisant pour être responsable pénalement de ses actes.

Si cette proposition semblait audacieuse, c’est sans compter la création à titre dérogatoire de la possibilité offerte au juge d’engager des poursuites pénales à l’encontre d’un enfant âgé de moins de 13 ans s’il motive sa décision. En créant une exception au principe, la présomption d’irresponsabilité pénale perd sa substance et donc son sens.

Dès lors, pourquoi ne pas avoir fixé l’âge de 13 ans comme un seuil ferme ne pouvant faire l’objet d’aucune dérogation, et assumer politiquement l’idée selon laquelle un enfant âgé de moins de 13 ans est une personne vulnérable en incapacité de comprendre le sens d’un procès pénal ?

Une approche éducative négligée

En résumé, en l’état, cette réforme n’entraîne aucune amélioration dans le traitement de la justice pénale des mineurs : l’éducatif est de moins en moins pris en compte, et le répressif prime.

Qui plus est, elle n’est pas davantage lisible que l’ordonnance du 2 février 1945 qui sera bientôt abrogée, puisqu’elle fait en permanence référence au Code pénal et au Code de procédure pénale alors qu’il nous était annoncé un code autonome.

Un état de fait d’autant plus critiquable qu’aucune des propositions des avocats du barreau de Paris, pour partie les mêmes que celles des magistrats, n’a été reprise dans l’ordonnance du 11 septembre 2019.

C’est si vrai que pour éviter tout risque de rejet du parlement, le gouvernement a en effet choisi de procéder par voie d’ordonnance, tout en promettant pour la forme que le texte soit examiné à l’Assemblée nationale, semblerait-il avant l’été 2020, pour entrer en application le 1er octobre 2020.

En attendant, il revient donc aux acteurs de la société civile, et notamment aux professionnels de l’enfance, de se mobiliser plus que jamais auprès des parlementaires, qui se sont jusqu’à présent peu intéressés à cette réforme, les enfants ne votant pas et la politique étant à l’heure actuelle beaucoup plus politicienne qu’autre chose.

Pour ce faire, il reste donc une étape décisive pour convaincre : la grande journée du 21 novembre prochain à l’Assemblée nationale dont le titre sera a priori : « Justice des enfants : le point de l’éducation », permettant notamment de faire valoir l’expertise :

  • du Défenseur des droits, son collège et ses équipes chargés de la protection des droits de l’enfant, qui pourra par exemple analyser la portée du texte par rapport à l’intérêt supérieur de l’enfant conformément aux lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur une justice réellement adaptée aux enfants.
  • des avocats pouvant également s’interroger sur la conformité de ce texte à la directive relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants suspects ou poursuivis dans le cadre des procédures pénales devant la CJUE.

Autant d’espoirs pour que cette réforme ne soit pas complètement vaine.

Pierre Farge, avocat en droit pénal

 

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