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Une conférence de presse organisée le 28 avril dernier devait permettre au Premier Ministre de s’expliquer sur la gestion de la crise du coronavirus. Le ton, autant que le contenu utilisés ont révolté l’avocat Pierre Farge. S’inquiétant d’un comportement menaçant sur fond d’état d’urgence et de confinement, il s’exprime sous forme de lettre ouverte à Édouard Philippe.

Lettre ouverte de Maitre Pierre Farge publiée sur Mediapart

Monsieur le Premier Ministre,

Vous avez donné, accompagné du ministre de la Santé, le 28 avril dernier une conférence de presse se voulant une « opération de transparence et d’explications face à une confiance des Français qui s’érode dans la crise du coronavirus ».

Dans ce cadre, vous avez fermement insisté sur la décision de confinement, rejetant les critiques, de plus en plus nombreuses, sur une mesure prise trop tard.

Sur un ton et une gestuelle professorale devant un journaliste – mué, ou éberlué – et des français – tout aussi résignés, et confinés – qui seraient vos élèves, vous lâchiez : « je ne laisserai personne dire que la décision a été prise trop tard ».



 

Sans vouloir revenir sur ce qui a été fait dans la situation grave que nous vivons, appelant plutôt à la solidarité nationale, ces propos péremptoires, répétés de façon vertigineuse dans les menus déroulant de toutes les chaines d’info, méritent néanmoins une réponse. Ou plutôt une réaction. Une réaction en toute humilité, qui n’est ni celle du donneur de leçons, ni de l’affinité prononcée à la critique gratuite.

N’en déplaise donc : cette décision de confinement a bien été prise trop tard, beaucoup trop tard.

« Cette décision a été prise trop tard » au prétexte d’impératifs démocratiques tenant à une élection municipale maintenue au mépris des cris d’alarme du monde de la santé depuis des semaines, et confirmé en direct par l’Infectiologue de la Pitié-Salpêtrière le soir même de l’annonce du confinement.

C’est donc bien trop tard que le gouvernement prenait des mesures drastiques; alors même que l’Angleterre décidait de reporter ses élections d’un an; et alors même que in fine, un report aussi lointain que celui de juin du second tour pourrait entrainer une annulation de l’ensemble du scrutin. Tout recommencer au prix d’une propagation inutile de l’épidémie d’un dimanche du premier tour, quel gâchis !

« Cette décision a été prise trop tard » dans la mesure où un pays comme la Grèce, berceau de notre civilisation, que je connais un peu pour y garder une partie de ma famille, est entré en confinement après seulement 624 contaminés et 15 morts; réduisant donc à néant votre argument selon lequel notre confinement aurait été raisonnable comparé à nos voisins européens au regard de « moins de 8.000 cas confirmés en France, et moins de 200 décès ». Cela fait 13 fois plus de contaminés, et 14 fois plus de morts !

« Cette décision a été prise trop tard », au même titre que la commande de tests l’a été, témoignant donc bien d’un retard politique général dans la gestion de la crise. La France n’est en effet toujours pas livrée du matériel nécessaire pour procéder aux examens PCR, et autres sérologies permettant d’informer les personnes ayant été contaminés sans symptômes.

Il est par exemple insensé d’imaginer qu’une commande tardive de tests expliquera bientôt de nouvelles prorogations du confinement, voire justifiera un déconfinement par paliers discriminants par âge et par région. Tout cela est un mensonge d’État !

Alors que j’ai défendu, depuis le début de la crise, l’acceptation d’un confinement strict face à la diffusion exponentielle de ce virus, je n’arrive pas à trouver l’excuse de la maladresse à votre propos.

J’y vois plutôt une espèce de régression autoritaire pour légitimer, par l’intimidation, par la menace du doigt levé du « je ne laisserai personne », et donc par la force, une autorité affaiblie par sa propre inertie.

J’y vois une arrogance du politique face à un peuple défiant, qui fait craindre toutes les dérives de l’état d’urgence sur fond de rhétorique martiale et autres vertus militaires du Président de la République.

J’y vois le sentiment de toute puissance d’un Gouvernement autorisé à légiférer par décret, autrement dit les pleins pouvoirs d’un régime qui peut prendre toutes mesures restrictives de liberté, comme par exemple prolonger le confinement sans consultation du Parlement, ou suspendre les audiences du Conseil Constitutionnel, gardien, pourtant, de nos libertés.

J’ y vois l’accoutumance à ce qu’une mesure d’urgence devienne une mesure de droit commun.

J’y vois une mise à pied de notre liberté, sans encadrement dans le temps et sans garantie de rétablissement dans son intégralité dès la fin de la pandémie.

Alors qu’il est interdit à tous les français de partir en vacances, il nous reste la liberté d’expression, la liberté de questionner, de juger, de s’insurger et ne jamais oublier nos droits fondamentaux, face aux comportements choquants, menaçants, et révoltants.

C’est un combat collectif à mener pour concilier liberté, égalité, fraternité et responsabilité.

Rien n’est plus urgent en des situations aussi extrêmes.

Si votre comportement inquiétant renvoie finalement à l’étymologie même du mot « confinement », « cum finis », « envoyé aux limites, aux extrêmes », cela rappelle aussi cette réplique d’André breton selon laquelle « on ne prend pas sans danger des libertés avec la liberté ».

Pierre Farge

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