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Au prétexte d’impératifs démocratiques, les élections municipales ont été maintenues. Le soir même, le gouvernement prenait pourtant des mesures drastiques aux antipodes avant le confinement total que nous vivons maintenant. Se pose la question de la régularité de pareilles élections. Comment, en droit, cette situation devrait-elle être réglée ?

Tribune de Maitre Pierre Farge publiée sur Mediapart

Au prétexte de velléités politiques et d’impératifs démocratiques, les élections municipales étaient maintenues. Le soir même, le gouvernement prenait pourtant des mesures drastiques aux antipodes avant le confinement total que nous vivrons maintenant pour un total de six semaines.

Sans polémiquer sur la légitimité d’appeler la France entière à voter, puis dès le lendemain ne plus sortir de chez elle en raison d’une pandémie, se pose la question de la régularité de pareilles élections. Comment, en droit, cette situation devrait-elle être réglée ?

Si le mot d’ordre depuis quelques semaines est de limiter au maximum les déplacements et de rester chez soi, il n’en demeure pas moins que les citoyens ont été appelés à voter malgré la pandémie à laquelle la France fait face.

Dans ces conditions, fort d’une abstention sans précédent de 55%, des voix politiques se sont élevées dès la fermeture des bureaux de vote pour remettre en question cette élection.

Le Président de la République a ensuite annoncé le report du second tour. Cela est-il vraiment possible en droit ? Et quelles en seront les conséquences ?

Rappelons tout d’abord qu’une annulation du premier tour, compte tenu du taux record d’abstention, ne saurait, en droit, justifier son annulation.

En effet, contrairement à certains pays, le vote en France reste un devoir civique et non une obligation.

La loi ne prévoyant pas ce que l’on appelle de « quorum » pour valider une élection, cette faible participation ne peut donc pas justifier d’une annulation du premier tour.

Compte tenu du confinement strict annoncé, et donc l’impossibilité à chaque citoyen de sortir de chez lui six semaines durant renouvelable, le Président de la République a donc annoncé un report du second tour.

Mais est-ce seulement possible?

Cette ambition oblige au vote d’une loi au Parlement en session extraordinaire. Cette même loi, qui serait une première dans l’histoire de la Vème République, devrait inclure deux articles, à savoir :

– Un article concernant la prolongation de la durée du mandat des maires sortant ; – Un article énonçant le décalage officiel de la date du scrutin.

Rappelons par exemple qu’en 1973, le second tour des élections législatives sur l’île de la Réunion avait été reporté d’une semaine en raison d’un cyclone. L’arrêté pris par le Préfet avait alors fait l’objet d’un recours devant le Conseil Constitutionnel, lequel jugeait que rien n’autorisait le préfet à prendre un tel arrêté, mais que compte tenu des circonstances exceptionnelles, ledit arrêté était légal.

La possibilité d’un report du second tour est donc, en théorie, possible.

Cela dit, au regard du confinement de six semaines minimum renouvelable imposé ici, l’opinion pourrait tout à fait changer dans ce délai.

Les scrutins formant ce que l’on appelle un tout, dont l’espacement pourrait entrainer d’importants changements sur les votes, il semble donc inéluctable qu’un report du second tour, qui plus est à une date incertaine, ne soit pas légal.

En conséquence, le report du second tour entrainerait l’annulation du premier, lui-même à l’origine de l’annulation de l’ensemble de l’élection, qui serait alors à refaire.

L’éventuelle annulation du scrutin pose alors la question de ses conséquences pour les maires élus au premier tour sur la majorité du territoire, comme Jean-François Coppé à Meaux avec 76,4%, ou encore François Baroin à Troyes avec 66,8% des suffrages.

En pratique, ces candidats élus dès le 1er tour pourraient donc effectuer un recours constitutionnel si leur élection était annulée par une annulation générale.

Cela dit, leur élection pose le problème de la durée des mandats et des différences qui existeraient entre les maires élus le 15 mars, et ceux élus plus tard dans le cadre d’une nouvelle élection faisant suite à une annulation.

En réponse donc, les candidats élus d’office pourraient voir leur élection remise en cause compte tenu des difficultés pratiques que poseraient les discordances de début de mandat, sauf à ce que le ce début de mandat soit également reporté.

***

En résumé, le report lointain du second tour devrait entraîner l’annulation des résultats du premier, et, de fait, la réorganisation des élections municipales dans leur globalité, de même que la remise en cause des élus au premier tour.

Si toutes ces réflexions apparaissent comme étant respectueuses de la légalité, la théorie des circonstances exceptionnelles pourrait néanmoins permettre au Président de la République de déroger à cette analyse.

Tout peut donc encore arriver.

Pierre Farge, avocat au Barreau de Paris.

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