Le Projet de Loi de Finances 2020 prévoit la collecte en masse et l’exploitation au moyen de traitements informatisés et automatisés, des contenus librement accessibles, publiés sur les réseaux sociaux.
Discuté mercredi 30 octobre 2019 en séance de la Commission des lois, l’article 57 du Projet de loi de Finances pour 2020 (*) prévoit, à titre expérimental et pour une durée de 3 ans, la collecte en masse et l’exploitation au moyen de traitements informatisés et automatisés des contenus, librement accessibles, publiés sur les réseaux sociaux et notamment de toutes plateformes de mise en relation par voie électronique.
Se pose la question de la légitimité d’une telle pratique, tant d’un point de vue éthique que juridique.
Quels sont les conseils que l’on peut donner au contribuable pour se protéger ?
Lorsqu’elles sont de nature à concourir à la constatation des infractions fiscales, les données collectées sont conservées pour une durée maximale d’un an à compter de leur collecte et sont détruites à l’issue de ce délai. Toutefois, lorsqu’elles sont utilisées dans le cadre d’une procédure pénale, fiscale ou douanière, ces données peuvent être conservées jusqu’au terme de la procédure.
Les autres données sont détruites dans un délai maximum de trente jours à compter de leur collecte.
Voilà, en substance, les termes de ce qui a été discuté jeudi dernier à l’Assemblée nationale dans le cadre du Projet de loi de finance pour 2020.
Cette avancée, s’il en est, fait écho à l’entretien télévisé sur Capital du ministre en charge du Budget reconnaissant voilà quelques mois la possibilité au fisc d’utiliser les « données publiques » des réseaux sociaux pour alimenter officiellement tous les contrôles de l’administration, et confondre les contribuables devant les contradictions entre leurs déclarations fiscales et ce qu’ils affichent ouvertement, ou pratiquent effectivement sur les plateformes de mise en relation par voie électronique.
Une extension continuelle du pouvoir de l’État
Rappelant qu’on ne peut pas lutter contre la fraude fiscale du XXIe siècle avec des outils du XXe siècle, l’État institutionnalise ici ce qui se pratique depuis longtemps.
Pour améliorer la détection de la fraude et le ciblage des contrôles fiscaux, l’administration fiscale a en effet d’abord développé en 2013 un traitement automatisé de données dénommé Ciblage de la fraude et valorisation des requêtes (CFVR) consistant à :
- croiser diverses bases de données administratives, notamment économiques payantes et en libre accès,
- puis modéliser les comportements frauduleux pour mener des actions de prévention, de recherche, de constatation ou de poursuite d’infractions fiscales en présumant d’un risque d’erreur ou de fraude permettant d’augmenter la productivité de l’administration de façon exponentielle.
Le décret d’application du 21 février 2014 était alors allé encore plus loin puisque ce dispositif concernant initialement les entreprises et les professionnels, était étendu aux particuliers par arrêté du 28 août 2017.
Dès lors, bis repetita, en introduisant ce dispositif expérimental par la petite porte dans le PLF 2020, il est aisé d’imaginer que son décret d’application permettra d’élargir encore davantage ce qui a été voté.
En ajoutant donc ces nouvelles « données publiques » issues des réseaux sociaux, à la manne d’informations déjà à disposition de l’administration, l’État ne vient donc qu’aggraver comme jamais l’inquiétude quant à l’usage liberticide des données personnelles.
À noter tout de même que, conscient de la dangerosité de ce dispositif, et pour ne pas porter atteinte de façon trop pérenne aux droits et libertés des contribuables, celui-ci a été mis en place à titre expérimental pour une durée de trois ans.
Mais à quel prix les libertés publiques payent-elles cette efficacité ? Peut-on tout se permettre à titre expérimental ? Dans quelle mesure le droit des contribuables peut-il être respecté par un algorithme tenu secret ? Facilite-t-il la relation de confiance entre l’administration fiscale et les contribuables d’un système qui se veut déclaratif ?
L’importance de la CNIL
Posant de très sérieuses questions quant au pouvoir qui serait ainsi donné aux administrations fiscales et douanières d’élargir leurs moyens juridiques déjà très importants, pareil amendement au PLF 2020 remet en cause le respect de plusieurs principes, à savoir :
- les principes de pertinence et de proportionnalité,
- mais également la loi ESSOC du 10 août 2018 mettant en œuvre un principe de confiance dans les relations entre les usagers, particuliers comme entreprises, et l’administration,
- ou encore les dispositions nationales de transposition du RGPD,
- et in fine aux principes du respect de la vie privée, de la liberté d’entreprendre et de la liberté d’expression.
C’est précisément pour cela que la CNIL a déjà émis d’importantes réserves en septembre dans un avis indiquant en ces termes avoir « relevé que ce dispositif présente des enjeux très particuliers du point de vue des libertés, compte tenu de l’impact du dispositif sur la vie privée et ses possibles effets sur la liberté d’expression en ligne ».
Ou encore : « Si la lutte contre la fraude fiscale est un objectif à valeur constitutionnelle, la commission estime toutefois, au regard du nombre de personnes concernées et des techniques mises en œuvre, que des garanties appropriées doivent être prévues. »
En outre, rappelons que le principe d’utiliser les « données publiques » des réseaux sociaux signifie, de façon plus insidieuse, une réquisition à l’hébergeur des données dites « derrière la photo », c’est-à-dire celles contenant notamment des informations confidentielles comme la géolocalisation. L’administration se servirait ainsi d’un paravent d’informations publiques pour se saisir d’informations relevant de la vie privée via les réseaux sociaux.
Après la poursuite des réseaux sociaux eux-mêmes pour optimisation fiscale agressive, tels les GAFA, et avoir tenté en vain de redresser leur impôt, voilà que l’administration viendrait donc à collaborer avec ces mêmes réseaux sociaux pour diligenter ses contrôles.
Pyromane et pompier, l’État n’est plus à une contradiction près.