Salaires, pensions, comptes… Certaines de vos données sont transmises automatiquement aux services fiscaux, qui disposent d’outils parfois étonnants pour débusquer les fraudes. Aujourd’hui, on peut ainsi être trahi par Facebook ou sa box internet quand on a menti au fisc sur son train de vie.
Maître Pierre Farge était interrogé dans le cadre de ce dossier paru dans Le Particulier et réalisé par Caroline Mazodier, Marie Pellefigue et Frédérique Schmidiger.
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De quoi le fisc est-il au courant ? De tout, ou presque. Revenus, charges, train de vie, patrimoine immobilier, comptes bancaires, assurances vie… Même vos photos et vos données publiques sur votre compte Facebook, LinkedIn ou Instagram, viendront bientôt enrichir un vaste entrepôt de données sur votre situation fiscale. Les inspecteurs des impôts n’ont plus besoin de se déplacer ou de vous réclamer des informations.
Depuis leur bureau, sans que vous sachiez être l’objet d’un contrôle, ils sont en mesure de détecter les erreurs ou omissions dans vos déclarations, mais aussi une déduction de frais anormalement élevés ou la possession de comptes à l’étranger non déclarés… Et ce qu’ils ne savent pas ou ce qu’ils souhaitent vérifier, ils peuvent l’obtenir en interrogeant directement votre banque, l’artisan qui a rénové le logement que vous donnez en location, ou même l’agent immobilier à qui vous avez confié sa gestion. Encore faut-il qu’un contrôleur s’intéresse à votre cas.
Avec la baisse continue des effectifs de la direction générale des finances publiques (DGFIP), le fisc concentre ses actions sur les plus gros poissons (gros revenus et ou gros patrimoine), sur les entreprises (fraude au remboursement de TVA ou de crédit recherche) et sur l’évasion fiscale. Les simples salariés et retraités, résidents français, n’ont, de toute façon, jamais vraiment eu les moyens de frauder. Avec l’appui de l’intelligence artificielle, Bercy espère bien rendre plus efficace le contrôle fiscal en détectant des fraudes qui passaient jusqu’alors inaperçues et identifier plus vite les nouveaux montages à cibler. Faut-il craindre la création d’un Big Brother fiscal ? Qui sont vraiment ses cibles ? Notre enquête.
Bercy mise sur l’intelligence artificielle pour mieux vous surveiller
En 2019, l’administration fiscale exploitera les données des réseaux sociaux pour lutter contre l’évasion fiscale, a annoncé Gérald Darmanin en novembre dernier dans l’émission Capital, sur M6. Si la modernisation du fisc avait échappé aux Français, personne ne l’ignore plus après les propos du ministre en charge de l’Action et des Comptes publics. Quelles données précisément seront collectées ? Comment seront-elles traitées ?
Cela reste flou, mais Bercy devra fournir des détails à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) avant de pouvoir faire aboutir son projet. « Si le traitement a une finalité de prévention et de détection des infractions pénales, et ce même à titre expérimental, il doit être autorisé par arrêté pris après avis de la Cnil comme le prévoient les articles 70-3 et 26-I de la loi du 6 janvier 1978 modifiée », a confirmé la commission. Début février, elle n’avait toujours pas été saisie. Il faudra donc attendre la publication au Journal officiel de son avis pour en savoir plus.
L’utilisation des données
Les agents des impôts exploitaient déjà les nombreuses traces laissées par les contribuables sur internet comme source d’information. La nouveauté, c’est le traitement automatisé de cette masse de données. « La déclaration de Gérald Darmanin vise, sans doute, à marquer les esprits. Un avertissement pour dire qu’on ne peut plus rien cacher au fisc. Mais ces données aspirées sur les réseaux sociaux ne seront pas faciles à traiter », souligne Me Maud Bondiguel, avocate fiscaliste.
Exilé fiscal, la presse people le photographie en France
Un cadre bancaire prend sa retraite par anticipation au Luxembourg, dont il devient résident fiscal. Après quelques mois d’inactivité, il s’ennuie ferme. Il aime découvrir de nouveaux restaurants, faire la fête et passe, en réalité, la majeure partie de son temps en France, dans une petite maison héritée de sa mère. Sa situation fiscale ne présentant pas de complexité (il touche sa retraite au Luxembourg, n’a pas de placements financiers en France, la succession de sa mère est réglée depuis des années), il n’avait pas attiré l’œil du fisc. Jusqu’à ce que la brigade chargée de vérifier la véracité des exils fiscaux des personnalités, qui épluche régulièrement les pages de Paris Match, Gala ou Voici, le repère à plusieurs reprises en arrière-plan, sur les photos publiées dans ces revues.
Le fisc mène l’enquête, l’identifie et prouve une expatriation fictive. À la clé : un redressement fiscal avec intérêts de retard et pénalités ! Moralité : on ne peut pas cacher longtemps sa présence en France si l’on fréquente les lieux à la mode. D’autant qu’à ce petit jeu, les selfies publiés sur les réseaux sociaux vont devenir de véritables mouchards.
Que fera l’administration fiscale de photos de maison ou de voiture de rêve postées sur Facebook ou Instagram ? Elles l’alerteront sur la discordance entre les revenus déclarés et le train de vie des contribuables ou révéleront des gains dissimulés. « La démarche semble renvoyer à la taxation forfaitaire à partir des signes extérieurs de richesse, prévue à l’article 168 du code général des impôts », analyse Me Jérôme Barré, avocat fiscaliste du cabinet Franklin.
La base d’imposition pourra être évaluée d’après le barème forfaitaire fixé à cet article : cinq fois la valeur locative cadastrale de la villa les pieds dans l’eau, le prix du coupé sport neuf…Mais, rappelle l’avocat, « ces photos ne sont pas des preuves. Les contribuables peuvent avoir emprunté ces biens, s’inventer une vie ou avoir été piégés. Le fisc devra réunir d’autres éléments ». La meilleure parade pour éviter une telle intrusion dans votre vie privée reste de paramétrer vos comptes pour limiter la consultation de vos photos et discussions personnelles à vos proches.
L’administration devra obtenir l’autorisation d’un juge pour y avoir accès. Même s’il y a fort à parier que les activités dissimulées, comme le trafic de cigarettes qui prospère sur les réseaux sociaux, intéresseront davantage le fisc et les douanes que vos photos de vacances.
Le contrôle assisté par ordinateur
Que fera l’administration fiscale de photos de maison ou de voiture de rêve postées sur Facebook ou Instagram ? Elles l’alerteront sur la discordance entre les revenus déclarés et le train de vie des contribuables ou révéleront des gains dissimulés. « La démarche semble renvoyer à la taxation forfaitaire à partir des signes extérieurs de richesse, prévue à l’article 168 du code général des impôts », analyse Me Jérôme Barré, avocat fiscaliste du cabinet Franklin pour détecter plus vite les nouveaux montages frauduleux en apprenant des contrôles passés. Cet outil de lutte contre la fraude, d’abord testé sur les entreprises en 2014, a été appliqué à leurs dirigeants et pérennisé en 2016.
Depuis 2017, l’expérience a été étendue aux particuliers, pour 2 ans (arrêté du 28.8.17, JO du 24.11). Les résultats de ce test devraient être présentés à la Cnil courant 2019. On sait déjà qu’en 2018, plus de 24 000 dossiers (entreprises et particuliers confondus) ont été envoyés par le CFVR aux services de contrôle. Mais, à en croire les syndicats des agents des impôts, les résultats ne sont pas probants (du moins, pour le moment). « Nous n’y sommes pas hostiles par principe, mais nous déplorons que sa finalité soit davantage de réduire le nombre de fonctionnaires que de lutter contre la fraude.
Les agents ont de moins en moins de latitude pour lancer des contrôles à leur initiative. Ils ont l’obligation de traiter les listes transmises par le CFVR et s’épuisent à vérifier une masse de dossiers qui peut ne révéler aucune anomalie », rapporte Anne Guyot-Welke, porte-parole du syndicat Solidaires Finances. Elle pointe, par ailleurs, des difficultés techniques qui pourraient fausser les résultats. « Les données collectées à partir des déclarations dématérialisées des contribuables et des actes notariés comportent des erreurs et les bases ne sont pas forcément à jour. Il subsiste aussi des risques d’homonymie, des dates de naissance inexactes… indiquées parfois sciemment à l’ouverture, par exemple, de comptes bancaires, qui perturbent le croisement des données. »
Un algorithme opaque
N’espérez pas que le fisc vous communique les paramètres de l’algorithme qui conduit à vous contrôler. « Cette information n’est obligatoire que si la décision est entièrement automatisée », précise Lorena Gonzalez, de la Cnil. Un manque de transparence que déplore Me Pierre Farge. Cet avocat fiscaliste a tenté, pour un de ses clients contrôlés tous les ans depuis 5 ans, d’obtenir auprès de la DGFIP sa grille d’analyse pour connaître ses critères de sélection.
Sans succès.
« Nous avons fait appel de ce refus auprès de la Cada, la Commission d’accès aux documents administratifs. Mais elle nous a opposé le fait que la communication de ce document porterait atteinte à la recherche d’infractions fiscales. Comble de l’absurdité, elle a précisé qu’il ne serait communicable que 25 ans après la date de la pièce la plus récente figurant dans ce dossier ! Autant dire jamais du vivant du contribuable » s’insurge-t-il.
Le secret du contrôle fiscal est, ainsi, bien protégé. Pas sûr que, dans ces conditions, les libertés publiques, elles, soient préservées.
Dossier réalisé par Caroline Mazodier, Marie Pellefigue et Frédérique Schmidiger.