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En dépit des déclarations promettant une lutte féroce contre la corruption, trois actions discrètes du sommet de l’État témoignent clairement d’une politique en défaveur des premiers à pouvoir l’encourager : les lanceurs d’alerte. Pourquoi ? Avocat, Pierre Farge répond.

Tribune de Pierre Farge publiée initialement dans Contrepoints 

Comprenant que nous sommes tous de potentiels lanceurs d’alerte, j’ai constaté dans l’exercice de mon métier d’avocat, et notamment à l’occasion de la défense de ces citoyens courageux, que tout est fait pour décourager leurs initiatives.

Plutôt que de faciliter la dénonciation de comportements frauduleux, un traitement indigne leur est réservé.

Tout sur le plan réglementaire, fiscal et politique converge à penser que le sommet de l’État ralentit des quatre fers la lutte contre la corruption, et plus précisément la protection des lanceurs d’alerte.

Cela s’est encore illustré voilà quelques jours lorsque la France, essentiellement par l’intermédiaire de sa garde des Sceaux, et donc des instructions du président de la République, s’est montrée très active pour vider de substance la première directive mettant en place un cadre juridique visant à défendre les lanceurs d’alerte des représailles de leur employeur.

À savoir, notamment tenter d’imposer la même hiérarchie interne de ces paliers par lesquels une personne peut lancer l’alerte, c’est-à-dire d’obliger de façon complètement absurde le lanceur d’alerte à informer en interne son organisation, faute de quoi toute protection lui serait par la suite refusée.

Autrement dit, imposer au lanceur d’alerte d’informer la structure à l’origine de la pratique frauduleuse est absurde. Cela garantit des représailles immédiates, par le licenciement, voire des mesures d’intimidation consistant dans la pratique à permettre à une horde d’avocats d’affaires de dégainer les premiers les actions en justice, sans renoncer à tenter de mettre la main sur les informations en possession du lanceur d’alerte par l’envoi d’agents très spécialisés, comme par exemple la société Blackwater, dont la réputation a fini par la contraindre à même changer de nom récemment.

L’hypocrisie du gouvernement se résume aussi à disposer de la fameuse loi Sapin II, refusant d’indemniser les lanceurs d’alerte, mais à mettre en place, en parallèle, un dispositif rémunérant les aviseurs fiscaux tel qu’il vient d’être entériné par la récente loi de lutte contre la fraude fiscale. Autrement dit, les « lanceurs d’alertes du fisc » sont désormais nommés « aviseurs fiscaux », et ils ne sont pas « rémunérés », mais « indemnisés ». Et il y a pire.

Personne ne sait combien coûtent et rapportent exactement ces « lanceurs d’alertes du fisc »: l’administration se refuse curieusement à communiquer tout chiffre. Les quelques chiffres révélés par la presse à la faveur de fuites ou d’interprétations sont incohérents, voire contradictoires.

La pratique quotidienne de ses services oblige pourtant à dire qu’un seul aviseur fiscal a été indemnisé pour ses renseignements en 2018, forçant à s’interroger sur la réalité de ce dernier montant. Autrement dit, des recettes sans cesse augmentant pour l’État, mais diminuant pour ceux qui permettent de les recouvrer, et qui prennent tous les risques.

Au regard des trois faits récents, comment ne pas conclure à une incohérence entre les discours et la pratique, entre l’intérêt politique et l’intérêt général, entre le compromis politique et le comportement éthique ? Comment ne pas en conclure qu’il est urgent que l’État mesure en responsabilité le manque à gagner que représente ce défaut de protection pour lutter contre le chômage et l’amélioration du niveau de vie des citoyens ? Comment ne pas en conclure que la contribution des lanceurs d’alerte est déterminante pour le développement de l’économie mondiale ?

Maître Pierre Farge.

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