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Faute d’une protection efficace des lanceurs d’alerte, des centaines de millions d’euros échappent tous les ans à l’État. Un manque à gagner qui ne peut plus être négligé dans un pays en pleine crise sociale au lendemain du grand débat national, et où l’évasion fiscale coûte chaque année 10 milliards de plus de ce que rapport l’impôt sur le revenu, estime Pierre Farge.

Fiscaliste de formation, avocat de lanceurs d’alerte et d’aviseurs fiscaux, Pierre Farge dénonce une attitude contraire aux intérêts des contribuables de la part de l’administration.

Interview de Pierre Farge parue dans L’Opinion

Avocat, Pierre Farge témoigne du défaut de transparence entretenu par le fisc sur le traitement des lanceurs d’alerte.

Vous dénoncez l’hypocrisie de Bercy vis-à-vis des lanceurs d’alerte. Quel est le problème ?

Les lanceurs d’alerte ont permis de faire éclater la vérité dans des affaires spectaculaires, et ont ainsi permis un recouvrement considérable de deniers publics. Or, en dépit de la loi Sapin II qui a créé un statut général et de protection des lanceurs d’alerte, le gouvernement refuse toujours de les rémunérer. Bercy a préféré mettre en place, en parallèle, un dispositif rémunérant les « aviseurs fiscaux » – c’est le terme officiel –, d’abord de manière expérimentale de 2017 à 2019, puis définitivement avec la loi de 2018 sur la lutte contre la fraude fiscale. Ces « lanceurs d’alertes du fisc », désormais appelés « aviseurs fiscaux », ne sont pas « rémunérés » mais « indemnisés ». Autant de subtilités de langage qui ne sont pas sans rappeler que le « redressement fiscal » est devenu une « rectification fiscale », de même que le mot « risible » est synonyme d’« absurde ». C’est bien la preuve des fantaisies du gouvernement, d’un glissement dangereux sur une pente qui fait honte à l’Etat de droit.

Combien sont rémunérés ces « aviseurs fiscaux » ?

Personne ne sait combien coûtent et rapportent exactement ces « aviseurs fiscaux ». Et pour cause : l’administration s’y refuse. C’est le règne de l’opacité. En 2017, il a été dit que Bercy avait recouvré près de 80 millions d’euros en rémunérant 27 « aviseurs » pour un total de 2,7 millions d’euros d’indemnités. En 2018, moins d’une quinzaine d’affaires auraient permis de recouvrir près de 100 millions d’euros, mais un seul  « aviseur »  aurait touché autour d’un million d’euros. Autrement dit, les recettes ne cessent d’augmenter pour l’Etat et de diminuer pour ceux qui permettent de les recouvrer, et qui prennent tous les risques.

« Il est toujours laissé à la discrétion de l’administration la liberté de fixer le montant de l’indemnisation à la tête du client »

Le sujet a en effet été évoqué à l’Assemblée nationale, lors de l’examen de la loi de renforcement de la lutte contre la fraude fiscale…

Oui, sans que les débats ne permettent pas de clarifier la situation. En témoigne la question pourtant très claire d’un député au ministre du Budget demandant d’indiquer « le rôle précis de l’aviseur » au regard de « l’intérêt fiscal pour l’Etat des informations communiquées », et réclamant la méthode de calcul pour indemniser l’aviseur fiscal. Il lui a été répondu que « l’indemnisation des aviseurs fiscaux (…) est proportionnelle à la qualité de l’information fournie ». Comment calculer cette « proportion » en l’absence de grille officielle formalisant de quelconques seuils ? Qu’entend-on par « qualité », ou même « information » ? S’agit-il de termes à comprendre comme le ministre les comprend, ou comme les comprennent les services sous sa tutelle censés les appliquer ? Impossible à savoir. Autrement dit, il est toujours laissé à la discrétion de l’administration la liberté de fixer le montant de l’indemnisation à la tête du client, si tant est qu’il veuille bien indemniser quelque chose. En tentant de palier à l’inefficace loi Sapin II par un dispositif parallèle opaque, le sommet de l’Etat piétine le droit à pieds joints.

Que proposez-vous ?

Dans un souci de cohérence, il convient de replacer l’intérêt général au centre de la décision politique. C’est-à-dire, soit définitivement renoncer à toute indemnisation des lanceurs d’alerte, mais dans ce cas aussi des aviseurs du fisc, en cohérence avec les décisions passées du Conseil constitutionnel. On renoncerait alors à un recouvrement grandissant d’une centaine de millions d’euros par an. Soit nous pouvons assumer que les informateurs fiscaux constituent jusqu’à ce jour des lanceurs d’alerte du fisc déguisés, et à ce titre les mettre sur un pied d’égalité en termes de protection et d’indemnisation, là encore dans un souci de cohérence. On pourrait alors, par ces garanties aux aviseurs fiscaux, encourager les initiatives et accroître le montant de recouvrement à plusieurs centaines de millions d’euros par an. Pour ce faire, le ministre du Budget a les moyens de rédiger très rapidement un nouvel arrêté définissant les critères d’indemnisation chiffrés des aviseurs fiscaux, soit en quelques lignes préciser en pourcentage des seuils à concurrence des sommes recouvrées. Qu’attend-on ?

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