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A feu et à sang, Santiago du Chili fait l’objet de la plus grande crise sociale et politique depuis le coup d’État d’Augusto Pinochet en 1973.

Par Maître Pierre Farge et Francisca Russo, tribune publiée initialement dans Contrepoints

L’augmentation de dix centimes d’euros du prix du ticket de métro a mis le feu aux poudres, et compte aujourd’hui dix-huit morts dans les rues à travers le pays. Plus qu’un épiphénomène international, Pierre Farge, avocat au barreau de Paris, élevé au Chili, compare les circonstances de cette crise, avec la prochaine en France, assurant ainsi que l’épisode des Gilets jaunes n’a été qu’un avant-goût du cataclysme encore à venir, selon lui avant mars 2020.

Dans l’arbitrage politique du gouvernement chilien, l’augmentation du prix du ticket de métro de 30 pesos, soit moins de dix centimes d’euros, semblait anodine.

Pour la population, elle symbolise 30 ans d’abus de la classe politique, rappelant que le coût des transports en commun représente pour la majorité 30 % de leurs revenus mensuels. C’est en tout cas ce que scandent depuis dix jours les manifestants par millions dans les rues de Santiago, bien que le projet d’augmentation ait depuis été abandonné.

https://twitter.com/biobio/status/1187865340295995392

Ce n’est plus une révolte dans la capitale, mais une révolution dans tout le pays

Cette déconnexion du Président Piñera, (cinquième fortune du pays), avec son peuple aurait déjà dû se lire quelques jours plus tôt dans ses propos, décrivant son pays comme « une véritable oasis dans un Amérique latine prise de convulsions ».
Une oasis partie en fumée lorsque la communication gouvernementale a commencé par répondre aux premières critiques à cette augmentation du prix du métro en invitant les usagers à « se lever plus tôt » pour éviter la hausse des tarifs aux heures de pointe !
Résultat : ce n’est plus une révolte dans la capitale, mais une révolution dans tout le pays.

À défaut de pain, il reste la brioche au peuple chilien

Pour ne rien arranger, dans un enregistrement clandestin fuité dans la presse, la Première dame a comparé la situation à une « invasion extraterrestre » rappelant ainsi avec le même sens de la mesure qu’à défaut de pain, il reste la brioche.
Et son Président de mari n’a rien trouvé de mieux pour apaiser la situation que de déclarer l’État d’urgence, et donc la « guerre » à son propre peuple, « ennemi puissant » et « implacable », muni de casseroles et de cuillères en bois, en déployant un véritable arsenal dans toutes les villes du pays avec des militaires lourdement armés.
Fort de cet état d’urgence autorisant à tirer avec un bazooka sur une mouche, le Président a donc ouvert le feu sur les manifestants, coûtant la vie à dix-huit personnes à ce jour, au mépris des libertés publiques et des droits de l’Homme.

Un pays très inégalitaire

Si ces événements paraissent lointains dans l’espace des 12 000 kilomètres qui nous sépare du Chili, dans le temps, ils ne sont pas sans rappeler la crise des Gilets jaunes, et les conséquences des mesures politiques cosmétiques lorsque l’état d’urgence est d’abord social.

Car si le Chili est aujourd’hui le pays le plus développé d’Amérique latine, il est aussi le plus inégalitaire de l’OCDE.
Alors que le salaire de 70 % de la population active est inférieur à 615 euros, rappelons quand même que 1 % des plus riches concentre 33 % du PIB, étant souligné une rémunération des parlementaires chiliens la plus élevée de la planète.

Dans cette veine, rappelons que tous les postes d’État qui impactent directement les Chiliens dans leur quotidien, comme l’éducation, la santé, le système des retraites, voire la distribution de l’électricité et de l’eau, ont été privatisés ; et leurs prix constamment en hausse oblige une population surendettée à faire sans cesse appel au micro-crédit, si bien qu’un niveau de vie digne est aujourd’hui devenu une valeur monnayable à coups d’intérêts d’emprunts.

Il n’est pas prophétique d’avancer que lorsque les inégalités se creusent, le conflit est latent. Nous pouvons néanmoins assurer qu’une totale déconnexion du pouvoir avec la société civile et sa classe moyenne alimente l’insurrection à venir de façon certaine en France, qui au regard des échéances économiques, politiques et sociales, sera là avant mars 2020.

Maître Pierre Farge, avocat à la Cour,
Francisca Russo est étudiante chilienne à Sciences Po Paris, Avocat-stagiaire chez Farge Associés.

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