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OPINION. En réponse aux sanctions imposées par certains pays occidentaux et l’Union européenne en tant que telle face au traitement de la minorité ouïghoure, le gouvernement chinois interdit l’entrée sur son territoire à dix personnalités européennes ayant pris part à cette cause pour la protection des droits de l’homme. Me Odile Madar (*) et Me Pierre Farge (*), avocats à la cour, appellent à une coalition pour faire pression sur le régime chinois par le dépôt d’une plainte pénale internationale.

Article de Odile Madar et Pierre Farge dans LA TRIBUNE 

Les Ouïghours sont un peuple turc à majorité musulmane sunnite habitant la région autonome du Xinjiang à l’Est de la Chine.

Depuis 2008, cette communauté est accusée de tous les maux, de l’attaque d’un poste de police à un attentat terroriste. Présentée comme une menace par les autorités chinoises, elle subit une répression violente, allant de l’interdiction du voile islamique, à celle du port de la barbe, considéré comme « anormal », jusqu’à une campagne de stérilisation forcée. Et la répression va de plus en plus loin.

En août 2018, un comité d’experts des Nations unies affirmait qu’un million d’Ouïghours (plus que le nombre d’habitants de la ville de Marseille) seraient détenus dans des camps d’internements, et que deux millions le seraient dans des camps politiques d’endoctrinement. À l’évidence, le Président chinois Xi Jinping dément et affirme que ce sont des camps de « transformation par l’éducation » qui permettraient d’apporter un emploi et d’éloigner de l’extrémisme.

Mais la réalité dont témoigne la communauté internationale depuis est encore pire. Une femme d’affaires Ouïghoure affirmait par exemple avoir « été enfermée dans une salle obscure, les mains menottées à une chaise pendant 24 heures » avant d’être « envoyée en camp de concentration » pendant « 62 jours et y endurer tortures physiques et psychologiques ».

Que la Chine n’ait jamais été un exemple en matière de respect des droits de l’homme n’est un secret pour personne. Mais de là à être à l’origine de la stigmatisation, de la destruction d’un peuple en raison de ses origines ethniques, c’est-à-dire d’un génocide, en est une autre.

C’est la raison pour laquelle le droit international est né à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, et permet de sanctionner ce genre de pratiques.

La réponse judiciaire

Comment engager la responsabilité de la Chine devant les instances internationales ? Devant quelle juridiction ? Et avec qui ?

Saisir la Cour internationale de justice ?

Pour répondre, on pense d’abord logiquement à la Cour internationale de justice (CIJ), principal organe judiciaire de l’ONU. Mais cette cour n’est compétente que pour les seuls États qui s’y soumettent, c’est-à-dire qui reconnaissent volontairement sa compétence.

Autrement dit, il est peu probable que la Chine se soumette à cette juridiction en vue d’une probable condamnation. Tout espoir de ce côté-là est donc à rejeter.

Saisir la Cour pénale internationale ? 

Deuxième hypothèse, celle de la Cour pénale internationale (CPI), compétente pour juger des crimes contre l’humanité. Pour la saisir, il faut que les États soient signataires du Statut de Rome de 1998.

Mais la Chine n’ayant pas signé cet accord, et ne reconnaissant donc pas non plus cette juridiction, la CPI est a priori incompétente dans la cause ouïghoure. À une nuance près que la cour a compétence pour connaitre des faits criminels ayant eu lieu sur le territoire d’un état signataire.

La Chine pratiquant les déportations vers des états parties au Statut de Rome comme le Cambodge ou le Tadjikistan, la CPI pourrait donc être compétente.

C’est sur ce fondement que le 6 juillet 2020, des avocats anglais réclamaient l’ouverture d’une enquête sur les crimes du régime chinois contre les Ouïghours.

Les suites données par la Procureur de la CPI, en charge donc de décider si cette plainte devait ou non faire l’objet de poursuites, intervenaient le 14 décembre 2020 par un refus de toute enquête… au motif que la Chine n’était pas signataire du Statut de Rome !

Hypocrisie politique ou crainte diplomatique, aucune action judiciaire n’est donc envisageable par la communauté internationale à ce jour.

La réponse économique et politique

Faute de sanction judiciaire, restent encore les sanctions politiques, comme les États-Unis et le Canada, puis la Belgique et le Royaume-Uni, dénonçant officiellement les traitements infligés dans les camps chinois de Xinjiang.

Mieux, le 23 mars 2021, c’est l’Union européenne qui s’est prononcée d’une seule voix pour condamner l’atteinte aux droits de l’homme, en interdisant symboliquement de se rendre sur le territoire européen à quatre hauts fonctionnaires chinois, et un gel de leurs avoirs européens.

Pékin a immédiatement réagi en interdisant à son tour à dix personnalités européennes, dont l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, de se rendre en Chine.

Dans cette escalade, seule cette mobilisation de la communauté internationale à encourager pareilles initiatives permettra d’imposer un revirement de la décision du Procureur de la CPI, et donc permettre l’ouverture d’une enquête objective pour apprécier l’ampleur de la répression et condamner le cas échéant en conséquence.

En attendant, restent les sanctions économiques et douanières, et qui ne sont pas négligeables tant la Chine tient à son leadership dans le reste du monde.

Pensons par exemple à ces actions visant à boycotter les JO de Pékin pour 2022 dans une lettre ouverte de 180 associations de défense des droits de l’homme ; ou encore à rompre les liens commerciaux avec les firmes chinoises ayant recours au travail forcé des Ouïghours (Nike, Zara, H&M, entre autres, pour ne pas les citer).

Odile Madar et Pierre Farge

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