D’un point de vue juridique, la notion de motif impérieux n’a fait l’objet d’aucune définition claire. C’est donc à la discrétion du fonctionnaire qu’on juge de nos voyages aujourd’hui.
Tribune de Maître Pierre Farge parue dans Contrepoints.
Pour tenter d’enrayer la progression du covid-19 en France, le 31 janvier 2021 la France a fermé ses frontières avec les pays extérieurs à l’espace européen. Toute entrée ou sortie du territoire national est ainsi désormais interdite sauf « motifs impérieux« . Mais qu’est-ce donc qu’un motif impérieux valable et qui pour en juger ?
Déjà en mai dernier, je déplorais le manque de précision de la notion de « motifs impérieux » pour justifier d’un déplacement dans le cadre du confinement.
Sans avoir été précisée, cette notion revient aujourd’hui avec la fermeture de nos frontières. Mais toujours aussi floue et difficile d’interprétation, elle traduit finalement un nouvel impair de l’exécutif.
La définition posée par le Larousse considère impérieux « ce qui s’impose avec le caractère d’une obligation, qu’il faut absolument satisfaire ». Le motif impérieux renvoie donc à une obligation qui contraint une personne de manière impérative et qui l’amène à contrevenir à un principe applicable.
D’un point de vue juridique, la notion de motif impérieux n’a fait l’objet d’aucune définition claire. À défaut, cette notion est à la discrétion du fonctionnaire de police ou de gendarmerie, c’est-à-dire avec plus ou moins de discernement, au cas par cas, et donc à la tête du justiciable.
Motifs impérieux : ce qu’en dit le Conseil d’Etat
À la faveur du premier confinement, le Conseil d’État s’est néanmoins prononcé très ponctuellement sur un certain nombre de cas. Citons quelques exemples ainsi « tranchés » par le Conseil d’Etat :
- Compléter son stock de bois de chauffe ne constitue pas un motif impérieux, puisqu’on peut se le faire livrer ;
- Ne répond pas non plus au caractère impérieux le déplacement de cet homme qui a voulu se rendre au chevet de son père mourant, et qui a été verbalisé ;
- Ou encore de ces femmes sorties acheter un test de grossesse et du papier hygiénique ;
- de cet étudiant qui s’est déplacé à la laverie automatique faute de moyens dans sa chambre de bonne pour laver ses vêtements ;
- ou encore, l’absurde n’ayant pas de limite, de ce SDF ayant enfreint le confinement pour s’être montré mobile et « particulièrement agressif ».
Attentatoire à nos libertés, la notion de motif impérieux autorise ainsi à être verbalisé au prétexte que le motif que l’on considère « impérieux » ne soit pas le même que celui qui nous contrôle.
Reprenons.
Aujourd’hui avec l’interdiction de sortie du territoire, le sujet est un peu différent : l’attestation de déplacement dérogatoire est assortie d’une liste de trois catégories de « motifs impérieux ». Cette liste « indicative » – donc non limitative – se divise en motifs d’ordre personnel ou familial, de santé, et professionnel.
Des exemples sont donnés, comme le décès d’un membre de la famille, une convocation judiciaire, une urgence médicale vitale ou encore des missions indispensables à la poursuite d’une activité économique.
Bien qu’il s’agisse toujours d’une attestation sur l’honneur, des pièces justificatives sont désormais exigibles. Allez comprendre le paradoxe d’attester sur l’honneur, mais en même temps d’avoir à en produire la preuve – la confiance n’exclut jamais le contrôle.
Dans un souci de pédagogie, des exemples sont encore donnés : un acte ou certificat de décès, une convocation par une autorité judiciaire ou administrative, un certificat médical, une attestation de l’employeur ou une carte professionnelle.
Pour celui qui n’entre pas exactement dans cette liste « indicative », se pose donc toujours la question de la personne qui sera amenée à apprécier si son motif est impérieux ou non, c’est-à-dire pour un agent administratif, un officier de police, ou un inspecteur des douanes… apprécier une urgence médicale ou une mission indispensable à la poursuite d’une activité économique, par exemple.
Pierre Farge Avocat au Barreau de Paris