Déconfinement : seuls 7 motifs admis pour circuler librement au delà de 100km
La nouvelle attestation de déplacement obligatoire prévoit sept motifs pour limiter notre liberté de circulation. Mais qu’est-ce qu’un « motif impérieux » ?
Tribune de Pierre Farge et Alexandre Nouailles dans Contrepoints
L’état d’urgence sanitaire vient d’être pérennisé jusqu’au 10 juillet 2020. Dans le cadre du déconfinement, des attestations dérogatoires doivent permettre de nous déplacer dans un rayon de 100 km. Tout du moins en théorie, car en réalité un défaut de base légale de ces attestations est à craindre. Pierre Farge, avocat fondateur du Cabinet Farge Associés, conteste par exemple la notion de « motif impérieux », qu’il considère comme un « fourre-tout », pratique pour verbaliser et remettre en cause nos libertés.
Liberté, j’écris ton nom.
« Je suis né pour te connaître, pour te nommer, Liberté », concluait Paul Éluard dans son poème éponyme.
Nouvelle attestation de déplacement
Alors que s’ouvre le déconfinement depuis le 11 mai 2020, la nouvelle attestation de déplacement obligatoire prévoit sept motifs pour user, ou plutôt limiter notre liberté d’aller et venir dans un rayon de 100 kilomètres au-delà de notre domicile.
Parmi les autorisations mentionnées, on retrouve :
- les déplacements professionnels,
- les soins de santé,
- les trajets pour aller à l’école,
- l’obligation de se présenter aux autorités,
- ou répondre à une convocation en justice,
- la participation à des missions d’intérêt général sur demande administrative,
- et enfin les déplacements « pour motif familial impérieux ».
Motif impérieux et juridiction
C’est cette dernière notion disposée par le ministère de l’Intérieur qui est complètement folle et attentatoire à nos libertés : elle autorise à être verbalisé au prétexte que le motif que l’on considère « impérieux » ne soit pas le même que celui qui nous contrôle.
Reprenons.
La définition posée par le Larousse considère impérieux « ce qui s’impose avec le caractère d’une obligation, qu’il faut absolument satisfaire ». Le motif impérieux renvoie donc à une obligation qui contraint une personne de manière impérative et qui l’amène à contrevenir à un principe applicable.
D’un point de vue juridique, la notion de motif impérieux n’a fait l’objet d’aucune définition claire par le législateur.
On retrouve néanmoins, vaguement, çà et là, des notions relatives au caractère « impérieux » d’un agissement.
En droit du travail par exemple, certains salariés ne peuvent pas faire l’objet d’une faute ou d’un licenciement dans le cas où l’absence serait justifiée par « des obligations familiales impérieuses ».
En droit pénal, ou encore droit de la responsabilité, le motif impérieux peut prendre un sens comparable à la force majeure, à savoir un évènement inéluctable auquel on ne peut se soustraire, pouvant être imprévisible et extérieure aux parties.
Dans ces conditions, les déclarations des différents ministres enfoncent des portes ouvertes lorsqu’ils évoquent un professionnel avocat ou médecin devant satisfaire à une convocation administrative, ou encore un routier devant livrer sa marchandise à l’autre bout du pays.
Mais ne répond pas au caractère impérieux ou non de cet homme qui a voulu se rendre au chevet de son père mourant, et qui a été verbalisé ; ou encore de ces femmes sorties acheter un test de grossesse et du papier hygiénique ; de cet étudiant qui s’est déplacé à la laverie automatique faute de moyens dans sa chambre de bonne pour laver ses vêtements ; ou encore, l’absurde n’ayant pas de limite, de ce SDF ayant enfreint le confinement pour s’être montré mobile et « particulièrement agressif » !
Le pouvoir au fonctionnaire de police
À défaut de définition précise, cette notion de motif impérieux est donc à la discrétion du fonctionnaire de police ou de gendarmerie, c’est-à-dire avec plus ou moins de discernement, au cas par cas, et donc à la tête du justiciable.
Ce pouvoir totalement subjectif entre les mains d’un seul questionne le principe de légalité en droit pénal, à savoir l’interdiction absolue de réprimer un comportement qui n’ait pas été préalablement établi par la loi, à savoir encore, ce principe ancien de droit pénal selon lequel tout ce qui n’est pas interdit est autorisé.
Ce vide juridique sidérant va donc entraîner une recrudescence de contentieux judiciaires à l’occasion desquels les magistrats devront apprécier le caractère impérieux, compte tenu notamment des preuves qui leur seront apportées, ou de la bonne foi des justiciables.
Un état de fait inquiétant quand on constate que les tribunaux rouvrent à peine, et croulent déjà sous un retard augmenté par un peu plus de deux mois de confinement.
Pierre Farge, avocat en droit pénal.