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Pourquoi et comment en finir avec l’ISF

Pourquoi et comment en finir avec l’ISF

Alors que le Sénat vient de supprimer la totalité de l’impôt de solidarité sur la fortune, faisons le point sur cet ISF.

Tribune publiée par Pierre Farge dans Contrepoints 

Pourquoi et comment en finir avec l’ISF

L‘Impôt de solidarité sur la fortune existe dans seulement 2 des 28 membres de l’Union européenne, alors que son dernier équivalent espagnol – l’Impuesto sobre el patrimonio – est en train de disparaître, et ne rapporte que quatre milliards d’euros par an à l’État, en lui faisant perdre tellement plus depuis trente ans.

L’ISF : un impôt idéologique

Comme l‘Impôt de solidarité sur la fortune, l’Impôt sur la Fortune Immobilière est un impôt idéologique, pour ne pas dire idiot.

Emmanuel Macron le sait. Il le sait en banquier, et en contribuable ayant fait les frais de cet impôt plus qu’aucun autre de ses prédécesseurs.

Un impôt absurde

Cet impôt est aussi absurde, en voici quelques raisons qu’on ne connaît pas forcément.

Le Qatar

Sans préjudice des milliers de contribuables s’organisant légalement pour échapper chaque année à l’ISF en déménageant, l’État lui-même dans son arbitraire s’est chargé d’en exonérer certains comme le Qatar.

En effet, seuls demeurent taxables à l’ISF les immeubles détenus par un non-résident… à l’exception notable de l’émirat dont tous les ressortissants sont exonérés d’ISF sur les investissements immobiliers réalisés en France, d’impôt sur les plus-values et de toute possibilité d’imposition extraterritoriale des dividendes en vertu d’une convention fiscale France / Qatar hors du commun signée en 1990 et amendée en 2008.

Son article 8 dispose ainsi que la France ne perçoive pas « la retenue à la source sur les bénéfices des établissements stables des sociétés qataries ».

Plus encore, « les biens situés hors de France d’un citoyen du Qatar résidant en France n’entrent pas dans l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune pour une période de cinq ans après qu’il soit devenu résident français » et « le citoyen qatari qui perd la qualité de résident de France pendant au moins trois ans, mais le redevient, est exonéré d’impôt sur la fortune sur ses biens situés hors de France pour une période de cinq ans après qu’il soit redevenu résident français ». 

Comment interpréter la concession d’un tel privilège, sinon comme la preuve que la France peut aussi fonctionner au regard de ses non-résidents comme une législation offshore, au même titre que Singapour, Panama ou encore les Caïmans pour ses ressortissants étrangers ?

Le régime du trust

Le régime du trust (*) est aussi édifiant en ce qu’il permet au contribuable le plus malin (ou le mieux conseillé) d’échapper légalement à l‘Impôt de solidarité sur la fortune.

Il est en effet de jurisprudence constante qu’un trust ne peut pas, faute de présomptions suffisantes, être assimilé à un propriétaire assujetti à cet impôt – l’administration ne pouvant démontrer que le contribuable est titulaire d’un quelconque droit réel sur les biens trustés, et ce même s’il bénéficie des revenus du trust.

Cette décision est en effet conforme à la règle d’assujettissement française selon laquelle, pour être assujetti à l’ISF, il faut être propriétaire (ce qui ne peut être le cas d’un bénéficiaire d’un trust en vertu du dédoublement de propriété que permet le mécanisme).

Petite histoire de la fiscalité des 3 dernières législatures

Puisque rien, ou si peu, n’empêche un ressortissant français d’organiser sa sortie, autant l’inciter à relocaliser ses actifs sur son territoire d’origine.

Dans cette logique, préférer une amnistie générale pour recouvrer les fonds de ressortissants français exilés depuis des décennies ferait preuve de pragmatisme. Une fois réintégrés, ils seraient évidemment imposables comme il se doit.

Des remises totales ou partielles sur les pénalités, ainsi qu’un plafonnement des intérêts, avaient été accordées par Éric Woerth, alors ministre du Budget sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy.

Cela fonctionne. Quelques milliers de contribuables se sont présentés à l’époque, permettant de rapatrier plusieurs milliards d’euros. En dépit de l’impact que pouvait avoir à long terme une telle mesure si elle se généralisait à des dizaines de milliers de contribuables, cet avantage n’a pas duré.

Le dernier régime en vigueur sous François Hollande faisait en effet bénéficier aux régularisés, certes, de pénalités inférieures de 80% à celles qui s’appliqueraient aux fraudeurs dans le cadre d’une procédure judiciaire, mais leur anonymat était dévoilé au nom des principes démocratiques devant le Parlement (sic).

Par conséquent, et assez logiquement, très peu se sont pliés au lynchage public. Force est donc de constater qu’après 5 ans de répression acharnée, les chiffres recouvrés sont epsilonesques.

Puisqu’il vaut mieux faire que dire, voici donc deux idées glissées aux conseillers technique de l’Élysée, et particulièrement Laurent Martel, en charge de la fiscalité et des prélèvements obligatoires.

Je me souviens de nos échanges et de son expertise aux grandes tables de négociation du projet BEPS de l’OCDE (**). Puisse-t-il lire ces lignes…

Confidentialité et pénalités incitatives

Afin de remédier à cette instabilité fiscale, il conviendrait par exemple d’assurer la confidentialité du rapatriement aux repentis ainsi qu’un taux incitatif de pénalités inférieur à 10% – pour les frais de gestion de l’administration fiscale – des actifs étrangers relocalisés sur le territoire d’origine.

Pour si peu de pénalités, il est certain que de nombreux contribuables reviendraient au civisme fiscal.

Cette main intéressée, tendue à ceux dont les capitaux sont depuis des décennies hors de France, pourrait aussi consister à proposer aux ressortissants français de régulariser leur situation en participant à la croissance du pays.

Dans le cas où le taux incitatif de pénalités inférieur à 10% ne soit pas acceptable politiquement, il serait même possible de conserver un taux facial plus élevé mais de mettre en place des abattements pour ceux qui investiraient par exemple 50% des fonds rapatriés dans des entreprises innovantes de moins de 50 salariés.

Les liquidités offshore feraient ainsi office de business angels dans des PME en création ou en expansion.

Cette disposition fait écho au travail d’une Commission sénatoriale d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France de la précédente législature (2012), tombée aux oubliettes, mais qui invitait à un traitement plus favorable des fraudeurs s’engageant à réinvestir leurs capitaux en France.

Ce pragmatisme permettait d’apporter une réponse immédiate, sachant qu’il faudrait 25 ans à l’administration fiscale française pour régulariser les dossiers d’évasion fiscale pendants.

En dépit de tout ce que l’on pouvait imaginer jusqu’à lors, l’offshore serait vecteur de croissance et redonnerait tout son sens à la valeur redistributive de l’impôt. Il permettrait de rapatrier sans commune mesure tout en créant des emplois, au lieu de punir sévèrement les fraudeurs, alors stigmatisés, pour ne récupérer que quelques miettes.

À l’image de ce partenariat implicite consistant à attirer les investisseurs par une législation privilégiée pour ensuite les imposer une fois la richesse créée, cette mesure pourrait être conjuguée à une exonération fiscale de rapatriement.

Exonération fiscale de rapatriement

Pragmatique, la mise en place d’une exonération fiscale de rapatriement des personnes physiques et morales rendrait doublement son attractivité à la France. Elle permettrait une reterritorialisation des fonds exilés par un crédit d’impôt sur tous les fonds rapatriés, tout en attrayant les investisseurs du monde entier sur notre territoire.

Cet état de fait autorise donc à mettre en perspective tout ce qui a été fait jusqu’à présent en matière d’ISF, et qui n’a clairement pas fonctionné.

Le nouveau Président de la République, qui a aujourd’hui les pleins pouvoirs comme rarement dans la Vème République, a donc les moyens non seulement de changer le nom de cet impôt mais d’y renoncer complètement, et d’accompagner son manque à gagner pour les finances publiques directement par deux mesures tout à fait proposables au parlement à l’automne 2017 pour le vote du PLF 2018.

Cette ambition permettrait de distinguer en ce début de quinquennat un homme capable de dépasser l’affaire d’opinion pour l’intérêt national, et finalement ce qui fait la différence entre un homme politique d’un Chef d’État.

Par Maître Pierre Farge.

(*) Régime fiscal du Trust sur le Bulletin Officiel des Finances Publiques 

(**) BEPS ou Base erosion and profit shifting : projet lancé par le G20 en 2012 et mis en œuvre par l’OCDE visant à faire échec aux stratégies d’optimisation fiscale mises au point par des entreprises qui tirent profit de l’absence d’harmonisation fiscale à l’échelle internationale pour transférer artificiellement leurs profits vers des États dont le taux d’impôt sur les sociétés est très faible voire nul, diminuant ainsi fortement les recettes fiscales des États.

Paradis fiscaux : l’agitation stérile de Michel Sapin sur les Trusts

Paradis fiscaux : l’agitation stérile de Michel Sapin sur les Trusts

Pris à l’initiative de Michel Sapin, le décret n°216-567 du 10 mai 2016 relatif au registre public des trusts visant à appréhender les trusts français n’aura jamais l’effet escompté dans la lutte contre l’évasion fiscale. Le ministre des Finances annonce un registre mentionnant les bénéficiaires effectifs, mais cette mesure théorique est tout simplement impossible à mettre en œuvre en pratique.

Article de Maître Pierre Farge publié dans La Tribune

Institution de droit anglo-saxon, le trust est paradoxalement né sur les territoires de droit civil à l’époque des Croisades. Au Moyen-âge, le Roi, étant propriétaire de son Royaume, cédait ses territoires, comme des concessions, à ses vassaux et se réservait le droit de les retirer en cas de trahison ou simplement d’absence de descendance mâle.

Pour contourner cette contrainte, les chevaliers, – déjà fins analystes de l’élusion des normes impératives – lors des conquêtes normandes de 1066, trouvèrent une parade légale en transmettant à un ami leur terre au bénéfice de leurs femmes et enfants. L’usage s’est ensuite généralisé et permit de contourner l’exigence du Roi de récupérer la terre qui lui appartenait à la mort du sujet en la cédant à un ami en vie, au bénéfice des proches.

Depuis le Moyen-Age, le trust est au cœur de l’économie offshore comme en témoignent la réplique aujourd’hui fameuse de Pierre Lepaulle dans son Traité théorique et pratique des trusts :

« des Accords des plus grandes guerres au plus simple héritage, du plus audacieux complot de Wall Street à la protection des petits enfants, le trust voit défiler devant lui le cortège hétéroclite de tous les efforts de l’humanité : les rêves de paix, l’impérialisme commercial, les tentatives d’anéantir la concurrence ou d’atteindre le paradis, par haine ou par philanthropie, l’amour d’un proche de sa famille ou le désir de la dépouiller de tout après un décès ; tout cela dans un défilé où les protagonistes sont habillés de robes ou de haillons, couronnés d’une auréole ou marchant en souriant. Le trust est l’ange gardien de l’anglo-saxon, l’accompagnant partout impassiblement, du berceau jusqu’au tombeau »[1].

Le risque d’une institution juridique étrangère est que l’on souhaite la classer par cousinage dans ses propres catégories juridiques comme ce serait le cas entre la fiducie et le trust. Ce dernier est inclassable :

« il n’est ni une personne morale[2], ni un contrat[3], ni un mandat[4] (…) mais un acte unilatéral par lequel une personne, le constituant, confie un bien à une autre personne, dénommée trustee, pour qu’elle le gère en homme d’affaire raisonnable au profit d’une troisième personne, le bénéficiaire avant de le remettre à une quatrième, l’attributaire en capital, le capital beneficiary, à l’expiration du trust »[5].

Éventuellement, il peut y avoir une cinquième personne appelée protector, qui serait « chargée de surveiller le trustee dans l’exécution des instructions reçues du constituant »[6].

Le succès du trust s’illustre donc par une alliance tripartite et un dédoublement de propriété, tous deux à l’origine de son opacité.

Alliance tripartite

Le premier sujet du mécanisme du trust est le constituant ou fondateur (settlor en anglais).

Le second est l’administrateur (trustee en anglais), l’agent d’exécution du trust, il dispose de l’obligation d’administrer et disposer du bien. En d’autres termes, il est le détenteur du droit, le legal owner détenteur du legal title, fruit du dédoublement de propriété, si difficile à admettre en droit civil.

Nous l’avons dit, à la volonté des parties, ce legal title peut être confié à un professionnel, le protector, pour une gestion efficace du patrimoine du trust. Le trustee est donc l’entité clef du trust puisque c’est le propriétaire légal qui, tenu au secret professionnel dans le cas d’un avocat, ne révèle le nom ni du fondateur ni du bénéficiaire réels intéressés par l’opération. Au même titre, c’est uniquement le nom du trustee qui figure sur les documents publics de ses centaines de clients. A noter, dans le cas où le trustee n’est pas un avocat, qu’une clause contractuelle peut lui imposer le secret.

Le troisième est le bénéficiaire (beneficiary en anglais) et dispose de la faculté de jouissance. Il est celui à qui est destiné le trust ; et peut être une personne physique avec ou sans lien de filiation avec le settlor, tout comme une personne morale.

Dédoublement de propriété

Le trust repose également sur un dédoublement de propriété, étranger au système latin de l’unicité de patrimoine.

Juridiquement, l’institution anglo-saxonne n’est plus dans le patrimoine du constituant mais dans celui de l’administrateur qui n’en a pas la jouissance, contrairement au bénéficiaire qui est le seul à jouir du privilège.

Il y a un véritable dédoublement de propriété, à savoir une propriété juridique et une propriété économique comme l’atteste l’article 2 de ladite Convention de 1985 disposant ainsi que « les biens du trust constituent une masse distincte et ne font pas partie du patrimoine du trustee » et son article 11 de préciser que « la reconnaissance implique au moins que les biens du trust soient distincts du patrimoine personnel du trustee », à tel point « que les créanciers personnels du trustee ne puissent pas saisir les biens du trust ; que les biens du trust soient séparés du patrimoine du trustee en cas d’insolvabilité ou de faillite de celui-ci ».

Prenons l’exemple de la douloureuse succession Wildenstein pour démontrer l’efficacité du trust. La veuve, plaignante, était à la fois bénéficiaire et protector de trusts. Bien que partie prenante, elle est aujourd’hui dans l’impossibilité de faire valoir son droit, à défaut de pouvoir démontrer la dépendance du patrimoine des trust avec celui du patrimoine propre de son mari.

Alternatives au décret créant un registre public des trusts

Dès lors les origines et les spécificités du trust compris, démontrons par une série non exhaustive d’exemples l’angélisme du décret annoncé par le ministre des Finances Michel Sapin, créant un registre en ligne des trusts sur le site internet du Registre du commerce et des sociétés.

  • Exception du trust discrétionnaire. Un trust discrétionnaire exige à l’enregistrement le nom du trustee (propriétaire légal actuel) mais pas du bénéficiaire (propriétaire économique à terme) dans la mesure où le constituant peut être noyé dans un groupe de personnes parmi lesquelles le gérant devra, à un moment déterminé, choisir le véritable bénéficiaire. Or, cela relève d’un engagement confidentiel du gérant à désigner le constituant comme bénéficiaire.

 

  • S’il existe un engagement séparé du trustee envers le settlor, l’avocat l’ignore, et peut donc jurer, qu’au mieux de sa connaissance, son client n’est pas bénéficiaire du trust[7]. L’engagement de la responsabilité de l’avocat pour complicité de fraude avec ses clients est écartée, sans que cela puisse nuire aux intérêts de son client. En conséquence, il juridiquement impossible de connaître les bénéficiaires effectifs de trust discrétionnaires, c’est la loi.

 

  • Exception du contrat de renonciation du bénéficiaire. Légèrement plus complexe, existe aussi le montage largement pratiqué avec un trust consistant à établir un contrat dans lequel le bénéficiaire renonce aux fonds du constituant. Dès lors, en admettant que le bénéficiaire informe l’administration de sa qualité d’ayant droit – ce qui en pratique demeure peu probable – il ne serait donc sur ce registre français qu’en vertu d’investigations menées à bien par l’administration fiscale. Ce qui, une nouvelle en fois, en pratique, s’avère presque impossible en raison de l’opacité intrinsèque à l’entité tripartite.

 

  • Que dire enfin des prête-noms ? Ce contrat fictif par lequel une personne s’engage, contre rémunération ou non, à passer un ou plusieurs actes juridiques en son nom propre pour le compte d’une autre. Cette subrogation permet de dissimuler sous son identité le véritable intéressé. Il y a donc l’acte apparent et l’acte secret. En pratique, ce sont souvent les professionnels du droit – tenus au secret professionnel – qui passent des contrats en leur nom au bénéfice de leurs clients. Ressortissants offshore, les avocats peuvent alors, en toute légalité, ouvrir des comptes sous leur identité dans la mesure où le contrat de subrogation figure en lieu sûr (au coffre du subrogeant) qui le sortira en cas de litige avec son conseil (le subrogé). Un prête-nom gérera souvent des milliers de sociétés similaires à la façon d’un administrateur comme en a témoigné l’activité de Mossack Fonseca à Panama.

 

  • Rappelons enfin qu’il était question d’une mesure similaire à ce décret sous l’initiative du premier ministre britannique en juin 2013 lors du G8 de Londres, et les négociations sont toujours en cours…

Si, au vu de l’actualité, le secret bancaire n’est plus la règle intangible, demeure toujours le trust, la diversité de ces formes lui assurant une discrétion aussi grande que le compte numéroté en son temps. A savoir notamment grâce au trust discrétionnaire, au contrat de renonciation et au contrat de prête-noms.

N’en déplaise au Ministre des finances, son registre des trusts accessible au public dès le 30 juin 2016 ne sert donc pas à grand chose sinon montrer, une fois de plus, la détermination autant que l’incapacité politique à endiguer l’évasion fiscale.

Par Maître Pierre Farge.

[1] P. LEPAULLE, Traité théorique et pratique des trusts en droit interne, en droit fiscal et en droit international, 1932.

[2] Le trustee se considère propriétaire des biens du trust, agit en son nom, et pour cette raison est personnellement responsable vis-à-vis des tiers.

[3] Le contrat naît d’un accord de volonté entre les parties par lequel chacune s’engage à fournir une contrepartie à la promesse de l’autre. Le contrat donne naissance à des droits personnels d’une partie envers l’autre, alors que le trust crée un droit réel, un droit équitable au profit de tiers. Aussi, nous allons le voir, dans le trust n’engage pas le transfert de propriété dans le patrimoine du trustee.

[4] Article 1984 du Code civil : « Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom… ».

[5] V. LONTCHI, La fiscalité du trust en France, 4p.

[6] Idem.

[7] E. CHAMBOST, op cit, p. 610.

La perquisition de Google à Paris a-t-elle vraiment réussi ?

La perquisition de Google à Paris a-t-elle vraiment réussi ?

La perquisition de Google à Paris a-t-elle vraiment réussi ? A priori oui, les services d’enquête ont investi et saisi. En réalité, l’effet d’une telle mesure dans le cas très précis du géant californien reste à démontrer. Un rappel de l’organisation juridique et des pratiques fiscales de l’entreprise américaine jusqu’à aujourd’hui permet de s’en convaincre.

Article de Maître Pierre Farge publié dans La Tribune

Pour donner le ton de cette perquisition, imaginons d’abord les services d’enquêtes de l’OCLCIFF[1], de la BRGDF[2], de Bercy et des magistrats du parquet national financier en charge de l’affaire effectuer sans le vouloir des centaines, sinon des milliers de recherches, sur le site internet de l’entreprise poursuivie dans le cadre de leur enquête, afin de comprendre la prise de pouvoir de l’économie sur l’autorité de l’État.

Symbole de cette asymétrie, Google témoigne, au nom des GAFA[3] et consorts[4], du problème que constitue la fiscalité du numérique pour les administrations fiscales des pays développés. Ce marché virtuel fait voler en éclat le principe américain d’ « imposition mondiale » et la notion française d’ « établissement stable ».

 États-Unis : un principe d’« imposition mondiale » qui vole en éclat

Installée en Californie, Google s’est constitué une filiale en Irlande dont la direction générale est aux Bermudes afin d’y loger tout son incorporel, notamment son moteur de recherche et ses brevets. La première déduit donc de son impôt le paiement des royalties, réduisant d’autant sa contribution à l’Eire; la seconde, dans un paradis fiscal, ne paie quasiment plus d’impôt. Alphabet Inc s’est ainsi organisé un taux d’imposition mondial effectif en moyenne de 2% sur les profits réalisés hors États-Unis.

Consciente de l’astuce, l’administration fiscale américaine – toujours pragmatique – a préféré renoncer à sa souveraineté fiscale et le respect de sa base imposable en négociant avec la firme californienne le montant de la redevance qui lui est dû, plutôt que de se lancer dans une procédure longue et coûteuse comme tente de le faire la France.

Ce gentleman agreement, plus sérieusement appelé ruling, dispose d’une redevance très basse mais toutefois plus élevée que si l’accord n’avait pas existé pour l’utilisation de l’incorporel, à condition que le montant de la transaction ne soit pas révélé pour ne pas ridiculiser l’administration fiscale américaine.

En d’autres termes, la société des Bermudes est autorisée à exploiter de l’incorporel en ne retournant qu’une infime partie à l’Internal Revenue Service. Pour faire arriver ces bénéfices aux Bermudes, c’est une filiale des Bermudes en Irlande comptant deux mille personnes qui facture l’essentiel des clients sans qu’il ne soit possible de savoir comment sont ventilés les bénéfices de chaque pays captés par Google Irlande.

France : une notion d’ « établissement stable » qui vole en éclat

Illustrons maintenant ce propos d’un exemple s’appliquant à notre pays pour comprendre la procédure aujourd’hui diligentée par l’administration fiscale.

Une entreprise française diffusant de la publicité sur Google France reçoit une facture de Google Irlande, la filiale qui gère les recettes de publicité pour l’ensemble de l’Europe et où le taux d’imposition est de 12,5% contre 33,1/3% en France.

Google France peut ainsi déclarer un chiffre d’affaires epsilonesque à l’administration fiscale française au regard des recettes publicitaires réellement réalisées (Google France publie plus d’un milliard d’euros de recettes nettes pour seulement 5 millions d’euros d’IS au lieu de près de 400 millions dûs au taux de 33,1/3% en 2014).

Comment sont réalisées les recettes publicitaires ?

Les informations personnelles laissées des utilisateurs de leur passage sont la première source de ces recettes publicitaires. Celles-ci étant difficilement mesurables et localisables dans la mesure où l’information se passe par définition d’activité physique, les profits en résultant sont facilement transférables sur des territoires à fiscalité privilégiée. Tant et si bien que le produit que nous générons par nos clics ne se traduit par aucune recette fiscale en proportion sur le territoire français.

C’est sur ces recettes que se cristallise la procédure en cours près le tribunal administratif. Bercy considère en effet que les régies publicitaires sont suffisamment puissantes pour caractériser l’établissement stable en France, mais cela mérite débat. En effet, cette notion prévoit que soient taxés en France les résultats des « entreprises exploitées en France »

  • Est ainsi entendu comme tel par la jurisprudence une entreprise exploitée par l’intermédiaire d’un « établissement stable », elle-même considérée comme une installation fixe d’affaires matérielles avec des locaux ou du personnel.
  • A défaut d’« établissement stable », une entreprise sera toujours considérée exploitée en France si les résultats sont obtenus à partir d’un représentant non autonome de la société, c’est-à-dire agissant comme s’il était un « établissement stable ».
  • Enfin, à défaut des deux critères précédents, est imposé en France le résultat des opérations constituant un « cycle commercial complet ». Or, l’administration fiscale ne dispose d’aucun moyen légal pour démontrer qu’un cycle commercial complet des entreprises réalisant leur chiffre d’affaires en France, mais localisant leurs locaux et personnels hors de France, a lieu sur le territoire français.

En somme, Google gagne du temps en jouant sur l’imbroglio juridique.

Cette perquisition « ultrasecrète », mais tout de même objet de fuites de la Police et du Parisien, donnera au mieux quelques moyens supplémentaires à l’administration fiscale pour négocier à la hausse le redressement mettant fin à toute poursuite ; Google ayant les moyens de s’acheter à n’importe quel prix et à n’importe quel moment de la procédure sa tranquillité judiciaire tout en donnant à un Etat asservi par ses finances publiques l’illusion de contrôler.

Afin de répondre aux archaïsmes d’« imposition mondiale » et d’ « établissement stable », l’administration américaine négocie et le fisc français attaque. Au bout du compte, le résultat est le même : que l’on transige dès le départ ou que l’on perquisitionne d’abord, c’est toujours un bon accord plutôt qu’un mauvais procès.

Consciente de l’astuce, l’administration fiscale américaine – toujours pragmatique – a préféré renoncer à sa souveraineté fiscale et le respect de sa base imposable en négociant avec la firme californienne le montant de la redevance qui lui est dû, plutôt que de se lancer dans une procédure longue et coûteuse comme tente de le faire la France.

Ce gentleman agreement, plus sérieusement appelé ruling, dispose d’une redevance très basse mais toutefois plus élevée que si l’accord n’avait pas existé pour l’utilisation de l’incorporel, à condition que le montant de la transaction ne soit pas révélé pour ne pas ridiculiser l’administration fiscale américaine.

En d’autres termes, la société des Bermudes est autorisée à exploiter de l’incorporel en ne retournant qu’une infime partie à l’Internal Revenue Service. Pour faire arriver ces bénéfices aux Bermudes, c’est une filiale des Bermudes en Irlande comptant deux mille personnes qui facture l’essentiel des clients sans qu’il ne soit possible de savoir comment sont ventilés les bénéfices de chaque pays captés par Google Irlande.

[1] Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales

[2] Brigade de répression de la grande délinquance financière.

[3] Cet acronyme fait référence aux quatre entreprises emblématiques du numérique que sont Google, Amazon, Facebook et Apple.

[4] A titre d’exemples. Starbucks n’avait versé aucun impôt sur trois années: la filiale britannique payait des royalties pour l’utilisation de la marque et les transféraient dans une entité aux Pays-Bas ; Microsoft faisant l’objet d’un rapport du Sénat américain par C. Levin pour son schéma agressif d’optimisation entre Puerto Rico, l’Irlande et Singapour (Offshore Profit Shifting and the U.S.

Par Maître Pierre Farge.

Dans l’attente des London Papers… – Le Monde du Droit

Dans l’attente des London Papers… – Le Monde du Droit

La City est historiquement et économiquement le premier paradis fiscal de la planète. Loin devant le Panama en terme d’opacité, cette plate-forme financière en plein cœur de Londres s’affranchit pourtant impunément de la réglementation anti-paradis fiscaux sans que personne n’y trouve à redire.

Familier des juridictions d’exception, Pierre Farge, avocat, témoigne de ses recherches de doctorat sur les paradis fiscaux.

Article de Pierre Farge paru dans Le Monde du Droit

Dans l’attente des London Papers, un bref rappel historique et économique du plus important paradis fiscal de la planète, en plein cœur de l’Union européenne, à Londres.

Une histoire surprenante

La City de Londres est historiquement le premier paradis fiscal de la planète et actuellement le plus important.

Historiquement, deux principes s’opposent : celui du droit et celui du privilège. Le plus moderne est celui du droit écrit par les nations ; il appartient à l’héritage français d’après 1789. Le plus ancien est celui du privilège concédé par les princes ou les traditions ; il appartient à l’héritage anglo-saxon. Le privilège ignore le droit, et réciproquement.

En 1319, la corporation des marchands de la « City of London » obtient du roi Edouard II que sa « Cité » soit seulement administrée par eux-mêmes, c’est-à-dire par un Lord-Maire investi du pouvoir de justice et coopté par leurs associations professionnelles.

Dans l’esprit de l’époque, l’autonomie ainsi obtenue n’est pas un droit mais un privilège, c’est-à-dire un avantage pérenne et transmissible lié à la condition des personnes – en l’occurrence des marchands – et non à la volonté d’une nation.

Ainsi, par simple privilège royal, une corporation de commerçants a pu s’affranchir de la loi commune pendant huit siècles. Jusqu’à ce jour, la « Cité de Londres » a gardé, depuis 1319, ses particularités juridiques et financières ; elle est principalement composée de banques, d’assurances et de multinationales. Or, ce sont justement ces héritiers exonérés de la loi commune qui, probablement par goût de l’antiphrase, appellent Common Law la loi particulière faite à leur main, et Civil Law, le droit commun de la nation.

Dans la logique de cet héritage d’un autre temps, et directement inspiré par le modèle de la City, l’esprit qui préside aujourd’hui au comportement du client cherchant par tous moyens à tirer son avantage contre l’intérêt des nations légiférantes, n’est évidemment pas celui du droit mais celui du privilège.

Or, en droit, la Cité des marchands n’existe qu’à Londres. Hors de Londres, le monde des nations existe, vaste et divers, qui n’est à aucun titre héritier de la charte anglaise de 1319, et qui n’aspire pas spontanément à adapter ses lois aux intérêts d’une catégorie professionnelle, fût-elle « multinationale ».

Ce sont ainsi les comptoirs coloniaux qui constituent les premières « multinationales », réalisant dès le XVIème siècle, les premières opérations financières matériellement extraterritoriales. En raison de leur localisation, ils échappaient à tout contrôle.

Ainsi, la Bank of Nova Scotia ouvrait son premier bureau dans les Caraïbes en 1889 afin de permettre à ses clients de profiter d’avantages fiscaux dont bénéficiaient les opérateurs du commerce international. Les sociétés pouvaient ainsi se constituer en Angleterre, comme dans tout l’Empire colonial, sans y acquitter le moindre impôt, à condition que leurs activités et organes de direction fussent situés à l’étranger, bien entendu.

Cette jurisprudence Egyptian Delta de 1929, au lendemain du krach, est fondamentale. Elle consacre le principe selon lequel les activités fictivement réalisées à l’étranger n’ont pas à être taxées à Londres. Le reste des paradis fiscaux peut s’émanciper. C’est donc conscient du rôle historique joué par la City dans le développement des paradis fiscaux que l’on comprend son poids économique de premier centre financier et paradis fiscal planétaire.

Des chiffres édifiants

Les chiffres confirment cette hypothèse : territoire de trois kilomètres carrés, le Square Mile regroupe près de la moitié des compagnies d’assurance du monde ; 80% des hedge funds européens, représente 70% des échanges d’euro-obligations et 55% de toutes les émissions publiques internationales et gère chaque jour un volume d’échanges cinq fois supérieur au PNB de la Grande-Bretagne.

Plus encore, 85% des opérations bancaires internationales seraient centralisés dans l’Euromarket, cet espace fictif que la City abrite sans pour autant figurer sur les listes noires des paradis fiscaux.

La City dispose de son propre « lord-maire » ayant dans les faits plus de pouvoir que celui de Londres. Originairement sous la tutelle de la Banque d’Angleterre, le Square Mile a notamment permis à la Couronne de financer son expansion coloniale, ses guerres, sa révolution industrielle et vit aujourd’hui grâce à cet empire offshore construit à la même époque coloniale : plus de la moitié des paradis fiscaux  mondiaux sont en effet considérés comme issus de l’ancien empire britannique.

La City sert ainsi de passerelle à double sens: sa réputation de place financière au sein de l’UE autorise les capitaux y transitant un parfum de respectabilité avant de s’orienter vers des législations offshore plus sulfureuses comme le Panama, sortant ainsi proprement du système ; et inversement, les fonds sortant des législations offshore mal vues pour réintégrer le système, transitent par la City, en dernière étape, pour opérer le même blanchiment légal.

Prenons un exemple. Une société française ne peut se permettre, pour son image, d’utiliser une société offshore au Panama pour facturer ses clients français. Pour contourner légalement cette limite juridique, il convient de créer une société européenne, en l’espèce anglaise à la City. Celle-ci disposant d’une fiscalité moins lourde que la fiscalité française, mais néanmoins sensible (20%), sera abaissée au taux de 4% par une remontée des bénéfices de la société dans les comptes d’une holding, à Gibraltar ou au IVB par exemple. L’entreprise en France continue cependant à enregistrer les charges d’exploitation nécessaires à la réalisation du chiffre d’affaire détourné vers la société offshore. Après la mise en place d’un tel montage, le résultat de l’entreprise en France s’en trouve mathématiquement minoré.

Dans ce schéma, une société française passible de l’IS subit alors un préjudice tant au niveau des produits détournés que des charges enregistrées dans sa comptabilité, concourant ainsi à la réalisation du chiffre d’affaires éludé. De surcroît, la holding n’apparaît évidemment pas aux clients français qui se font facturer par une société britannique.

Au regard de ces éléments, et de tous les autres exemples que l’on pourrait donner, les déclarations péremptoires contre les paradis fiscaux sont la preuve de l’absence de volonté politique à endiguer ces juridictions d’exception.

Rappelons-nous lorsque le G20 de Londres proclamait « l’ère du secret bancaire est terminée » et Nicolas Sarkozy renchérissait « la France s’est battue (…), des progrès spectaculaires ont été faits pour que les paradis fiscaux, le secret bancaire, la fraude organisée, ça soit terminé » .

Souvenons-nous à cette occasion les propos de Jacques Attali qui ne manquait pas d’épingler avec ironie le sommet international tenu dans le premier paradis fiscal de la planète: « parler de paradis fiscaux à Londres, c’est comme organiser une réunion d’alcooliques anonymes dans un bar à vins« , ajoutant: « j’ai l’impression qu’ils ont pris de bonnes résolutions, excellentes, mais qu’ils ont quand même pris un dernier coup pour la route« .

Pierre Farge, avocat, rédige une thèse doctorale sur les paradis fiscaux

La fin des paradis fiscaux n’est pas pour demain – La Tribune

La fin des paradis fiscaux n’est pas pour demain – La Tribune

Les Panama Papers et la légitimité morale, s’appuyant sur la fin du secret bancaire, autorisent un nouveau déluge sur les paradis fiscaux. Mais est-ce vraiment la fin de ces entités ? En fait, les sommes qui y sont logées continuent de progresser. Par Pierre Farge,avocat en droit pénal des affaires.

Article de Maître Pierre Farge paru dans l’édition quotidienne de LA TRIBUNE du 20 avril 2016.

Où va le Panama ? Selon nos informations, une élection présidentielle est prévue l’année prochaine. Et il est à prévoir que l’on nous promettra, pour une troisième législature, la fin prochaine des paradis fiscaux.

Les nouvelles révélations des noms plus ou moins fameux qu’ils abritent sont-elles une menace pour les avoirs qui y sont encore logés ? Il n’en est rien. La lutte contre les paradis fiscaux, fermement annoncée à grands renforts de coopération et de listes, va dans le sens de l’histoire mais reste loin de l’objectif annoncé.

Les paradis fiscaux hébergent 30% du PIB mondial

Selon nos calculs basés sur les données de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, des Nations unies et des banques centrales, les montants permanents qui y sont logés s’inscrivent toujours, en 2016, entre 17.000 et 25.000 milliards d’euros, soit 30% du PIB mondial, l’équivalent du PIB des États-Unis et du Japon réunis, à raison d’une progression de l’ordre de 6% par an.

A juste titre, rappelons que la zone euro qui entend lutter de concert compte parmi elle cinq pays à fiscalité privilégiée : l’Autriche, la Belgique, l’Irlande, les Pays-Bas et le Luxembourg ; sans compter,hors zone, Chypre et Malte. Rappelons que les États-Unis avec son Delaware sont également engagés à la préservation de leur micro-Etat.

Rappelons aussi que la City de Londres est toujours le premier centre offshore mondial abritant l’euromarket, comptant près de la moitié des compagnies d’assurance au monde ; 80% des hedge funds européens et 55% de toutes les émissions publiques internationales. Cet espace fictif de 3 kilomètres carrés gère chaque jour un volume d’échanges cinq fois supérieur au PNB de la Grande-Bretagne.

Plus encore, 98 des 100 plus grands groupes inscrits au London Stock Exchange y utiliseraient les paradis fiscaux et 99 des 100 plus grandes entreprises européennes auraient recours à des filiales offshore, dont 48 d’entre elles totaliseraient 4.700 filiales dans les paradis fiscaux, soit en moyenne presque 100 chacune. Preuve des relations ancillaires de la City avec les États et territoires non coopératifs, David Cameron admet lui-même aujourd’hui avoir détenu des parts dans un fonds offshore grâce à Mossack Fonseca.

Panama, pas plus sulfureux que la Delaware ou la City

En d’autres termes, les fonds administrés par le cabinet d’avocats ne sont pas plus sales et illégitimes que ceux gérés sur la côte Est des États-Unis, au centre de Londres ou le reste de l’Union européenne.Donc avant de dispenser des leçons au monde entier, commençons prudemment par les respecter nous-mêmes. Et, contrairement à ce qui est annoncé, ce ne sera pas demain, ni à l’horizon 2020comme l’entend l’OCDE (l’horizon à cela de pratique qu’on ne l’atteint jamais). La raison en est simple: l’économie ne peut se passer de ces juridictions d’exception.

La gestion impossible des prix de transfert

La gestion des prix de transfert des entreprises est, par exemple, l’une des premières questions fiscales pour de nombreuses industries où le commerce des actifs incorporels pèse très lourd à l’international, mais dont une bonne part des investissements demeure en France et en Europe.Avec le développement des marchés émergents, nous entrons désormais dans une période où les marges d’interprétation sur la structuration et la géographie des bénéfices d’un groupe sont encore plus troubles, comme en témoigne par exemple la réglementation brésilienne se combinant difficilement avec les exigences européennes ou américaines.La loi locale fixe a priori des pourcentages de marges obligatoires pour la commercialisation de produits importés ou exportés, mais qui ne correspondent pas nécessairement à des prix de pleine concurrence ou à des transactions comparables entre tiers. Ils conduisent donc à une situation de double imposition intenable vis-à-vis de la concurrence.

Un recours justifié aux juridictions d’exception

Au regard de ces impératifs économiques, le recours aux juridictions d’exception est justifié, parfaitement légal et à juste titre déclaré aux autorités fiscales.

La légitimité morale s’appuyant sur la fin du secret bancaire et le vaste mouvement qui, partout, cherche à mettre un terme à l’évasion fiscale, ne correspond donc pas à la légalité formelle à laquelle tout tribunal est tenu. Les approximations auxquelles succombent trop souvent les journalistes sont intolérables, sans qu’un délit précis leur soit associé, sinon d’avoir effectué des opérations intellectuellement stimulantes, que le secret professionnel de leur conseil interdit de partager.

Dans le même sens, l’utilisation choquante par la justice de fichiers volés conduit à s’interroger sur la loyauté de la preuve, puisque depuis 2013 les services fiscaux peuvent avoir recours à des documents obtenus de manière illicite par les médias dès lors qu’ils sont préalablement rendus licites par une autorité judiciaire ou dans le cadre d’une assistance administrative internationale (autrement dit, un juge a le pouvoir de transformer de l’illicite en licite).

Finalement, la presse n’a jamais aussi bien porté son quatrième pouvoir : l’administration fiscale et le parquet financier comptent sur elle pour mettre à profit sa connaissance de fichiers confidentiels.

Face à ce recul de l’État, ces derniers ne sont pas aussi bénévoles qu’on ne le croit. L’intérêt général certes, mais à condition que l’État asservi paie ces informations comme l’Allemagne.Finalement, ni plus ni moins ce qu’ils reprochent à ceux qu’ils fustigent: gagner de l’argent sur le dos de l’optimisation fiscale.

Pierre Farge rédige une thèse doctorale sur le sujet des paradis fiscaux. Il est familier des juridictions panaméennes.

 

L’avenir des paradis fiscaux – Cahiers Français

L’avenir des paradis fiscaux – Cahiers Français

CAHIERS FRANÇAIS N°383 – POLITIQUES PUBLIQUES

Au début de la crise financière, de nombreuses critiques se sont élevées contre les paradis fiscaux. Reconnus par la communauté internationale comme l’une de ses causes majeures – dans sa genèse et sa propagation –, les pays du G20 se sont engagés à les réguler. Sept ans après la chute de Lehman Brothers, une série de réformes en a résulté.
Mais qu’attendre de ces réformes ? Les paradis fiscaux peuvent-ils vraiment être contrôlés ? De quels moyens dispose-t-on ? Ces moyens sont-ils efficaces ? Pierre Farge fait le point sur ces questions. Si plusieurs améliorations sont en cours, certains territoires sont encore exclus de ce mouvement – en Asie, notamment.

« Nous avons fait plus de progrès au cours des six derniers mois que dans les dix dernières années » avançait il y a cinq ans exactement Pascal Saint-Amans dans son Rapport annuel. Faisant écho aux efforts de transparence, le Directeur des affaires fiscales de l’OCDE soulignait les progrès d’États garantissant traditionnellement le secret bancaire comme le Luxembourg, l’Autriche ou la Suisse, pour se conformer à l’échange automatique d’informations (EAI). Dans quelle mesure ces politiques publiques scellent-elles l’avenir des paradis fiscaux ?

Les paradis fiscaux coûtent chaque année à la France 50 milliards d’euros.

Les avoirs français qui y sont dissimulés représenteraient au total 650 milliards d’euros – soit près de 30 % de la dette publique. Ces chiffres laissent ainsi espérer que le recouvrement du manque à gagner permettrait enfin le respect du pacte de stabilité et de croissance, en ramenant la dette publique à 1 250 mil- liards d’euros – soit près de 60 % du PIB.

Afin de rapatrier ces sommes, il convient de comprendre que l’érosion des bases fiscales réside davantage dans une mauvaise articulation des souverainetés que dans un problème de concurrence fiscale. Véritables outils de politique publique, les mesures de transparence envisagées pour appréhender les paradis fiscaux doivent permettre aux gouvernements de recouvrer les recettes fiscales dont ils ont besoin pour servir leurs citoyens et procurer à toutes les entreprises – et non seulement aux plus grosses disposant des moyens d’optimiser – la certitude qui leur est nécessaire pour investir et croître. Pour être radicales, ces mesures devront s’appliquer aux territoires asiatiques, pour l’instant au-dessus de ces contingences.

L’érosion des bases fiscales : un problème d’articulation des souverainetés

Les États étant souverains, ils sont libres d’établir le plus légitimement du monde la fiscalité de leur choix. Ces souverainetés fiscales ont été organisées dans les années 1920 dans le cadre de la communauté internationale pour éviter le chevauchement de leur réglementation. Elles ont favorisé la croissance et les échanges en éliminant les situations de double imposition. Disposé dans le modèle de l’OCDE dont s’inspirent la plupart des conventions fiscales de double imposition, ce principe a été détourné par des pays organisant la « double non-imposition » ou « double exonération ».

Autrement dit, une mauvaise articulation des souverainetés fiscales permet de ne plus s’acquitter d’aucun impôt, comme en témoigne le montage consistant en un transfert artificiel d’actifs incorporels générant le revenu depuis le pays où la valeur est créée (un pays source en général à forte fiscalité) vers un autre (un pays résidence en général à faible fiscalité). Cet artifice peut consister par exemple à disposer d’une activité économique en France, traiter avec des clients situés dans ce pays par l’intermédiaire d’internet, sans y avoir d’implantation imposable. C’est ce que l’on appelle l’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices (BEPS selon l’acronyme anglais).

Une concurrence fiscale dommageable

La mauvaise articulation des souverainetés explique donc la concurrence fiscale dommageable. La concurrence fiscale au sein d’une économie de marché est plutôt saine. Le fait qu’un État tiers organise un taux d’imposition sur les sociétés plus faible que le nôtre n’est pas le problème auquel la communauté internationale entend répondre dans le projet BEPS.

La concurrence fiscale devient en revanche dommageable lorsque les entreprises s’organisent pour disposer d’une fiscalité nulle sur un territoire à fiscalité déjà faible. Reprenons notre exemple : une multinationale américaine constitue une holding en Irlande et transfère ses bénéfices aux Bermudes. Le problème auquel la communauté internationale entend répondre n’est pas que la holding s’acquitte de 12,5 % d’IS en Irlande, soit près de 20 points de moins qu’en France ou en Allemagne, mais plutôt qu’elle transfère en toute légalité ses bénéfices irlandais dans un paradis fiscal où l’IS est nul.

Ce type de montage hybride laisse donc penser que la norme fiscale internationale de double imposition telle qu’elle existe aujourd’hui n’a pas évolué au même rythme que les modèles économiques du numérique.

Pour rattraper ce retard, la communauté internationale procède par étapes. Dans un premier temps, elle se concentre sur un surcroît de transparence : l’EAI et le « reporting » pays par pays doivent permettre aux administrations fiscales de dis- poser au sein des multinationales de données fiables pour réaligner la base fiscale imposable sur l’activité économique réelle. Fort de cette première avancée, et seulement après son entrée en vigueur, la communauté internationale pourra se concentrer sur des mesures de plus long terme visant à éliminer la concurrence fiscale dommageable.

Une transition fiscale radicale : les mesures de transparence forcée

Le Foreign Account Tax Compliance Act

L’EAI apparaît comme l’élément le plus innovant des politiques publiques pour appréhender les paradis fiscaux. Les prochains mois devraient permettre une première analyse du Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA, cf. encadré) et des modifications à y apporter.

Le FATCA permettra en effet avant la fin de l’année d’établir un premier bilan de l’effectivité de l’EAI aux vues de son coût. Et notamment de savoir s’il forme de nouvelles barrières aux échanges, gèle l’investissement et ralentit la croissance tel que cela a été avancé par les multinationales américaines lors du dernier Business Roundtable.

Cette analyse du FATCA permettra également de s’assurer que  le principe de réciprocité – principe même de l’échange d’informations – est garanti. Cela consistera à veiller à ce que le gouvernement américain échange bien avec les États tiers les informations collectées. En l’état, le Congrès invoque l’inconstitutionnalité de cette mesure avec son droit interne et promet des réformes. Nous voyons ainsi déjà, moins d’un trimestre après son entrée en vigueur, de quelle façon cette mesure est moins bien respectée par l’État qui l’a promue que par ceux sévèrement contraints de s’y conformer.

Le FATCA, équivalent américain de l’EAI

Le Foreign Account Tax Compliance Act est une législation mise en place unilatéralement par les États-Unis depuis le 1er juillet 2014, assurant que les établissements financiers étrangers déclarent automatiquement aux autorités américaines les mouvements affectant un compte détenu par un américain. Cette mesure à vocation punitive est une réponse aux banques ayant contrevenu à leurs accords avec l’administration américaine en dissimulant le démarchage de clients américains à l’étranger. En l’état, les banques doivent donc rapporter précisément les entrées et sorties de fonds des contribuables américains, sous peine d’une retenue à la source de 30 %, voire 50 %, de tout paiement en provenance des États-Unis leur étant destiné. La sanction peut même aller jusqu’au retrait de leur licence bancaire américaine aux établissements contrevenants, ce qui les exclut du système de compensation interbancaire sur le dollar – synonyme d’accès à la première monnaie mondiale – et signe donc leur fermeture définitive. Extrêmement efficace, cette menace a contraint toutes les institutions financières à s’engager à se conformer au FATCA, y compris les États de tradition à secret bancaire. Le Luxembourg a par exemple promis un premier échange automatique avant septembre 2015 des informations recueillies en 2014.

Ce dispositif a servi d’accélérateur à la procédure d’EAI dans le reste du monde.

C’est l’OCDE qui a promu la négociation de cette procédure au sein des 34 États membres mais également des 13 autres pays du G20 non-membres de l’OCDE. Les établissements financiers des 47 États signataires sont donc aujourd’hui compatibles avec le FATCA et susceptibles de s’échanger mutuellement et annuellement les informations collectées depuis 2015 au plus tard à partir de 2017. Faisant figure d’exemple, la France a fixé sa première transmission d’informations au 30 septembre 2015. À noter enfin une nuance importante avec le FATCA : le critère de rattache- ment de l’EAI européen sera la résidence et non la citoyenneté

En outre, une analyse des territoires contrevenants au FATCA posera la question des sanctions financières, commerciales et douanières à ajouter à la retenue à la source de 30 %, voire de 50 %. Par exemple, une sanction à hauteur des gains retirés de l’évasion fiscale éviterait que les territoires les moins coopératifs préfèrent payer la retenue à la source plutôt que de respecter le FATCA. Cette analyse des territoires contrevenants au FATCA permettra d’isoler les pays les moins enclins à la coopération afin de les contraindre coûte que coûte à participer à l’effort mondial. Il est en effet peu probable que les bonnes intentions de certains territoires asiatiques de se conformer au FATCA soient mises en pratique dans la mesure où la majeure partie de leurs modèles économiques repose sur l’évasion fiscale (cf. infra).

Un FATCA français ?

La première étape de la politique française de lutte contre les paradis fiscaux devrait consister à mettre en place une mesure unilatérale identique à celle adoptée par les États-Unis, de façon à protéger la base taxable dès 2015, sans attendre l’entrée en vigueur de l’EAI, prévue pour 2017.

Dans la mesure où 47 pays, dont ceux à secret bancaire comme le Luxembourg, le Liechtenstein ou la Suisse, ont cédé au FATCA, ce dis- positif pourrait être copié en France. En pleine crise budgétaire, l’intérêt économique d’une telle mesure est évident. Elle permettrait en effet un recouvrement immédiat du manque à gagner en attendant 2017.

Sans préjudice de l’entrée en vigueur de l’EAI en 2017, la France a donc les moyens de donner l’impulsion fiscale à l’ensemble de l’Union euro- péenne. Les États membres seraient alors incités, dans une logique de marché, à créer des dispositifs analogues, allant précisément dans le sens de cette politique européenne d’EAI.

Reporting

Le deuxième jalon de cette transition, moins prévisible car conditionné à un consensus international, consiste à disposer d’un « reporting » pays par pays, filiale par filiale pour toutes les multinationales. Cela permettrait de garantir la transparence des opérations intragroupe représentant 60 % du commerce mondial.

Le reporting contraindrait les grandes entreprises à ne plus présenter les comptes de leurs filiales de manière consolidée par secteurs ou continents mais de faire apparaître les opérations de chacune d’elles dans leur document de référence. À savoir, le montant de l’impôt, la nature de l’activité, le chiffre d’affaires, les effectifs en personnel et les charges sociales, afin qu’il ne soit plus possible de faire apparaître artificiellement les profits offshore et les pertes onshore. Ces opérations intragroupe, qui représentent 60 % du commerce mondial, contribueraient substantiellement à l’imposition de l’activité réelle telle que visée par le projet BEPS.

Ce « reporting » existe déjà pour les banques françaises et européennes(1), ainsi que pour les multinationales dans les secteurs de l’énergie, des mines et des activités forestières (2). Il serait donc tout à fait possible de l’étendre à l’ensemble des multinationales. Cela pourrait se faire dans le cadre d’un accord multilatéral au sein de l’UE, de l’OCDE, voire d’organismes mondiaux chargés d’établir les normes comptables de ces grandes entreprises comme l’IASB.

Dans ce sens, la Commission européenne vient de lancer une consultation chargée d’analyser la façon dont cette mesure fonctionne déjà dans les secteurs indiqués. Elle est censée se conclure par un rapport en 2016 laissant espérer un début d’application dès 2017.

Attractivité territoriale

Troisième et dernier grand jalon de la transition : il convient de rendre leur attractivité aux territoires européen et français pour mettre un terme à la concurrence fiscale. Parce qu’il faut rappeler une évidence : un territoire fiscalement attractif réduit l’incitation des grandes entreprises à optimiser offshore.

Harmoniser au sein de l’UE l’assiette fiscale de l’IS réduirait les frais administratifs des grandes entreprises dans la mesure où elles n’auraient plus à remplir qu’une seule déclaration fis- cale consolidée pour l’ensemble de leurs activités au sein de l’UE. Le résultat imposable consolidé du groupe serait alors réparti entre chaque société en fonction de son activité économique réelle au taux d’imposition en vigueur dans le pays.

Cette convergence européenne en matière fiscale restaurerait donc une concurrence saine et loyale entre l’État source et résidence des revenus, sans s’attaquer au taux d’imposition disposé souverainement par chaque État. Conditionnée par l’entrée en vigueur préalable du « reporting » prévue pour 2017 – puisque sans cela il est impossible de connaître l’activité économique réelle –, cette mesure ne serait donc envisageable qu’après cette date.

Dans l’attente, un rapport du groupe d’experts en charge d’étudier ce projet préconisait fin mai les modalités pratiques de cette mesure, et notamment la nécessité qu’elle soit obligatoire, et non facultative, pour toutes les multinationales.

Une seconde réponse, plus locale mais plus rapide, pour rendre son attractivité au territoire français, consiste à mettre en place une exonération fiscale de rapatriement. Puisque rien – ou si peu – n’empêche un ressortissant de s’éloigner légalement des prétentions du fisc français, il conviendrait de l’inciter à relocaliser ses actifs.

Cela consisterait à exonérer ces fonds de toute pénalité financière, renoncer à toute poursuite judiciaire et garantir l’anonymat du contribuable. Soit aux antipodes du régime en vigueur qui dispose de pénalités substantielles, aggravées de poursuites judiciaires et du dévoilement de l’anonymat du contribuable.

Cette exonération fiscale de rapatriement fait justement écho au travail de la dernière Commission sénatoriale d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France(3) invitant à un traitement plus favorable des fraudeurs s’engageant à réinvestir leurs capitaux en France. Ce pragmatisme permettrait d’apporter une réponse immédiate, sachant qu’il faudrait en effet, selon ce même rapport, 25 ans à l’administration fiscale française pour régulariser les dossiers d’évasion fiscale en cours.

Cette main intéressée tendue aux ressortissants qui ont réussi à se soustraire au fisc participerait à la croissance du pays. Une fois réintégrés, ces capitaux seraient en effet imposables normalement à 33,1/3 %. Et il serait même possible d’aller plus loin, en conservant un taux facial de 33,1/3 % tout en mettant en place des abattements pour ceux qui investiraient par exemple 50 % des fonds rapatriés dans des entreprises innovantes de moins de 50 salariés.

Les liquidités offshore feraient ainsi office de business angels dans des PME en besoins de fonds de roulement. Et en dépit de tout ce que l’on pouvait imaginer jusqu’alors, l’offshore serait vecteur de croissance.

Cette exonération fiscale de rapatriement ferait preuve de pragmatisme puisqu’elle permettrait de rapatrier jusqu’à dix milliards d’euros alors que la punition des fraudeurs n’en rapporterait qu’un à deux milliards. Compte tenu des objectifs qui viennent d’être fixés par le gouvernement d’ici 2017

– cinquante milliards d’euros d’économies –, cette seule mesure ne peut qu’interpeller.

Notons enfin l’importance de garder à l’esprit le statut d’exception dont bénéficient certains territoires asiatiques, de façon à tout faire pour qu’ils se joignent coûte que coûte à l’effort mondial.

L’émergence des paradis fiscaux asiatiques

Dans la mesure où certains États soutiennent des modèles économiques reposant complètement sur l’évasion fiscale, il est peu probable que leurs engagements de transparence soient suivis de faits. Il conviendra donc de veiller aux évolutions législatives qu’entendent conduire Macao, les Philippines, Singapour ou Hong Kong.

Les deux poids deux mesures de ces derniers témoignent de la façon dont l’EAI demeure à l’entière discrétion des paradis fiscaux. La récente décision prise par le Legislative Council (LegCo) de Hong Kong confirme en effet que ce nouveau dispositif est extrêmement mesuré comparé à celui adopté par son homologue de Singapour. En aucun cas, le territoire ne s’engage à un EAI, ni même à commencer de lever les obstacles juridiques locaux. Le ministre des Finances hongkongais,

K.C. Chan, répondant à une question posée devant le LegCo en témoigne : « Notre gouvernement continuera de protéger de son mieux la sphère privée des contribuables, à la fois sur le plan bilatéral et en vertu de notre droit local ». Et de continuer : « l’administration fiscale n’a aucune intention de changer le régime en vigueur ».

En outre, rappelons que la Chine a adopté le 6 mai 2014 la Déclaration relative à l’EAI en matière fiscale, mais que la péninsule de Hong Kong n’a pas à en répondre.

Hong Kong, nouveau centre de gravité de l’évasion fiscale

L’article 2 de la loi fondamentale de la région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine dispose en effet que : « L’Assemblée populaire nationale autorise la région administrative spéciale de Hong Kong à exercer un degré élevé d’autonomie et à bénéficier de pouvoirs exécutifs, législatifs, et judiciaires indépendants, y compris celui de jugement définitif, conformément aux dispositions de la présente loi ».

Et l’article 4 de poursuivre : « La région administrative spéciale de Hong Kong devra sauvegarder les droits et libertés des résidents de la région administrative spéciale de Hong Kong et des autres personnes de cette région, conformément à la loi ». Ce statut d’exception est protégé pendant cinquante ans à compter de la date de rétrocession de l’ancienne péninsule britannique en 1997, soit jusqu’en 2047, laissant d’ici là le temps à l’offshore du monde entier de s’y retrouver.

Hong Kong demeure donc le nouveau centre de gravité de l’évasion fiscale, au-dessus de toutes les contingences d’EAI, sans pour autant apporter une garantie de transparence dans les années à venir.

Ce territoire fait fi publiquement de ses promesses de transparence qui pourtant lui permettent de se tenir à l’écart des listes de paradis fiscaux. Un tel postulat ne saurait être interprété autrement que comme une intention de gagner du temps pour attirer les fonds offshore des territoires qui se conforment à l’EAI ; assurant du même coup sa volonté de ne jamais faire évoluer son droit bancaire dans le sens ses engagements.

La France confirme par ailleurs ce postulat dans sa liste d’États et territoires non coopératifs (ETNC) du 17 janvier 2014 comportant huit territoires desquels Hong Kong n’est évidemment pas partie, à savoir le Guatemala, Niue, Brunei, les Îles Marshall, les Îles Vierges britanniques, Montserrat, Nauru, et le Botswana.

***

La disparition annoncée des paradis fiscaux n’est donc pas pour demain.

Néanmoins la fiscalité française et internationale vit une période de transition radicale. Des avancées ont eu lieu – FATCA, déclarations d’intentions d’EAI – mais d’autres sont encore attendues – en France un « FATCA national » et l’exonération fiscale de rapatriement ; en Europe avec l’engagement contraignant d’EAI, le reporting et l’ACCIS.

Il conviendra donc d’être attentif dans les prochains mois,

– d’une part au Forum mondial de Berlin d’octobre 2014, visant à transformer les déclarations d’intentions d’EAI en engagement juridique contraignant dès 2017 ;

– et d’autre part au prochain G20 de Brisbane de novembre 2014 qui devrait, dans une suite logique, endosser un standard unique pour que tous les pays collectent les mêmes informations bancaires dès 2016 ; puisque sans cette modalité pratique, l’EAI sera matériellement impossible.

Pierre Farge, Avocat, HEC Paris et Université de Genève

Pierre Farge a soutenu en février 2014 une thèse intitulée : Pertinence (économique) et impertinence (juridique) de la lutte contre l’ingénierie offshore dans une perspective de sortie de crise, Bibliothèque HEC Paris. Vos commentaires sont les bienvenus : pierre.farge@hec.edu

BIBLIOGRAPHIE

  • OCDE (2014), Standard for Automatic Exchange of Financial Account Information, Common reporting
  • OCDE (2013), Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, Éditions OCDE, http://dx.doi. org/10.1787/9789264203242-fr.
  • Piketty (2013), Le capital au XXIe siècle, Paris, Seuil.
  • Posner A. (1979), « Some uses and abuses of economics in law », The University of Chicago Law Review, vol. 46, n° 22, hiver.

(1) CRD IV, 17/07/2013 ; loi 2013-672, 26/07/2013.
(2) Directive 2013/34/UE, 26/06/2013.
(3) Bocquet E., Rapport fait au nom de la Commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, n° 673, 17 juillet 2012.

LA DOCUMENTATION FRANÇAISE – CAHIERS FRANÇAIS n°383 – NOV -DEC 2014
Article Pierre Farge pages 87 à 91 – Version pdf