Valéry Giscard d’Estaing nous quitte aujourd’hui.
Il y a presque 8 ans jour pour jour, en 2013, VGE était invité sur le campus de HEC Paris pour disserter sur l’avenir de l’Europe, cette Europe dont il était l’un des fondateurs. Pierre Farge avait à l’époque raconté dans le journal de l’Ecole cette intervention. Son analyse demeure brûlante d’actualité.
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Un président de la République sur le Campus ? La victorieuse liste du BDE l’a fait !
Valéry Giscard d’Estaing était invité à répondre à la question :
“L’Union européenne est-elle finie ?”
Valéry Giscard d’Estaing, à la barre de la France de 1974 à 1981, nous a fait l’honneur d’un discours sur l’avenir de l’Europe. Toutefois, ouvert sur le monde, il a su trouver les bons mots pour nous interpeller en chinois : “大家好” (“ta jia hao”, littéralement “mes amis, bonjour à tous”). Sourire complice, il ajoute : “Quand vous vous adressez ainsi à une université en Chine, la salle entière vous applaudit.” C’est du coup l’ovation dans l’amphi Blondeau.
Sorti de la “promotion Europe” à l’ENA (le hasard est un signe), son parcours jalonnera les grandes étapes de la construction européenne lors de ses mandats de ministre sous le Général de Gaulle puis Georges Pompidou, avant d’accéder à la présidence de la République française.
Des prémices de la monnaie unique aux côtés du chancelier allemand Helmut Schmidt au traité portant constitution pour l’Europe, Valéry Giscard d’Estaing a façonné l’institution dont il nous présente les enjeux à venir. Nous avons ainsi découvert un homme drôle, alerte, curieux et toujours séducteur.
Aujourd’hui Sage au Conseil constitutionnel, Immortel à l’Académie française, c’est en toute indépendance qu’il est venu partager l’Histoire qu’il a lui-même écrite et ainsi répondre à la question audacieuse du 111e Bureau des étudiants de l’histoire d’HEC, Lascars’Naval (fraîchement élu avec 58 % des voix) : “L’Union européenne est-elle finie ?”
S’assurant d’abord de l’avoir bien interprétée, Valéry Giscard d’Estaing précise, amusé, qu’il y répondra à la lumière de la double signification du mot “finie”. À savoir, dans le sens d’une Europe loin d’être “perdue”, et encore moins “terminée”. Selon lui, il n’y a pas une mais deux réponses correspondant à deux Europe. La “grande Europe” des vingt-sept, celle de l’union commerciale appelée à s’affaiblir, et celle des seize pays de l’union monétaire appelée à se renforcer.
S’agissant tout d’abord de la zone de libre échange, Valéry Giscard d’Estaing regrette une mauvaise gestion des élargissements et un schéma de gouvernance requérant trop souvent l’unanimité. Autrement dit, l’acceptation du principe d’égalité des petits et des grands États membres conférant par exemple à Chypre le même poids décisionnel que l’Allemagne fédérale.
Il n’hésite alors pas à rappeler que la présidence de l’Union européenne était confiée, au semestre dernier, à cet État de moins de 1 million d’habitants disposant d’un PIB inférieur au chiffre d’affaires de certaines entreprises du CAC 40. Présidence d’ailleurs assurée d’une manière telle que le pays se retrouve aujourd’hui lui-même en situation de faillite (sic).
S’agissant des pays membres de la zone Euro, Valéry Giscard d’Estaing est partisan d’une Europe fédérale amenée à devenir “une grande puissance à responsabilité mondiale qui s’affirme et devienne alors le pilier de l’Atlantique ouest”, faute de quoi elle “s’affaiblira, s’élargira et perdra de son importance”.
Il plaide ainsi pour un “effort vigoureux d’organisation” via notamment trois grandes réformes : une fiscalité européenne combinée à la création d’un Trésor européen pour pouvoir emprunter d’ici à 2020 et l’élection d’un Président européen au suffrage universel disposant de deux mandats de cinq ans.
Un poste certainement rêvé par ce visionnaire de l’Europe à l’issue de sa présidence, aujourd’hui couru par d’autres, souhaitant servir les intérêts de 330 millions
d’habitants et ainsi accéder au cercle des grandes puissances mondiales.
Une réponse à notre question par la négative donc, pour une Union européenne loin d’être “finie”. Il transmet ainsi le flambeau de l’engagement d’une vie aux générations en devenir. •
Par Pierre Farge (M.13)