Étrangers, sortez ! La France dispose de droits inapplicables
300 000 étrangers sont en situation irrégulière en France, et pour cause : la loi censée permettre leur régularisation est inapplicable. L’avocat Pierre Farge témoigne.
Tribune de Pierre Farge et Louise Rieth parue dans Contrepoints
Comment un étranger est censé régulariser sa situation suivant les textes
Un étranger en situation irrégulière en France encourt notamment deux mesures d’éloignement : l’expulsion ou l’obligation de quitter le territoire. Jusque-là, rien d’insolent.
Pour éviter cela, notre pays des droits de l’Homme autorise à régulariser sa situation aux articles L.313-14 et suivants du Code de l’entrée et séjour des étrangers (CESEDA).
En théorie en tout cas. Car en pratique, c’est inapplicable.
Comme une image vaut mille mots, je vous donne ici un exemple. Un exemple qui témoigne de l’épuisement du service public, du fonctionnement kafkaïen d’une préfecture, symptomatique d’une politique migratoire à tomber à la renverse, nuisible aux étrangers, et finalement aux Français eux-mêmes.
Pour régulariser sa situation migratoire, un étranger sans papiers peut effectuer une demande d’admission exceptionnelle au séjour pour raison professionnelle ou pour raison personnelle et familiale.
Pour ce faire, il doit prendre rendez-vous à la Préfecture de Police ; dans notre cas, celle de Paris, mais le cas s’est aussi posé récemment à la Préfecture de Nanterre.
Comment cela se passe en pratique : la prise de rendez-vous en préfecture impossible via internet
Crise sanitaire et modernité du service public oblige, ce rendez-vous ne peut qu’être pris en ligne « sur le site internet de la Préfecture »…
Sauf que la prise de rendez-vous est en pratique impossible : « il n’existe plus de plage horaire libre pour votre demande de rendez-vous. Veuillez recommencer ultérieurement ».
« Ultérieurement » est alors à comprendre dans son acception infinie, indéfinie, incertaine : le lendemain, le surlendemain, tous les jours suivants durant un mois, deux mois, trois mois ; qu’ils soient de semaines ou de week-end, de jour ou de nuit. Rien n’y fait : aucune plage horaire n’est jamais libre pour prendre rendez-vous.
Dans un premier temps, j’essaye donc d’adresser un courriel à la Préfecture témoignant du blocage.
En réponse, j’obtiendrai qu’il faut « attendre les mises à jour du site internet » !
3 courriers recommandés envoyés au Préfet de police
Deux mois passent encore avant que je n’adresse cette fois un courrier recommandé au Préfet lui-même.
Un mois plus tard, le Directeur de la police générale me répond cordialement, m’expliquant que la prise de rendez-vous en ligne sera accessible « à compter du 24 août ».
Je m’espère alors sauvé pour mon client. En vain, puisque le 24 août, évidemment, le dysfonctionnement demeure.
J’envoie donc un second courrier au Préfet, puis, faute de réponse, un troisième le mois suivant.
Personne ne répondra jamais.
Faute de réponse, démarche à la Préfecture sans rendez-vous préalable
Je me rends donc en personne à la Préfecture, où l’on me refuse d’abord l’entrée faute d’un rendez-vous.
Après une pénible négociation avec la sécurité, faisant preuve du plus de pédagogie possible avec l’officier de sécurité, il me laisse finalement entrer.
Et je ne suis pas au bout de mes peines : une fonctionnaire dans une boite en verre me répond ne pouvoir me donner de rendez-vous, mais m’invite à expliquer mon problème à une adresse e-mail qu’elle me donne.
Je ne perds pas une minute sur place pour envoyer ce courriel, veillant à bien rappeler toute la chronologie appuyée de mes courriers au Préfet.
Cette fois la réponse intervient en quelques jours : « Nous n’avons pas accès au planning des rendez-vous. La prise de rendez-vous s’effectue uniquement sur le site de la Préfecture de Police de Paris ».
Préfecture de Police de Paris : seulement 4 rendez-vous par jour pour les régularisations
Las, mais non moins déterminé, je décide donc de me rendre à nouveau rue de Lutèce. Même comédie des officiers de sécurité, même pédagogie, pièces à l’appui. Cette fois l’entrée m’est carrément refusée : j’ai déjà suivi toute la procédure en envoyant mon e-mail, plus personne ne peut m’aider.
C’est finalement la quatrième personne à qui je m’adresse dans le froid à l’extérieur de la Préfecture – nous sommes en décembre, plus de six mois depuis ma première diligence – qui m’offre ce qui s’apparente le plus à une réponse.
Le fonctionnaire m’explique qu’il sait très bien que ce service ne fonctionne pas : il n’y a que quatre rendez-vous disponibles par jour pour les régularisations et ils sont « tous automatiquement réservés » (sic), il ne sait pas pourquoi et il ne peut rien y faire. « Il n’y a pas de solution » finit-il par avouer.
Les étrangers condamnés à demeurer illégaux par déni de justice
À ce stade, mon client est donc en situation irrégulière depuis maintenant six mois, sans possibilité de régulariser sa situation. À sa première interpellation, il risque l’expulsion, même s’il explique tout avoir fait pour être en règle avec le droit de notre pays et les valeurs de la République.
Quel recours reste-t-il aux pauvres âmes comme lui qui demandent bénévolement mon conseil et éventuellement mon aide ?
Engager la responsabilité de l’État pour déni de justice ?
Ils n’en ont pas les moyens, et cela l’État le sait bien.
Renoncer à leurs droits ?
Tout semble fait pour qu’ils doivent s’y résigner…
Mais nous n’avons pas dit notre dernier mot.
Maître Pierre Farge, avocat en droit pénal au Barreau de Paris
Louise Rieth, juriste stagiaire en Master 2 Droit pénal de l’entreprise et compliance (Université Paris Saclay).
Crédit Photo : Barrières et barbelés By: Frédéric BISSON – CC BY 2.0
Pour les personnes rencontrant les mêmes difficultés que mon client, les associations humanitaires La Cimade et le Gisti, avec le soutien de l’ADDE, de Espace Accueil, de Femmes de la Terre, de la LDH, du Mrap et du Syndicat des avocats de France proposent des conseils pratiques pour constituer un dossier : https://www.gisti.org/spip.php?article6229