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Cette réforme sur la prescription pénale témoigne d’une procédure pénale à bout de souffle, et d’une marque d’intolérance de plus en plus forte de la société à l’infraction et à la faute. Un texte dans l’air du temps qui n’est pas au pardon mais à la colère.

Tribune de Maître Pierre Farge publiée dans Contrepoints 

Les quelques cinq cents pages de rapports parlementaires rendent difficile une compréhension rapide et claire de la récente réforme de la prescription pénale.

Tenant pourtant en trois articles, voici un résumé de son impact, inversement proportionnel à sa taille, sur la procédure pénale française.

Nous connaissons tous l’histoire d’Edmond Dantès sous la plume d’Alexandre Dumas, ce marin de 19 ans sur le point de se fiancer lorsqu’il est accusé à tort de bonapartisme. Après 14 ans d’emprisonnement injuste, nous découvrons l’étonnement de ceux qui l’y ont envoyé lorsqu’ils le voient revenir, lui et sa vengeance, sous les traits du Comte de Monte-Cristo. Pour ses ennemis, c’est une histoire ancienne, c’est du passé, c’est la question même de la prescription. Et lorsqu’à la fin du roman, le comte offre une île à un jeune couple, il accompagne son cadeau d’un bref message qui tient en deux verbes : « attendre et espérer ».

Attendre et espérer que justice se fasse en dépit du temps écoulé.

Voilà ce que consacre la nouvelle loi portant doublement de la prescription pénale (I) ouvrant la voie à l’imprescriptibilité en droit français (II).

Un jalon qui n’en est pas moins critiquable au regard des risques qu’elle fait courir aux institutions judiciaires et à la procédure pénale française (III).

Du doublement des délais de prescription pénale

Jamais révisée dans son intégralité depuis le Consulat sous Napoléon, cette réforme portée par Alain Tourret (Radical de Gauche) et Georges Fenech (Les Républicains), débutée en janvier 2015, retardée en raison des attentats de Paris, vient enfin d’être adoptée le 16 février 2017.

L’action de la justice en droit pénal est grevée par deux formes de prescription qu’il convient impérativement de ne pas confondre :

1. La prescription de l’action publique

Est antérieure à la condamnation définitive,

Délais : 1-3-10 années (ancien) / 1-6-20  années (nouveau)

L’action publique se trouve éteinte par l’écoulement d’un certain temps depuis le jour de la commission de l’infraction, c’est le temps des poursuites ; son délai court à compter de la commission de l’infraction.

Le délai est maintenu à 1 an pour les contraventions, mais doublé de 3 à 6 ans pour les délits et de 10 à 20 ans pour les crimes.

2. La prescription de la peine

Est postérieure au prononcé de la sanction.

délais : 3-5-20 années (ancien) / 3-6-20 années  (nouveau)

La peine se trouve éteinte dès lors que la puissance publique se voit empêchée, passé l’expiration d’un certain délai, d’exécuter les sanctions définitives prononcées par le juge. C’est le délai pendant lequel, par exemple, un condamné en fuite réussit à se soustraire à l’application de l’exécution de sa peine ; son délai court à compter de la date de la décision de condamnation définitive.

Les délais ne sont pas doublés comme en matière d’action publique puisque le texte conserve à 3 ans le délai de prescription des peines contraventionnelles, porte seulement de 5 à 6 ans le délai de prescription des peines délictuelles et maintient à 20 ans le délai de prescription des peines criminelles.  De même que restent inchangés les délais de prescriptions dérogatoires de droit commun, allongés – comme en matière de terrorisme ou de trafic de stupéfiants – ou abrégés – comme en matière de presse ou de droit électoral.

En gardant la différenciation tripartite qui a toujours fait la spécificité française, l’évolution de ce texte tient compte de l’augmentation de l’espérance de vie, elle-même quasiment doublée depuis Napoléon, du régime en vigueur illisible et des avancées en matière de conservation des preuves.

En croyant réduire le dommage causé à l’ordre social, le doublement de la prescription n’est donc clairement pas au service de l’effectivité de la réponse pénale.

Cette réforme témoigne plutôt d’une procédure pénale à bout de souffle, et d’une marque d’intolérance de plus en plus forte de la société à l’infraction et à la faute qui est pourtant le propre de l’homme. Un texte dans l’air du temps qui n’est pas au pardon mais à la colère.

Ce texte sur la voie de l’imprescriptibilité peut donc servir l’intrigue d’un des plus grands romans du XIXème siècle mais certainement pas la réalité judiciaire française.

En consacrant le doublement de la prescription et en avalisant la théorie jurisprudentielle du délit dissimulé, il est finalement davantage politique que juridique puisqu’il conduira, s’il n’est pas encadré, à un engorgement des tribunaux, une nouvelle remise en cause de l’indépendance du parquet et une aggravation de la surpopulation carcérale.

Pour donner à la réforme les moyens d’être efficace, les jalons qu’elle pose doivent donc être conjugués à une approche systémique.

À savoir, compenser l’afflux de nouvelles procédures résultant du doublement des prescriptions par un recours subsidiaire au juge pénal, réformer le principe d’opportunité des poursuites et veiller au respect du principe de proportionnalité.

Pour cela, il faut agir vite, au risque de paralyser le système judiciaire et remettre en cause les grands principes de sécurité juridique et de confiance en la loi. En pleine campagne présidentielle, c’est ce genre de préoccupations qui devraient animer les candidats.

Pierre Farge, Avocat en Droit pénal

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