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La justice s’invite dans le débat politique sous son jour le moins glorieux : deux personnalités politiques menacent de la saisir pour se condamner l’une l’autre. À la plainte de Gérald Darmanin pour « diffamation » et « appel à la haine de la police » », Audrey Pulvar répondrait pour « dénonciation calomnieuse ». Difficile de ne pas relever une instrumentalisation politique de la justice, ici pour limiter la liberté d’expression, là pour se défendre.

Témoignage de Pierre Farge, avocat, déplorant l’engorgement de la justice par ce genre de pratiques inconsidérées. 

Si nos dirigeants politiques réduisent la justice à un instrument de communication, ou à un moyen pratique de décrédibiliser son opposant, quelle confiance en l’institution reste-t-il aux justiciables ?

Pour répondre, et donc tenter de comprendre, rappelons d’abord ce que constituent les délits de diffamation et de calomnie.

Diffamation vs calomnie

Qu’est-ce que la diffamation ?

La diffamation est constituée par toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé.

La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommé, mais dont l’identification est rendue possible par les termes d’un discours, d’une menace, d’un écrit ou d’un imprimés quelconque ;

Sauf à apporter la preuve de la véracité du propos. C’est ce que l’on appelle l’exception de vérité (article 29 de la loi du 29 juillet 1881).

Qu’est-ce que la calomnie ?

La calomnie, quant à elle, consiste à dénoncer un fait de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires en sachant les allégations inexactes.

C’est imputer à une personne d’avoir commis un fait qui n’a pas été commis ou qui n’existe pas. C’est encore une atteinte à l’honneur qui prend la forme particulière d’une dénonciation et d’un mensonge (article 226-10 du Code pénal).

Stratégies judiciaires

Classique donc de la stratégie judiciaire de poursuivre en dénonciation calomnieuse lorsqu’on est soi-même poursuivi en diffamation. Tellement classique que cette stratégie explique en partie l’engorgement judiciaire de la 17ème chambre du tribunal correctionnel, spécialisée dans ce type de contentieux à Paris.

Comptez en effet au moins 18 mois entre la délivrance de la citation directe et l’audience de plaidoirie, sans préjudice du jugement qui peut mettre encore quelques mois avant d’intervenir. Jugement qui peut tout à fait donner lieu à une relaxe, voire, entretemps, à une transaction entre les parties se traduisant automatiquement par un désistement d’instance.

C’est-à-dire que les parties, considérant qu’elles n’ont plus ni l’une ni l’autre intérêt à demander à un juge de trancher leur litige, ou à prendre le risque d’un aléa judiciaire, se mettent d’accord pour renoncer à l’action en cours. Autrement dit, après avoir mobilisé un tribunal, qui a nécessairement dû se saisir, et avant que n’intervienne l’audience de jugement, les parties renoncent à leur action.

Dans l’exemple qui nous concerne, ce seraient donc deux tribunaux saisis inutilement de chaque action ; sachant que le second fera obligatoirement l’objet d’un sursis à statuer tant que le premier n’a pas jugé, repoussant donc d’autant le délibéré à intervenir, et donc des années avant que ne soient tranchées les allégations respectives.

Des actions d’autant plus vaines qu’il semblerait en l’occurrence que les propos reprochés à Audrey Pulvar soient prescrits : ils dateraient d’il y a un an, alors que la diffamation se prescrit par 3 mois.

Usages médiatiques de la justice

Que cherchent donc Gérald Darmanin et Audrey Pulvar dans ces menaces stériles  d’actions judiciaires ?

Que justice soit vraiment rendue à la police, et à l’image de la journaliste récemment lancée en politique ; ou établir un rapport de force médiatique en vue des échéances électorales qui s’annoncent, avec l’argument rituel de la sécurité ?

Certains verrons une regrettable instrumentalisation de la justice à des fins de politique politicienne alors que la gravité des problèmes que nous traversons sont autres ; d’autres l’indécence de responsables politiques usant des voies légales pour faire passer un message de campagne.

Un état de fait symptomatique de l’engorgement des tribunaux que ces mêmes politiques devraient plutôt s’attacher à réduire, dans le respect de l’État de droit, de procès équitable, de délai raisonnable d’accès à la justice et finalement des principes de la République.

Pierre Farge est l’auteur de Le lanceur d’alerte n’est pas un délateurLattès, mars 2021.

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