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Suite à la multiplication des critiques contre la Chine, deux avocats imaginent différents scénarios juridiques pour réclamer des dommages et intérêts. Compliqué…

Article de Pierre Farge et Odile Madar publié dans L’Express

Tout a commencé à un seul endroit, à Wuhan, en République populaire de Chine à la fin de l’année 2019.

Le Covid-19 est mentionné pour la première fois le 17 novembre par les autorités locales, et le 30 décembre, le premier rapport de séquençage génétique de l’agent pathogène indique la découverte du coronavirus.

En dissimulant pendant plusieurs semaines la réalité de la létalité de l’épidémie, Pékin a une forte responsabilité dans sa propagation mondiale.

Le pays a minimisé la gravité du virus ; d’abord en prétendant qu’il n’était pas transmissible d’homme à homme, mais simplement d’animal à homme, et par contamination alimentaire ; puis en annonçant très tardivement la nature de la maladie ; enfin, en bridant tous les moyens de circulation de l’information non officielle.

Nous le savons : la Chine n’est pas connue pour la fiabilité de ses statistiques, et son manque de transparence génère depuis toujours de la défiance.

Et pour cause, un examen détaillé de la chronologie des faits, rapportés tant par les médias que les ONG et autres lanceurs d’alerte, démontre que si la Chine avait partagé des informations complètes, le nombre de décès dans les pays étrangers aurait pu être quasiment nul.

Une étude de l’université de Southampton révèle par exemple que si la province du Hubei avait appliqué des mesures de quarantaine strictes trois semaines plus tôt, la propagation du virus aurait été réduite de 95%.

Ce n’est donc que le 11 mars 2020 que l’OMS a déclaré la pandémie mondiale et a commis l’erreur fatale de faire confiance au régime chinois.

La riposte ne s’est pas fait attendre : le président américain, premier bailleur de l’organisation, a décidé de suspendre son financement annuel de près de 500 millions de dollars, l’accusant d’être trop proche de la Chine.

Plusieurs voies juridiques

La question de la responsabilité de la Chine, qui soulève celle de la réparation des dommages subis, se pose nécessairement. Mais comment agir ? Comment ne pas laisser impuni ce silence fautif ? Et devant quelle autorité se pourvoir ?

Le think tank britannique Henry Jackson Society, proche du parti conservateur, préconise plusieurs voies juridiques pour réclamer des dommages et intérêts à la Chine. Déjà plusieurs politiques anglais et américains ont exigé de leurs gouvernants des poursuites contre le gouvernement chinois devant les tribunaux, en estimant que le nombre de milliards dépensés dans cette « guerre » aurait pu être évité si la Chine avait été plus transparente. L’État du Missouri est le premier à l’avoir fait le 21 avril dernier.

Juridiquement, ces actions ont légalement peu de chances d’aboutir.

Le premier outil mis à la disposition des États est le Règlement sanitaire international qui régit le droit mondial de la santé. Ce RSI confère aux Etats le devoir d’agir pour prévenir la propagation de maladies infectieuses.

La notification de pandémie doit être rapide sur la base d’informations précises et complètes.

Wuhan et le Hubei ont enfreint les articles 6 et 7 de ce règlement en omettant de divulguer des données qui auraient révélé la preuve de la transmission interhumaine et ont attendu près de trois semaines avant de le faire. Mais le RSI ne prévoit pas de sanctions pour les États qui ne respectent pas ses dispositions.

La Cour internationale de justice, principal organe judiciaire de l’Organisation des Nations Unies (ONU), pourrait alors entrer en jeu. C’est sans compter que seuls les États se soumettant de manière volontaire à ce droit international doivent le respecter. Autrement dit, il est peu probable que la Chine se soumette à cette compétence en vue d’une probable condamnation, et donc toute saisine de la Cour internationale de justice sera rejetée.

La Chine et la justice internationale

La Cour pénale internationale pourrait, quant à elle, être compétente pour juger d’un crime contre l’humanité.

Elle examine d’ailleurs actuellement deux signalements d’États membres liés au Covid-19. L’un vise les décideurs chinois, l’autre le chef d’Etat brésilien Jair Bolsonaro.

Ces signalements s’appuient sur l’article 7 du statut de Rome définissant les crimes contre l’humanité en « une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile » ou « des actes inhumains » causant « intentionnellement des grandes souffrances« .

S’il n’est pas possible de déposer une plainte pénale devant la Cour pénale internationale en tant que personne physique (cela étant réservé aux États), tout particulier peut en revanche lui faire remonter des renseignements.

Le procureur, s’il les juge sérieux, peut alors ouvrir une enquête sur cette base. Cela dit, la Cour pénale internationale devant constater l’élément intentionnel, il sera néanmoins difficile de qualifier une préméditation du gouvernement chinois visant à tuer des vies humaines dans le cas du Covid-19.

En tout état de cause, il est peu probable que la Chine se soumette à la justice internationale, et cherchera par tous moyens à éviter la responsabilité judiciaire de ses actes. C’est sans doute l’une des raisons du silence du Conseil de sécurité des Nations Unies, dont la Chine assume la présidence depuis mars 2020.

La dernière polémique sino-américaine en est le meilleur exemple : les États-Unis ont demandé à inscrire l’origine du virus comme étant chinois dans les textes officiels, ce qui a été refusé fermement par les autorités chinoises, malgré l’évidence.

Sentiment d’impunité

Ce déni d’une quelconque responsabilité souligne l’enrayement de la mécanique onusienne, et la faillite du multilatéralisme institutionnel. Compte tenu du front commun russo-chinois, il y a donc fort à parier que seules des résolutions déclaratoires, et non coercitives, verront le jour.

L’épisode du Covid-19 a dévasté l’économie mondiale et tué des centaines de milliers de personnes.

La Chine a fait taire ses lanceurs d’alerte et aujourd’hui le régime de Pékin veut apparaître comme un soutien aux pays touchés. De responsable, il veut devenir sauveur.

Pourtant, comment ne pas sanctionner ce pays qui a bâillonné un médecin lanceur d’alerte quand ce dernier a révélé, deux mois avant tout le monde, ses inquiétudes concernant la propagation du virus, et ce juste avant de mourir ?

Comment ne pas sanctionner ce pays où les journalistes locaux affirment avoir tout aussi peur du virus que de leur gouvernement ?

Comment ne pas laisser enfin ce sentiment d’impunité à un pays qui curieusement se refuse depuis des années d’adhérer à tous les organismes de justice internationale ?

Si la communauté internationale n’agit pas maintenant pour éclaircir les « zones d’ombre », quand le fera-t-elle ?

Vide juridique

Malheureusement, le droit international est défaillant sur ce sujet. Un vide juridique à souligner dans ces circonstances exceptionnelles.

Aucun levier légal ne semble exister pour rendre justice.

Pour autant, il ne faut pas se décourager : des sanctions économiques et douanières sont encore possibles ; de même que des offensives diplomatiques, et une pression morale constante, doivent permettre à la Chine de rendre des comptes à la communauté internationale.

Il faut donc du courage et de la solidarité mondiale pour imposer des enquêtes indépendantes sur le territoire chinois, pour acter l’origine de cette crise, la comprendre, et ainsi éviter qu’elle ne se reproduise à l’avenir.

Ce qui rappelle ce mot de Churchill selon lequel « un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre« .

Pierre Farge et Odile Madar

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