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Lettre ouverte au ministre de la Justice

Le Code du travail a triplé de volume en vingt ans. Face à cette prolifération législative, le droit social est devenu illisible et inefficace. Pour mettre fin aux aberrations d’un tel système judiciaire, trois réformes claires et précises sont proposées sous la forme d’une lettre ouverte au ministre de la Justice.

Lettre ouverte de Maitre Pierre Farge publiée dans La Tribune ainsi que sur Mediapart

Difficulté à embaucher dans un système où le droit du travail a triplé de volume en 20 ans, délais procéduraux kafkaïens entrainant des condamnations de l’État, sentiment d’instabilité du droit pour les entrepreneurs, mais aussi pour les salariés; c’est finalement une impression d’injustice générale qui résulte des réformes sociales s’additionnant les unes autres autres.

« Les bons outils font les bons ouvriers. » Comment en effet espérer une justice efficace si l’organe même censé l’appliquer ne l’est pas? Quels sont les principaux points de blocage, et surtout comment diminuer de moitié les délais procéduraux aujourd’hui stratosphériques pour obtenir justice?

Une refonte complète de la procédure s’impose. Elle tient en trois propositions principales.

Imposer des magistrats professionnels au Conseil de prud’hommes

Tout d’abord, il revient d’imposer des magistrats professionnels au Conseil de prud’hommes. En effet, bien que le Code du travail ait triplé de volume en vingt ans, et ce soit donc complexifié, les juges du Conseil de prud’hommes, ou conseillers prud’homaux, comme on les appelle restent des personnes élues par leurs pairs, autrement dit des employeurs et des employés.

Que l’on comprenne bien. Ces conseillers prud’homaux, qui ont un stage de formation de quelques heures avant d’entrer en fonction, ont donc des prérogatives identiques, et leurs décisions ont la même valeur qu’un magistrat professionnel, qui sort de l’Ecole nationale de la magistrature après huit ans de formation en moyenne.

Dès lors, c’est mathématique: on ne peut pas espérer rendre la justice de la même façon après quelques heures de formation comme après huit ans d’études; ou alors que l’on ferme tout de suite l’ENM!

Malgré toute la bonne volonté des conseillers prud’homaux, parfois même le dévouement, et souvent l’intelligence, il est normal de ne pas être capable de trancher complètement un litige en droit.

Résultat, la partie qui succombe à l’instance, insatisfaite, fait appel afin qu’un magistrat, cette fois professionnel, apporte une réponse en droit; entrainant donc un engorgement de la chambre sociale de la Cour d’appel à l’origine de délais d’audiencement déraisonnables dans tout le pays.

Imposer donc des magistrats professionnels dès la première instance limite l’aléa judiciaire, satisfait davantage les justiciables et limite les délais d’audiencement pour trancher un contentieux.

Imposer une représentation obligatoire de l’avocat

En plus de ne pas avoir de magistrats professionnels en Conseil de prud’hommes face à la prolifération et complexification du droit, la procédure n’impose pas de représentation obligatoire d’avocat, pourtant la règle devant pratiquement toutes nos juridictions.

Chacun pouvant aujourd’hui former une requête seul devant le Conseil de prud’hommes, c’est-à-dire en l’absence d’avocat, aucun professionnel du droit n’est là pour garantir des demandes crédibles en fait et en droit.

Un tel postulat fait donc perdre beaucoup de temps à ces magistrats non professionnels, qui apprécient en général le travail d’un avocat leur soumettant un raisonnement juridique écrit, avec de la jurisprudence, autrement dit des cas passés sur lesquels s’appuyer. Libre à eux de suivre ou non ces écritures dans leur jugement, et ainsi gagner ce temps permettant de réduire les délais pour obtenir un jugement.

A ce stade, nous pouvons donc nous retrouver devant une juridiction composée de magistrats formés en quelques heures, avec des demandes fantaisistes d’un salarié, ou d’un employeur, réclamant des sommes complètement fantaisistes ne reposant sur aucune base légale.

Le risque d’erreur est donc accru, expliquant pourquoi les conseillers prud’homaux mettent parfois des semaines à rendre un jugement écrit, avec lequel ne sont pas d’accord ceux qui succombent, expliquant un peu plus pourquoi l’engorgement de la Cour d’appel.

En terminer avec la conciliation obligatoire

Enfin, la procédure prud’homale impose, sauf exception, de passer au préalable devant ce que l’on appelle un Bureau de conciliation, autrement dit un tribunal composé d’un Président et d’assesseurs (toujours) non professionnels interrogeant les parties sur leur volonté ou non de transiger pour s’éviter l’aléa judiciaire et des délais d’audiencement plus longs avant d’être convoqué pour discuter du fond de l’affaire.

En pratique, à ce stade, il s’avère que toute conciliation s’est d’ores et déjà révélée impossible avant l’introduction de l’action judiciaire. En effet, les parties se sont déjà rapprochées par le biais de courriers préalables, et ont donc déjà compris qu’elles avaient besoin d’un tribunal pour trancher.

La conciliation obligatoire est donc complètement inutile. Encore une fois, les chiffres parlent d’eux même: la conciliation obligatoire n’aboutie que dans 7% des cas.

Par conséquent, mettre un terme à cette conciliation ferait économiser beaucoup de temps, et donc d’argent à une juridiction déjà en manque de moyens, réduisant du même coup les délais pour rendre un jugement, et donc la satisfaction de tous.

Dans ce sens, il suffirait par exemple d’exiger, comme cela se fait devant tous les autres tribunaux, aux parties de prouver quelles ont tenté de concilier entre elles, en produisant les courriers recommandés échangés en ce sens; cela éviterait de réunir tout un tribunal pour constater exactement la même chose.

En résumé,

– En confiant la gestion des contentieux à des magistrats professionnels dès la première instance, et non plus seulement en appel; ou à des conseillers prud’homaux plus nombreux et mieux formés;

– En obligeant une représentation obligatoire par un avocat pour muscler les requêtes en fait et en droit devant la juridiction;

– Et en supprimant l’aberration de la conciliation obligatoire, dont les chiffres prouvent clairement qu’elle fait perdre temps et argent;

Il est certain que l’on peut réduire de moitié l’encombrement judiciaire de droit social devant les tribunaux, de même qu’améliorer du même coup la qualité des décisions, et donc la satisfaction des justiciables.

Notre justice retrouvera ses lettres de noblesses et retrouvera une confiance depuis longtemps dégradée.

Il y a urgence. Notre modèle est archaïque et inadapté. Il faut reformer.

Pierre Farge, avocat de lanceurs d’alerte, expert de la procédure prud’homale.

 

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