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Actualités Farge Associés

Actualités du Cabinet et de Pierre Farge, avocat associé fondateur :
lanceurs d’alerte, droit fiscal, droit pénal, pro-bono, culture…

Entre campagne présidentielle et politique migratoire

Entre campagne présidentielle et politique migratoire

La question de l’immigration est sur toutes les lèvres à quelques mois de l’élection présidentielle.

Dans le camp Calais, venu défendre les droits des migrants dans le démantèlement, je relis, au calme d’un abri, ce calligramme prophétique de P. P. Pasolini.

D’une troublante actualité, il annonce l’arrivée en Europe de millions de migrants par bateau venus d’Orient. C’était en 1964.

Accéder au poème ici 

Centre d’hébergement au Bois de Boulogne : Pierre Farge prend le parti du droit

Centre d’hébergement au Bois de Boulogne : Pierre Farge prend le parti du droit

Lettre ouverte sur l’installation d’un centre d’hébergement dans le Bois de Boulogne

En réponse à Morane Shemtov (*) et Pierre Cazeneuve, Pierre Farge signe une lettre ouverte sur l’installation d’un centre d’hébergement dans le Bois de Boulogne.

Avocat, engagé dans la cause des réfugiés, il a attendu le seuil symbolique des 50.000 soutiens pour exprimer sa préoccupation de la tournure que prend le débat du microcosme parisien au regard des enjeux de la crise migratoire européenne.

Article publié par Maître Pierre Farge dans MEDIAPART

« Chère Morane,

En octobre 2015, et encore aujourd’hui, j’étais dans le camp de Calais pour assister les réfugiés dans leurs demandes d’asile et dénoncer le désengagement de l’État dans la crise migratoire européenne.

Après ces jours et ces nuits passés au bruit des bulldozers et des sirènes, de l’odeur des poubelles et des lacrymogènes, me voici de retour dans le XVIème comme on dit, avec un début de légitimité pour parler de la réalité boueuse des migrants et témoigner de cette réunion à l’Université Paris-Dauphine.

Comme la moitié des riverains, j’ai d’abord été refusé à l’entrée. Pour autant, je n’ai vu autour de moi aucune révolte mais de l’indignation.

Pendant que cette foule prenait son froid en patience, j’ai réussi à pénétrer, à la faveur d’un agent de sécurité, à l’intérieur de l’établissement, puis, à la faveur de Laurent Batsch, dans l’amphithéâtre où se tenait le débat. Et je n’ai pas retrouvé les nantis extrémistes que vous décrivez.

On a toujours tort d’être en colère. Les circonstances qui provoquent cette colère ne l’excusent pas mais permettent de l’expliquer.

1. Le bois de Boulogne n’est pas constructible. La mairie de Paris construit.

2. Les principes chers à notre République dans le culte, au moins verbal, des droits de l’Homme imposent de discuter avant de décider. La mairie de Paris décide avant de discuter.

3. Lorsque l’on organise un débat public, le bon sens impose d’ouvrir les portes à cet entier public. La mairie de Paris ne l’a pas permis.

En somme, en droit, on construit sur de l’inconstructible, on débat après avoir voté et l’on invite au débat après avoir placé la moitié des participants, contre toute attente, hors d’atteinte.

On bafoue la loi au prétexte de nobles fins et l’on continue de mentir sur la durée de ce centre d’hébergement provisoire qui n’a de provisoire que le nom. Car vous le savez, ce projet sera un nouveau Vincennes reconduit après cinq ans.

• Parce qu’il est essentiel de faire « entendre une autre voix » dites-vous, commençons par celle des élus locaux et des riverains. Le « respect d’autrui », « l’accueil » et le « partage » commencent là ;

• Parce qu’il est bon de s’engager pour soutenir « quelque chose » poursuivez-vous, engageons-nous par une approche plus juridique que politique ;

• Et parce qu’avant de loger deux cents migrants dans le XVIème, il faut consacrer toute notre énergie aux trois millions qui arriveront en Europe d’ici la fin de l’année ;

Discutez et partagez avant de décider. »

Pierre Farge.

(*) Morane Shemtov étudiante de Dauphine ayant lancé la pétition Oui au centre d’hébergement pour SDF dans le Bois de Boulogne !

La fin des paradis fiscaux n’est pas pour demain – La Tribune

La fin des paradis fiscaux n’est pas pour demain – La Tribune

Les Panama Papers et la légitimité morale, s’appuyant sur la fin du secret bancaire, autorisent un nouveau déluge sur les paradis fiscaux. Mais est-ce vraiment la fin de ces entités ? En fait, les sommes qui y sont logées continuent de progresser. Par Pierre Farge,avocat en droit pénal des affaires.

Article de Maître Pierre Farge paru dans l’édition quotidienne de LA TRIBUNE du 20 avril 2016.

Où va le Panama ? Selon nos informations, une élection présidentielle est prévue l’année prochaine. Et il est à prévoir que l’on nous promettra, pour une troisième législature, la fin prochaine des paradis fiscaux.

Les nouvelles révélations des noms plus ou moins fameux qu’ils abritent sont-elles une menace pour les avoirs qui y sont encore logés ? Il n’en est rien. La lutte contre les paradis fiscaux, fermement annoncée à grands renforts de coopération et de listes, va dans le sens de l’histoire mais reste loin de l’objectif annoncé.

Les paradis fiscaux hébergent 30% du PIB mondial

Selon nos calculs basés sur les données de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, des Nations unies et des banques centrales, les montants permanents qui y sont logés s’inscrivent toujours, en 2016, entre 17.000 et 25.000 milliards d’euros, soit 30% du PIB mondial, l’équivalent du PIB des États-Unis et du Japon réunis, à raison d’une progression de l’ordre de 6% par an.

A juste titre, rappelons que la zone euro qui entend lutter de concert compte parmi elle cinq pays à fiscalité privilégiée : l’Autriche, la Belgique, l’Irlande, les Pays-Bas et le Luxembourg ; sans compter,hors zone, Chypre et Malte. Rappelons que les États-Unis avec son Delaware sont également engagés à la préservation de leur micro-Etat.

Rappelons aussi que la City de Londres est toujours le premier centre offshore mondial abritant l’euromarket, comptant près de la moitié des compagnies d’assurance au monde ; 80% des hedge funds européens et 55% de toutes les émissions publiques internationales. Cet espace fictif de 3 kilomètres carrés gère chaque jour un volume d’échanges cinq fois supérieur au PNB de la Grande-Bretagne.

Plus encore, 98 des 100 plus grands groupes inscrits au London Stock Exchange y utiliseraient les paradis fiscaux et 99 des 100 plus grandes entreprises européennes auraient recours à des filiales offshore, dont 48 d’entre elles totaliseraient 4.700 filiales dans les paradis fiscaux, soit en moyenne presque 100 chacune. Preuve des relations ancillaires de la City avec les États et territoires non coopératifs, David Cameron admet lui-même aujourd’hui avoir détenu des parts dans un fonds offshore grâce à Mossack Fonseca.

Panama, pas plus sulfureux que la Delaware ou la City

En d’autres termes, les fonds administrés par le cabinet d’avocats ne sont pas plus sales et illégitimes que ceux gérés sur la côte Est des États-Unis, au centre de Londres ou le reste de l’Union européenne.Donc avant de dispenser des leçons au monde entier, commençons prudemment par les respecter nous-mêmes. Et, contrairement à ce qui est annoncé, ce ne sera pas demain, ni à l’horizon 2020comme l’entend l’OCDE (l’horizon à cela de pratique qu’on ne l’atteint jamais). La raison en est simple: l’économie ne peut se passer de ces juridictions d’exception.

La gestion impossible des prix de transfert

La gestion des prix de transfert des entreprises est, par exemple, l’une des premières questions fiscales pour de nombreuses industries où le commerce des actifs incorporels pèse très lourd à l’international, mais dont une bonne part des investissements demeure en France et en Europe.Avec le développement des marchés émergents, nous entrons désormais dans une période où les marges d’interprétation sur la structuration et la géographie des bénéfices d’un groupe sont encore plus troubles, comme en témoigne par exemple la réglementation brésilienne se combinant difficilement avec les exigences européennes ou américaines.La loi locale fixe a priori des pourcentages de marges obligatoires pour la commercialisation de produits importés ou exportés, mais qui ne correspondent pas nécessairement à des prix de pleine concurrence ou à des transactions comparables entre tiers. Ils conduisent donc à une situation de double imposition intenable vis-à-vis de la concurrence.

Un recours justifié aux juridictions d’exception

Au regard de ces impératifs économiques, le recours aux juridictions d’exception est justifié, parfaitement légal et à juste titre déclaré aux autorités fiscales.

La légitimité morale s’appuyant sur la fin du secret bancaire et le vaste mouvement qui, partout, cherche à mettre un terme à l’évasion fiscale, ne correspond donc pas à la légalité formelle à laquelle tout tribunal est tenu. Les approximations auxquelles succombent trop souvent les journalistes sont intolérables, sans qu’un délit précis leur soit associé, sinon d’avoir effectué des opérations intellectuellement stimulantes, que le secret professionnel de leur conseil interdit de partager.

Dans le même sens, l’utilisation choquante par la justice de fichiers volés conduit à s’interroger sur la loyauté de la preuve, puisque depuis 2013 les services fiscaux peuvent avoir recours à des documents obtenus de manière illicite par les médias dès lors qu’ils sont préalablement rendus licites par une autorité judiciaire ou dans le cadre d’une assistance administrative internationale (autrement dit, un juge a le pouvoir de transformer de l’illicite en licite).

Finalement, la presse n’a jamais aussi bien porté son quatrième pouvoir : l’administration fiscale et le parquet financier comptent sur elle pour mettre à profit sa connaissance de fichiers confidentiels.

Face à ce recul de l’État, ces derniers ne sont pas aussi bénévoles qu’on ne le croit. L’intérêt général certes, mais à condition que l’État asservi paie ces informations comme l’Allemagne.Finalement, ni plus ni moins ce qu’ils reprochent à ceux qu’ils fustigent: gagner de l’argent sur le dos de l’optimisation fiscale.

Pierre Farge rédige une thèse doctorale sur le sujet des paradis fiscaux. Il est familier des juridictions panaméennes.

 

La tension monte à Calais – Public Sénat TV

La tension monte à Calais – Public Sénat TV

Emission Sénat 360 présentée par Michael SZAMÈS. sur la chaîne TV Public Sénat –

Diffusée le 25 janvier 2016 à 18h00.

Avec :
Philippe KALTENBACH : Sénateur (PS) des Hauts-de-Seine,
Dominique ROUSSEAU : Professeur de droit public,
Thibault LANXADE : Vice-président du Medef en charge des TPE-PME,
Christopher DEMBIK : Économiste à la Saxo Bank,
Didier PORTE : Secrétaire confédéral en charge du secteur juridique chez Force Ouvrière,
Éric DOLIGÉ : Sénateur (Les Républicains) du Loiret,
Yves BERTONCINI : Directeur de l’Institut Jacques Delors,
Hervé JUVIN : Président de l’Observatoire Eurogroup Consulting,
Laurent GIOVANNONI : Responsable du département accueil et droits des étrangers – Secours Catholique,
Pierre FARGE : Avocat à la Cour, engagé dans la cause des réfugiés.

Maître Farge intervient sur le plateau télé de Public Senat dans le débat autour du reportage « La tension monte à Calais » après avoir passé 15 jours sur place et appelle à une solution concertée européenne.

Intervention calée à 1h39 du début :

 

Retrouvez toute l’actualité politique et parlementaire sur http://www.publicsenat.fr

L’avenir des paradis fiscaux – Cahiers Français

L’avenir des paradis fiscaux – Cahiers Français

CAHIERS FRANÇAIS N°383 – POLITIQUES PUBLIQUES

Au début de la crise financière, de nombreuses critiques se sont élevées contre les paradis fiscaux. Reconnus par la communauté internationale comme l’une de ses causes majeures – dans sa genèse et sa propagation –, les pays du G20 se sont engagés à les réguler. Sept ans après la chute de Lehman Brothers, une série de réformes en a résulté.
Mais qu’attendre de ces réformes ? Les paradis fiscaux peuvent-ils vraiment être contrôlés ? De quels moyens dispose-t-on ? Ces moyens sont-ils efficaces ? Pierre Farge fait le point sur ces questions. Si plusieurs améliorations sont en cours, certains territoires sont encore exclus de ce mouvement – en Asie, notamment.

« Nous avons fait plus de progrès au cours des six derniers mois que dans les dix dernières années » avançait il y a cinq ans exactement Pascal Saint-Amans dans son Rapport annuel. Faisant écho aux efforts de transparence, le Directeur des affaires fiscales de l’OCDE soulignait les progrès d’États garantissant traditionnellement le secret bancaire comme le Luxembourg, l’Autriche ou la Suisse, pour se conformer à l’échange automatique d’informations (EAI). Dans quelle mesure ces politiques publiques scellent-elles l’avenir des paradis fiscaux ?

Les paradis fiscaux coûtent chaque année à la France 50 milliards d’euros.

Les avoirs français qui y sont dissimulés représenteraient au total 650 milliards d’euros – soit près de 30 % de la dette publique. Ces chiffres laissent ainsi espérer que le recouvrement du manque à gagner permettrait enfin le respect du pacte de stabilité et de croissance, en ramenant la dette publique à 1 250 mil- liards d’euros – soit près de 60 % du PIB.

Afin de rapatrier ces sommes, il convient de comprendre que l’érosion des bases fiscales réside davantage dans une mauvaise articulation des souverainetés que dans un problème de concurrence fiscale. Véritables outils de politique publique, les mesures de transparence envisagées pour appréhender les paradis fiscaux doivent permettre aux gouvernements de recouvrer les recettes fiscales dont ils ont besoin pour servir leurs citoyens et procurer à toutes les entreprises – et non seulement aux plus grosses disposant des moyens d’optimiser – la certitude qui leur est nécessaire pour investir et croître. Pour être radicales, ces mesures devront s’appliquer aux territoires asiatiques, pour l’instant au-dessus de ces contingences.

L’érosion des bases fiscales : un problème d’articulation des souverainetés

Les États étant souverains, ils sont libres d’établir le plus légitimement du monde la fiscalité de leur choix. Ces souverainetés fiscales ont été organisées dans les années 1920 dans le cadre de la communauté internationale pour éviter le chevauchement de leur réglementation. Elles ont favorisé la croissance et les échanges en éliminant les situations de double imposition. Disposé dans le modèle de l’OCDE dont s’inspirent la plupart des conventions fiscales de double imposition, ce principe a été détourné par des pays organisant la « double non-imposition » ou « double exonération ».

Autrement dit, une mauvaise articulation des souverainetés fiscales permet de ne plus s’acquitter d’aucun impôt, comme en témoigne le montage consistant en un transfert artificiel d’actifs incorporels générant le revenu depuis le pays où la valeur est créée (un pays source en général à forte fiscalité) vers un autre (un pays résidence en général à faible fiscalité). Cet artifice peut consister par exemple à disposer d’une activité économique en France, traiter avec des clients situés dans ce pays par l’intermédiaire d’internet, sans y avoir d’implantation imposable. C’est ce que l’on appelle l’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices (BEPS selon l’acronyme anglais).

Une concurrence fiscale dommageable

La mauvaise articulation des souverainetés explique donc la concurrence fiscale dommageable. La concurrence fiscale au sein d’une économie de marché est plutôt saine. Le fait qu’un État tiers organise un taux d’imposition sur les sociétés plus faible que le nôtre n’est pas le problème auquel la communauté internationale entend répondre dans le projet BEPS.

La concurrence fiscale devient en revanche dommageable lorsque les entreprises s’organisent pour disposer d’une fiscalité nulle sur un territoire à fiscalité déjà faible. Reprenons notre exemple : une multinationale américaine constitue une holding en Irlande et transfère ses bénéfices aux Bermudes. Le problème auquel la communauté internationale entend répondre n’est pas que la holding s’acquitte de 12,5 % d’IS en Irlande, soit près de 20 points de moins qu’en France ou en Allemagne, mais plutôt qu’elle transfère en toute légalité ses bénéfices irlandais dans un paradis fiscal où l’IS est nul.

Ce type de montage hybride laisse donc penser que la norme fiscale internationale de double imposition telle qu’elle existe aujourd’hui n’a pas évolué au même rythme que les modèles économiques du numérique.

Pour rattraper ce retard, la communauté internationale procède par étapes. Dans un premier temps, elle se concentre sur un surcroît de transparence : l’EAI et le « reporting » pays par pays doivent permettre aux administrations fiscales de dis- poser au sein des multinationales de données fiables pour réaligner la base fiscale imposable sur l’activité économique réelle. Fort de cette première avancée, et seulement après son entrée en vigueur, la communauté internationale pourra se concentrer sur des mesures de plus long terme visant à éliminer la concurrence fiscale dommageable.

Une transition fiscale radicale : les mesures de transparence forcée

Le Foreign Account Tax Compliance Act

L’EAI apparaît comme l’élément le plus innovant des politiques publiques pour appréhender les paradis fiscaux. Les prochains mois devraient permettre une première analyse du Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA, cf. encadré) et des modifications à y apporter.

Le FATCA permettra en effet avant la fin de l’année d’établir un premier bilan de l’effectivité de l’EAI aux vues de son coût. Et notamment de savoir s’il forme de nouvelles barrières aux échanges, gèle l’investissement et ralentit la croissance tel que cela a été avancé par les multinationales américaines lors du dernier Business Roundtable.

Cette analyse du FATCA permettra également de s’assurer que  le principe de réciprocité – principe même de l’échange d’informations – est garanti. Cela consistera à veiller à ce que le gouvernement américain échange bien avec les États tiers les informations collectées. En l’état, le Congrès invoque l’inconstitutionnalité de cette mesure avec son droit interne et promet des réformes. Nous voyons ainsi déjà, moins d’un trimestre après son entrée en vigueur, de quelle façon cette mesure est moins bien respectée par l’État qui l’a promue que par ceux sévèrement contraints de s’y conformer.

Le FATCA, équivalent américain de l’EAI

Le Foreign Account Tax Compliance Act est une législation mise en place unilatéralement par les États-Unis depuis le 1er juillet 2014, assurant que les établissements financiers étrangers déclarent automatiquement aux autorités américaines les mouvements affectant un compte détenu par un américain. Cette mesure à vocation punitive est une réponse aux banques ayant contrevenu à leurs accords avec l’administration américaine en dissimulant le démarchage de clients américains à l’étranger. En l’état, les banques doivent donc rapporter précisément les entrées et sorties de fonds des contribuables américains, sous peine d’une retenue à la source de 30 %, voire 50 %, de tout paiement en provenance des États-Unis leur étant destiné. La sanction peut même aller jusqu’au retrait de leur licence bancaire américaine aux établissements contrevenants, ce qui les exclut du système de compensation interbancaire sur le dollar – synonyme d’accès à la première monnaie mondiale – et signe donc leur fermeture définitive. Extrêmement efficace, cette menace a contraint toutes les institutions financières à s’engager à se conformer au FATCA, y compris les États de tradition à secret bancaire. Le Luxembourg a par exemple promis un premier échange automatique avant septembre 2015 des informations recueillies en 2014.

Ce dispositif a servi d’accélérateur à la procédure d’EAI dans le reste du monde.

C’est l’OCDE qui a promu la négociation de cette procédure au sein des 34 États membres mais également des 13 autres pays du G20 non-membres de l’OCDE. Les établissements financiers des 47 États signataires sont donc aujourd’hui compatibles avec le FATCA et susceptibles de s’échanger mutuellement et annuellement les informations collectées depuis 2015 au plus tard à partir de 2017. Faisant figure d’exemple, la France a fixé sa première transmission d’informations au 30 septembre 2015. À noter enfin une nuance importante avec le FATCA : le critère de rattache- ment de l’EAI européen sera la résidence et non la citoyenneté

En outre, une analyse des territoires contrevenants au FATCA posera la question des sanctions financières, commerciales et douanières à ajouter à la retenue à la source de 30 %, voire de 50 %. Par exemple, une sanction à hauteur des gains retirés de l’évasion fiscale éviterait que les territoires les moins coopératifs préfèrent payer la retenue à la source plutôt que de respecter le FATCA. Cette analyse des territoires contrevenants au FATCA permettra d’isoler les pays les moins enclins à la coopération afin de les contraindre coûte que coûte à participer à l’effort mondial. Il est en effet peu probable que les bonnes intentions de certains territoires asiatiques de se conformer au FATCA soient mises en pratique dans la mesure où la majeure partie de leurs modèles économiques repose sur l’évasion fiscale (cf. infra).

Un FATCA français ?

La première étape de la politique française de lutte contre les paradis fiscaux devrait consister à mettre en place une mesure unilatérale identique à celle adoptée par les États-Unis, de façon à protéger la base taxable dès 2015, sans attendre l’entrée en vigueur de l’EAI, prévue pour 2017.

Dans la mesure où 47 pays, dont ceux à secret bancaire comme le Luxembourg, le Liechtenstein ou la Suisse, ont cédé au FATCA, ce dis- positif pourrait être copié en France. En pleine crise budgétaire, l’intérêt économique d’une telle mesure est évident. Elle permettrait en effet un recouvrement immédiat du manque à gagner en attendant 2017.

Sans préjudice de l’entrée en vigueur de l’EAI en 2017, la France a donc les moyens de donner l’impulsion fiscale à l’ensemble de l’Union euro- péenne. Les États membres seraient alors incités, dans une logique de marché, à créer des dispositifs analogues, allant précisément dans le sens de cette politique européenne d’EAI.

Reporting

Le deuxième jalon de cette transition, moins prévisible car conditionné à un consensus international, consiste à disposer d’un « reporting » pays par pays, filiale par filiale pour toutes les multinationales. Cela permettrait de garantir la transparence des opérations intragroupe représentant 60 % du commerce mondial.

Le reporting contraindrait les grandes entreprises à ne plus présenter les comptes de leurs filiales de manière consolidée par secteurs ou continents mais de faire apparaître les opérations de chacune d’elles dans leur document de référence. À savoir, le montant de l’impôt, la nature de l’activité, le chiffre d’affaires, les effectifs en personnel et les charges sociales, afin qu’il ne soit plus possible de faire apparaître artificiellement les profits offshore et les pertes onshore. Ces opérations intragroupe, qui représentent 60 % du commerce mondial, contribueraient substantiellement à l’imposition de l’activité réelle telle que visée par le projet BEPS.

Ce « reporting » existe déjà pour les banques françaises et européennes(1), ainsi que pour les multinationales dans les secteurs de l’énergie, des mines et des activités forestières (2). Il serait donc tout à fait possible de l’étendre à l’ensemble des multinationales. Cela pourrait se faire dans le cadre d’un accord multilatéral au sein de l’UE, de l’OCDE, voire d’organismes mondiaux chargés d’établir les normes comptables de ces grandes entreprises comme l’IASB.

Dans ce sens, la Commission européenne vient de lancer une consultation chargée d’analyser la façon dont cette mesure fonctionne déjà dans les secteurs indiqués. Elle est censée se conclure par un rapport en 2016 laissant espérer un début d’application dès 2017.

Attractivité territoriale

Troisième et dernier grand jalon de la transition : il convient de rendre leur attractivité aux territoires européen et français pour mettre un terme à la concurrence fiscale. Parce qu’il faut rappeler une évidence : un territoire fiscalement attractif réduit l’incitation des grandes entreprises à optimiser offshore.

Harmoniser au sein de l’UE l’assiette fiscale de l’IS réduirait les frais administratifs des grandes entreprises dans la mesure où elles n’auraient plus à remplir qu’une seule déclaration fis- cale consolidée pour l’ensemble de leurs activités au sein de l’UE. Le résultat imposable consolidé du groupe serait alors réparti entre chaque société en fonction de son activité économique réelle au taux d’imposition en vigueur dans le pays.

Cette convergence européenne en matière fiscale restaurerait donc une concurrence saine et loyale entre l’État source et résidence des revenus, sans s’attaquer au taux d’imposition disposé souverainement par chaque État. Conditionnée par l’entrée en vigueur préalable du « reporting » prévue pour 2017 – puisque sans cela il est impossible de connaître l’activité économique réelle –, cette mesure ne serait donc envisageable qu’après cette date.

Dans l’attente, un rapport du groupe d’experts en charge d’étudier ce projet préconisait fin mai les modalités pratiques de cette mesure, et notamment la nécessité qu’elle soit obligatoire, et non facultative, pour toutes les multinationales.

Une seconde réponse, plus locale mais plus rapide, pour rendre son attractivité au territoire français, consiste à mettre en place une exonération fiscale de rapatriement. Puisque rien – ou si peu – n’empêche un ressortissant de s’éloigner légalement des prétentions du fisc français, il conviendrait de l’inciter à relocaliser ses actifs.

Cela consisterait à exonérer ces fonds de toute pénalité financière, renoncer à toute poursuite judiciaire et garantir l’anonymat du contribuable. Soit aux antipodes du régime en vigueur qui dispose de pénalités substantielles, aggravées de poursuites judiciaires et du dévoilement de l’anonymat du contribuable.

Cette exonération fiscale de rapatriement fait justement écho au travail de la dernière Commission sénatoriale d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France(3) invitant à un traitement plus favorable des fraudeurs s’engageant à réinvestir leurs capitaux en France. Ce pragmatisme permettrait d’apporter une réponse immédiate, sachant qu’il faudrait en effet, selon ce même rapport, 25 ans à l’administration fiscale française pour régulariser les dossiers d’évasion fiscale en cours.

Cette main intéressée tendue aux ressortissants qui ont réussi à se soustraire au fisc participerait à la croissance du pays. Une fois réintégrés, ces capitaux seraient en effet imposables normalement à 33,1/3 %. Et il serait même possible d’aller plus loin, en conservant un taux facial de 33,1/3 % tout en mettant en place des abattements pour ceux qui investiraient par exemple 50 % des fonds rapatriés dans des entreprises innovantes de moins de 50 salariés.

Les liquidités offshore feraient ainsi office de business angels dans des PME en besoins de fonds de roulement. Et en dépit de tout ce que l’on pouvait imaginer jusqu’alors, l’offshore serait vecteur de croissance.

Cette exonération fiscale de rapatriement ferait preuve de pragmatisme puisqu’elle permettrait de rapatrier jusqu’à dix milliards d’euros alors que la punition des fraudeurs n’en rapporterait qu’un à deux milliards. Compte tenu des objectifs qui viennent d’être fixés par le gouvernement d’ici 2017

– cinquante milliards d’euros d’économies –, cette seule mesure ne peut qu’interpeller.

Notons enfin l’importance de garder à l’esprit le statut d’exception dont bénéficient certains territoires asiatiques, de façon à tout faire pour qu’ils se joignent coûte que coûte à l’effort mondial.

L’émergence des paradis fiscaux asiatiques

Dans la mesure où certains États soutiennent des modèles économiques reposant complètement sur l’évasion fiscale, il est peu probable que leurs engagements de transparence soient suivis de faits. Il conviendra donc de veiller aux évolutions législatives qu’entendent conduire Macao, les Philippines, Singapour ou Hong Kong.

Les deux poids deux mesures de ces derniers témoignent de la façon dont l’EAI demeure à l’entière discrétion des paradis fiscaux. La récente décision prise par le Legislative Council (LegCo) de Hong Kong confirme en effet que ce nouveau dispositif est extrêmement mesuré comparé à celui adopté par son homologue de Singapour. En aucun cas, le territoire ne s’engage à un EAI, ni même à commencer de lever les obstacles juridiques locaux. Le ministre des Finances hongkongais,

K.C. Chan, répondant à une question posée devant le LegCo en témoigne : « Notre gouvernement continuera de protéger de son mieux la sphère privée des contribuables, à la fois sur le plan bilatéral et en vertu de notre droit local ». Et de continuer : « l’administration fiscale n’a aucune intention de changer le régime en vigueur ».

En outre, rappelons que la Chine a adopté le 6 mai 2014 la Déclaration relative à l’EAI en matière fiscale, mais que la péninsule de Hong Kong n’a pas à en répondre.

Hong Kong, nouveau centre de gravité de l’évasion fiscale

L’article 2 de la loi fondamentale de la région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine dispose en effet que : « L’Assemblée populaire nationale autorise la région administrative spéciale de Hong Kong à exercer un degré élevé d’autonomie et à bénéficier de pouvoirs exécutifs, législatifs, et judiciaires indépendants, y compris celui de jugement définitif, conformément aux dispositions de la présente loi ».

Et l’article 4 de poursuivre : « La région administrative spéciale de Hong Kong devra sauvegarder les droits et libertés des résidents de la région administrative spéciale de Hong Kong et des autres personnes de cette région, conformément à la loi ». Ce statut d’exception est protégé pendant cinquante ans à compter de la date de rétrocession de l’ancienne péninsule britannique en 1997, soit jusqu’en 2047, laissant d’ici là le temps à l’offshore du monde entier de s’y retrouver.

Hong Kong demeure donc le nouveau centre de gravité de l’évasion fiscale, au-dessus de toutes les contingences d’EAI, sans pour autant apporter une garantie de transparence dans les années à venir.

Ce territoire fait fi publiquement de ses promesses de transparence qui pourtant lui permettent de se tenir à l’écart des listes de paradis fiscaux. Un tel postulat ne saurait être interprété autrement que comme une intention de gagner du temps pour attirer les fonds offshore des territoires qui se conforment à l’EAI ; assurant du même coup sa volonté de ne jamais faire évoluer son droit bancaire dans le sens ses engagements.

La France confirme par ailleurs ce postulat dans sa liste d’États et territoires non coopératifs (ETNC) du 17 janvier 2014 comportant huit territoires desquels Hong Kong n’est évidemment pas partie, à savoir le Guatemala, Niue, Brunei, les Îles Marshall, les Îles Vierges britanniques, Montserrat, Nauru, et le Botswana.

***

La disparition annoncée des paradis fiscaux n’est donc pas pour demain.

Néanmoins la fiscalité française et internationale vit une période de transition radicale. Des avancées ont eu lieu – FATCA, déclarations d’intentions d’EAI – mais d’autres sont encore attendues – en France un « FATCA national » et l’exonération fiscale de rapatriement ; en Europe avec l’engagement contraignant d’EAI, le reporting et l’ACCIS.

Il conviendra donc d’être attentif dans les prochains mois,

– d’une part au Forum mondial de Berlin d’octobre 2014, visant à transformer les déclarations d’intentions d’EAI en engagement juridique contraignant dès 2017 ;

– et d’autre part au prochain G20 de Brisbane de novembre 2014 qui devrait, dans une suite logique, endosser un standard unique pour que tous les pays collectent les mêmes informations bancaires dès 2016 ; puisque sans cette modalité pratique, l’EAI sera matériellement impossible.

Pierre Farge, Avocat, HEC Paris et Université de Genève

Pierre Farge a soutenu en février 2014 une thèse intitulée : Pertinence (économique) et impertinence (juridique) de la lutte contre l’ingénierie offshore dans une perspective de sortie de crise, Bibliothèque HEC Paris. Vos commentaires sont les bienvenus : pierre.farge@hec.edu

BIBLIOGRAPHIE

  • OCDE (2014), Standard for Automatic Exchange of Financial Account Information, Common reporting
  • OCDE (2013), Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, Éditions OCDE, http://dx.doi. org/10.1787/9789264203242-fr.
  • Piketty (2013), Le capital au XXIe siècle, Paris, Seuil.
  • Posner A. (1979), « Some uses and abuses of economics in law », The University of Chicago Law Review, vol. 46, n° 22, hiver.

(1) CRD IV, 17/07/2013 ; loi 2013-672, 26/07/2013.
(2) Directive 2013/34/UE, 26/06/2013.
(3) Bocquet E., Rapport fait au nom de la Commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, n° 673, 17 juillet 2012.

LA DOCUMENTATION FRANÇAISE – CAHIERS FRANÇAIS n°383 – NOV -DEC 2014
Article Pierre Farge pages 87 à 91 – Version pdf

Entretien avec Jacques Vergès

Entretien avec Jacques Vergès

Maître Pierre FARGE, entretien avec Jacques VERGÈS,
Lundi 5 septembre 2011, 15h, 20 rue de Vintimille, 75009 Paris.

Jour de rentrée, au fond d’une cour pavée de la rue de Vintimille, sans plaque d’avocat, l’hôtel assez particulier de Jacques Vergès. Entre deux buis taillés en boule, une porte majestueuse et une sonnette de bronze.

Accompagné au dernier étage, je découvre une collection de jeux d’échecs rappelant son sens de la stratégie. Lumière tamisée, volutes de cigare, il m’accueille chaleureusement parmi ses statues africaines et autres masques orientaux pour m’accompagner jusqu’à son bureau sur lequel repose un cobra dressé en cristal, « un cadeau de Moussa Traoré », trois orchidées blanches dans un vase Ming et un agenda grand ouvert noirci de rendez-vous.

Pierre Farge : La poursuite de Sarkozy devant les instances judiciaires internationales pour crime contre l’humanité en Libye a-t-elle des chances d’aboutir ?

Jacques vergès : Le bombardement des forces armées de l’OTAN, ordonné par Sarkozy, a fait près de 25 000 victimes civiles. Les drones ont détruit des écoles, des hôpitaux sous prétexte d’abattre les immeubles de la télévision libyenne et sauver la population d’un tyran.

La Libye humanitaire dans le pays le plus riche en pétrole d’Afrique ?

Oui. Sarkozy, en tant que Président de la République en fonction, bénéficie de l’immunité présidentielle, il est donc intouchable devant les juridictions nationales. En revanche, il peut comparaître devant la Cour pénale internationale, sous réserve de l’accord du Parquet qui lui donne compétence, qui lui-même est contrôlé par le Gouvernement. CQFD.

Comme Robespierre qui fut un des premiers à lutter contre la peine de mort tout en s’appuyant sur la restriction pour faire fonctionner la guillotine, iriez-vous jusqu’à dire que Kadhafi était habité de cette même contradiction qui ravage un progressiste ; autrement dit, qu’il œuvrait pour le bien de son pays ? Seriez-vous prêt à le défendre ?

Pourquoi le défendre ? Il n’a rien fait ! De quoi se mêle la France ? Cela n’est pas un printemps arabe, la contestation populaire était extrêmement faible comparée à la Tunisie ou l’Égypte.

Aux antipodes de l’expédition néocoloniale en Libye, parlons justement des printemps arabes et plus particulièrement de la Syrie. Simplement une question de fond concernant Bachar el-Assad : élevé au Rosey, il ignore les injonctions de l’Ouest alors qu’il est le fruit de cet Occident élitiste et opulent. Ce n’est pas un peu paradoxal ? On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre.

C’est le complexe des orientaux depuis toujours face à la l’Europe. Le Shah d’Iran, l’Aga Khan étaient biculturels, tout à fait occidentalisés, comme en Turquie ou en Égypte. Peut-être aussi s’est-il infiltré dans le système pour mieux le détruire…

En Côte d’Ivoire, quelle peine encourt Gbagbo ? La prison à vie pour crime économique, je n’y crois pas. Un Président, même déchu, est intouchable, vous le savez bien?

Tout à fait. Que peut-on contre lui dans la mesure où l’armée française – et c’est le comble – a débarqué pour imposer son Président, ce qui fait de Ouattara le Président de l’étranger et non de la Côte d’Ivoire. Sans l’appui de l’Ouest, il n’aurait jamais pu s’imposer. Je le plains.

Vous critiquiez dans les années 1990, sans le nommer, un de vos confrères devenu Ministre, selon vous, « c’est un avocat raté ». Lui auriez-vous pardonné depuis qu’il est à vos côtés en Côte d’Ivoire ?

Bien sûr, vous parlez de Roland Dumas.

Je parlais de l’incorruptible jacobin, un des premiers défenseurs des Droits de l’Homme. Aux vues des derniers comportements de l’ONU en Libye et en Côte d’Ivoire¹, quelle image en avez-vous ?

J’y crois mais il en est fait un mauvais usage… et souvent par les mêmes.

Qu’est ce qui vous a donné ce courage à 20 ans, face au lynchage et aux menaces de mort, alors que vous défendiez l’anticolonialisme en Algérie et la tête de Djamila Bouhired ?

Sans doute d’être sorti Premier Secrétaire de la Conférence du stage m’a donné confiance.

Au procès Pétain, auriez-vous adopté la même stratégie qu’Isorni ?

Isorni a dit cette phrase très belle : « J’aurais pu être l’avocat des grandes fortunes, j’ai préféré être l’avocat des grandes infortunes ». Il n’avait pas mes idées mais c’était une époque où les avocats au Palais pouvaient discuter, où ils s’estimaient malgré des opinions politiques très différentes. Il m’a beaucoup appris. Il a d’ailleurs été vingt ans avant moi Premier Secrétaire.

Au procès Pétain, il a d’abord écarté Lemaire qui voulait plaider le gâtisme du Maréchal, autant dire le contraire du travail d’un avocat digne de ce nom qui défend la dignité de son client. Cela me fait penser à ce livre de Simenon, Lettre à mon juge. Il s’agit d’un homme qui, condamné pour le meurtre de sa maîtresse sans mobile évident, éprouve ce besoin irrépressible de justifier son acte auprès du juge d’instruction, non pour être acquitté mais parce que l’on ne peut pas s’expliquer entre deux portes d’un tribunal. Or, c’est  le rôle de l’avocat de comprendre et de justifier au procès.

Pour l’unité de Pétain, sont arrivés Isorni et François Lehideux². Mais Isorni a pris l’affaire trop à cœur, il a été trop filial avec Pétain. Il n’aurait jamais dû insulter de Gaulle qui était le seul à pouvoir le sauver.

Et Klaus Barbie ?

Au moment du procès, l’opinion, manipulée par les médias, m’a pris pour un nazi. C’est absurde, les gens ne font pas la différence entre défendre et excuser ; le médecin ne soigne pas la maladie, mais le malade, l’avocat ne défend pas le crime mais l’homme accusé de l’avoir commis. Barbie n’était qu’un exécutant.

J’ai donc reçu beaucoup de menaces, à tel  point que certains confrères m’ont tournés le dos. Par la suite, ces derniers ont compris, ils sont revenus mais c’était trop tard. Après de telles vilenies je n’admets pas.

« Barbie n’était qu’un exécutant », dites- vous, auriez-vous défendu Hitler ?

Absolument, mais même Bush ! Simplement ma condition aurait été qu’ils plaident coupable sinon je n’aurais pas été crédible.

Où ai-je lu que c’est le Che qui vous a fait passer de la pipe au cigare ; quelles étaient vos relations ? Vous êtes-vous connus à La Havane ?

Non, à Paris en 1966, avant son retour via Genève en Bolivie pour la Révolution, qui échoua. Le pays n’était pas prêt à l’expansion castriste.

Connaissez-vous bien l’Amérique latine ? J’ai traversé le Brésil pour passer dix jours en Bolivie.

Sans transition, au niveau anthropologique, comment évaluez-vous la crise – économique, idéologique et spirituelle – que nous vivons ? Parvenez-vous du haut de votre hôtel particulier, tel Siméon Stylite sur sa colonne, à prendre de la hauteur ?

C’est la décadence. La fin d’une civilisation. Politiquement, au lendemain de la seconde guerre mondiale, en France nous avions De Gaulle, aujourd’hui Sarkozy ; en Allemagne nous avions Adenauer, aujourd’hui Merkel ; en Angleterre nous avions Churchill, aujourd’hui Cameron. Intellectuellement, nous avions Sartre, Merleau-Ponty, Camus ou encore Malraux. Qui les a remplacés, BHL ?

La chute est incontestable.

Sans transition toujours, qu’avez-vous pensé du roman DSK à New-York ; c’est l’exemple même du « procès de rupture »  que vous avez inventé, les confrontations médiatiques, par conférences de presse interposées, ont importées davantage dans l’issue judiciaire, connue d’avance, qu’un dialogue entre les juges et l’accusé. L’ancien Maire de Sarcelle qui s’en tire à coups de millions… c’est cela « La démocratie en Amérique » ?

C’est risible et méprisable. La Décadence je vous dis. Aurait-on imaginé De Gaulle ou Churchill violer une femme de ménage ?

Vous utilisez le terme « roman » ; effectivement, tout procès est un roman comme je l’explique dans ma pièce ; et c’est l’aveu qui donne un sens au procès. Antigone, Jeanne d’Arc reconnaissent les faits.

A ce propos, dans l’affaire des emplois fictifs, Juppé en niant l’évidence, ne se rendait pas compte qu’il s’avouait coupable. Il a été condamné. Ceux qui ont reconnus les versements ont été acquittés.

La seule différence entre roman et procès c’est que le roman sent l’encre et le procès sent le sang. Il y a un goût de chair dans le procès.

Quand on a compris cela, on devient Serial Plaideur, jeune homme.

J’ai un faible pour la Russie, comment analysez-vous la politique du Premier Ministre Poutine, et plus largement du relèvement de la Russie depuis la chute du mur ?

La Russie était un champ de ruines. Poutine est un homme digne. Ce n’est pas un vantard.

Pour terminer, quel conseil me donneriez- vous ?

Etre indépendant, à la fois des convenances sociales mais aussi à l’égard du client. Carlos, par exemple, était tellement mégalo qu’au bout de quatre mois je l’ai laissé. L’avocat n’a pas à être aux pieds de son client.

Trois faiblesses ?

J’ai tendance au mépris. Peut-être aussi à l’orgueil ; j’ai passé trois ans de guerre sous De Gaulle comme volontaire dans les Forces françaises libres, en sortant, j’ai décidé à ne baisser les yeux devant personne.

C’était l’époque des procès du FLN et j’avais rédigé avec Georges Arnaud un livre que nous avons adressé au Général de Gaulle qui nous a répondu, de mémoire : « Messieurs, je vous remercie de m’avoir adressé votre petit livre sur Djamila Bouhired ; je sais, dirai-je par expérience, que tout drame français est un monde de drames humains, de celui-là vous avez eu raison de ne rien cacher. Votre évidente sincérité ne peut laisser personne indifférent. Recevez, Messieurs, l’assurance de mes sentiments les meilleurs et très distingués. PS : Avec, pour vous, Vergès, mon fidèle souvenir”. 

Une troisième faiblesse… je ne trouve pas, j’ai beau tourner dans tous les sens, je reviens toujours au mépris.

Un dieu ? Je ne crois pas en dieu mais en l’homme.

Dernière question, celle du Questionnaire de Pivot : « Si Dieu existe, qu’aimeriez vous, après votre mort, l’entendre dire de vous » ?

« Alors TOI… tu m’as fait du souci ! ».

Au fait, le code de la porte d’entrée de votre hôtel particulier est le 1927. Il s’agit de votre date de naissance ?

Hélas, je suis plus âgé.

Par Maître Pierre Farge.

L’entretien Pierre Farge / jacques Vergès en PDF


¹qui décide notamment en Côte d’Ivoire de ne reconnaître que les résultats de la Commission Électorale Indépendante (CEI), invalidant du même coup les résultats proclamés par le Conseil constitutionnel, outrepassant ainsi largement ses pouvoirs.

²président de l’ADMP: Association pour Défendre la Mémoire du Maréchal Pétain.