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Actualités Farge Associés

Actualités du Cabinet et de Pierre Farge, avocat associé fondateur :
lanceurs d’alerte, droit fiscal, droit pénal, pro-bono, culture…

Pékin profite de la vacuité du droit international – Challenges

Pékin profite de la vacuité du droit international – Challenges

Après ses parutions dans L’Express, Le Figaro Magazine et l’interview à BFM TV, l’initiative de Pierre Farge et Odile Mandar Cohen vient d’être relayée dans le magazine Challenges paru le 30 avril 2020,

DOUBLE JE (Mentho, Roulier)

Mardi 28 Avril 2020

Les avocats Pierre Farge et Odile Cohen planchent sur la façon dont la Chine, « en dissimulant pendant plusieurs semaines la réalité de la létalité de l’épidémie », pourrait être attaquée en justice.

« Les articles 6 et 7 du Règlement sanitaire international ont été enfreints, mais ce dernier ne prévoit pas de sanctions.»

La Cour intermationale de justice ?  « Seuls les États se soumettant de manière volontaire à ce droit international doivent le respecter. » Il est peu probable que la Chine le fasse.

La Cour pénale internationale (CPI) ? La saisine est réservée aux États, mais un particulier peut faire un signalement.

La CPI a ainsi accusé réception de « renseignements » fournis par Larry Klayman, un ancien procureur américain.

Une enquête peut être ouverte, «mais il faudra constater l’élément intentionnel », C’est-à-dire prouver une préméditation du gouvernement chinois visant à tuer une population civile.

Une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies demandant des explications à la Chine? Illusoire, sachant que Pékin préside cette instance depuis mars 2020 et en est membre permanent.

Alors, que faire? « ll ne faut pas se décourager : des sanctions économiques et douanières sont possibles pour imposer des enquêtes indépendantes sur le territoire chinois. »

 

 

Coronavirus : faut-il sanctionner la Chine ? – Pierre Farge à BFM TV

Coronavirus : faut-il sanctionner la Chine ? – Pierre Farge à BFM TV

Peut-on sanctionner la Chine sur sa gestion de l’épidémie de coronavirus ?  C’est en tout cas la question que se sont posé Pierre Farge, avocat au barreau de Paris, et Odile Madar dans l’Express de ce jeudi 23 avril.

Sur le plateau de BFM TV aujourd’hui, il répond aux questions que posent la situation actuelle :

  • D’où vient le virus?
  • Y a t’il des responsabilités à établir et des réparations à exiger ?
  • Quels sont les éléments que l’on pourrait reprocher à la Chine ?
  • Pourrait on juridiquement engager la responsabilité de la Chine devant les instances internationales ?

Maître Pierre Farge propose également des pistes pour sortir du vide juridique international actuel.

REPLAY VIDÉO ci-dessous :

BFM TV, 1ère chaine d’information en continu de France sur le canal 15 de la TNT et sur BFMTV.com.

Covid-19 : peut-on déposer plainte contre la Chine ? – L’Express

Covid-19 : peut-on déposer plainte contre la Chine ? – L’Express

Suite à la multiplication des critiques contre la Chine, deux avocats imaginent différents scénarios juridiques pour réclamer des dommages et intérêts. Compliqué…

Article de Pierre Farge et Odile Madar publié dans L’Express

Tout a commencé à un seul endroit, à Wuhan, en République populaire de Chine à la fin de l’année 2019.

Le Covid-19 est mentionné pour la première fois le 17 novembre par les autorités locales, et le 30 décembre, le premier rapport de séquençage génétique de l’agent pathogène indique la découverte du coronavirus.

En dissimulant pendant plusieurs semaines la réalité de la létalité de l’épidémie, Pékin a une forte responsabilité dans sa propagation mondiale.

Le pays a minimisé la gravité du virus ; d’abord en prétendant qu’il n’était pas transmissible d’homme à homme, mais simplement d’animal à homme, et par contamination alimentaire ; puis en annonçant très tardivement la nature de la maladie ; enfin, en bridant tous les moyens de circulation de l’information non officielle.

Nous le savons : la Chine n’est pas connue pour la fiabilité de ses statistiques, et son manque de transparence génère depuis toujours de la défiance.

Et pour cause, un examen détaillé de la chronologie des faits, rapportés tant par les médias que les ONG et autres lanceurs d’alerte, démontre que si la Chine avait partagé des informations complètes, le nombre de décès dans les pays étrangers aurait pu être quasiment nul.

Une étude de l’université de Southampton révèle par exemple que si la province du Hubei avait appliqué des mesures de quarantaine strictes trois semaines plus tôt, la propagation du virus aurait été réduite de 95%.

Ce n’est donc que le 11 mars 2020 que l’OMS a déclaré la pandémie mondiale et a commis l’erreur fatale de faire confiance au régime chinois.

La riposte ne s’est pas fait attendre : le président américain, premier bailleur de l’organisation, a décidé de suspendre son financement annuel de près de 500 millions de dollars, l’accusant d’être trop proche de la Chine.

Plusieurs voies juridiques

La question de la responsabilité de la Chine, qui soulève celle de la réparation des dommages subis, se pose nécessairement. Mais comment agir ? Comment ne pas laisser impuni ce silence fautif ? Et devant quelle autorité se pourvoir ?

Le think tank britannique Henry Jackson Society, proche du parti conservateur, préconise plusieurs voies juridiques pour réclamer des dommages et intérêts à la Chine. Déjà plusieurs politiques anglais et américains ont exigé de leurs gouvernants des poursuites contre le gouvernement chinois devant les tribunaux, en estimant que le nombre de milliards dépensés dans cette « guerre » aurait pu être évité si la Chine avait été plus transparente. L’État du Missouri est le premier à l’avoir fait le 21 avril dernier.

Juridiquement, ces actions ont légalement peu de chances d’aboutir.

Le premier outil mis à la disposition des États est le Règlement sanitaire international qui régit le droit mondial de la santé. Ce RSI confère aux Etats le devoir d’agir pour prévenir la propagation de maladies infectieuses.

La notification de pandémie doit être rapide sur la base d’informations précises et complètes.

Wuhan et le Hubei ont enfreint les articles 6 et 7 de ce règlement en omettant de divulguer des données qui auraient révélé la preuve de la transmission interhumaine et ont attendu près de trois semaines avant de le faire. Mais le RSI ne prévoit pas de sanctions pour les États qui ne respectent pas ses dispositions.

La Cour internationale de justice, principal organe judiciaire de l’Organisation des Nations Unies (ONU), pourrait alors entrer en jeu. C’est sans compter que seuls les États se soumettant de manière volontaire à ce droit international doivent le respecter. Autrement dit, il est peu probable que la Chine se soumette à cette compétence en vue d’une probable condamnation, et donc toute saisine de la Cour internationale de justice sera rejetée.

La Chine et la justice internationale

La Cour pénale internationale pourrait, quant à elle, être compétente pour juger d’un crime contre l’humanité.

Elle examine d’ailleurs actuellement deux signalements d’États membres liés au Covid-19. L’un vise les décideurs chinois, l’autre le chef d’Etat brésilien Jair Bolsonaro.

Ces signalements s’appuient sur l’article 7 du statut de Rome définissant les crimes contre l’humanité en « une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile » ou « des actes inhumains » causant « intentionnellement des grandes souffrances« .

S’il n’est pas possible de déposer une plainte pénale devant la Cour pénale internationale en tant que personne physique (cela étant réservé aux États), tout particulier peut en revanche lui faire remonter des renseignements.

Le procureur, s’il les juge sérieux, peut alors ouvrir une enquête sur cette base. Cela dit, la Cour pénale internationale devant constater l’élément intentionnel, il sera néanmoins difficile de qualifier une préméditation du gouvernement chinois visant à tuer des vies humaines dans le cas du Covid-19.

En tout état de cause, il est peu probable que la Chine se soumette à la justice internationale, et cherchera par tous moyens à éviter la responsabilité judiciaire de ses actes. C’est sans doute l’une des raisons du silence du Conseil de sécurité des Nations Unies, dont la Chine assume la présidence depuis mars 2020.

La dernière polémique sino-américaine en est le meilleur exemple : les États-Unis ont demandé à inscrire l’origine du virus comme étant chinois dans les textes officiels, ce qui a été refusé fermement par les autorités chinoises, malgré l’évidence.

Sentiment d’impunité

Ce déni d’une quelconque responsabilité souligne l’enrayement de la mécanique onusienne, et la faillite du multilatéralisme institutionnel. Compte tenu du front commun russo-chinois, il y a donc fort à parier que seules des résolutions déclaratoires, et non coercitives, verront le jour.

L’épisode du Covid-19 a dévasté l’économie mondiale et tué des centaines de milliers de personnes.

La Chine a fait taire ses lanceurs d’alerte et aujourd’hui le régime de Pékin veut apparaître comme un soutien aux pays touchés. De responsable, il veut devenir sauveur.

Pourtant, comment ne pas sanctionner ce pays qui a bâillonné un médecin lanceur d’alerte quand ce dernier a révélé, deux mois avant tout le monde, ses inquiétudes concernant la propagation du virus, et ce juste avant de mourir ?

Comment ne pas sanctionner ce pays où les journalistes locaux affirment avoir tout aussi peur du virus que de leur gouvernement ?

Comment ne pas laisser enfin ce sentiment d’impunité à un pays qui curieusement se refuse depuis des années d’adhérer à tous les organismes de justice internationale ?

Si la communauté internationale n’agit pas maintenant pour éclaircir les « zones d’ombre », quand le fera-t-elle ?

Vide juridique

Malheureusement, le droit international est défaillant sur ce sujet. Un vide juridique à souligner dans ces circonstances exceptionnelles.

Aucun levier légal ne semble exister pour rendre justice.

Pour autant, il ne faut pas se décourager : des sanctions économiques et douanières sont encore possibles ; de même que des offensives diplomatiques, et une pression morale constante, doivent permettre à la Chine de rendre des comptes à la communauté internationale.

Il faut donc du courage et de la solidarité mondiale pour imposer des enquêtes indépendantes sur le territoire chinois, pour acter l’origine de cette crise, la comprendre, et ainsi éviter qu’elle ne se reproduise à l’avenir.

Ce qui rappelle ce mot de Churchill selon lequel « un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre« .

Pierre Farge et Odile Madar

Suicides à répétition des lanceurs d’alerte : le double discours des États-Unis

Suicides à répétition des lanceurs d’alerte : le double discours des États-Unis

À la veille de la récession sur fond d’épidémie mondiale, les États-Unis appliquent une politique complètement contradictoire à l’égard des lanceurs d’alerte, tantôt en leur faveur lorsque cela sert ses intérêts, tantôt à leurs dépens lorsqu’ils dénoncent des pratiques impliquant l’État lui-même par son mépris des droits fondamentaux. Deux destins témoignent de cet état de fait, celui d’Aaron Swartz et celui de Chelsea Manning.

Article de Maître Pierre Farge publié dans Contrepoints

Aaron Swartz : de l’utopie au rêve brisé

« À trois ans, il savait lire ; à huit coder. À quatorze ans, il travaillait déjà avec les pionniers de l’Internet libre. Il était convaincu que la technologie redistribuerait le pouvoir et libérerait la politique de l’emprise de l’argent. Aaron misait sur notre intelligence, notre désir d’élévation. Il militait pour la démocratie, la connaissance, la liberté d’expression », Flore Vasseur, Ce qu’il reste de nos rêves.

Ce paragraphe pourrait suffire pour présenter Aaron Swartz.

Idéologue d’un Internet libre, au service de la liberté de l’information et de la connaissance, il est l’un des premiers à énoncer le concept de neutralité du web, évoquant autrement les potentielles dérives.

Aaron SwartzFaisant de la liberté de l’information un impératif éthique au service de l’intérêt général, il est à l’origine de la création de nombreux programmes comme la plateforme Secure Drop destinée aux lanceurs d’alerte, qui leur permet de fournir des informations et des documents aux journalistes de façon sécurisée par un système appelé JStor, utilisé par exemple par le New Yorker ou le Washington Post.

En 2011, Aaron Swartz est arrêté par le FBI pour avoir téléchargé en masse des documents scientifiques protégés. Son « crime », car c’est effectivement comme un criminel qu’il est interpellé, n’est autre que le téléchargement et le stockage de ces documents dans le seul et unique but de les partager.

Le système judiciaire américain a néanmoins vu les choses autrement, décidant de le poursuivre alors même que JStor s’est retiré de l’action judiciaire compte tenu de l’absence de préjudice et d’enrichissement personnel ; faisant ainsi en réalité d’Aaron Swartz un exemple sur fond de procès contre Julian Assange.

Le 11 janvier 2013, quelques jours avant son procès, Aaron Swartz se suicide. Il avait 27 ans.

Chelsea Manning : libérée muselée

Chelsea ManningAncienne analyste militaire, Chelsea Manning est accusée d’avoir transmis la vidéo du raid aérien du 12 juillet 2007 à Bagdad publiée en avril 2010 par WikiLeaks, mais également les Afghan War Diaries publiés le 25 juillet 2010. Elle est en outre suspectée d’être à l’origine de la publication de 260 000 câbles diplomatiques.

Arrêtée en juin 2010 par la United States Army Criminel Investigation Command, elle passera plus d’un mois dans une prison militaire au Koweït sans aucune inculpation formelle et où elle subit différents traitements inhumains et dégradants.

En 2013, Chelsea Manning est condamnée à 35 ans de réclusion pour pas moins de 20 chefs d’accusation, dont notamment espionnage, avant de voir sa peine commuée par Barack Obama, alors président, le 17 janvier 2017, lui permettant de sortir de prison cinq mois plus tard.

Une libération qui ne constitue néanmoins en aucun cas une libération de sa parole.

Depuis cette remise en liberté, Chelsea Manning est victime de harcèlement de l’État, et notamment à nouveau poursuivie pour avoir refusé de répondre aux questions concernant Julian Assange, de peur que ses réponses soient utilisées contre ce dernier mais également contre elle ; ce qui constitue, pour le gouvernement américain, une entrave au bon fonctionnement de la justice.

Emprisonnée préventivement pour ces faits dans l’attente d’un nouveau procès, elle tente de mettre fin à ses jours quelque temps avant l’audience.

Cette tentative de suicide conduira curieusement, dès le lendemain, la justice américaine à libérer la lanceuse d’alerte avec le même arbitraire que celui pour lequel elle l’avait déjà condamnée.

Comme Aaron Swartz, c’est le sentiment d’injustice, le harcèlement judiciaire, et les procédures kafkaïennes qui l’ont épuisée, au point de rendre ces dernières semaines sa reconstruction très difficile après avoir échappé à la mort.

Législation aux États-Unis : le prix de la protection

Ces deux destins, quoique différents par leurs engagements, sont symptomatiques des deux poids deux mesures des États-Unis à l’égard des lanceurs d’alerte, et du paradoxe flagrant existant dans le traitement des alertes selon qu’elles servent ou non l’intérêt du pays par leur partage d’information.

Ils témoignent de la volonté des États-Unis de bâillonner la liberté d’expression au mépris des droits et libertés fondamentaux, dès lors que ces informations lancées sur la scène internationale visent à servir l’intérêt général aux dépens de l’État ; tels Aaron Swartz, Chelsea Manning, Julian Assange ou encore Edward Snowden.

Pour autant, lorsque l’alerte peut rapporter des millions de dollars au pays, une protection est immédiatement apportée, notamment la sécurité de l’anonymat et une rémunération au pourcentage des sommes recouvrées.

Ce qui nous rappelle ce mot de H. D. Thoreau assurant qu’« il est plus désirable de cultiver le respect du bien que le respect de la loi ».

Autant d’écho aux déclarations du Président américain promettant encore hier face à l’épidémie de coronavirus de privilégier la loi du marché pour sauver l’économie et l’Amérique, quitte à ce que cela se fasse au mépris de milliers de vies humaines, scandalisant ainsi la planète entière.

Pierre Farge, Avocat défenseur des lanceurs d’alerte.

 

Suicides à répétition des lanceurs d’alerte : le double discours des États-Unis 

La censure chinoise à l’origine de la prolifération du coronavirus ?

La censure chinoise à l’origine de la prolifération du coronavirus ?

Dans le cas du coronavirus, une triple censure du gouvernement chinois, conjuguée à la propagande, est à l’origine de la pandémie que l’on connait aujourd’hui.

Tribune de Pierre Farge publiée dans Contrepoints : 

La censure chinoise à l’origine de la prolifération du coronavirus ?

 

Le monde observe depuis le début de l’année une tension générale liée au coronavirus, trouvant son origine à Wuhan, village situé au centre de la Chine.

À l’heure où il provoque l’isolement de centaines de personnes en Europe de l’Ouest, l’on comprend trop tard qu’il aurait pu être mieux appréhendé si les autorités chinoises n’avait pas censuré le phénomène à grand renfort de propagande, ou bâillonné le lanceur d’alerte ayant révélé ses effets juste avant de mourir.

L’accumulation du mensonge permet toujours de parvenir à la vérité.

Dans le cas du coronavirus, une triple censure du gouvernement chinois, conjugué à la propagande, est à l’origine de la pandémie que l’on connait aujourd’hui, développant une psychose générale, paralysant les marchés, annulant les défilés de mode la semaine dernière à Milan, et ralentissant l’ensemble des déplacements en avion.

Triple censure chinoise

1) Les premiers cas recensés concernent des personnes s’étant rendues dans le marché animalier de Wuhan début décembre 2019. Sans doute pour éviter la panique générale, le gouvernement chinois a donc d’abord naïvement affirmé que le virus ne serait transmissible que par voie animale, calmant ainsi tout le monde sur un risque de pandémie humaine. Raisonnement simpliste, mais possible. Dont acte.

2) C’est sans compter que le 30 décembre 2019, un médecin chinois du nom de Li  Wenliang faisait part de ses inquiétudes concernant la propagation d’un virus, et d’une éventuelle épidémie similaire à celle du SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère) en 2003.

Suite au lancement de cette alerte, ce dernier faisait immédiatement l’objet d’une enquête de police pour diffusion illégale de fausse rumeur. Rien que cela aurait dû suffire à convaincre l’opinion que ses révélations dérangeaient, et donc que le gouvernement chinois savait le danger de ce virus pour l’espèce humaine. Attitude donc inquiétante de la part d’un gouvernement face à un lanceur d’alerte qui décèdera lui-même début février 2020.

3) Plus récemment encore, l’un des plus gros médias chinois a lui tout simplement disparu, suite à un article accusant le gouvernement chinois de censure devant l’état de la situation. Comportement étonnant pour une superpuissance dont l’image de sa liberté de la presse est constamment remise en cause ; preuve encore que la fin en  aurait justifié les moyens, confirmant donc que ces révélations dérangeaient d’autant plus.

Propagande

Alors que les journalistes locaux affirment avoir tout aussi peur du virus que du gouvernement chinois, le 23 janvier 2020, l’OMS déclare enfin la transmission humaine du virus. Autrement dit, avec deux mois de retard.

Deux mois de trop, ayant laissé le temps pour le virus de se propager dans le monde entier.

Deux mois de trop pour laisser à la superpuissance chinoise le soin, certes, de ne pas paralyser sa croissance et son image au prétexte d’un trouble sanitaire sur son territoire.

Deux mois de trop, coûtant finalement au monde entier aujourd’hui l’irresponsabilité totale de ce pays, à l’égard de ses propres concitoyens, et du reste du monde.

Autrement dit encore, en suivant ce raisonnement absurde, il serait préférable d’user et abuser de la censure, de ne rien dévoiler pour ne pas sombrer, quitte à faire couler la planète entière.

Voilà les conséquences de la censure dont nous allons devoir maintenant assumer les responsabilités. Responsabilités aggravées, à grand renfort de propagande, jouant sur les mots, comme par exemple lorsque l’OMS annonce une baisse du nombre de cas en Chine, mais que l’on observe dans le même temps une augmentation du nombre de décès.

Cette propagande n’est pas sans rappeler Tchernobyl en 1986, comme par exemple avec ce nuage qui ne traversait pas les frontières ! Ici, le COVID-19 ferait moins de victimes que la grippe ou la tuberculose, alors même que la Chine fait construire un hôpital de 25 000 m2 en seulement 10 jours.

Comment agir ?

Comme il vaut mieux faire que dire, comment agir dans l’urgence de la situation pour tenter d’appréhender ce virus ?

Le recours à l’Intelligence Artificielle

Tout d’abord, il apparait nécessaire d’intégrer l’intelligence artificielle dans notre gestion sanitaire publique. En effet, plusieurs entreprises mettent en place des algorithmes permettant de prévenir d’une éventuelle épidémie, via les recherches effectuées par les internautes et par la cible de différents mots clés.

Précisons à ce titre que l’entreprise canadienne « Blue Dot » avait, avant le gouvernement chinois, émis l’hypothèse d’une telle épidémie sur ces fondements.

La transparence

Il est aussi important de relayer l’information, de connaître nos risques mais également et surtout de les faire connaitre, pour faire face ensemble. Laisser la presse faire son travail en informant reste donc le meilleur moyen de gérer l’épidémie.

Qui plus est, les conséquences pour l’économie peuvent être désastreuses, empêchant les États de préparer leurs politiques en temps voulu. En France, se pose actuellement la question des droits des salariés en cas de mise en quarantaine.

Le bons sens

À propos de mise en quarantaine, un raisonnement aussi inconséquent du  gouvernement français a consisté à placer, quasiment d’une semaine sur l’autre, en quarantaine les ressortissants français rapatriés à la Pitié-Salpêtrière à Paris par avion affrété pour l’occasion, juste au-dessus du service oncologie, soit juste au dessus des patients les plus fragiles.

Cette aberration, explique notamment l’origine d’un « plan blanc » – et surtout pas rouge, souvenez-vous du comportement chinois qui ne doit surtout pas effrayer – du fait de médecins, ou de patients, présentant ces jours-ci certains symptômes sans que personne ne soit pour autant informé.

Cette pandémie n’étant encore qu’éventuelle, n’ayons donc pas peur du recours à l’intelligence artificielle, à la transparence des moyens d’information, et, espérons-le, au bon sens des politiques publiques. À l’inverse de la Chine, il est encore possible d’appréhender le phénomène.

Par Pierre Farge, avocat défenseur des lanceurs d’alerte.

Crédit illustration en tête : Censorship by marcokalmann (CC BY-NC-ND 2.0) — marcokalmann , CC-BY

Lanceurs d’alerte, jugés pour révéler la vérité

Lanceurs d’alerte, jugés pour révéler la vérité

Le procès d’extradition de Julian Assange à Londres vient de s’ouvrir. Pas moins de 18 chefs d’inculpation sont retenus contre lui aux États-Unis, pour avoir notamment dévoilé via WikiLeaks les modes opératoires des armées américaines présentes en Irak. Il risque à ce titre s’il est extradé jusqu’à 175 années de prison.
Article de Pierre Farge, avocat à la Cour, précurseur en matière de lanceurs d’alerte, et Marie Benamour, avocat stagiaire publié dans La Tribune

La protection des lanceurs d’alerte en France

La protection des lanceurs d’alerte est régie en France par la loi Sapin II, définissant en son article 6 le lanceur d’alerte en ces termes, à savoir « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. »

A noter que les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l’alerte.

Aussi, la loi Sapin II ajoute une cause d‘irresponsabilité pénale pour le lanceur d’alerte en son article 122-9 au Code pénal, à savoir : « N’est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu’elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d’alerte prévus à l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ».

La France dispose donc d’un système de protection des lanceurs d’alerte.

La protection des lanceurs d’alerte en Europe

Au niveau européen, seulement dix États membres disposent d’une législation en la matière.

Une directive européenne sur la protection des personnes a été adoptée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne le 7 octobre 2019 ; les États membres ont ainsi jusqu’au 15 mai 2021 pour transposer, et donc mettre en œuvre une protection réelle et uniforme en droit interne.

Les difficultés de mise en application

C’est donc l’actualité internationale et l’épaisseur du réel qui montre les failles de la mise en œuvre de ce nouveau système de protection, qu’il s’agisse de Julian Assange, d’Edward Snowden, ou d’autres.

A commencer par le simple fait, dans le cas d’Assange, d’être jugé devant le tribunal dépendant de la prison même de haute sécurité de Belmarsh où il est incarcéré. Le symbole est fort : être jugé au même endroit où l’on est incarcéré… c’est du jamais vu !

Face à cet état de fait, il est urgent de réagir à la mise en péril de la liberté d’expression, liberté fondamentale garantie constitutionnellement et conventionnellement.

Il est aussi urgent que la France accueille dignement les lanceurs d’alerte, se faisant ainsi terre d’asile d’hommes et de femmes persécutés, risquant leur vie pour avoir tenté d’améliorer celle du plus grand nombre.

Il est urgent que la France retrouve sa souveraineté, servant ainsi enfin ses intérêts en protégeant des individus ayant révélé des informations de premier ordre à l’opinion du monde entier, plutôt que de permettre aux Américains de le faire à notre place.

Il est urgent que la France cesse d’obéir au doigt et à l’œil aux injonctions américaines.

Mettre fin à l’atlantisme américain

Cet atlantisme a assez duré. Continuer à faire droit à la demande des États-Unis concernant l’extradition de Julian Assange, c’est condamner ces individus à un procès qui ne soit pas équitable, à des peines exorbitantes, et des traitements inhumains ou dégradants, au mépris de toutes les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

« Ne pas confondre crime et vérité »

Le prétexte de tels agissements est simple et doit cesser. Il repose sur la confusion entre « crime » et « vérité », à savoir dévoiler des dérives sur les conflits armés, informer de la surveillance massive et illégale de nos citoyens, ou refuser d’être complice de tels actes, et parler. Autrement dit, avouer la vérité.

Sanctionner de tels individus revient à condamner l’incondamnable, bâillonner la liberté d’expression, et remettre en question tous les principes de notre démocratie par la persécution.

Les lanceurs d’alerte ont plus que jamais besoin de notre aide

Dans ces conditions kafkaïennes, les lanceurs d’alerte ont plus que jamais besoin de notre aide, et notamment que soit accepté en France les demandes d’asile éventuellement déposées dans les prochaines semaines. C’est en tout cas autour de ces questions que devraient s’organiser les débats des prochains jours à Londres.

Faute de ce faire,

– les États-Unis continueront de condamner les lanceurs d’alerte, et accessoirement de garder le privilège de leurs informations qui pourraient pourtant être bénéfiques à nos États.

– les États-Unis garderont leur leadership en préemptant ces informations qu’ils achètent – il n’y a pas d’autres mots – à grand renfort d’indemnisation proportionnelle aux sommes recouvrées par les alertes.

– les États-Unis dicteront à la France sa politique en matière de justice fiscale et sociale.

Par Maître Pierre Farge, Avocat en droit pénal des affaires, avocat de lanceurs d’alertes
et Marie Benamour, avocat stagiaire

N’attendez plus pour être en conformité avec la loi Sapin II

N’attendez plus pour être en conformité avec la loi Sapin II

Promulguée le 9 décembre 2016, la loi Sapin II s’aligne sur les dispositifs anti-corruption américains et anglais, plaçant la France au niveau des meilleurs standards internationaux en matière de lutte contre la corruption. Ces impératifs peinent pourtant à être mis en œuvre.
Sur fond d’ouverture du procès de Julian Assange à Londres, le point par Pierre Farge, avocat en droit pénal des affaires, et avocat de lanceurs d’alerte.

Article de Pierre Farge publié sur Mediapart

La multiplication des annonces de réunion publique jeudi 20 février à Paris en vue du procès de Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, dont l’extradition est réclamée par les États-Unis, qui l’accusent d’espionnage, remettent sur le devant de la scène la question cruciale de la protection des lanceurs d’alerte.

Vendredi 14 février s’est tenue à Lisbonne une conférence de presse en défense de Rui Pinto, le lanceur d’alerte des FootballLeaks, emprisonné depuis près d’un an. Contre cette criminalisation du journalisme, plusieurs médias et organisations, dont Mediapart, invitent à venir nombreux à la réunion publique organisée jeudi 20 février à Paris, à 19 h.

L’occasion de revenir sur les dispositifs protégeant les lanceurs d’alerte, de même que les impératifs qu’ils ont permis d’imposer au niveau de la gouvernance mondiale.

Champ d'application de la Loi Sapin 2

Champ d’application de la Loi Sapin 2 (source infographie MEDEF)

La nouvelle loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, impose aux présidents, directeurs généraux et gérants d’une société employant au moins cinq cents salariés, ou appartenant à un groupe de sociétés dont la société mère a son siège social en France et dont l’effectif comprend au moins cinq cents salariés (1), et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 militions d’euros (2) de prendre les mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruptions ou de trafic d’influence.

Toute entreprise remplissant ces deux conditions doit donc se conformer aux obligations imposées par cette loi, sous peine d’engagement de sa responsabilité.

Vous devez vous mettre en conformité ?

Les 8 obligations posées par la loi Sapin II

Huit obligations sont ainsi imposées aux entreprises assujetties, à savoir :

  1. Établir un code de conduite définissant et illustrant les différents types de comportements susceptibles de caractériser des faits de corruption ;
  2. Mettre en place un dispositif d’alerte interne destiné à permettre le recueil des signalements émanant d’employés relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite ;
  3. Identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de la société ;
  4. Instaurer des procédures d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires, au regard de la cartographie des risques qui précède;
  5. Organiser des procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s’assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ;
  6. Introduire un dispositif de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés ;
  7. Instituer un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés en cas de violation du code de conduite ;
  8. Aménager un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre.
Les 8 piliers de la Loi Sapin 2

Les 8 piliers de la Loi Sapin 2 (source infographie MEDEF)

De ce nouveau concept issu de l’obligation de respecter ces normes de comportement éthique est née une nouvelle profession : la conformité. Elle prévoit l’ensemble des actions à mettre en œuvre au sein d’une entreprise pour évaluer les risques, les prévenir, et ainsi y remédier.

La conformité : un coût mais aussi un atout

Bien que la conformité entraine de lourdes et couteuses contraintes, elle est, parallèlement, un atout pour l’entreprise, à ne pas négliger, en ce qu’elle assure sa sécurité juridique et celle de ses dirigeants.

Au surplus, la conformité est au service de la performance de la personne morale.

Si l’entreprise est tenue de respecter ces prescriptions, en adoptant des politiques et des procédures de conformité pour satisfaire à un empilement de règles, qu’il s’agisse de l’anti-trust, de l’anti-corruption, de la fraude, de la lutte contre l’évasion fiscale, du reporting financier et non financier, de la protection des données personnelles et du secret d’affaires, ou encore du devoir de vigilance.

La procédure de mise en conformité en 4 étapes

1. Tout d’abord, la cartographie des risques encourus par les tiers du fait des activités de l’entreprise et de celles sur lesquelles elle exerce une influence. Si l’entreprise est familière de l’analyse de ses propres risques, il n’en reste pas moins qu’elle doit avoir une vue sur l’ensemble des parties prenantes implantées par ses activités.

2. Puis l’adoption des mesures de prévention et de gestion des risques. Là encore, le soutien dans la mise en œuvre, en interne, de mesures préventives et de règles de gestion des risques de corruption est possible.

3. Puis, l’analyse de l’efficacité des mesures de prévention. Outre la mise en œuvre des mesures précitées, il est impératif de vérifier que celles-ci soient efficaces: quand bien même l’entreprise mettrait en œuvre des mesures, si elles ne font pas preuve d’efficacité, des manquements pourront vous êtres reprochés.

4. Enfin, l’information des tiers quant à la démarche de prévention et de répression de la corruption dans l’entreprise. L’information des tiers est primordiale quand on sait que la prise en compte du caractère tant éthique que moral mais également la réputation de l’entreprise constituent les aspects les plus déterminants dans le critère d’attractivité économique.

La visibilité grandissante du Cabinet Farge Associés vous assure une communication certaine de votre démarche dans la lutte contre la corruption.

De nouvelles peines encourues

Outre les mesures imposées par la loi Sapin II, de nouvelles peines sont créées.

D’une part, l’entreprise ne respectant pas les obligations de la loi peut se voir infliger une peine de mise en conformité, sous le contrôle de l’Agence française anticorruption (AFA). Pour ce faire, il est important que l’entreprise se dote d’un conseiller juridique professionnel à même d’aider l’entreprise dans sa mise en conformité.

D’autre part, l’entreprise peut dorénavant transiger avec le Parquet national financier en acceptant de conclure une Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP).

Si la conclusion d’une CJIP présente nombres d’avantages, comme notamment l’abandon définitif des poursuites à l’encontre de la personne morale, sa mise en œuvre nécessite l’attention d’un expert.

En effet, en acceptant de conclure une telle transaction, la personne morale reconnait les qualifications retenues dans la prévention par le Parquet national financier (PNF).

A noter encore, compte tenu du caractère transnational des activités d’une entreprise, que d’autres juridictions étrangères peuvent être tentées de rechercher votre responsabilité; d’où l’importance de délimiter par exemple avec le Departement of Justice américain (DoJ), toute autre peine financière évitant ainsi les doublons.

***

Si la loi Sapin II apparait pour beaucoup comme source de trop grandes contraintes, elle participe néanmoins au développement et à la croissance des entreprises.

Ne pas attendre pour vous mettre en conformité permet donc d’éviter de lourdes peines et d’économiser d’importantes amendes.

Pierre Farge,
Avocat en droit pénal des affaires, et avocat de lanceurs d’alerte.

 

Conflit d’intérêt à Bercy : quand un ancien du lobby bancaire ralentit la protection des lanceurs d’alerte

Conflit d’intérêt à Bercy : quand un ancien du lobby bancaire ralentit la protection des lanceurs d’alerte

Pour la Cour des comptes, qui vient de dresser un rapport sévère contre l’État, l’action de la France est insuffisante contre les fraudeurs fiscaux.

Dans cette tribune, je dénonce les dispositifs d’affichage en vigueur et j’interroge les conflits d’intérêts au plus haut sommet de l’État visant à ralentir ces politiques.

Tribune de Maître Pierre Farge publiée initialement sur Le Club Mediapart

Suite aux contestations sociales sans précédent en France, la Cour des comptes vient de dresser un rapport sévère contre l’État (*), considérant que l’action de la France est insuffisante contre les fraudeurs fiscaux. Ce rapport chiffre la fraude à un montant supérieur aux recettes de l’impôt sur le revenu, soulignant  l’« efficacité insuffisante » et un taux de recouvrement « très faible ».

Cela fait cinq ans que je défends comme avocat un certain nombre de lanceurs d’alerte, en général dans le milieu bancaire et financier.

Cela fait cinq ans que je constate les avancées législatives en la matière, à commencer par la loi Sapin II, le dispositif expérimental censé protéger les aviseurs fiscaux, et autres mesures promettant de protéger les indics des douanes.

D’un côté des parlementaires s’épuisent, pas plus tard que la nuit dernière, à boucler un Projet de Loi de Finances 2020 incluant d’immenses avancées pour la protection des lanceurs d’alerte du fisc.

Cela fait cinq ans que je déplore les contradictions entre ces dispositifs, et leur inapplicabilité totale dans la pratique.

Et cela fait cinq ans que je me demande pourquoi ces avancées sont si lentes, et surtout jamais suivies d’effet.

Une mobilisation sans précédent

Des pétitions ont été organisées par des syndicats et des ONG, une lettre ouverte a été envoyée au Président de la République, et j’ai personnellement dénoncé cet état de fait dans l’opinion, sans jamais avoir véritablement de réponse.

Des chiffres préoccupants pour l’intérêt de l’État

Toujours dans le même temps, les chiffres continuent de scandaliser :

  • Entre 2013 et 2018, les sommes recouvrées grâce au contrôle fiscal ont chuté de 22%, passant de 10 à 7,8 milliards d’euros.
  • En 2018, ces sommes étaient 2,5 moindres qu’en Allemagne, et 2 fois moindres qu’au Royaume-Uni.
  • Même « efficacité insuffisante » pour la lutte contre la fraude aux cotisations sociales : leur taux de recouvrement est « très faible » selon ce rapport.
  • Et à mon seul cabinet d’avocats, le potentiel de recouvrement est estimé entre 8 et 10 milliards d’euros si les lanceurs d’alerte et autres aviseurs fiscaux étaient protégés.

Pourquoi une telle inertie de l’administration ?
Et comment cela est-il possible au regard de l’intérêt objectif de protéger les lanceurs d’alerte dans l’intérêt du plus grand nombre ?

Une nomination posant la question des conflits d’intérêt au sommet de l’État

Je viens d’avoir la réponse, en tout cas un début de réponse, que je peux partager sans trahir mon secret professionnel : l’information est publique. Elle permettra à chacun d’apprécier.

Marie-Anne Barbat-LayaniCette réponse s’appelle Marie-Anne Barbat-Layani.

Ainsi après quelques allers-retours entre public et privé, Barbat-Layani était depuis cinq ans Directrice de la Fédération bancaire française, autrement dit le lobby des banques.

Et elle vient d’être nommée début décembre 2019 au poste stratégique de Secrétaire général des ministères économiques et financiers, autrement dit encore, en théorie, pour défendre les intérêts du contribuable, en s’assurant notamment d’un recouvrement de l’impôt optimal.

Dès lors, comment peut-on avoir été nourri pendant des années par et pour défendre les intérêts de tous les établissements financiers du pays, pour faire aujourd’hui exactement l’inverse en prenant des mesures en faveur des caisses de l’État ?

Comment la nouvelle secrétaire s’occupera-t-elle des dossiers concernant ses anciens employeurs, les banquiers? A quelle équation intérieure apportera-t-elle son concours?

Cela vous choque ? Vous vous demandez comment cela est possible ?

Contournement de la loi par l’État

J’ai alors pris mes codes pour tenter d’avoir la réponse.

Résultat : si les hauts fonctionnaires qui passent du public au privé doivent obtenir le feu vert de la Commission de déontologie de la fonction publique, il n’en va pas de même pour leur retour au service de l’État.

Aucune autorité ne régit cet état de fait, pour l’autoriser ou l’interdire. Pire, aucun texte ne limite leur activité ou tel ou tel domaine pour éviter les conflits d’intérêts.

En principe, ce genre de cas a été traité dans la loi de transformation de la fonction publique promulguée par le Chef de l’État le 6 août 2019. Désormais, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique aura compétence pour examiner pareils cas et pour apprécier les risques de conflits d’intérêts. Un détail : le texte de loi n’entrera en vigueur que le 1er février 2020. Il ne concerne donc pas la nouvelle secrétaire générale de Bercy.

Non seulement je suis jaloux de cette expertise, appréciée sans doute à sa juste valeur, et curieusement irremplaçable par qui que ce soit d’autre de moins polémique, mais surtout j’en conçois tous les avantages pour le lobby bancaire.

Dès lors, je ne veux pas plaider l’accointance facile avec la haute finance, mais cet état de fait mérite tout de même de s’interroger sérieusement sur l’appréciation que fait le sommet de l’État de la notion de conflit d’intérêt, État contournant donc rien de moins que la loi.

Pierre Farge,
avocat au barreau de Paris,
défenseur de la protection des lanceurs d’alerte,

(*) La fraude aux prélèvements obligatoires (Cour des comptes, 2 décembre 2019)

La France devrait accorder l’asile politique à Edward Snowden

La France devrait accorder l’asile politique à Edward Snowden

Avocat spécialiste des lanceurs d’alerte, Pierre Farge a répondu aux questions de Causeur sur leur protection. Entretien sans détours.

Propos recueillis par Martin Pimentel pour Causeur.

Martin Pimentel. Sous le quinquennat Hollande, Michel Sapin a mis en place une nouvelle législation permettant de protéger les lanceurs d’alerte. Que prévoit ce texte ?

Pierre Farge. La loi Sapin 2 définit pour la première fois en droit français la notion de lanceur d’alerte.  Répond à cette définition tout individu désintéressé faisant un signalement dans l’intérêt général, permettant la prévention ou la révélation des failles et dysfonctionnements de nos Etats, nos économies, nos systèmes politiques et financiers. C’est une avancée incontestable par rapport à l’absence de protection juridique dont pâtissaient les lanceurs d’alerte.

Le gouvernement n’avait d’autre choix que d’avancer en la matière et montrer à l’opinion que la France protégeait ces hommes et ces femmes (je pense par exemple à Hervé Falciani, Stéphanie Gibaud, Irène Frachon, Antoine Deltour, etc.) Mais en pratique, cette loi n’améliore que marginalement le sort des lanceurs d’alerte.

N’a-t-elle pas aidé à lutter contre les fraudeurs ?

La législation est inadaptée. A ce jour, nous avons des dispositifs très épars et contradictoires concernant les lanceurs d’alerte, les aviseurs fiscaux, les indics des douanes qui, finalement, exercent le même rôle mais sont traités différemment.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2 en 2017, six conventions judiciaires d’intérêt public ont été conclues avec l’administration afin d’encourager les fraudeurs à négocier sur la base d’amendes. Certes, cette mesure a rapporté 440 millions d’euros en trois ans et demi, mais elle n’encourage en rien les lanceurs d’alerte à partager leurs informations, en dépit d’un potentiel de recouvrement de l’ordre de 8 à 10 milliards d’euros.

D’une manière générale, Bercy est bien complaisant avec les fraudeurs. Pour bien comprendre, il faut savoir que la loi Sapin 2 prévoit la création de “la convention judiciaire d’intérêt public” (CJIP). Il s’agit d’un dispositif inspiré des mécanismes américain et anglais de transaction pénale, permettant au Procureur de la République de renoncer à la poursuite des personnes morales mises en cause pour corruption, trafic d’influence, fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale, – la même loi qui, paradoxalement, définit ce qu’est un lanceur d’alerte !

Bercy est aussi mal organisé. Par exemple, lorsqu’un client vient vous voir, c’est parce qu’il n’a, en général, pas pu prendre lui-même attache avec les autorités, faute d’un accueil dédié.

De plus, malgré l’intérêt fiscal considérable que représentent les alertes, le ministère ne dispose d’aucun bureau spécialisé à ce sujet. Vous avez, tout au plus, les services de la  Direction nationale d’enquêtes fiscales et du Service des impôts des entreprises, sous la tutelle de Bercy, qui peuvent vous entendre.

Que faudrait-il pour que les lanceurs d’alerte soient incités à dénoncer plus de fraudeurs?

La loi de finances 2017 avait mis en place un dispositif expérimental d’indemnisation de aviseurs fiscaux communiquant à l’administration fiscale des renseignements menant à la découverte d’infractions fiscales en fonction du risque pris et du recouvrement permis à l’administration.

En pratique, les modalités de leur indemnisation font  l’objet d’une approche au cas par cas souffrant de nombreuses carences :

  • La fraude à la TVA n’est pas concernée
  • Aucun barème ni grille de rémunération n’ayant été rendus publics; l’indemnisation reste discrétionnaire et donc opaque.
  • Le montant de l’indemnisation est plafonnée à un million d’euros par affaire; alors que les aviseurs fiscaux peuvent permettre de recouvrer jusqu’à trois milliards d’euros.

De nombreuses voix s’élèvent actuellement pour que la France accorde l’asile à Edward Snowden. Y êtes-vous favorable ?

Bien sûr. Juridiquement, la France, pays des droits de l’homme, doit appliquer la protection internationale du statut de réfugié́ prévu par la Convention de Genève de 1951. Mais en pratique, les lanceurs d’alerte ne sont hélas pas protégés par le droit d’asile, puisqu’ils ne peuvent pas encore prétendre au statut de réfugié.

Toutefois, Snowden peut demander le droit d’asile en tant que victime potentielle de persécutions. Pour ce faire, il doit décrire les risques auxquels il sera confronté aux Etats-Unis. Ce qui ne sera pas difficile puisqu’ils  ont publiquement promis sa tête !

Edward Snowden encourt en effet, à l’issue de son procès à huis-clos (ce qui relativise considérablement le droit à un procès équitable), trente ans de prison, voire l’ “exécution” selon les mots de Donald Trump en 2014. Snowden pourrait aussi bénéficier de ce que l’on appelle l’asile territorial : cette procédure permet à l’Etat français d’admettre un individu sur son territoire sans qu’elle dépende de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA).

Faut-il prendre le risque de se brouiller avec notre allié américain ?

Evidemment.  La France ne peut plus continuer à se soumettre aux Etats-Unis et à obéir au doigt et à l’oeil à Donald Trump.

En accueillant Snowden en France, l’Etat participe à la protection des lanceurs d’alerte. Cela fait plus de dix ans que la communauté internationale s’est attaquée à la question, promettant des changements radicaux. Or, aucun début de résultat concret n’est au rendez-vous.

En matière fiscale, par exemple, lorsque l’on attend une réforme importante, il n’est pas insolent de chercher des réponses ailleurs, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’une protection efficace des lanceurs d’alerte, qui peuvent permettre à l’Etat de recouvrer un manque à gagner conséquent.

L’évasion fiscale continue de coûter 80 milliards d’euros à la France, soit 10 milliards de plus de ce que rapporte l’impôt sur le revenu par an. Cette protection des lanceurs d’alerte va donc, objectivement, dans l’intérêt du plus grand nombre.

Pensez-vous toujours que l’administration fiscale a hacké votre email pour récupérer les coordonnées d’un de vos clients lanceur d’alerte et essayer d’obtenir directement des informations auprès de lui ?

Je ne le pense pas : j’en ai apporté la preuve ! Il s’agissait d’un client lanceur d’alerte d’un grand établissement financier. Une fois mandaté par le client, j’ai pris attache avec les services de la Direction nationale d’enquêtes fiscales pour discuter des modalités de remise de l’information, et se mettre d’accord ensemble sur l’application alors très jeune du texte relatif aux aviseurs fiscaux.

Sans doute dérangé d’avoir à traiter avec un intermédiaire, qui plus est avocat protégeant les intérêts de son client, à commencer par son identité, un haut fonctionnaire peu scrupuleux s’est autorisé à se servir des moyens qui étaient les siens dans l’exercice de ses fonctions aux services secrets fiscaux, pour retrouver, je ne sais toujours pas comment, l’identité de mon client, et lui écrire un e-mail l’invitant à le contacter directement!

Je n’ai jamais vu plus grande déloyauté de la part d’un fonctionnaire investi d’une mission de service public.

Mon confrère William Bourdon a déposé plainte, en mon nom, contre l’administration fiscale. Cette plainte a fait l’objet de l’ouverture d’une enquête préliminaire dans un temps record, (trois jours) alors qu’il faut des mois pour certains dossiers. En revanche, cela fait plus d’un an que nous sommes sans nouvelles de cette action.

L’administration tente sans doute de gagner du temps, espérant que mon indignation retombe… et que je finisse par accepter un classement sans suites. C’est scandaleux.

Que comptez-vous faire ?

Faute de protection suffisante en France, je suis obligé de me tourner vers les Etats-Unis, dont la juridiction protège les lanceurs d’alerte financiers de façon transparente et efficace.

Notre pays se ridiculise en obligeant les lanceurs d’alerte à partager leurs informations avec les Américains, permettant ainsi le recouvrement de centaines de millions de dollars par le biais d’amendes élevées. Dans un second temps, le gouvernement américain transmet, s’il le veut bien, à Bercy  les informations intéressant la France .

En somme, la France intervient en deuxième position, alors qu’elle pourrait partager ses informations avec les Américains, entretenant ainsi son leadership et sa puissance diplomatique.

 

Budget 2020 : 10 milliards d’euros à récupérer

Budget 2020 : 10 milliards d’euros à récupérer

Le Projet de Loi de Finances pour 2020 est arrivé vendredi à l’Assemblée nationale. En écho à la hausse contre la fraude hissée parmi les revendications du Grand débat national, il est urgent d’ici le 15 novembre de faire des amendements au PLF 2020 qui offrent une protection aux lanceurs d’alerte. L’enjeu est de permettre un recouvrement sans précédent en faveur du budget de l’État qui se chiffrerait en milliards d’euros.

Article de Maître Pierre Farge publié initialement dans La Tribune.
La loi de finances pour 2017 a mis en place un dispositif expérimental d’indemnisation de aviseurs fiscaux communiquant à l’administration fiscale des renseignements menant à la découverte d’infractions fiscales en fonction du risque pris et du recouvrement permis. Ce statut a été pérennisé en 2018 par la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale.

En pratique, les modalités de leur indemnisation fait l’objet d’une approche au cas par cas souffrant de nombreuses carences :

–  à commencer par une limitation de l’indemnisation aux seules infractions de fraude fiscale, excluant toute possibilité d’exploiter l’information d’un aviseur révélant des faits hors champ du dispositif comme du blanchiment ou une fraude à la TVA;

–  aussi, aucun barème, ni grille de rémunération n’ont été prévus ou publiés, rendant l’indemnisation discrétionnaire et donc opaque de l’administration, qui ne rend compte à personne de ses arbitrages, que ce soit au Parlement, ou à la Cour des comptes;

–  enfin, l’indemnisation est soumise à un plafond de seulement un million d’euros par affaire.

Six propositions

Un premier rapport d’information rédigé par Christine Pires Beaune publié le 5 juin 2019 prévoit six propositions pour améliorer les règles en vigueur du statut d’aviseur fiscal. Parmi les plus importantes, celles répondant à ses faiblesses, à savoir:

1) Étendre le champ des manquements aux opérations portant sur la TVA, dont la fraude est estimée entre 10,7 et 16,6 milliards d’euros;

2) Supprimer le plafond d’un million d’euros applicable à l’indemnité, ce dernier limitant l’attractivité du dispositif.

3) Codifier le dispositif dans le livre des procédures fiscales afin d’apporter davantage de sécurité juridique.

4) En outre, mais cela ne figure pas encore au rapport, dans le respect des principes républicains, il est déterminant d’instaurer un barème obligeant l’administration à ne plus fixer discrétionnairement l’indemnisation, autant que de pouvoir rendre compte devant les représentants du peuple du montant des sommes recouvrées par rapport à l’indemnisation de ceux ayant permis ce recouvrement.

Sur ce point, rappelons la question très claire d’un député au ministre du Budget demandant la méthode de calcul, et à laquelle il était répondu: « L’indemnisation des aviseurs fiscaux (…) est proportionnelle à la qualité de l’information fournie ». Comment calculer cette « proportion » en l’absence de grille officielle formalisant de quelconques seuils? Qu’entend-on par « qualité », ou même « information »? S’agit-il de termes à comprendre comme le ministre les comprend, ou comme les comprennent les services sous sa tutelle censés les appliquer?

En dépit d’un accueil favorable du gouvernement en début d’été, et d’un soutien unanime des parlementaires en raison des premiers résultats encourageants du dispositif (100 millions d’euros dans les caisses de l’État en deux ans), aucune de ces propositions n’est pour autant reprise dans le Projet de loi de finances 2020 arrivé vendredi 27 septembre à l’Assemblée nationale.

C’est pourtant ce secours financier qui est clef de voûte des révélations des aviseurs. Il permet de faire face au changement de vie, au licenciement, à l’impossibilité de retrouver un emploi, à la nécessité de se défendre en justice face aux procédure bâillon, voire aider à accepter les représailles en tous genres dans lequel peut être plongé l’aviseur plusieurs mois ou années durant.

Ce secours financier clair et transparent permettrait donc de convaincre les aviseurs encore frileux à partager leurs informations en l’absence de véritablement garanties, et représentant à mon seul cabinet d’avocats, dans trois dossiers, un potentiel de recouvrement entre 8 et 10 milliards d’euros.

Ce secours financier est l’occasion de maîtriser notre fiscalité et tenir les objectifs de politiques publiques sans que cela ne pèse sur qui que ce soit d’autre que les fraudeurs.

Une perspective d’autant plus fidèle aux attentes des français telles que révélées dans le Grand débat national.

Protéger la spoliation organisée du bien public

Le lancement d’une alerte ne consiste donc pas à se poser la question dérangeante de savoir s’il vaut mieux résister ou collaborer. Mais donne plutôt la possibilité à chacun de pouvoir protéger la spoliation organisée du bien public, les dysfonctionnements de nos États, et ainsi contribuer à l’intérêt général, à renforcer l’égalité, et encourager la conscience démocratique.

Ce paradigme est tout à fait possible: il tient au dépôt de quatre amendements au PLF 2020 (extension du champ de l’indemnisation à la TVA, déplafonnement du million d’euros, création d’un barème et codification de l’ensemble).

Le texte objet de ces quatre amendements est arrivé à l’Assemblée nationale vendredi 27 septembre 2019, jusqu’au 15 novembre 2019 avant sa navette au Sénat, et son adoption définitive fin décembre.
Nous avons donc exactement un mois et demi pour agir.

Pierre Farge, avocat à la Cour, spécialisé dans la cause des lanceurs d’alerte.

Farge associés : Success story française, l’avocat des lanceurs d’alerte

Farge associés : Success story française, l’avocat des lanceurs d’alerte

Interview de Pierre Farge, publiée dans Le Village de la justice – Le Journal du Management Juridique et réglementaire, n°72 18 septembre 2019

Spécialisé en contentieux fiscal, ce cabinet d’avocats tricolore, novateur dans son exercice du métier, défend aujourd’hui la cause des lanceurs d’alerte.
Pierre Farge, son fondateur, revient sur un parcours semé d’embûches, mais dont la réussite et l’engagement donnent raison. Entretien avec cet avocat solaire, qui bouscule le barreau de Paris, et fait trembler les plus grands établissements financiers de la planète.

L’article en PDF

FARGE ASSOCIÉS : SUCCESS STORY FRANÇAISEL’avocat des lanceurs d’alerte

Pourquoi la France doit accueillir Snowden

Pourquoi la France doit accueillir Snowden

Article de Maître Pierre Farge publié initialement dans La Tribune

Offrir l’asile à Edward Snowden ? Le président de la République est sans doute trop inquiet de ses relations avec les États-Unis pour avancer dans ce sens. Pourtant, la France aurait grand intérêt à protéger ce lanceur d’alerte.

L’américain Edward Snowden est à l’origine de la plus grosse fuite de documents confidentiels soustraits à un État. Révélant les pratiques de la CIA et de la NSA, il a témoigné des méthodes d’espionnage inédites en termes de collecte continue de nos informations en ligne, et de la violation de notre vie privée. Son alerte a permis une prise de conscience mondiale. Œuvrant pour la démocratie, il a permis de redéfinir la souveraineté nationale en matière de sécurité, et renforcé l’encadrement des dispositifs de surveillance de masse.

Véritable pivot dans l’histoire de l’informatique, cette alerte est notamment à l’origine en Europe de grandes avancées comme le RGPD.

« On ne peut pas accepter que la loi soit utilisée à des fins politiques contre un individu ou pour l’empêcher de faire valoir ses droits » Edward Snowden

Depuis six ans, Edward Snowden est l’homme le plus recherché de la planète. Depuis six ans, suite à l’annulation de son passeport, il est en escale provisoirement durable en Russie, son permis de séjour se termine en 2020. Depuis six ans, il attend que la France se prononce sur une demande d’asile qu’il s’apprête de nouveau à soumettre. Depuis six ans, la France, pays des Lumières, laisse à la Russie le privilège de la liberté d’expression.

Trois raisons pour l’accueillir

Le temps aidant, du ministre de la Justice, aux parlementaires, toutes tendances politiques confondues, la France est, aujourd’hui, prête à accueillir Snowden. Ce pour trois raisons qui peuvent se résumer ainsi : juridique, apolitique, et de bon sens.

  • 1. Juridiquement, la France, pays des droits de l’homme, doit appliquer la protection internationale du statut de réfugié́ prévu par la Convention de Genève de 1951.
    Les lanceurs d’alerte ne sont malheureusement pas protégés par le droit d’asile. Être un lanceur d’alerte ne fait pas partie des critères pour accéder au statut de réfugiés. Toutefois, Snowden peut demander le droit d’asile en tant que victime potentielle de persécutions et il devra décrire les risques auxquels il sera confronté aux États-Unis.Les États-Unis ont promis publiquement sa tête. Edward Snowden encourt, à l’issue de son procès à huis clos, défense nationale oblige, relativisant, ainsi, le droit à un procès équitable et indépendant, trente ans de prison, ou son « exécution », selon les mots mêmes de Donald Trump en 2014. En raison de ses opinions politiques, la persécution et les menaces pesant sur Edward Snowden ne font donc aucun doute.Edward Snowden pourrait aussi bénéficier de ce que l’on appelle l’asile territorial, selon une procédure moins formelle et plus adaptée à son cas. Cette procédure permet à l’État français, à titre régalien, d’admettre quelqu’un sur son territoire en le faisant bénéficier de ce statut. Cette procédure, surtout, ne dépend pas de l’OFPRA. Les voies et moyens pour accueillir Edward Snowden sur notre sol français existent donc incontestablement.
  • 2. En accueillant Snowden en France, l’État participe à la protection des lanceurs d’alerte. Cela fait plus de dix ans que la communauté internationale s’est attaquée à la question, promettant des changements radicaux, mais sans qu’un début de résultat concret ne soit au rendez-vous.En matière fiscale, par exemple, en attendant une vaste réforme, il n’est pas insolent de chercher des réponses ailleurs, et notamment dans une protection efficace des lanceurs d’alerte qui peuvent permettre de recouvrer un manque à gagner qui échappe à l’Etat. L’évasion fiscale continue de coûter 80 milliards d’euros, soit 10 milliards de plus de ce que rapporte l’impôt sur le revenu par an. Cette protection des lanceurs d’alerte va donc objectivement dans l’intérêt du plus grand nombre.Pour appuyer cette politique, il reste à répondre à l’argument peut-être le plus avancé pour s’opposer à la protection des lanceurs d’alerte, à savoir celui de délateur, renvoyant à la plus sombre histoire de la France. Cet argument est faux et malhonnête. Le lanceur d’alerte, fait un signalement dans l’intérêt général, permettant la prévention ou la révélation des failles et dysfonctionnements de nos Etats, nos économies, nos systèmes politiques et financiers. Loin de la dénonciation anonyme, le lancement d’alerte contribue à l’intérêt général, à renforcer l’égalité et à encourager la conscience démocratique.
  • 3. Le Président de la République ne doit pas avoir peur de se fâcher avec les États-Unis. Les tensions entre M Macron et M Trump ne doivent pas être un motif sous-jacent pour balayer la demande d’asile de M. Snowden. Le Président de la République ne peut pas considérer Edward Snowden comme un encombrant en France, mais doit plutôt rappeler la souveraineté de la France dans le monde et placer ses décisions dans la fidélité aux principes de notre pays.M. Macron doit faire mentir ces nombreuses années d’atlantisme et se rappeler le mot de Roosevelt : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité n’est digne ni de l’un ni de l’autre, et finit par perdre les deux ».L’AUTEURPierre Farge est avocat au barreau de Paris. Il défend notamment la cause des lanceurs d’alerte.
Surveillance de masse : l’État lui-même n’applique pas le droit

Surveillance de masse : l’État lui-même n’applique pas le droit

Tribune de Maître Pierre Farge, publiée initialement dans Contrepoints

L’accès des particuliers aux données personnelles est toujours impossible, et les différents services de l’État, quand ils répondent, se renvoient courageusement leur compétence l’un l’autre.

À la veille de la parution des mémoires d’Edward Snowden, lanceur d’alerte connu pour avoir rendu publique la surveillance de masse à laquelle se sont livré les États-Unis, Pierre Farge, avocat au barreau de Paris, révèle que la France n’applique pas elle-même la loi créée depuis pour encadrer la collecte de métadonnées, et la protection de la vie privée.

Mettant à l’épreuve le RGPD applicable en France depuis le 25 mai 2018, l’avocat des lanceurs d’alerte a réclamé à l’administration les données le concernant à titre personnel. Après le silence de l’administration, il s’est ainsi heurté au service du ministère de l’Intérieur renvoyant la compétence à la CNIL, et vice-versa ; autrement dit d’un refus de partage des données, au mépris total des nouveaux dispositifs en vigueur.

La preuve ici que l’État n’applique pas lui-même les règles qu’il dispense.

Comme tous les pays du monde, et notamment les États-Unis, la France se défend d’opérer toute surveillance de masse depuis les révélations d’Edward Snowden en 2013 témoignant des abus de la NSA.

Ces révélations ont permis un examen minutieux des pratiques des services de renseignement du monde entier, à l’origine de grandes avancées comme le règlement général sur la protection des données, dit RGPD.

Face aux faibles garanties n’ayant pas force de loi, le RGPD du 27 avril 2016 a été adopté par l’Union Européenne afin de renforcer et unifier la protection des données personnelles dans les 27 États membres. En France, il est applicable depuis le 25 mai 2018.

Son article 15, dispose ainsi que : « La personne concernée a le droit d’obtenir du responsable du traitement la confirmation que des données à caractère personnel la concernant sont ou ne sont pas traitées et, lorsqu’elles le sont, l’accès auxdites données à caractère personnel […] ».

Afin de vérifier l’application de ce nouveau dispositif, comme par déformation professionnelle, j’ai donc, naïvement, adressé, à la CNIL, l’autorité créée à cet effet, un courrier recommandé demandant l’accès à mes données à caractère personnel, susceptibles de figurer, d’une part, dans le Fichier des Personnes Recherchés (FPR), et d’autre part, dans le Fichier des Enquêtes Administratives liées à la Sécurité Publique (FEASP).

Un amiable courrier d’accusé réception m’a tout d’abord informé que : « un membre de notre Commission va procéder aux vérifications demandées, en application de l’article 108 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Je vous précise que, sous réserve de l’accord du responsable de traitement, les données vous concernant pourront vous être communiquées à l’issue de ces vérifications ».

Puis quelques semaines plus tard d’apprendre, dans un retournement de veste, par un nouveau courrier de la même CNIL, qu’elle ne serait tout d’un coup plus compétente pour traiter ma demande, me précisant néanmoins « vous disposez désormais d’un droit d’accès et de rectification direct à ces fichiers auprès du ministère de l’intérieur. Notre Commission a donc transmis votre demande à ce ministère qui a deux mois pour vous répondre ».

Nous restons donc naïvement plein d’espoir devant ces promesses d’un service de l’État d’obtenir ces données auprès du ministère de l’Intérieur.

C’est sans compter le silence de ce dernier, ayant donc nécessité une relance.

Las mais non moins déterminé, nous avons alors reçu un courrier informant que la « communication d’informations contenues dans ce fichier est susceptible de porter atteinte à la sécurité publique et la sécurité nationale. En conséquence, je ne puis communiquer d’information sur votre inscription ou votre absence d’inscription dans ce fichier. Néanmoins, vous pouvez, si vous l’estimez utile, demander à exercer votre droit d’accès par l’intermédiaire (tenez-vous bien) de la CNIL » (!).

En résumé, en pratique, l’accès des particuliers aux données personnelles est donc toujours impossible, et les différents services de l’État, quand ils répondent, se renvoient courageusement leur compétence l’un l’autre.

Un état de fait d’autant plus inadmissible, que non seulement l’administration bafoue le droit en vigueur, et notamment le récent RGPD, mais en plus se comporte aux antipodes des annonces gouvernementales promettant une meilleure protection sur la collecte des données et la vie privée.

Pierre Farge, avocat des lanceurs d’alerte.

Protéger les lanceurs d’alerte rapporte plus que négocier avec les fraudeurs

Protéger les lanceurs d’alerte rapporte plus que négocier avec les fraudeurs

Tribune de Maître Pierre Farge, publiée initialement dans Contrepoints. 

En écho à la hausse de la lutte contre la fraude hissée parmi les revendications du Grand débat national, Maître Pierre Farge, spécialisé dans la cause des lanceurs d’alerte, témoigne du recouvrement sans précédent des fonds que leur protection effective permettrait aux caisses de l’État.

Ses propositions prennent ici la forme d’une note aussi didactique que technique à l’attention du Ministre du Budget, et du nouveau nommé Procureur de la République financier, Jean-François Bohnert.

Sur fond de course présidentielle américaine, et notamment démocrate, l’appel de Georges Soros et dix-sept milliardaires américains s’opposant à Donald Trump pour réclamer une plus forte taxation des très hauts revenus, se lit en ces termes :

« L’Amérique a la responsabilité morale, éthique et économique de taxer plus notre richesse. Une taxe sur les très riches pourrait aider à résoudre la crise climatique, améliorer l’économie, améliorer la santé, créer des opportunités et renforcer nos libertés démocratiques. »

En France, une mobilisation aussi audacieuse se limite à la toiture de Notre-Dame, plutôt qu’au sauvetage de l’Amazonie, ou la protection des lanceurs d’alerte, annoncée à grand renfort de loi Sapin 2, dont les dispositions sont en contradiction les unes avec les autres, et toujours pas effectivement appliquées.

Cette loi prévoit en effet la création de la convention judiciaire d’intérêt public, et définie ce qu’est un lanceur d’alerte.

La pratique oblige néanmoins à constater que le premier dispositif encourage les fraudeurs à la négociation d’amendes, témoignant d’un recouvrement relatif de 440 millions d’euros en trois ans et demi ; et le second dispositif décourage les lanceurs d’alerte au partage d’informations, en dépit d’un potentiel de recouvrement pourtant sans précédent de 8 à 10 milliards d’euros dans un moindre temps.

Négociation avec les fraudeurs pour un recouvrement relatif

La création issue de la Loi Sapin 2, inspirée des mécanismes américain et anglais de transaction pénale, a fourni un outil permettant au Procureur de la République de renoncer à la poursuite des personnes morales mises en cause pour corruption, trafic d’influence, fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale.

Pour ce faire, trois conditions cardinales à remplir afin de bénéficier d’un abandon des poursuites, à savoir auto-dénonciation, coopération et mesures correctrices appropriées.

Depuis son entrée en vigueur en 2017, et ses mesures directrices précisées le 27 juin 2019, six conventions judiciaires d’intérêt public ont été conclues et près de 440 millions d’euros versés au Trésor public français après reconnaissance des faits, collaboration étroite avec l’autorité judiciaire, mise en vigueur d’un programme de conformité, et indemnisation des victimes.

Si cette avancée parait louable, force est néanmoins de constater qu’un dispositif beaucoup plus rapide en termes de recouvrement de deniers publics serait possible, à savoir protéger les lanceurs d’alerte.

Découragement des lanceurs d’alerte en dépit d’un potentiel de recouvrement sans précédent

Conformément à la Loi Sapin 2, un lanceur d’alerte est un individu désintéressé faisant un signalement dans l’intérêt général, permettant la prévention ou la révélation des failles et dysfonctionnements de nos États, nos économies, nos systèmes politiques et financiers, et à ce jour ayant déjà permis un recouvrement considérable de fonds publics.

Ce désintéressement du lanceur d’alerte exclut donc une aide financière.

Issue d’une décision du Conseil constitutionnel de 2016, cette interdiction est tout à fait contestable puisqu’elle ne concerne que la compétence attribuée au Défenseur des droits pour procéder lui-même à l’indemnisation. Autrement dit, en attribuant cette compétence à une autre institution, le secours financier au lanceur d’alerte serait donc tout à fait possible.

Force est donc de constater que le potentiel de révélations, et donc de recouvrement de fonds éludés à l’État, serait estimé entre 8 et 10 milliards d’euros si les lanceurs d’alerte venaient à être effectivement protégés par la Loi Sapin 2 ; donnant ainsi un caractère très relatif aux 440 millions d’euros recouvrés en trois ans par la CJIP.

Légiférer d’urgence : des rentrées immédiates dans les caisses de l’État

Trois mesures pourraient donc être prises sans délai par le ministre du Budget pour pallier ces contradictions issues du même texte de loi.

1) Le ministre du Budget a d’abord les moyens, quasiment du jour au lendemain, de rédiger un nouvel arrêté définissant les critères d’indemnisation chiffrée des aviseurs fiscaux, soit, en quelques lignes, préciser les seuils en pourcentage à concurrence des sommes recouvrées.

2) Le ministre du Budget a également le pouvoir de faire amender l’article 6 de la Loi Sapin 2 en ajoutant la possibilité d’une indemnisation du lanceur d’alerte à un autre organe que le Défenseur des droits, comme par exemple le PNF.

3) Le ministre du Budget a enfin le pouvoir d’impulser l’initiative au PNF et à l’AFA de préciser les conditions dans lesquelles ces derniers pourraient indemniser le lanceur d’alerte sur le modèle américain, comme cela vient d’être fait en juin pour la CJIP s’inspirant des dispositions du DoJ.

Une impulsion d’autant plus possible que le nouveau Procureur de la République financier succédant à madame Eliane Houlette, monsieur Jean-François Bohnert, est désormais connu, et qu’il peut décider dès son entrée en fonction de faire de cela un marqueur de son mandat.

Le problème de la délation ?

Pour appuyer cette politique, il reste encore à répondre à l’argument trop souvent entendu pour s’opposer à la protection des lanceurs d’alerte, à savoir du délateur renvoyant à la plus sombre histoire de la France, et la capacité proverbiale à dénoncer son voisin.

Cet argument est faux et malhonnête. Il met au même niveau les lettres anonymes de dénonciation, courrier nauséabond animé de l’esprit de vengeance, ou de jalousie, telles que reçues quotidiennement par le ministère des Finances ; alors que les lanceurs d’alerte font un signalement dans l’intérêt général, permettant la prévention ou la révélation des failles et dysfonctionnements de nos États, nos économies, nos systèmes politiques et financiers, et à ce titre un recouvrement considérable de deniers publics.

Loin de la dénonciation anonyme, le lancement d’une alerte ne consiste donc pas à se poser la question dérangeante de savoir s’il vaut mieux résister ou collaborer. Mais donne plutôt la possibilité à chacun de pouvoir protéger la spoliation organisée du bien public, et ainsi contribuer à l’intérêt général, renforcer l’égalité, et encourager la conscience démocratique.

Pierre Farge

 

Négociation avec les fraudeurs, ou protection des lanceurs d’alerte ?

Négociation avec les fraudeurs, ou protection des lanceurs d’alerte ?

En écho aux lignes directrices communes du Parquet national financier et de l’Agence française anticorruption relatives à la mise en œuvre de la convention judiciaire d’intérêt public, Pierre Farge déplore les dispositifs paradoxaux consistant, d’un côté, à encourager les fraudeurs à la négociation d’amendes; et de l’autre, décourager les lanceurs d’alerte au partage d’informations, en dépit pourtant d’un potentiel de recouvrement beaucoup plus important.  

Cet article de Maître Pierre Farge a initialement été publié dans Le Monde du Droit.

Les moyens pour y remédier sont pourtant simples, et rapides, afin d’assurer un recouvrement sans précédent des fonds échappant frauduleusement à l’intérêt général, et ainsi aller dans le sens des priorités souhaitées par le grand débat national, c’est-à-dire une empreinte forte sur la fiscalité, la réduction d’impôt et la lutte contre la fraude.

Ces propositions prennent ici la forme d’une note aussi didactique que technique à l’attention du Ministre du Budget, et du fraîchement nommé Procureur de la République financier.

La rentrée du gouvernement cette semaine marque la reprise des réunions d’arbitrage pour le bouclage du projet de loi de finances. Un exercice qui derrière les chiffres s’avère hautement politique, et qui devra être marqué par la sortie du grand débat, c’est-à-dire une empreinte forte sur la fiscalité, la réduction d’impôt et la lutte contre la fraude fiscale, qui continue de coûter 80 milliards d’euros, soit 10 milliards de plus de ce que rapporte l’impôt sur le revenu par an.

Ce ne sont pas les moyens pour ce faire qui manquent, tels qu’issus de la récente loi Sapin 2, créant notamment la convention judiciaire d’intérêt public, et définissant ce qu’est un lanceur d’alerte.

La pratique oblige néanmoins à constater que :
– le premier dispositif encourage les fraudeurs à la négociation d’amendes, témoignant d’un recouvrement relatif de 440 millions d’euros en trois ans et demi;
– et le second dispositif décourage les lanceurs d’alerte au partage d’informations, en dépit d’un potentiel de recouvrement pourtant sans précédent de 8 à 10 milliards d’euros dans un moindre temps.

Négociation avec les fraudeurs pour un recouvrement relatif

La création issue de la loi Sapin 2, inspirée des mécanismes américain et anglais de transaction pénale, a fourni un outil permettant au Procureur de la République de renoncer à la poursuite des personnes morales mises en cause pour corruption, trafic d’influence, fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale.

Pour ce faire, trois conditions cardinales à remplir afin de bénéficier d’un abandon des poursuites, à savoir auto-dénonciation, coopération et mesures correctrices appropriées.

Depuis son entrée en vigueur en 2017, et ses mesures directrices précisées le 27 juin 2019, six conventions judiciaires d’intérêt public ont été conclues et près de 440 millions d’euros versés au Trésor public français après avoir reconnu les faits, collaboré étroitement avec l’autorité judiciaire, mis en vigueur un programme de conformité, et indemnisé les victimes.

Si cette avancée parait louable, force néanmoins de constater qu’un dispositif beaucoup plus prometteur, et beaucoup plus rapide en terme de recouvrement de deniers publics serait possible, à savoir protéger les lanceurs d’alerte.

Découragement des lanceurs d’alerte en dépit d’un potentiel de recouvrement sans précédent

Conformément à l’article 6 de la Loi Sapin 2, un lanceur d’alerte est un individus désintéressé faisant un signalement dans l’intérêt général, permettant la prévention ou la révélation des failles et dysfonctionnements de nos États, nos économies, nos systèmes politiques et financiers, et à ce jour ayant déjà permis un recouvrement considérable de fonds publics.

Ce désintéressement du lanceur d’alerte exclut donc une aide financière. Issu d’une décision du Conseil constitutionnel de 2016, ce postulat est tout à fait contestable puisque cette interdiction ne concernait que la compétence attribuée au Défenseur des droits pour procéder lui-même à l’indemnisation. Autrement dit, en attribuant cette compétence à une autre institution, le secours financier au lanceur d’alerte serait donc tout à fait possible.

Ce défaut de secours financier en l’état de la loi Sapin 2 est d’autant plus inadmissible que :

– les lanceurs d’alerte des douanes et du fisc sont rémunérés sans que leur statut n’ait jamais encore été défini sur le plan juridique, pas plus que leur rémunération n’ait reçue une base budgétaire incontestable;

– que Bercy a préféré mettre en place, en parallèle, un dispositif rémunérant les « lanceurs d’alertes du fisc », désormais appelés par commodité langagière « aviseurs fiscaux », d’abord de manière expérimentale de 2017 à 2019, puis définitivement avec la loi de 2018 sur la lutte contre la fraude fiscale;

– qu’une fois déverrouillé le principe d’une rémunération, reste encore à clarifier ses conditions, puisqu’à ce jour elle est laissée à la discrétion d’une poignée de fonctionnaires, et que pas même les parlementaires n’ont permis de lever cette opacité.

Force est donc de constater que le potentiel de révélations, et donc de recouvrement de fonds éludés à l’État, serait estimé entre 8 et 10 milliards d’euros si les lanceurs d’alerte venaient à être effectivement protégés par la loi Sapin 2; donnant ainsi un caractère très relatif aux 440 millions d’euros encaissés en trois ans par la Convention judiciaire d’intérêt public (CGIP).

Légiférer d’urgence : des rentrées immédiates dans les caisses de l’État

Trois mesures pourraient donc être prises sans délai par le ministre du Budget pour palier à ces contradictions issues du même texte de loi.

1) Il a d’abord les moyens, quasiment du jour au lendemain, de rédiger un nouvel arrêté définissant les critères d’indemnisation chiffrés des aviseurs fiscaux, soit, en quelques lignes, préciser en pourcentage les seuils à concurrence des sommes recouvrées.

2) Le ministre du Budget a également le pouvoir de faire amender l’article 6 de la loi Sapin 2 en ajoutant la possibilité d’une indemnisation du lanceur d’alerte à un autre organe que le Défenseur des droits, comme par exemple le Parquet national financier (PNF)

3) Le ministre du Budget a enfin le pouvoir d’impulser l’initiative au Parquet national financier et à l’Agence française anticorruption (AFA) de préciser les conditions dans lesquelles ces derniers pourraient indemniser le lanceur d’alerte sur le modèle américain, comme cela vient d’être fait en juin pour la CJIP s’inspirant des dispositions du Department of Justice (DoJ).

Une impulsion d’autant plus possible que le nouveau Procureur de la République financier succédant à Madame Eliane Houlette sera bientôt connu, et qu’il pourrait décider dès son entrée en fonction de faire de cela un marqueur de son mandat.

Pierre Farge, Avocat à la Cour, spécialisé dans la protection des lanceurs d’alerte.

(*) Convention judiciaire d’intérêt public (CGIP) : La loi du 9 décembre 2016, dite Loi Sapin 2, a créé une procédure, permettant au procureur de la République de conclure une convention judiciaire d’intérêt public avec une personne morale mise en cause pour des faits d’atteintes à la probité. Cette mesure alternative aux poursuites est applicable aux entreprises, associations, collectivités territoriales, etc. mises en causes pour des faits de corruption, trafic d’influence, fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et toute infraction connexe. (source AFA)

Lanceurs d’alerte : Le parcours des combattant.e.s ? | Table ronde à l’Assemblée Nationale

Lanceurs d’alerte : Le parcours des combattant.e.s ? | Table ronde à l’Assemblée Nationale

A la suite du rapport sur la lutte contre la délinquance financière (*), Ugo Bernalicis, député de La France Insoumise, a organisé une table ronde à l’Assemblée nationale le 26 juin 2019 sur la question des Lanceurs d’alerte.

Cette table ronde réunit :

– Céline Boussié, Lanceuse d’alerte du médico-social, poursuivie en diffamation (puis relaxée) par l’IME de Moussaron pour avoir dénoncé les faits de maltraitance qui y ont été pratiquées impunément pendant plus de 20 ans sur des enfants poly-handicapés. Elle est secrétaire générale adjointe de la Maison des Lanceurs d’Alerte (MLA) et auteure de « Les enfants du silence » (Harper Collins).

– Patrick Bourdillon, secrétaire fédéral CGT santé.

– Maxime Renahy, ancien administrateur de fonds à Jersey et au Luxembourg, devenu espion à la DGSE. Il est désormais ce qu’on appelle un lanceur d’alerte dans le domaines de la délinquance financière. Son livre « Là où est l’argent » dénonce les pratiques offshore des multinationales et l’inaction de Bercy.

– Pierre Farge, Avocat au barreau de Paris, spécialisé dans la défense des lanceurs d’alerte.

Table ronde filmée et retransmise sur YouTube :

(*) Rapport d’information sur l’évaluation de la lutte contre la délinquance financière, déposé par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques et présenté par MM. Ugo BERNALICIS et Jacques MAIRE, députés.

Fraude massive au bac S : le professeur qui a dévoilé la triche peut-il être poursuivi pour non-respect de la procédure ?

Fraude massive au bac S : le professeur qui a dévoilé la triche peut-il être poursuivi pour non-respect de la procédure ?

Reportage publié sur la Chaîne d’informations LCI

Suite aux révélations d’un professeur de mathématiques concernant des fraudes au baccalauréat, bien plus importantes qu’imaginées dans un premier temps, vous nous avez interpellé. « Le site TI Planet et ce professeur ont-il violé la loi en informant la presse sans respecter la loi ? », nous interroge un internaute. La loi stipule effectivement qu’un lanceur d’alerte doit respecter un délai de trois mois avant de révéler les faits à l’opinion publique.

 

Maître Pierre Farge a été interviewé par la chaîne LCI concernant le statut du professeur ayant dévoilé la fraude massive au Bac S.

« Il a incontestablement lancé une alerte« , corrobore Pierre Farge, avocat à la cour de Paris. Si contentieux il devait y avoir, ce serait toutefois aux juges d’en décider. Et il y a de grandes chances qu’il soit considéré comme tel », poursuit l’avocat spécialisé dans la protection des lanceurs d’alerte.

 

Protéger les lanceurs d’alerte, une bonne affaire pour Bercy!

Protéger les lanceurs d’alerte, une bonne affaire pour Bercy!

L’actuelle législation censée protéger les lanceurs d’alerte est insuffisante. Or, ce n’est qu’en les assistant davantage que l’Etat pourra recouvrer son efficacité fiscale.

Article de Maître Pierre Farge publié initialement dans Causeur.fr

Alors que le Grand Débat soulignait l’importance d’une réforme fiscale d’envergure, les lanceurs d’alerte pourraient bien permettre des recouvrements d’impôts colossaux s’ils étaient correctement protégés. Pourtant, le gouvernement se garde bien de faire évoluer le droit en vigueur.

Pourquoi une telle inertie, en dépit des avancées européennes et des récents rapports parlementaire clairement en faveur des lanceurs d’alerte, et malgré le fait qu’une protection plus efficace des lanceurs d’alerte, seuls à permettre de révéler et recouvrir le manque à gagner causé par la fraude fiscale, pourrait apporter un début de réponse à la crise sociale ?

Cette perspective s’inscrit parfaitement dans les objectifs voulus par le Parlement européen en 2018  et le Parlement français en mars 2019 suite au rapport sur la lutte contre la délinquance financière, soulignant notamment l’importance d’indemniser les lanceurs d’alerte.

Pour ce faire, il apparaît donc qu’une uniformisation des dispositifs de prise en charge financière de ces nouveaux héros de la démocratie soit indispensable. Car à ce jour plusieurs dispositifs existent, mais sont en contradiction les uns avec les autres.

Ainsi selon la loi Sapin II le lanceur d’alerte ne peut pas être rémunéré,  la loi du 23 octobre 2018 permet la rémunération de « l’aviseur fiscal » – le lanceur d’alerte du fisc.

C’est également le cas du lanceur d’alerte des douanes, ou informateur des douanes dont l’arrêté du 18 avril 1957, accepte aussi le principe d’une rémunération.

Sapin II : la loi insuffisante

La définition même du lanceur d’alerte telle que prévue dans la loi Sapin II, entièrement applicable depuis le 1er janvier 2018, exclut même une aide financière sous la forme d’une avance sur les frais de procédure exposés ou d’un secours financier temporaire !

Issu d’une décision du Conseil constitutionnel de 2016, ce postulat est tout à fait contestable puisque l’interdiction ne concernait que la compétence attribuée au Défenseur des droits pour procéder lui-même à la rémunération. Autrement dit, en attribuant cette compétence à une autre institution, le secours financier au lanceur d’alerte serait tout à fait possible.

Et ce secours pourrait être inspiré de la rémunération des informateurs des douanes, quoi que de façon plus transparente. Par ailleurs, il faudrait dans la même occasion accroître la transparence concernant les lanceurs d’alerte des douanes et du fisc.

Car, si dans le cadre de la répression du trafic de drogue, les services de police, de gendarmerie ou des douanes sont dans la nécessité de recourir à des informateurs, indicateurs ou autres aviseurs, le statut de ces personnes n’ait jamais été défini sur le plan juridique, pas plus que leur rémunération n’ait reçu une base budgétaire incontestable, une situation qui a déjà permis un certain nombre d’abus.

Le Parlement injustement écarté

Car en pratique, l’administration fiscale oppose le secret des procédures fiscales, empêchant donc au lanceur d’alerte de connaître la prise en charge dont il pourra in fine bénéficier, au regard du risque qu’il a pris et de l’importance des informations qu’il a révélé pour le recouvrement de l’Etat.

Pire, il ressort d’un arrêté du 18 avril 1957 définissant l’aviseur des douanes qu’une poignée de hauts fonctionnaires au sein des services de police et de gendarmerie, ainsi que des agents des douanes, seraient, sur cette seule définition, fondés, par l’intermédiaire en droit à rémunération tacite, mais sans davantage de précision.

Moralement compréhensible, ce postulat n’est cependant pas conforme aux principes de comptabilité publique. L’ensemble des rémunérations versées par l’Etat est en effet retracé dans le fascicule budgétaire transmis annuellement au ministère chargé du budget. Pire encore, ces données ne sont curieusement pas rendues publiques au Parlement.

A ceux qui brandissent la nécessité de secret de telles informations, rappelons que les portefeuilles accordés à la lutte contre le terrorisme sont tout aussi sensibles, sinon plus, et connus de la représentation nationale.

Que faire ?

Dégageons une logique commune et cohérente pour le traitement par l’Etat des lanceurs d’alerte quels qu’ils soient. Ainsi, il faut tout d’abord uniformiser les trois dispositifs contradictoires relatifs aux lanceurs d’alerte, aux aviseurs fiscaux et autres informateurs des douanes pour un secours financier clair et transparent.

De même, il est essentiel, de cesser de concentrer un pouvoir discrétionnaire aux mains d’un seul fonctionnaire pour indemniser ses informateurs. Enfin, et peut-être surtout, rendre compte au Parlement des chiffres afin de savoir où passe l’impôt.

Autrement dit, rétablir une sécurité juridique des lanceurs d’alerte, et protéger efficacement leur geste démocratique dans le respect de l’intérêt général. La société en a besoin, et les institutions aussi.

Pierre Farge, avocat à la Cour, spécialisé dans la cause des lanceurs d’alerte.

Lanceurs d’alerte : encore un indic des Douanes trahi par l’État

Lanceurs d’alerte : encore un indic des Douanes trahi par l’État

Héros modernes de plus en plus visibles, les lanceurs d’alerte n’en sont pas moins en danger. Régulièrement utilisés par les différents services de l’État pour la qualité de leurs informations, totalement indécelables en l’absence d’alerte, ils sont finalement les laissés-pour-compte de la République.

Article de Pierre Farge publiée initialement dans La Tribune

La valeur de protection des lanceurs d’alerte n’est qu’instrumentale : elle vise à rassurer tous les potentiels lanceurs d’alerte, encourager leur partage d’informations, puis une fois fait, laisse ces individus ayant agi dans l’intérêt général assumer seuls les conséquences de leurs actes.

Sans rien enlever au caractère désintéressé du lanceur d’alerte, l’administration a mis en place plusieurs dispositifs pour protéger le geste démocratique du lanceur d’alerte, tout du moins en théorie :

  • la loi Sapin 2 reconnaît ainsi le statut de lanceur d’alerte, mais refuse tout secours financier,
  • la loi du 23 octobre 2018 reconnaît le lanceur d’alerte du fisc, ou aviseur fiscal, et, par principe, le secours financier,
  • l’arrêté du 18 avril 1957 reconnaît le lanceur d’alerte des Douanes, ou informateur des Douanes, et accepte aussi par principe le secours financier.

Comment est-il donc possible que différents dispositifs visant les mêmes fins soient applicables et puissent se contredire? Comment est-il possible d’établir un dispositif protecteur, puis une fois les informations exploitées, ne jamais leur en faire bénéficier? Et comment est-il possible que personne ne légifère pour corriger le tir?

Des dispositifs opaques et contradictoires

La réponse se trouve dans l’histoire récente et symptomatique d’un employé qui adhère de moins en moins à la finalité de son travail, qui prend conscience de procéder à des opérations qui ne trouvent pas l’utilité sociale qu’il avait imaginé, et qui décide donc d’en dénoncer le caractère frauduleux.

Sur la base des informations publiquement disponibles, principalement en ligne, cet employé s’adresse à la Direction des douanes. Il a ainsi d’abord partagé toutes les informations en sa possession, prenant d’énormes risques vis-à-vis de son employeur, et de toutes les représailles en cascade imaginables. Il a ensuite donné de son temps à l’administration pour orienter les agents en charge de l’enquête et aider à interpréter les informations transmises, avant de finir par démissionner de son poste tant le double jeu lui était devenu intenable.

Il lui est ainsi dès le début opposé par l’administration le secret de la procédure ; précisé qu’il existe de nombreux dispositifs permettant protection et secours financier, et donc de patienter sans s’inquiéter (tout cela apparaît de façon objective dans des échanges d’e-mails).Il n’a donc jamais été informé par l’administration qui s’est précipitée sur ses informations que pour bénéficier d’un tel statut, il fallait entrer ab initio dans une procédure particulière accordant un tel statut.

Ce qui vous permet donc d’imaginer sans mal la position de l’administration aujourd’hui: une fois dénouée l’affaire grâce aux informations de premier ordre, celle-ci indique courageusement que l’informateur ne peut plus prétendre à aucune prise en charge à défaut d’avoir été considéré comme tel en temps voulu.

Le pouvoir concentré entre les mains d’un seul fonctionnaire

Pour bien comprendre cette situation kafkaïenne, il convient encore de rappeler qu’un indicateur des douanes peut être rémunéré en vertu des textes, même en cas d’insuccès partiel d’une opération, mais dans une limite de 3.100 euros, sauf décision contraire du directeur général des Douanes, en l’occurrence Monsieur Rodolphe Gintz.

Ce dernier concentre en effet tout le pouvoir de déplafonner ce seuil, en pratique dans une affaire sur dix, lorsque l’information débouche sur un trafic d’envergure ou une grosse confiscation.

Dans ce cas, le montant de la rétribution, « fixée de façon discrétionnaire et ne pouvant faire l’objet d’aucun recours », comme le précise l’arrêté, et comme s’autorise volontiers à le rappeler l’intéressé, est calculé selon un barème fluctuant et confidentiel, curieusement inconnu du Parlement, ou de toute autre forme de représentation nationale.

Pour résumer, le recouvrement potentiel de centaines de millions d’euros pour les caisses de l’État dépend donc :

1) du pouvoir discrétionnaire concentré entre les mains d’un seul homme,

2) qui agit dans l’opacité des textes,

3) et refuse toute communication au Parlement ou la Cour des comptes.

Un état de fait d’autant plus malheureux que l’on ne connait toujours pas en France le nombre exact de salariés dédiés à la cellule des lanceurs d’alerte, et donc de la dépense publique engendrée pour le contribuable (ils sont par exemple 21 aux États-Unis, et 12 en Grande-Bretagne).

Un tel postulat frappe l’État de droit, sape la confiance entre institutions et citoyens, et accentue une crise de la représentation qui ne nourrit pas la réforme, mais l’insurrection. Au lendemain du 25e samedi de mobilisation des « gilets jaunes », cela fait penser à ce mot de Henry David Thoreau dans sa Désobéissance civile « L’État n’est doué ni d’un esprit supérieur ni d’une honnêteté supérieure, mais uniquement d’une force physique supérieure. »

Maître Pierre Farge, avocat défenseur des lanceurs d’alerte.

Licenciement : affaire de la Briqueterie à Montmorency

Licenciement : affaire de la Briqueterie à Montmorency

Droit du travail : Maître Farge interviewé dans l’affaire de La Briqueterie à Montmorency

Une procédure de justice oppose la mairie à une salariée licenciée de l’association La Briqueterie à Montmorency (Val-d’Oise). Un jugement a condamné la Ville de Montmorency (Val-d’Oise) à régler 4 132 euros à une employée. Le versement n’a toujours pas été effectué.

L’origine du conflit remonte à novembre 2017, lorsque madame R., en place depuis plus de vingt ans dans l’association, saisissait les prud’hommes pour une résiliation judiciaire de son contrat de travail. Sa demande était accompagnée d’une requalification de son licenciement « sans cause réelle et sérieuse ».

Peu de temps après, le 22 janvier 2018, la municipalisation de l’association La Briqueterie était annoncée pour le 1er juillet 2018. La mairie reprenait alors l’affaire dans sa gestion. Le 8 juillet, l’employée était licenciée, par la Ville, au prétexte d’une « impossibilité de reclassement ».

Le contentieux aux Prud’hommes

L’affaire est passée au conseil des prud’hommes de Montmorency le 21 février 2019.

« Un jugement a été rendu, qui a débouté madame R. », résume l’avocate de la mairie, maître Joëlle Bérenguer, qui se refuse à tout autre commentaire en renvoyant à la décision de justice.

Or, les prud’hommes ont débouté pour partie de ses demandes l’employée licenciée et ont, tout de même, condamné la mairie à lui verser 4 132 euros au titre d’indemnités compensatrices, de préavis de congés payés et de frais de procédure.

La commune a, par ailleurs, été déboutée de toutes ses demandes. Le jugement renvoyant les deux parties dos à dos.

Une affaire qui aurait pu se régler par une transaction, via une délibération municipale, mais la mairie a préféré aller au contentieux. « Parce que nous ne devons rien à cette personne. Elle a été déboutée de tout, au-delà des erreurs à la marge », estime Michèle Berthy, maire (Lr) de Montmorency, alors que la Ville n’a pas réglé la condamnation et fourni les attestations nécessaires à l’inscription au chômage de madame R.

Collusion entre la mairie et le conseil des prud’hommes ?

« On va payer », assurait l’élue, au lendemain d’une audience qui s’est déroulée le 16 avril 2019 aux Prud’hommes de Paris, depuis que maître Pierre Farge, avocat de madame R., a engagé une nouvelle action pour demander une nullité du licenciement.

La défense de la salariée s’est déjà vue rejeter un dépaysement de l’affaire, alors qu’elle soupçonne une « collusion » entre la mairie et le conseil des prud’hommes de Montmorency.

La présidente de l’association La Briqueterie ayant siégé à cette même juridiction. « Elle n’y siège plus depuis deux ans », soutient la maire de Montmorency.

Le président de la juridiction a aussi assuré que : « le conseil des prud’hommes est une institution indépendante et n’a aucun lien avec la mairie de Montmorency ».

Une audience est prévue le 1er juillet 2019 à Paris, où le conseil des prud’hommes statuera sur sa compétence ou non à se prononcer sur la nullité du licenciement. « Paris ne va pas déjuger Montmorency ! », s’avance, confiante, la maire.

Quatre ans de combats

Depuis le jugement du conseil des prud’hommes, au-delà du retard de versement de la condamnation, des documents de fin de contrat ne seraient toujours pas parvenus à l’employée licenciée, l’empêchant de s’inscrire à Pôle Emploi. Une situation qui prolonge le conflit.

Employée de l’association La Briqueterie depuis le 17 mai 1994, madame R. aurait vu ses conditions de travail se dégrader en novembre 2014 lorsqu’elle formula, après vingt ans d’ancienneté, une première demande de formation à laquelle l’association peinera à donner suite. Elle réitéra sa requête en février 2015. Sa demande traîna avant d’être autorisée, mais sans que la salariée puisse être remplacée à son poste de comptable. Durant sa formation, des heures de retard se sont accumulées dans son travail, contribuant à dégrader ses conditions de travail. Elle décalera alors ses congés d’été, pour rattraper son retard.
Elle finit par craquer. Devant la complexité à assurer de front son travail et sa formation, les arrêts maladie se succèdent. À son retour, rien ne changea. L’équipe encadrante restant sur ses positions. Cela va même jusqu’à un nouveau report, par son employeur, de ses congés d’été 2017, une demi-heure avant son départ effectif en vacances. Toujours en dépression, elle se voit délivrer un nouvel arrêt de travail. D’autres suivront. Des médecins psychiatres alerteront de son état de santé, qui n’ira pas en s’arrangeant lorsque la Cpam (Caisse primaire d’assurance maladie) convoqua la salariée, à la suite de ses nombreux arrêts.

En novembre 2017, madame R. décide de saisir la justice en prenant conseil auprès d’un avocat, qui proposa une transaction à l’amiable. À l’époque, la mairie n’était pas au courant de l’affaire. Si elle subventionnait l’association, elle ne l’avait pas encore municipalisé. Apprenant le projet de municipalisation de La Briqueterie, l’avocat de madame R. décide d’informer la mairie, mais celle-ci fait savoir que le contentieux « n’intéresse en rien la Ville ».
Cependant, au moment de reprendre l’association, la mairie aurait également commis plusieurs maladresses, comme des erreurs sur un salaire de référence erroné, qui aurait eu pour conséquence de fausser l’indemnité de licenciement et le solde de tout compte.

Pierre Farge, avocat de madame R. « Une collusion avec la mairie ! »

Dans quel état psychologique se trouve votre cliente ?

Je reste inquiet pour son état de santé. Aujourd’hui, ses jours ne sont plus en danger, mais je m’interroge sur son avenir tant elle appréhende le monde du travail depuis les faits de harcèlement dont elle a été victime après vingt-quatre ans de bons et loyaux services. Elle est également effarée de la collusion de la mairie avec le conseil des prud’hommes de Montmorency.

Vous parlez de « harcèlement », comment le justifiez-vous ?

J’ai demandé que les conditions de travail de ma cliente soient reconnues entachées de harcèlement moral et discrimination au regard, notamment, de l’absence totale de formation pendant vingt ans, d’une surcharge de travail et d’objectifs intenables, l’ayant finalement conduite au burn-out et à un an et demi d’arrêt total de travail. Pour rappel, ma cliente a tout de même reçu un courrier en main propre de son employeur trente minutes avant un départ en congés d’été, pour lui demander de reporter ses vacances !

Qu’entendez-vous par « collusion avec la mairie » ?

Lorsque nous avons appris que l’association serait municipalisée, nous avons craint un risque de conflit d’intérêts. En effet, en cours de contentieux devant le conseil des prud’hommes de Montmorency, nous avons compris que la présidente de l’association siégeait encore quelques mois auparavant à ce même tribunal. C’est la raison de ma demande de dépaysement, qui n’a pas été accordée, au mépris d’une jurisprudence pourtant claire. Le conseil des prud’hommes n’a fait droit que marginalement aux demandes de ma cliente. C’est pourquoi j’ai demandé aux prud’hommes de Paris de se prononcer sur la nullité du licenciement.

Qu’attendez-vous de la mairie, qui a repris cette affaire avec la municipalisation de l’association ?

Qu’elle respecte le jugement prononcé par le conseil de Montmorency. Autrement dit, que soient remis à ma cliente ses documents de fin de contrat afin qu’elle puisse toucher ses indemnités chômage, et que son solde de tout compte soit conforme aux jours effectivement travaillés. Cela n’a toujours pas été fait malgré nos multiples relances. Je veux aussi que les habitants de Montmorency sachent comment la Ville se comporte dans cette affaire, en refusant toute issue amiable, non pas parce qu’elle est convaincue d’avoir raison, mais parce qu’elle se refuse à toute transaction pour la seule raison qu’elle nécessiterait une délibération du conseil municipal, qui est public.

Vous pensez que la Ville a cherché à étouffer cette affaire ?

Absolument, la mairie préfère tout miser sur les aléas et la lenteur judiciaires avant de refiler le contentieux à la prochaine majorité. Plutôt que de transiger aujourd’hui à moindres frais pour le tort causé à ma cliente, la maire préfère confier à son successeur l’exécution d’un jugement financièrement plus sévère. C’est de la pure stratégie électoraliste au mépris des administrés, du gaspillage d’argent public aux dépens de l’intérêt général !

Article de Fabrice Cahen paru dans l’édition régionale Val d’Oise de Actu.fr

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3 semaines plus tard, Actu.fr publiait la suite de ce feuilleton judiciaire.

Affaire de la Briqueterie : la cour d’appel propose une médiation

La cour d’appel de Versailles propose de recourir à une médiation, afin de trouver une solution amiable au conflit qui oppose la Ville à une ex-comptable de l’association La Briqueterie licenciée par la mairie le 8 juillet 2018 (notre édition du 1er mai).

Impayés

Le 21 février, le conseil de prud’hommes de Montmorency avait débouté l’employée de l’essentiel de ses demandes. Mais la Ville avait tout de même été condamnée à régler 4 132 euros à l’employée. Un versement que la commune n’a toujours pas effectué. De plus, des documents de fin de contrat de la licenciée, ne sont toujours pas parvenus à l’ex-salariée, l’empêchant de s’inscrire à Pôle Emploi.

Une affaire qui aurait dû se régler par une transaction, via une délibération municipale, mais la mairie a préféré aller au contentieux. La maire estimant « ne rien devoir à cette personne ! ». La défense de la salariée a fait appel du jugement.

Autre audience

Maître Pierre Farge, son avocat, avait déjà tenté un dépaysement de l’affaire, qui avait été rejeté, alors qu’il soupçonnait une « collusion » entre la mairie et le conseil de prud’hommes. La présidente de l’association ayant siégé, quelques mois auparavant, à cette même juridiction de Montmorency.

Le 16 avril 2019, une audience a eu lieu au conseil de prud’hommes de Paris, qui a renvoyé au 1er juillet sa décision à statuer sur sa compétence ou non à se prononcer sur la nullité du licenciement.

Éviter l’appel

La médiation, fixée au 21 juin à Pontoise, doit permettre à la mairie d’éviter une audience en appel à Versailles, en s’engageant à transiger.

« Je serais curieux de savoir pour quel motif la Ville de Montmorency refuserait de donner suite à cette médiation, sinon pour des raisons politiques afin de gagner du temps et ne pas faire peser une éventuelle transaction sur son mandat… », s’interroge maître Farge.

F.C.

Article de Fabrice Cahen paru dans l’édition régionale Val d’Oise de Actu.fr

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